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"Les notions de nature et d’environnement ont été abordées dans les divers courants culturels historiques et les traditions philosophico-religieuses" par Jacques Hallard

dimanche 7 juin 2020, par Hallard Jacques



ISIAS Ecologie Ecothéologie

Dossier - Les notions de nature et d’environnement ont été abordées dans les divers courants culturels historiques et les traditions philosophico-religieuses : elles ont ouvert la voie à l’écologie et à la durabilité qui doivent s’imposer d’urgence au plan mondial

Jacques Hallard , Ingénieur CNAM, site ISIAS - 07/06/2020

Plan : Introduction Sommaire Auteur

« L’Humanité est au croisement des chemins et la définition d’un nouveau contrat avec le vivant est nécessaire ». Source

« Le plus grand défi du 21ème siècle pour l’avenir de l’homme est la préservation de la planète. Comment pourrons-nous concilier le progrès de l’humanité avec pour corollaire le développement durable et convaincre les Etats et les citoyens d’accepter les contraintes qui s’imposent ? » - Source

schéma prépros

Source du schéma – « La transdisciplinarité est une posture scientifique et intellectuelle. Elle a pour objectif la compréhension de la complexité du monde moderne et du présent. Le mot transdisciplinarité a été inventé par Jean Piaget, en 1970 ». Source.


Introduction

Le présent dossier, constitué à usage didactique, fait suite à celui-ci : ISIAS Anthropologie Cultures Ecologie - Relations entre les fêtes religieuses (عيدhttps://isias.lautre.net/spip.php?a...الفطرAïd al-Fitr musulmane,שבועותChavouot juive, Pentecôte chrétienne), symboles religieux, rites de la franc-maçonnerie et rites de passage dans diverses cultures du monde, notamment dans la tradition Navajo (sud-ouest des Etats-Unis) qui ouvre la porte à l’écologie - Jacques Hallard , Ingénieur CNAM, site ISIAS 30/05/2020.

La diffusion des connaissances de nature ethnologique sur les Amérindiens, et sur la nation Navajo en particulier, vient de s’enrichir avec la sortie de la brochure N°29 (mai 2020) d’ ‘Indianités – Connaissance des Peuples de l’Amérique septentrionale’. Renseignements auprès de l’Association loi 1901 ‘Indianités’, siège : 37 Rue des lavandières 30126 Tavel France – Mail : pierre.cayol@wanadoo.fr

La démarche adoptée ici est de nature transdisciplinaire et elle s’inspire notamment de l’écothéologie définie ainsi par Wikipédia : « Lécothéologie (anglais : ecotheology) est une forme de théologie constructive qui se concentre sur les rapports de la religion et de la nature, en particulier à la lumière des préoccupations environnementales. L’écothéologie commence généralement à partir de la prémisse qu’il existe une relation entre les visions du monde religieuses et spirituelles des humains et la dégradation de la nature. Elle explore l’interaction entre les valeurs écologiques, telles que la durabilité, et la domination humaine de la nature. Le mouvement a produit de nombreux projets religieux-environnementaux à travers le monde. L’éclosion de la prise de conscience de la crise environnementale a entraîné une réflexion religieuse sur la relation de l’homme avec la terre. Cette réflexion a de forts précédents dans la plupart des traditions religieuses dans les domaines de l’éthique et de la cosmologie, et peut être vue comme un sous-ensemble ou un corollaire de la théologie de la nature ».

« Il est important de garder à l’esprit que l’écothéologie explore non seulement la relation entre la religion et la nature en matière de dégradation de la nature, mais aussi en matière de gestion de l’écosystème Terre en général. Plus précisément, l’écothéologie cherche non seulement à identifier les principaux problèmes dans la relation entre la nature et la religion, mais aussi à proposer des solutions éventuelles. C’est particulièrement important parce que beaucoup de défenseurs et de contributeurs de l’écothéologie soutiennent que la science et l’éducation ne sont tout simplement pas suffisantes pour inspirer le changement nécessaire dans notre crise environnementale actuelle1… » - Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89coth%C3%A9ologie

Autres lectures suggérées sur ce thème :

« On a un peu de temps devant nous, mais c’est du temps que l’on gaspille ». Interview avec Hervé Le Treut, climatologue- La pensée écologique- 02 Juin 2020 – « Lors de la dernière réunion du Conseil scientifique de la Fondation Zoein, Dominique Bourg a interviewé Hervé Le Treut, climatologue et ancien directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace (institut de recherche en sciences de l’environnement). L’équipe de Zoein vous propose une version filmée et commentée de l’entretien. Pour aller plus loin > ... Lire la suite La pensée ecologiste – Paradigme – « Toutes les formes de la vie sont interdépendantes ». Source : http://eco-psychologie.com/genese-ecopsychologie/la-pensee-ecologiste-2/

Ce dossier comprend une quarantaine de documents sélectionnés, et des accès à beaucoup d’autres, et il s’articule autour de 7 rubriques notées de A à G :

Rubrique A - L’écologie dans la chrétienté  : le thème de ce dossier est bien introduit par Isabelle Priaulet qui fait appel à plusieurs traditions philosophico-religieuses et suggère la conversion écologique, basée sur la foi chrétienne qui lui permet de mettre en relief l’encyclique du Pape François intitulée ‘Laudato si’ (24 mai 2015).

