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"La science pour la démocratie Une science politiquement correcte pour toutes les populations" par le Prof Peter Saunders

Traduction et compléments de Jacques Hallard

mercredi 4 novembre 2015, par Saunders Professeur Peter

ISIS Sciences
La science pour la démocratie
Une science politiquement correcte pour toutes les populations
Politically Correct Science for the Masses
La vraie démocratie ne signifie pas seulement avoir le droit de vote. Les gens doivent également avoir accès à l’information dont ils ont besoin pour faire un choix éclairé ; c’est pourquoi les scientifiques doivent être libres de dire la vérité et d’exprimer en conséquence leurs points de vue sur les questions scientifiques. Prof Peter Saunders

Rapport de l’ISIS en date du 27/01/2014
Avec addition des articles suivants :
« OGM : Enquête sur les liens douteux entre les scientifiques et Monsanto » Jacqueline Charpentier – Date : 7 août 2015, dans Science.
« Délégation à l’intégrité scientifique (DIS) » (Document INSERM).
L’article original en anglais est intitulé Politically Correct Science for the Masses est accessible sur le site http://www.i-sis.org.uk/Politically_correct_science_for_the_masses.php
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Façonner la science pour la politique

Lorsque les scientifiques américains avaient publié un rapport avertissant que le niveau actuel des émissions de gaz à effet de serre pourrait, presque avec certitude, conduire à un changement climatique insoutenable, l’administration Bush avait simplement ignoré leurs conclusions.
Au lieu de cela, les responsables administratifs avaient changé le rapport afin de faire croire que les conclusions des scientifiques venaient en appui de la politique de l’administration pour ne rien faire afin de réduire les émissions de carbone ([1] Scientific Integrity in Washington, SiS 49, [2]) *
Version en français : "L’intégrité scientifique à Washington" par le Professeur Peter Saunders. Traduction par Jacques Hallard ; accessible sur http://yonnelautre.fr/spip.php?article4638
Ce n’était pas juste un peu de propagande politique ; c’était aussi un déni de démocratie. Heureusement, la vraie image que l’on peut donner sur le changement climatique ne peut pas être effacée bien longtemps.
Le monde de la recherche a impliqué des scientifiques de différents pays et leurs résultats ne pouvaient pas être dissimulés, même par un organisme aussi puissant que le gouvernement des États-Unis. À cette époque, l’épisode aurait pu ressembler encore à un autre excès d’une administration connue pour s’appuyer davantage sur la foi et l’instinct que sur la réalité [3].
Actuellement cependant, les gouvernements semblent plus enclins à tenir compte des preuves basées sur des évidences. Nous pouvons le constater dans de nombreux domaines, en particulier en considérant à quel point les politiques gouvernementales ont été efficaces [4, 5], mais c’est dans le domaine des scientifique que cela est le plus marqué.
Dans d’autres domaines, le gouvernement et le public acceptent qu’il y ait une grande part de subjectivité et que des opinions différentes soient exprimées, comme par exemple en économie. Ainsi, un gouvernement ne doit pas être trop inquiet s’il y a des économistes, même les plus prestigieux, qui sont en désaccord avec ses politiques. Tant que le gouvernement ne peut trouver d’autres économistes qui soient de son avis, et il s’en trouve toujours, il peut prétendre qu’il suit les meilleurs conseils en matière économique.
En revanche, la plupart des gens pensent que la science est objective et fiable. Ceux qui parlent de la science en public ne reconnaissent pas souvent que toute connaissance scientifique n’est que provisoire. Après tout, la physique newtonienne a finalement été remplacée. Mais ce genre d’incertitude a peu d’incidence directe sur les décisions que les gouvernements prennent. Il peut y avoir quelques questions pratiques sur lesquelles il y a encore une certaine incertitude, mais qui est expliquée par le fait que toutes les preuves n’ont pas encore été apportées, plutôt que l’existence de plusieurs points de vue qui peuvent être admis comme légitimes.
Si une politique peut être déclarée comme basée sur la science, elle acquiert un statut privilégié. Toute personne qui n’est pas d’accord est traitée comme celle qui prétendrait avoir conçu une machine à mouvement perpétuel. La même chose s’applique lorsqu’il s’agit de nourrir le monde sans organismes génétiquement modifiés ou garder les lumières allumées sans énergie nucléaire.
Par conséquent, accepter qu’il existe des doutes légitimes sur la science est beaucoup plus difficile, que de reconnaître que certains économistes de renom soient en désaccord avec l’orientation de la politique du gouvernement. C’est pourquoi les gouvernements sont si préoccupés par le fait que ce que l’on a accepté scientifiquement se trouve en phase avec ce qu’ils veulent faire. Ils ont tendance à nommer comme conseillers des gens qui vont fournir les conseils qu’ils veulent entendre. En effet, leurs conseillers peuvent être liés plus ou moins étroitement aux intérêts particuliers qui ont, avant tout, exercé une pression pour faire admettre leur politique.
Et une fois que les gouvernements ont obtenu l’avis, ils veulent que l’affaire soit close. Les scientifiques devraient tomber d’accord avec cela, comme les ministres sont censés assumer la responsabilité du gouvernement, et apporter leur soutien en public sur ce qui a été convenu, indépendamment de leur propre opinion sur la question.

