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"La détérioration des océans – Acte II : Les brusques changements du plancton" par le Dr. Mae-Wan Ho

Traduction et compléments de Jacques Hallard

dimanche 28 octobre 2012, par Ho Dr Mae-Wan

ISIS Climat Océans
La détérioration des océans – Acte II : Les brusques changements du plancton
Le réchauffement planétaire a gravement perturbé la croissance du plancton et les cycles métaboliques vitaux, en mettant toutes les chaînes trophiques alimentaires marines en grand danger. Dr. Mae-Wan Ho

Communiqué de Presse de l’ISIS en date du 26/07/06
La version originale en anglais et entièrementréférencé de cet article intitulé Shutting Down the Oceans : Abrupt Plankton Shifts est accessible par les membres de l’ISIS sur le site suivant : www.i-sis.org.uk/AbruptPlanktonShifts.php

L’importance de l’observation du plancton

La ‘Sir Alister Hardy Foundation for Ocean Science’ (SAHFOS) à Plymouth, au Royaume-Uni, a été chargée de la collecte des données sur le plancton de l’Atlantique Nord et de la mer du Nord depuis 1931 [1]. L’enquête est dénommée d’après un instrument, le Continuous Plankton Recorder (CPR), inventé par Sir Alister Hardy, un biologiste marin brillant, peut-être mieux connu du grand public pour sa théorie selon laquelle l’homme a évolué dans l’océan. Il peut encore avoir raison au sujet de l’évolution humaine, mais c’est son travail sur le zooplancton et sa clairvoyance dans l’établissement de l’enquête du CPR, qui devrait recevoir la plus haute distinction. L’enquête CRP est l’enquête biologique marine la plus longue en durée, en cours d’exécution, et à grande échelle dans le monde.

Le CRP est remorqué par des navires marchands sur un certain nombre de routes maritimes désignées à une profondeur d’environ 10 mètres, pour les collectes de plancton sur des filtres en soie qui sont comptées et analysées en laboratoire, et qui servent ensuite à générer une base de données, qui contient désormais des informations sur 400 espèces de plancton, retrouvées dans plus de 170.000 échantillons prélevés depuis 1946. Cette base de données a fourni une excellente matière première pour les chercheurs qui étudient les changements climatiques et les incidences des changements climatiques sur les organismes marins.

Le chercheurs Anthony Richardson du SAHFOS et Martin Edwards, ainsi que l’écologiste des mers David Schoeman de l’Université de Port Elizabeth en Afrique du Sud, sont parmi les scientifiques qui ont analysé ces données plus récemment et qui ont découvert des changements brusques dans les populations de plancton dans l’Atlantique Nord, au cours des décennies passées, qui peuvent avoir considérablement perturbé la chaîne trophique alimentaire, y compris la pêche commerciale.

La production primaire du phytoplancton est touchée par le changement climatique

L’érude de Richardson et Schoeman, [2] a porté sur plus d’une centaine de groupes taxonomiques, notamment les diatomées et les dinoflagellés du phytoplancton, les copépodes herbivores du zooplancton qui se nourrissent de phytoplancton, ainsi que les vers sagittaires (ou chétognathes) et les amphipodes, parmi le zooplancton, qui se nourrissent à partir des herbivores.

Ils ont constaté que des changements dans l’abondance du phytoplancton sont fortement corrélés avec la température de surface de la mer ; elle tend à être plus abondante lorsque les régions plus froides en mer du Nord se réchauffent, peut-être parce que le réchauffement des eaux froides a stimulé leur métabolisme et leur croissance, mais elle a diminué en abondance lorsque des régions chaudes dans le Nord Est de l’Atlantique se sont réchauffées, peut-être parce que des masses d’eau chaudes ont fait remonter des éléments nutritifs provenant des eaux profondes qui en sont riches (Oceans and global warming, * dans cette série d’articles).
* Version en français : "Les océans et le réchauffement planétaire" par le Dr. Mae-Wan Ho. Traduction et compléments de Jacques Hallard ; accessible sur le site http://isias.transition89.lautre.net/spip.php?article252
Richardson et Schoeman, ont également constaté qu’aussi bien chez les carnivores que chez les herbivores, l’abondance du zooplancton n’est pas corrélée avec la température, tandis qu’une corrélation étroite existe entre l’abondance du phytoplancton et du zooplancton herbivore, ainsi qu’entre l’abondance de zooplancton herbivore et l’abondance du zooplancton carnivore.

Ces résultats apportent la preuve que la chaîne trophique planctonique est contrôlée de manière "bottom-up", c’est à dire par les producteurs primaires, et non pas de façon "top-down » c’est-à-dire par les prédateurs ; les effets du changement climatique sur les producteurs primaires pourraient se propager et se manifester au niveau des activités des pêches en mer.