Rubrique BL’écologie dans le judaïsme : plusieurs contributeurs abordent l’écologie et la spiritualité dans la tradition religieuse juive et l’un d’eux affirme même que la protection de l’environnement est manifestement une véritable cause juive.

Rubrique CL’écologie dans les philosophies et religions de la culture chinoise : La pensée écologiste, qui n’est rien d’autre qu’une interrogation sur notre rapport au monde, est considérée dans les trois courants ou systèmes philosophico-religieux qui cohabitent en Chine et qui ont dominé et façonné la longue histoire de ce vaste pays au cours du temps : Confucianisme, Bouddhisme, Taoïsme. L’accent est mis tout particulièrement sur letaoïsme qui est essentiellement centré sur la recherche d’une harmonie entre les êtres vivants, dont l’Homme, ou encore les êtres humains, et la Nature.

Rubrique DL’écologie dans l’ islam *  : le sentiment de la nature est souligné maintes fois en islam d’après des érudits de cette culture et la spiritualité musulmane ferait même de l’écologie un impératif coranique. Des imams modernes argumentent avec vigueur sur ces thèmes dans des vidéos très populaires.

* Pour mémoire, « L’édition française a pris l’habitude d’écrire avec une initiale minuscule les noms de religions et de courants de pensée ainsi que leurs adeptes, mais avec une initiale majuscule ceux des peuples et des pays ainsi que leurs membres ou habitants. Selon les règles typographiques généralement suivies par l’Imprimerie nationale, l’université et la presse, on écrit donc islam avec un /i/ minuscule lorsqu’il s’agit de la religion islamique, mais on use de la graphie Islam avec un /I/ majuscule quand il s’agit des sociétés ». Source

Rubrique EL’écologie dans la Franc-maçonnerie  : le thème est souvent traité dans les travaux des loges maçonniques [Définition - Liste], prônant par exemple la défense d’un environnement éthique et spirituel et invitant à concilier les progrès de l’humanité et le développement durable.

Rubrique F - Revisiter les notions de développement durable et de durabilité : une opportunité pour revenir sur le développement durable, parfois sévèrement critiqué, et qu’introduit ainsi l’ADEME, rebaptisée ‘Agence de la transition Ecologique’ : « Alors que nous avons connu depuis quelques décennies une évolution sans précédent, nous devons aujourd’hui apprendre à concilier les progrès, économique et social, sans mettre en péril l’équilibre naturel de la planète. Un développement durable « qui répond au besoin du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » est indispensable. Pour y parvenir, tous les acteurs de la société doivent travailler main dans la main : les entreprises, les pouvoirs publics et la société civile. Le développement durable est l’affaire de tous… ».

Certains auteurs préfèrent parler de la ‘durabilité forte’, traitant de cette notion « qui ne doit pas être confondue avec la simple conservation du patrimoine naturel ou culturel. Elle se comprend, en fait, en conjugaison avec le développement, ce dernier pouvant supposer l’adoption de mesures de conservation, mais aussi d’adaptation. La durabilité est une notion à double sens, recouvrant celle de durée et celle de soutenabilité sur le plan économique, social et environnemental. Les processus et les institutions durables répondent à certains critères environnementaux d’ordre quantitatif, comme limiter les émissions de polluants en fonction des capacités d’autoépuration des milieux, ou d’ordre qualitatif, comme respecter les biorythmes humains, la diversité des écosystèmes, la beauté des sites, la qualité de la vie. Ils n’épuisent pas les ressources nécessaires aux générations futures et ils renforcent continuellement les capacités des individus et des institutions. Les responsabilités et les avantages sont ainsi largement partagés. La durabilité sociale implique de satisfaire les besoins sociaux, économiques et culturels des diverses communautés et populations et de respecter l’acceptabilité sociale du système au niveau territorial. La durabilité économique suppose ainsi la capacité d’adaptation des territoires aux mutations des systèmes de production à différentes échelles ». Mise à jour : février 2014 - Source : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/durabilite

Rubrique GApplications dans l’urbanisme, l’agriculture, l’éducation et la culture  : quatre exemples ont été choisis pour démontrer l’indispensable durabilité qui, par-delà les considérations philosophico-religieuses qui ont leur place par ailleurs dans leur diversité des opinions et des croyances – doit guider les actions à conduire dans les territoires dans le sens du bien commun, d’une autonomie à maintenir autant que faire se peut – voire à reconquérir - et du bien-être individuel.

Ce dossier se termine par une suggestion : l’écoute d’une émission de 58 minutes diffusée par France Culture, dans le cadre d’une série intitulée « Anthropocène : le virus de la dernière chance (4 épisodes) », l’Épisode 4 : Humains/Nature, vers la réconciliation  ?