Faire taire les scientifiques

Ainsi Ian Boyd, conseiller scientifique au ministère de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales (DEFRA) du Royaume-Uni, écrit que « la voix de la science » doit être entendue par les comités consultatifs et les « conseillers embarqués », comme il le fait lui-même [6]. Il est intéressant que lui-même se décrive comme ‘embarqué’, (intégré), un mot généralement utilisé pour décrire un correspondant de guerre qui est rattaché à une unité militaire et qui ne peut se déplacer que si l’armée lui permet d’y aller et de ne rapporter que ce que l’armée lui permet de signaler.
Surtout, Ian Boyd fait valoir que les scientifiques ne devraient pas être la « voix de la dissidence » dans l’arène publique. Une fois que le gouvernement a décidé de la voie scientifique, les scientifiques ne devraient pas être en désaccord avec lui en public.
Cela peut nous rappeler l’attitude de l’Eglise catholique romaine au cours du 17ème siècle. Une fois qu’elle avait décidé que la Terre était le centre de l’univers, ce n’était pas à un simple scientifique comme Galilée d’insister qu’il s’agit simplement d’un certain nombre de planètes en orbite autour du Soleil. Au moins, il ne fallait pas le dire en public, ce qui explique pourquoi l’Inquisition l’a condamné à la détention à vie.
Le coordonnateur de la prospective dans le bureau des conseillers pour la politique européenne du président de la Commission européenne fait beaucoup mieux sur ce point, mais dans un langage plus mesuré [7] : « Pour permettre des politiques fondées sur des preuves plus incompréhensibles, nous devons compter plus sur la science dès le départ. Une fois qu’un consensus est atteint, la preuve scientifique est moins utile pour le débat ».
Aux États-Unis, peu de temps après qu’Obama soit devenu président en 2009, la Maison Blanche a envoyé une note aux chefs des ministères et organismes du gouvernement, leur demandant de produire des politiques d’intégrité scientifique [8]. Le processus n’est pas encore achevé. Selon l’Union of Concerned Scientists (UCS), 22 ministères et organismes ont produit une ébauche ou un document politique définitif [9].
Parmi ceux-ci, l’UCS estime que 6 d’entre eux s’engagent à promouvoir clairement l’intégrité scientifique, que le travail de 5 autres exige plus de travail et que 11 travaux sont soit insuffisants, soit pas encore finalisés et sans préciser généralement quand ils le seront. Ce qui est inquiétant, parmi les organismes ayant des codes insatisfaisants sont les secteurs de l’éducation, de l’énergie, de l’aide à l’étranger et de l’agriculture. Un organisme qui n’a pas produit de code est l’US Fish and Wildlife Service (FWS). En 2012, le FWS a exercé une pression sur un scientifique pour ne pas apparaître sur un rapport de programmes de télévision portant sur des malformations chez les poissons causés par la pollution au sélénium dans les rivières de l’Idaho [10]. Les choses se sont peut-être améliorées depuis l’époque de George W. Bush, mais pas autant que les scientifiques l’avaient espéré.
Au Canada, le gouvernement conservateur de Stephen Harper vise à réduire drastiquement la réglementation et la surveillance de l’environnement. Le dernier exemple en date est la suppression, en novembre 2013, d’une grande partie de la protection de nombreux poissons d’eau douce et de leurs habitats [11].
Pour rendre plus facile cette orientation, les scientifiques qui traitent de l’environnement dans les ministères et les organismes gouvernementaux, sont empêchés de parler aux médias au sujet de leur travail, même sur des sujets non directement liés aux politiques gouvernementales. Un géologue des ressources naturelles, par exemple, n’a pas été autorisé à parler aux médias au sujet d’un article qu’il avait publié dans la revue scientifique Nature sur une inondation qui avait eu lieu dans le nord du Canada il y a 13.000 ans [12]. Les scientifiques du gouvernement canadiens, assistant récemment à une réunion ‘Polar’ à Montréal, ont été informés par e-mail que s’ils étaient approchés par un journaliste, ils devraient lui remettre une carte de visite et prendre rendez-vous pour discuter de la science en présence d’un surveillant.
Cette tendance qui vise, dans le monde entier, à faire taire les scientifiques à des fins politiques, est extrêmement préoccupante. Il s’agit d’une grave menace à la fois pour la promotion de la science et de la démocratie, car elle réduit efficacement l’accès des populations à l’information réelle qui est potentiellement vitale pour leur sécurité et leur bien-être, et sur la base de laquelle ils peuvent exercer leurs droits en tant qu’électeurs. Cela est également une restriction intolérable de la liberté individuelle des scientifiques pour parler en tant que scientifiques comme et des citoyens ordinaires.