Le contrôle ‘bottom-up » de la chaîne alimentaire marine est fondamentalement différente de la chaîne alimentaire terrestre, et elle dépend de la capacité du phytoplancton à séquestrer du carbone dans des délais plus courts que chez tous les producteurs primaires vivvant sur la terre. Cela confère au phytoplancton une position unique, non seulement dans la chaîne alimentaire marine, mais aussi dans toute la biosphère et dans le cycle du carbone.

Dans les écosystèmes terrestres, les algues et les cyanobactéries du sol sont importantes pour maintenir la fertilité des sols, pour lutte contre la pollution et pour l’amélioration de la structure du sol pour la croissance des végétaux [3], mais ces espèces ne sont pas directement au bas de la chaîne trophique alimentaire.

Dans les océans, le phytoplancton réalise une conversion efficace de carbone dans la biosphère, pour créer ainsi un énorme stock permanent de carbone, et les espèces qui synthétisent leurs coquilles à partir du carbonate de calcium, assurent aussi le transport de grandes quantités de dioxyde de carbone lorsqu’elles meurent et et qu’elles tombent au fond de la mer où les coquilles restent sous forme de sédiments pour des milliers d’années.

Les carburants et les combustibles fossiles sont considérés comme ayant pour origine des sédiments de plancton qui ont été enfouis sous la terre pendant des millions d’années (Oceans and global warming, Les océans et le réchauffement planétaire, dans cette même série).

Ainsi, le phytoplancton est le puits de carbone le plus important et le plus actif sur la planète terre, et sans lui, la vie dans sa forme actuelle, est impossible.

Inadéquation entre les pics saisonniers du plancton

Le transfert de carbone vers la biomasse vivante, dans les océans, dépend de la part du phytoplancton qui est consommée par les plus grands organismes à durée de vie plus longue ; ceux-ci sont, à leur tour, consommés par des organismes encore plus grands ayant une durée de vie encore plus longue et ainsi de suite jusqu’aux poissons, aux oiseaux marins, aux phoques et aux baleines. Le transfert le plus efficace de la biomasse dépend du couplage entre les saisons de pointe des consommateurs et celles des organismes consommés ; mais cela semble aussi avoir été trop perturbé par le réchauffement climatique.

Richardson et Edwards [4] ont suivi les changements dans le calendrier des efflorescences de plancton saisonnier (pics des populations) au cours des dernières décennies. Chaque espèce a un cycle annuel avec un maximum et un minimum, et les herbivores du zooplancton (se nourrissant du phytoplancton) et les carnivores (se nourrissant à leur tour à partir des herbivores) ont évolué pour exploiter les productions phytoplanctoniques de manière à transférer efficacement la biomasse dans la chaîne alimentaire.

Depuis 1987, cependant, les cycles des différentes espèces se sont déplacés et désynchronisés, amenant à une inadéquation entre les différents niveaux de la chaîne trophique alimentaire des diffférentes formes de plancton qui sont toutes considérées comme « productrices » des océans.

Les diatomées et les dinoflagellés du phytoplancton sont des producteurs primaires, les copépodes, des herbivores qui se nourrissent de phytoplancton, sont des producteurs secondaires ; les espèces du holozooplancton, en dehors des copépodes, comprennent à la fois des producteurs secondaires et des producteurs tertiaires qui se nourrissent de producteurs secondaires, et le méroplancton se compose de larves de poissons qui sont à la fois des producteurs secondaires et tertiaires.

Les chercheurs ont constaté des changements substantiels lors les pics saisonniers des populations au cours des dernières décennies. En particulier, les pics du méroplancton ont été avancés dans le temps, surtout les échinodermes, de l’ordre de 47 jours.
En revanche, les pics des diatomées au printemps et en automne sont, collectivement, restés inchangés, avec toutefois des variations considérables entre les espèces.
Le holozooplancton, hors copépodes, montre un large éventail de réponses, avec certaines classes qui se reproduisent aussi beaucoup plus tôt. Parmi le phytoplancton, la majorité des dinoflagellés se reproduisent également plus tôt, d’environ 24 à 27 jours.

Pour les groupes qui sont à leur maximum lorsque la colonne d’eau est mélangée sur sa haiteur ou dans un état de transition, il y a une variabilité considérable, alors que les groupes associés à des conditions de faible turbulence de l’eau ont pratiquement vu tous leurs pics saisonniers avancer. Les larves du méroplancton ont également montré des changements, avec une plus grande précocité que leurs proies du zooplancton.

Pendant l’été, le mésoplancton a progressé collectivement de 27 jours, les dinoflagellés de 23 jours, les copépodes et les autres espèces du holozooplancton ont été avancés de 10 jours au cours de la période de 45 ans. Les diatomées, dans leur ensemble, ont montré les plus grandes variations avec des groupes particuliers se produisant plus tôt et plus tard, durant les pics de printemps et d’automne.

Dans les eaux chaudes, dans lesquelles les ‘explosions’ phytoplanctoniques se sont produites trois semaines plus tôt, alors que les herbivores ont culminé, seulement avec un décalge de 10 jours. Ainsi, il pourrait y avoir moins d’herbivores pour nourrir le prochain niveau des prédateurs, constitué par les larves de poissons et le zooplancton carnivore.