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Sommaire


Rubrique A - L’écologie dans la chrétienté

1. « L’écologie n’est rien d’autre qu’une interrogation sur notre rapport au monde » - 11 juin 2015 / Entretien avec Isabelle Priaulet (photo) – Document ‘Reporterre’

2. Pour une ontologie de l’écologie. Penser les fondements philosophiques de la conversion écologique Par Isabelle Priaulet - Thèse de doctorat en Philosophie, epistemologie - Sous la direction de Natalie Depraz et de Emmanuel Falque. Soutenue le 17-12-2018

3. Isabelle Priaulet : « La nature nous convertit, si l’on est capable d’y lire la présence du Christ » Vidéo 3:02 - 30 août 2019 KTOTV – [Une expression de foi chrétienne JH]

4. Isabelle Priaulet : « La question de l’empathie pour les autres créatures est un enjeu incontournable de l’écologie intégrale » Par Gaultier Bès Gaultier Bès - 19 novembre 2019 – Document ‘revuelimite.fr’

4 bis. Pape François – Sauvegarder notre maison commune - L’humanité à la croisée des chemins - La critique du paradigme et des formes de pouvoir qui dérivent de la technologie


Rubrique B – L’écologie dans le judaïsme

5. « Aujourd’hui, il faut inviter à un autre rapport au spirituel » - 24 novembre 2018 / Entretien avec Marc-Raphaël Guedj (Photo) – Propos recueillis par Juliette Kempf - Document ‘Reporterre’

6. Le judaïsme et l’environnement -(Conférence donnée le 20 février 2000 par le Dr. Manfred Gerstenfeld). Traduit de l’anglais par Jacques KOHN. Document ‘lamed.fr’

7. Judaïsme et écologie Par Bernard Hadjadj Ancien directeur de l’Unesco - 21 mars 2016 – Document ‘revuelimite.fr’

8. La protection de l’environnement, une cause juive - Israël, où les mesures pour favoriser le développement durable sont encore timides, devrait être un phare pour l’humanité dans ce domaine – Par Yosef I. Abramowitz - 28 janvier 2018

9. Judaïsme et écologie - Pour une cacherout écologique, avec Yeshaya Dalsace - Vidéo 10 minutes – Paris, janvier 2018 - Y. Dalsace, rabbin - R. Honigmann, journaliste

10. Ecologie et Judaïsme - CRIF/Tou Bichvat - Par Marc Knobel - Publié le 10 Février 2020 – Document ‘crif.org/fr’

10 bis. Ecologie et spiritualité dans la tradition juive - Par David Sears – Document ‘fr.chabad.org’ - Ethique et Moralité

11. Autre accès - Dossier spécial : judaïsme et écologie - Communauté Sépharade Unifiée du Québec


Rubrique C – L’écologie dans les philosophies et religions de la culture chinoise

12. La pensée écologiste dans les trois courants ou systèmes philosophico-religieux en Chine : Confucianisme, Bouddhisme, Taoïsme - Causerie à la pagode Hồng Hiên à Fréjus (France) par Thái Công Tụng le 30 août 2008

13. Taoïsme et écologie - L’écologie n’est rien d’autre qu’une interrogation sur notre rapport au monde - Par Baird Callicott – Document ‘wildproject’

14. A la découverte du taoïsme avec ‘China Collection’

15. Le taoïsme à la recherche d’une harmonie entre l’homme et la nature – Exposition BNF 2004

16. Le taoïsme, philosophie ou religion ? Par la rédaction ‘viversum’ – Communiqué publié le 12.09.2016 dans le magazine la revue ‘Spiritualité’

17. Le taoïsme est une philosophie de vie Par Marc Halévy, le 30 octobre 2012


Rubrique D – L’écologie dans l’Islam

18. Écologie en islam et dialogue interreligieux Par Emmanuel Pisani - Dans Transversalités 2016/4 (n° 139)

19. Peut-on être musulman•e sans être écolo ? Emnus 05 juin 2018

20. Spiritualité et écologie : un impératif coranique ? 7 octobre 2019 Pascal Gemperli Non classé

21. Pourquoi ces cinq imams cartonnent sur YouTube Par Gurvan Kristanadjaja — 08 février 2016 à 13:50 (mis à jour le 11 février 2016 à 11:59) – Document ‘liberation.fr’

22. La Nature et L’environnement en Islam – Par Islam Ibn Ahmad Vidéo 15:42 - 12 novembre 2016 Par Islam Ibn Ahmad Officiel

23. Le sentiment de la nature en islam Par Abdelwahab Meddeb - Dans Les Sentiments de la nature (1993), pages 72 à 84 - Mis en ligne sur Cairn.info le 04/10/2016

24. Addenda – Signalement d’autres articles parus dans ‘Les Sentiments de la nature’ (1993) – Diffusion ‘cairn.info’


Rubrique E – L’écologie dans la Franc-maçonnerie

25. Écologie et Franc-maçonnerie – Document ‘l’Edifice’ – Date et origine non communiquées. Auteurs indiqués H\ B

26. Défense pour un environnement éthique et spirituel - Par le RFJ.-M. M. - Octobre 2017Documentfreimaurerei.ch(Franc-maçonnerie suisse)

27. Comment concilier progrès de l’humanité et développement durable ? - Publication 2008 - Document ‘droithumain-france.org’


Rubrique F - Revisiter les notions de développement durable et de durabilité

28. « La durabilité forte : enjeux épistémologiques et politiques, de l’économie écologique aux autres sciences sociales »

29. Rappel de la notion de Durabilité Forte

30. Le développement durable introduit par Wikipédia

31. Le développement durable - Analyse critique par l’Institut d’éco-pédagogie

32. La durabilité selon Wikipédia


Rubrique G – Applications dans l’urbanisme, l’agriculture, l’éducation et la culture

33. Entre durabilité et lutte contre les épidémies, les grandes villes vont-elles devoir choisir ? Marina Fabre, @fabre_marina - Publié le 01 juin 2020

34. En tant qu’intendants des terres, les agriculteurs s’engagent à maintenir leurs ressources pour les générations futures. Documentation professionnelle canadienne