Pour conclure

Le rôle des scientifiques dans l’élaboration des politiques est de présenter les faits et les incertitudes scientifiques du mieux qu’ils peuvent pour que la société puisse décider de la meilleure voie à suivre. En pratique, bien sûr, ce sont les gouvernements qui prennent des décisions, mais dans les démocraties le public doit être en mesure de leur demander des comptes, et nous ne pouvons pas le faire si nous ne connaissons pas ces faits et ces incertitudes.
Les conseils scientifiques donnés aux gouvernements doivent être mis à la disposition du public. Qui plus est, nous devons être autorisés à voir que l’avis provient bien des scientifiques, et pas d’une version qui a été trafiquée pour soutenir une orientation politique donnée. Ce n’est pas une proposition particulièrement radicale : les rapports des comités de sélection du parlement du Royaume-Uni comprennent déjà tous les éléments de preuve qui leur ont été soumis.
Les scientifiques, y compris ceux qui travaillent pour le gouvernement, doivent être autorisés à s’exprimer librement sur la science. En cas de désaccord avec la forme proposée par le gouvernement, ils devraient être autorisés à le dire. Si le gouvernement a un bon dossier - si ce n’est pas le cas, il devrait réfléchir à nouveau et le représenter, - il devrait être en mesure de défendre sa politique. Si le gouvernement a décidé que d’autres facteurs l’emportent sur ce que le dossier scientifique suggère, alors il devrait rester ouvert à cela.
La perte de confiance de la population dans ce que le gouvernement leur dit sur la santé, par exemple, est due non pas tant à la modification de l’avis concernant l’ESB (« maladie de la vache folle »), mais par le fait que cela s’est produit des années après que des assurances catégoriques avaient été données et selon lesquelles il n’y avait aucun danger. Le clip de la télévision de la ministre de l’Agriculture, John Selwyn Gummer, concernant l’alimentation de sa fille de quatre ans avec un steak haché, était une image très puissante que le public n’a pas oubliée. Vous pouvez encore le trouver sur YouTube [13].
Le droit des chercheurs à communiquer leurs conclusions et à exprimer leurs opinions sur la science qui sous-tend les décisions du gouvernement, n’est pas un privilège spécial accordé à un groupe particulier. Il est essentiel pour prendre de bonnes décisions et il est essentiel pour la démocratie.
Les gouvernements doivent faire tout leur possible pour promouvoir et libérer la science, sans connivence avec les grandes sociétés privées pour la contraindre. Cela est particulièrement important à un moment où la lourde main de sociétés privées opère dans la domaine de la publication scientifique, à un point tel que des informations vitales pour la santé des gens sont délibérément effacées du dossier rendu public [14, 15] Retracting Séralini Study Violates Science and Ethics * and Open Letter on Retraction and Pledge to Boycott Elsevier, SiS 61).
* Version en français : "Le retrait de l’article sur les résultats des recherches du groupe Séralini est une violation de la science et de l’éthique" par le Dr Mae-Wan Ho & le Professeur Peter Saunders. Traduction et compléments de Jacques Hallard ; accessibles sur : http://www.isias.lautre.net/IMG/pdf/le_retrait_de_l_article_sur_les_resultats_des_recherches_du_groupe_seralini_est_une_violation_de_la_science_et_de_l_ethique.pdf

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