« Ces effets, à la base de la chaîne trophique alimentaire sont tellement dramatiques qu’ils sont considérés comme ayant un effet sur toute l’écologie de l’Atlantique Nord », dit Edwards en conclusion [5].

Le phytoplancton devient instable lorsque les eaux de surface se réchauffent

Mais ce n’est pas tout. Jef Huisman, de l’Université d’Amsterdam, aux Pays-Bas, et ses collègues, ont utilisé un modèle informatique pour savoir ce qui se passe pour le phytoplancton, lorsque les eaux de surface des océans se réchauffent, et que de grandes parties des océans se stratifient, comme les modèles climatiques le prévoient. Autrement dit, il y a moins de brassage vertical lorsque de l’eau chaude plus légère reste située sur le dessus de l’eau froide et dense des profondeurs.

Huisman et ses collègues ont constaté que la réduction du brassage vertical a causé des perturbations majeures à la croissance du phytoplancton, ce qui compromet la séquestration efficace du dioxyde de carbone et l’exportation de carbone vers les couches plus profondes et le plancher océanique.

Cela pourrait aboutir à une rétroaction positive catastrophique sur le réchauffement climatique si le dioxyde de carbone dans l’atmosphère augmente, entraînant une nouvelle augmentation de la température de la surface de la mer, plus de stratification de la colonne d’eau (sur la hauteur), et, par la suite, des perturbations dans la croissance du phytoplancton.

Le phytoplancton se développe le mieux à une profondeur d’environ 100 mètres, formant un maximum de chlorophylle en profondeur (RDR) dans les océans, qui reflètent un compromis entre la lumière fournie par le dessus et les éléments nutritifs fournis par le dessous. Les scientifiques s’étaient imaginé que ces maxima de chlorophylle en profondeur RDR étaient des caractéristiques stables de l’océan.

Toutefois, Huisman et ses collègues ont montré que la réduction du mélange vertical génère des oscillations et le chaos dans la biomasse de phytoplancton, évènements qui détruisent le maximum de chlorophylle en profondeur. Les deux processus essentiels impliqués dans les fluctuations sont le naufrage de plancton mort qui élimine les éléments nutritifs des couches de surface où il y a suffisamment de lumière pour la croissance et la hausse du flux d’éléments nutritifs nécessaires pour la croissance de nouveau phytoplancton.

Le maximum de chlorophylle en profondeur reste stable tant que les deux processus sont en équilibre. Lorsque le mélange vertical est réduit au-delà d’un seuil critique, les éléments nutritifs dans les couches supérieures sont épuisés plus rapidement qu’ils ne peuvent être renouvelés ; les oscillations et le chaos s’installent et le maximmum de chlorophylle en profondeur est détruit.

Le modèle reproduit de nombreuses caractéristiques réelles. Il prédit que la forme du maximum de chloropjylle a une profondeur d’environ 100 mètres, et couvre un éventail aussi large que dans les eaux océaniques claires (environ 50 mètres). Comme il est compatible avec les observations, le modèle prédit que les nutriments sont épuisés à des niveaux proches de zéro au-dessus du maximum de chorophylle tandis que l’augmentation de la concentration en éléments nutritifs varie de façon linéaire avec la profondeur en dessous du maximum de chlorophylle.

Des séries détaillées des mesures effectuées au cours du temps dans le Pacifique Nord subtropical confirment la prévision d’un zonage vertical des espèces, avec des collections différentes d’espèces qui dominent à différentes profondeurs, et des tendances saisonnières des concentrations en chlorophylle et en éléments nutritifs dans le maximum de chlorophylle.

Les mesures de séries chronologiques montrent également des fluctuations supplémentaires superposées sur les cycles saisonniers, comme le prédit le modèle. De même, les mesures de séries chronologiques montrent que les espèces ayant des vitesses de croissance relativement élevées, présentent plus de variabilité que les espèces avec des vitesses de croissance plus faibles.

Ces résultats sont assez catastrophiques, mais ils convergent également avec d’autres études qui montrent que le réchauffement va porter directement atteinte à la croissance du phytoplancton, en dehors de la stratification des océans et de l’offre plus réduite en nutriments (voir les articles suivants : Shutting down the oceans part III ; global warming and plankton ; snuffing out the green fuse, dans la même série).*
* Version en français ‘’La détérioration des océans – Acte III Le réchauffement planétaire et les océans’’ - ‘Le dernier souffle de l’écologie verte’

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Définitions et compléments

La détérioration des océans – Acte II : Les brusques changements du plancton

Traduction, définitions et compléments en français :

Jacques Hallard, Ing. CNAM, consultant indépendant.
Relecture et corrections : Christiane Hallard-Lauffenburger, professeur des écoles
honoraire
Adresse : 585 19 Chemin du Malpas 13940 Mollégès France
Courriel : jacques.hallard921@orange.fr
Fichier : ISIS Climat Océans Shutting Down the Oceans : Abrupt Plankton Shifts French version 2