35. Rapport mondial de suivi sur l’éducation - La planète : vers la durabilité environnementale - Rapport UNESCO 2016

36. Développement durable et culture, selon Louise Sicuro Présidente-directrice générale de ‘Culture pour tous’ - 04 juin 2020 – Document ‘ledevoir.com’ - Québec Canada

37. Accès à une émission de France Culture ‘Cultures Monde’ - 04/06/20 17:56 - Humains/Nature, vers la réconciliation ? – Écouter (58 min)

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Rubrique A - L’écologie dans la chrétienté

1.
« L’écologie n’est rien d’autre qu’une interrogation sur notre rapport au monde » - 11 juin 2015 / Entretien avec Isabelle Priaulet (photo) – Document ‘Reporterre’ – Illustration

L’auteure – Isabelle Priaulet travaille sur le dialogue entre spiritualités et écologie en étudiant ce que les religions ont à nous dire de notre lien à la nature. De l’islam au christianisme, en passant par l’hindouisme et les traditions amérindiennes et africaines, réflexions sur les spiritualités et leur résonance avec la pensée écologique - alors que, le 16 juin ‘2015), le pape François va publier une Encyclique sur l’écologie. Isabelle Priaulet, après avoir longtemps travaillé dans la RSE (Responsabilité sociale des entreprises) puis la finance éthique pour la Financière de Champlain, a décidé il y a quelques années de reprendre ses études à l’Institut de Science et Théologie des Religions. Elle travaille sur le dialogue entre écologie et spiritualités et enseigne aujourd’hui. Elle achève sa thèse, intitulée « Pour une ontologie de l’écologie, essai sur la conversion écologique. »


Reporterre - Pourquoi étudiez-vous les religions ?

Isabelle Priaulet - La question qui m’a animée est celle-ci : qu’est-ce que les religions ont à nous dire de notre lien à la nature ? Que nous enseignent-elles sur les concepts de responsabilité, de sobriété, de tout ce qui est lié à nos enjeux écologiques actuels ? J’ai donc étudié les grands courants spirituels sous cet angle-là, et pas tous azimuts. Sur cette base, j’ai construit plusieurs formats de cours, que je donne dans un lycée privé, dans des écoles de commerce ou d’ingénieur.

Qu’est-ce qui vous a amené à changer de cap et à vous lancer dans cette recherche ?

Le spirituel est ancré dans ma vie depuis l’enfance, ainsi que la relation à la nature. C’est la vie professionnelle qui a fait basculer les choses. J’étais dans le milieu de la finance, de l’entreprise. Au bout d’un moment, cela m’a paru illusoire. Il y a des gens formidables dans la finance, mais ce n’est pas ça qui allait faire bouger les lignes. Je me suis dit : c’est en formant les jeunes que tu vas pouvoir faire changer les choses.

Et le faire en profondeur, ce n’est pas seulement se positionner « contre ». C’est peut-être trouver dans les autres traditions de quoi créer de nouvelles valeurs, et du désirable. Plutôt que de critiquer, donner à voir. Accepter de se décentrer. Je le vois en cours, il y a une attente par rapport à ces sujets. Notre société se trouve aujourd’hui face à un « kairos », une occasion à saisir.

Deux phénomènes convergent : le développement durable, et le multiculturel. L’écologie est peut-être le seul sujet qui permette d’envisager les religions non pas sous l’aspect du conflit, mais d’un dialogue constructif. Il y a de l’universel dans toutes les traditions. C’est pourquoi je parlerais du vivre-ensemble non pas « malgré » mais « grâce » à nos différences.

Comment se déroule votre enseignement ?

En six cours de trois heures, portant chacun sur une tradition. Je commence par le christianisme, puisque je pense que c’est là le nœud du problème. La clé du dialogue entre écologie et spiritualité se joue au niveau de la Genèse. J’essaie d’en donner une autre interprétation, via l’exégèse juive, et de sortir de l’anthropocentrisme. On aboutit à un théocentrisme au terme d’un rééquilibrage des relations entre l’homme, la nature et Dieu, impliquant une responsabilité des hommes vis-à-vis de la création. Une ouverture sur l’orthodoxie et le courant franciscain aide à redécouvrir la dimension cosmique de la tradition chrétienne. Je leur fais notamment écouter Bartholomée 1er, le patriarche de Constantinople et quelques extraits du discours social de l’Eglise catholique.

Le deuxième cours porte sur l’Islam, que je présente comme une religion de l’interpellation, de la responsabilisation à lire les signes. Je m’appuie sur la sourate des abeilles qui dit que l’unicité de Dieu s’exprime à travers la révélation et la création. De même que pour Saint François, le monde est offrande, il est ici don, symbole de la présence divine. C’est l’intelligence qui doit se mettre au service de la création, et non le contraire. Si on m’interroge sur les contradictions apparentes du Coran, j’explique que les différents niveaux d’interprétation sont justement voulus pour provoquer l’intelligence humaine. J’essaie de faire découvrir aux étudiants le mode de pensée symbolique.

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Les traditions amérindiennes et africaines (animistes) sont exemplaires de cette pensée, qui n’est pas contradictoire avec la pensée scientifique. Les Kogis (peuple racine colombien) sont un bon exemple : leur science des symboles s’appuie sur une connaissance parfaite des plantes et des écosystèmes et ils cherchent à dialoguer avec nous. Je fais lire des mythes aux élèves pour les mettre au cœur de cette pensée, tels que les mythes dogons en Afrique, et je montre des vidéos. Il nous est difficile de lire des textes sacrés parce qu’on a étouffé en nous la pensée mythique. Alors qu’au départ, chez les Grecs, le « mythos » et le « logos » (pensée rationnelle) n’étaient pas opposés.

Ce sont des pensées analogiques, comme le taoïsme, qui permettent de dépasser ces oppositions binaires. Au contraire de la pensée moderne occidentale, qui sépare le réel en catégories, le tao crée des correspondances entre les choses avec le sentiment d’une unité. C’est vraiment la religion de la nature. C’est par le corps que tu y rentres, par la pratique du souffle comme avec le Qi Gong. Le rôle de l’homme est de faire circuler l’énergie entre le Ciel et la Terre. Il y a une correspondance entre le microcosme et le macrocosme, le corps est un paysage. C’est à l’intérieur de toi que tu vas chercher à t’harmoniser avec l’univers.

Pour l’hindouisme, mon interrogation porte sur les sources de la non-violence gandhienne. Je démarre avec Rabindranath Tagore, qui montre que la spécificité du mode de développement indien est de s’être fait avec la nature, et non contre elle. Puis je présente le Veda, avec les mythes cosmogoniques, qui mettent en correspondance l’homme primordial (le Purusha) et le monde. J’explique ensuite comment l’école de Shankara à travers le concept de non-dualité (advaita) permet de penser l’unité du vivant autour du Brahman, cet Absolu qui est la réalité ultime de toute chose ; et pour finir je leur montre des extraits de « La Marche du sel » qui illustre bien la non-violence. Le lien se fait entre abstraction et histoire concrète.

Je termine avec le bouddhisme. Comme première initiation, je leur conseille le livre de Thich Nhat Hanh, Ce monde est tout ce que nous avons, qui explique de façon simple l’interdépendance de toutes choses. La notion de la non-dualité n’est pas facile pour les élèves, c’est un chemin. Ce qui me semble important, c’est de leur montrer qu’une fois fait le deuil de l’égo, on peut passer aux noces avec l’univers. La séparation entre sujet et objet n’existe plus, et donc entre soi et le monde, nous participons tous d’un grand « continuum ». Pour le bouddhisme du Grand Véhicule, nous avons à redécouvrir notre nature profonde (la nature de Bouddha), présente en tout être mais masquée par les illusions de l’ego.

Comment les étudiants réagissent-ils ?

Ils sont scotchés, et parfois impliqués personnellement. J’ai même fait faire de la méditation aux lycéens, ils étaient ravis, et très demandeurs ! Pour les évaluer, je leur demande des « rapports d’étonnement ». J’attends leur authenticité, leur engagement, pas un savoir qu’ils n’auraient pas le temps d’acquérir.

Voici en exemple un extrait d’un étudiant en école de commerce : « Je me suis à la fois retrouvé, et senti dépassé par la puissance de la pensée des indiens Kogis. Cette société précolombienne a beaucoup à nous apprendre, et pourrait peut-être nous apporter des solutions dans ce qui nous semble aujourd’hui un défi insurmontable : arriver à se développer en accord avec la nature et de manière durable. »

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Mais au-delà de la théorie, comprennent-ils que la question écologique implique un vrai changement de relation au monde, notamment à la consommation matérielle ?

Si tu leurs sors une morale des gestes écologiques, c’est du réchauffé, de la sauce médiatique. Curieusement, ils comprennent beaucoup mieux les choses profondes. Et justement, voici l’enjeu véritable de mon cours… il est de dépasser le stade des gestes, pour placer le sujet de l’écologie au niveau ontologique. C’est-à-dire que l’écologie n’est rien d’autre que de s’interroger sur notre rapport au monde, sur notre « être-au-monde » pour reprendre l’expression de Heidegger.

Cela rejoint l’esprit du mouvement de la deep ecology (écologie profonde), fondé par le philosophe Arne Naess, auquel il oppose la shallow ecology (écologie de surface) qui ne s’intéresse qu’aux solutions techniques. Les élèves, oui, reconnaissent leur lien au matériel… Il s’agit de leur faire prendre conscience en profondeur de leur dépendance aux objets et désirs créés par cette société. La compréhension du sens du jeûne pour le climat par exemple…

Et du lien entre la vie spirituelle et les enjeux écologiques ?

Je me suis rendue compte d’une curieuse coïncidence sur l’étymologie des deux termes. « Religion » vient du verbe latin religare, qui signifie « relier ». Or la définition de l’écologie est exactement sur ce mode de la relation : la science des relations entre les êtres vivants et leur milieu. C’est la science du lien, au niveau de l’immanence. Qui t’empêche de dire qu’au niveau de l’immanence, il y a de l’invisible ? Merleau-Ponty, dans Le Visible et l’invisible, parle de la « chair du monde » à laquelle nous appartenons tous, la matière tramée d’invisibilité. Les deux termes ont donc une affinité naturelle. Oikos Logos, les mots grecs d’où vient « écologie », signifient la ’science de la maison’. Heidegger parlera d’habiter le monde. Cela n’implique-t-il pas d’habiter notre monde intérieur, en même temps que le monde extérieur ?

Le titre de ta thèse annonce une « conversion écologique ». Que veux-tu dire ?

La conversion, c’est l’unification de l’être, de la personne. L’enjeu, encore une fois, est de faire le lien… entre mon « moi quotidien » et cet « autre qui me porte ». C’est un mouvement qui englobe toute ton existence. Cette notion n’a pas qu’une connotation religieuse. Il y a deux stades pour décrire la conversion : la metanoia, la rupture, le changement de direction ; puis l’epistrophein, le mouvement de retour. C’est un arrachement qui ressource, qui te met en phase avec toi-même. Cette rupture est essentielle à la prise de conscience écologique, et permet d’atteindre une cohérence, un socle véritable.

On vient tous à l’écologie par des voies différentes, et c’est ce qui est beau, mais ensuite c’est ensemble que nous nous demandons : vers où allons-nous ? Cependant, le retournement ne se fait pas du jour au lendemain. Nous avons besoin de haltes, de « stations », comme dit l’Islam. L’unité se gagne progressivement. C’est en cela que ce chemin s’oppose au fascisme écologique, ou à l’intégrisme religieux. Toujours, prendre l’autre là où il en est.


Quelques mots pour finir… ?

Dans le taoïsme, on trouve une métaphore très parlante : l’image de la cruche. La cruche sert à remplir et à verser. Alors ce qui compte, ce n’est pas la forme, le contenant. L’important, c’est la qualité du vide qui permet de contenir. On est traversé par la vie, mais comment fait-on le vide, pour pouvoir accueillir à nouveau le monde, devenir le « miroir de l’univers » ? C’est là qu’on peut vraiment parler « d’écologie corporelle », c’est là peut-être aussi que se joue en partie le lien entre écologie et spiritualité :

« Connais le masculin, adhère au féminin, sois le Ravin du monde
Quiconque est le Ravin du monde, la vertu constante ne le quitte pas
Il retourne à l’état d’enfance » -
(Lao Tseu, Tao Tö King, XXVIII)

Propos recueillis par Juliette Kempf - Pour aller plus loin…

- Arne Naess (avec David Rotenberg), Vers l’écologie profonde (Wildproject, 2009)

- Eric Julien, Les Indiens Kogis : la mémoire des possibles (Actes Sud, 2007)

- Thich Nhat Hanh, Ce monde est tout ce que nous avons (Le Courrier du livre, 2010)

- Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’invisible (Gallimard, 1979)

- Jean Bastaire, Pour un Christ vert (Salvador, 2007)

- Michel Hubaut, Chemins d’intériorité avec saint François (Editions franciscaines, 2012).

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Lire aussi : « L’écologie aide à penser la place de l’Islam en France » - Source : Juliette Kempf pour Reporterre
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23 mai 2020 « Laudato Si’ », un ferment de conversion écologique pour les chrétiens - Illustration

11 avril 2020 Tout est sacré

1er février 2020 Philippe Descola : « La nature, ça n’existe pas »

25 janvier 2020 L’écologie n’est pas une religion mais une politique de la responsabilité

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2.
Pour une ontologie de l’écologie. Penser les fondements philosophiques de la conversion écologique Par Isabelle Priaulet - Thèse de doctorat en Philosophie, epistemologie - Sous la direction de Natalie Depraz et de Emmanuel Falque. Soutenue le 17-12-2018 à Normandie , dans le cadre de École doctorale histoire, mémoire, patrimoine, langage (Mont- Saint- Aignan, Seine-Maritime) , en partenariat avec Institut catholique de Paris. Faculté de philosophie (Etablissement d’accueil) , Université de Rouen Normandie (Etablissement de préparation de la thèse) et de Équipe de recherche interdisciplinaire sur les aires culturelles (Mont-Saint-Aignan, Seine-Maritime ; 2012-....) (laboratoire) .

Le président du jury était Étienne Bimbenet. Le jury était composé de Natalie Depraz, Emmanuel Falque, Jean-Jacques Brun. Le rapporteur était Jean-Jacques Brun. Description en français Description en anglais

Mots clés :
ÉcologieOntologieConversionConversion écologiqueEncyclique Laudato Si’CatastrophismeTechniqueStoïciensÉpicuriensThérapies de l’âmeConversion des sensÉcologie profondeWildernessMonde brutSoi écologiqueDogenBouddhisme zen japonaisRésonanceÉcologieÉcologie humaineÉcologie — Aspect moralÉcologie — Aspect religieuxÉcologie — PhilosophieÉthique de l’environnementPhilosophie de l’hommePhilosophie de la nature

Résumé

Cette thèse entend poser les fondements philosophiques d’une « conversion écologique » en éclairant la dimension ontologique de la crise écologique. Tout en s’inscrivant dans le sillage de l’Encyclique Laudato Si’, où le Pape François lance un vibrant appel à la conversion écologique, l’auteur s’efforce de penser les enjeux proprement philosophiques liés à cette notion. En s’appuyant sur des auteurs tels que Heidegger et Hans Jonas, la première partie de la recherche montre la nécessité d’une véritable « conversion » face au péril métaphysique que représente la technique envisagée ici comme dévoiement de notre « être-au-monde ». Dans un contexte marqué par la résurgence du catastrophisme, l’auteur entend ici souligner la dimension humaniste qui constituait l’horizon de la pensée de ses fondateurs (Günther Anders, Jacques Ellül) tout en confrontant leur vision à celle du « Principe Espérance » porté par Ernst Bloch.La seconde partie de la thèse consiste à poser les fondements éthiques et religieux du concept de conversion.

De la metanoia platonicienne aux thérapies de l’âme stoïciennes et épicuriennes, l’auteur explore la place de la connaissance de la nature (physis) dans le « retour à Soi » (epistrophè) de ces sagesses grecques. Peut-on voir en elles la source d’une véritable « conversion écologique » par laquelle il s’agirait autant de convertir notre regard sur la nature que d’être converti par elle ? Si oui, quelles en seraient les modalités ? Dans cette perspective, quels sont les apports de la metanoia chrétienne par rapport à la metanoia platonicienne ? En quoi la « conversion des sens » portée à la fois par la mystique franciscaine et la « prière du cœur » des Pères neptiques dans le monde orthodoxe, constitue-t-elle une étape capitale pour penser la conversion écologique comme conversion du corps et du cœur ? Pour mener à bien cette analyse, l’auteur emprunte la méthode phénoménologique afin de mettre en lumière les liens entre conversion et réduction.

La dernière partie, plus spécifiquement consacrée à l’écologie contemporaine, s’appuie sur les modalités de la conversion écologique esquissées avec les penseurs grecs et chrétiens pour penser une transformation profonde de notre « affect du monde ». En s’appuyant sur les notions merleau-pontiennes de « chair du monde » et de « monde brut », l’auteur cherche à penser une « empathie universelle » comme socle d’une nouvelle éthique environnementale. A travers une relecture merleau-pontienne de deux grands courants de l’écologie que sont l’écologie profonde (deep ecology) et la wilderness, l’auteur jette les bases d’une ontologie relationnelle dans deux directions. La première envisage la conversion écologique comme un approfondissement du Soi. Dans le sentiment de la wilderness, c’est autant la nature vierge à l’extérieur de nous que le « monde brut » au plus intime de nous-même, qu’il s’agit de préserver pour ouvrir la voie à une expérience transformante du monde telle que la décrit Henri-David Thoreau dans Walden ou la vie dans les bois.

La seconde vise un élargissement du Soi par lequel la réalisation de Soi devient indissociable, par un mouvement d’identification, de celle de notre environnement, jusqu’à faire l’expérience charnelle de ce « Soi écologique » dont nous parle Arne Naess en écho à la « chair du monde » merleau-pontienne et aux théories de la Gestalt dont s’inspirent les deux auteurs. Conscient des limites de la pensée occidentale pour cheminer vers cette non - dualité, clé d’une empathie universelle, l’auteur montre, dans la dernière partie de son analyse, l’influence de la pensée bouddhique sur la deep ecology et explore une spiritualité de la résonance avec le bouddhisme zen japonais incarné dans la figure de Maître Dogen, jusqu’à penser une « échologie de la Joie ».

Source : http://www.theses.fr/2018NORMR146

Voir également : Du dépassement de soi au dépassementdusoi dans la perspective de la conversion écologique - Isabelle Priaulet - Publications de cet auteur diffusées sur Cairn.info ou sur un portail partenaire - Dans Lumen Vitae 2019/4 (Volume LXXIV)

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3.
Isabelle Priaulet : « La nature nous convertit, si l’on est capable d’y lire la présence du Christ » Vidéo 3:02 - 30 août 2019 KTOTV – [Une expression de foi chrétienne JH]

A l´occasion de la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la Création 2019, témoignage d´Isabelle Priaulet, philosophe et enseignante, auteur d’une thèse récente sur la conversion écologique. Prière pour la sauvegarde de la Création du 01/09/2019. Catégorie : Organisations à but non lucratif

Source : https://www.youtube.com/watch?v=j_V-4RzbDnU

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4.
Isabelle Priaulet : « La question de l’empathie pour les autres créatures est un enjeu incontournable de l’écologie intégrale » Par Gaultier Bès Gaultier Bès (photo) - Directeur-adjoint de la rédaction de ‘Limite’ - Agrégé de lettres et professeur de français - 19 novembre 2019 – Photo – Document ‘revuelimite.fr’

C’est un rendez-vous important pour tous ceux qui veulent approfondir leur engagement écologique dans l’esprit de Laudato Si qui approche : du mercredi 27 au vendredi 29 novembre 2019, à Lyon, aura lieu un colloque universitaire consacré à la fraternité universelle. Organisé par la chaire Jean Bastaire (cofondée par notre ami Fabien Revol au sein de la Catho de Lyon), il rassemblera des philosophes, des théologiens et des écologues. Isabelle Priaulet, l’une de ses organisatrices, nous en dit plus. Affichette

– Pourriez-vous d’abord nous présenter la chaire Jean Bastaire ?

La Chaire Jean Bastaire est une structure portée par le Centre Interdisciplinaire d’Ethique de l’Université catholique de Lyon (Ucly). Son objet est de développer une approche éthique de l’écologie à travers le concept d’écologie intégrale. Pour ce faire, elle dispose d’une équipe pluridisciplinaire composée notamment de théologiens, de philosophes, de biologistes, d’une climatologue et d’un écologue. Le Colloque que nous organisons fin novembre est le fruit de cinq années de recherche de la Chaire, créée en 2015 avec le soutien de la Fondation Saint Irénée du diocèse de Lyon qui a recueilli l’héritage de Jean Bastaire.

– Pourquoi avoir choisi d’étudier la question de « la fraternité cosmique et spirituelle » ?

Au centre de notre questionnement se trouve l’ambition de donner un socle à la fois théologique et philosophique au « tout est lié » dont nous parle le Pape François dans l’Encyclique Laudato Si. Malgré l’héritage dont nous sommes porteurs (je pense à Saint François d’Assise bien sûr mais également à des personnalités comme Sainte Hildegarde de Bingen), beaucoup de chrétiens ont encore beaucoup de mal à penser la fraternité en dehors de la relation à Autrui : dans le cadre une communauté élargie à toutes les créatures. Or le message de l’écologie intégrale, c’est que ce que nous n’avons qu’un seul cœur : notre relation à nous-même, à Dieu, à autrui et aux créatures non-humaines sont une seule et même chose !

Dans le monde d’aujourd’hui, ce thème de la fraternité cosmique a des répercussions multiples. Des sujets tels que les droits du vivants, que ce soit les plantes ou les animaux, sont des sujets de réflexion éthiques sérieux et complexes. Certains pays ont commencé à reconnaître des droits à tout ou partie d’un écosystème (les fleuves par exemple)… Un autre enjeu important est l’alimentation. Ces thèmes feront l’objet de la troisième session du Colloque que nous organisons.

– En quoi l’approche théologique et philosophique peut-elle accompagner la conversion écologique ?

Comme le dit si bien le Pape François au chapitre 118 de Laudato Si : « Il n’y aura pas de nouvelle relation à la nature sans un être humain nouveau ». L’ambition de ce Colloque est de contribuer à rechercher les fondements à la fois ontologiques, éthiques et spirituels pour un tel changement anthropologique. La première session du Colloque propose de réfléchir sur « l’homme de l’écologie intégrale » en s’appuyant sur les ontologies relationnelles élaborées par des philosophes tels que Whitehead et Paul Ricoeur. Mais nous ferons également un pas vers l’écologie en donnant une nouvelle lecture de « l’écologie profonde » (deep ecology) développée par Arne Naess dans la perspective de l’écologie intégrale. Longtemps vécue par l’Eglise comme un repoussoir, l’écologie profonde peut-elle être aujourd’hui une source féconde d’inspiration ? Nous montrerons notamment pourquoi, chez Naess, la reconnaissance d’une « valeur intrinsèque » du vivant – faisant écho à la « valeur propre » de l’Encyclique Laudato Si – ne signifie pas une fusion de l’individu dans le Tout, ni une dévalorisation du propre de l’homme, bien au contraire…

Mais nous ne nous limiterons pas à interroger d’autres ontologies relationnelles, la seconde partie du Colloque interrogera d’autres façons de « vivre la fraternité » à travers des notions telles que l’hospitalité, la convivialité chrétienne ou encore la solidarité inspirée du personnalisme de Jean-Paul II. Je crois qu’aujourd’hui la nécessité d’un changement de paradigme n’est plus à prouver, c’est presque devenu un combat d’arrière garde ! Ce sur quoi nous avons à travailler c’est non plus seulement un changement de vision du monde mais une transformation de notre « affect du monde ». La question de l’empathie (et surtout du manque d’empathie) pour les autres créatures va devenir un sujet incontournable qui résonne directement avec le vécu de la fraternité chrétienne… Cette dévalorisation de la sensation figurera parmi les sujets abordés au cours de ce Colloque.

– Que répondre à ceux qui, notamment à la suite du synode panamazonien, s’inquiètent d’une dérive animiste de l’écologie intégrale ?

Il semble incontestable que les traditions amérindiennes notamment, dont le Pape se fait le défenseur dans Laudato Si, aient beaucoup nous apprendre sur ce thème de la fraternité pour les non-humains dans la mesure où, pour ces peuples, les relations avec la faune et la flore peuvent se qualifier dans le langage de la parenté.

Derrière les critiques adressées à l’écologie intégrale (comme à la wilderness et l’écologie profonde d’ailleurs), il y a la peur du retour à une forme de néo-paganisme dans laquelle la nature serait sacralisée. Je pense que le caractère inspirant de ces traditions ne réside pas là mais dans la façon dont elles nous apprennent à renouer avec un monde de pensée symbolique pour lequel le sens est indissociable du substrat sensible qui le porte. Aux excès de l’intellectualisme qui guette certains penseurs chrétiens, ces peuples autochtones opposent une « écologie du sensible » selon les termes de Tim Ingold.

Comme nous l’enseigne le Pape François, en recouvrant notre capacité à lire dans la Création le Signe de la Présence divine, c’est un chemin d’accès à notre propre sacralité de Créature que nous retrouvons : « Lire notre propre sacralité en déchiffrant celle monde » (LS, §.85). Pas de sacralisation de la nature mais une lecture sacramentelle de la Création !

A travers la théologie symbolique de Saint Bonaventure (l’âme miroir du monde) ou encore de la pensée des correspondances Hildegardienne, nous nous engagerons dans cette voie des spiritualités cosmiques dans la dernière partie du Colloque.

– A qui s’adresse votre colloque ?

Il y aura un premier temps fort le mercredi 27 novembre au soir destiné à sensibiliser le grand public avec des invités de marque comme le Cardinal Turkson et des philosophes spécialiste de la question écologique. La seconde partie du Colloque sera plus universitaire dans sa forme mais ouverte au débat avec la société civile dans le cadre de tables rondes au terme de chaque session.

A l’heure où de plus en plus de penseurs de l’écologie pointent du doigt la nécessité d’un dialogue avec les spiritualités pour jeter les bases d’un nouveau « vivre ensemble », c’est le moment de venir puiser les ressources que peut offrir un tel Colloque. Pour les chrétiens convaincus, c’est l’occasion de remettre en cause certains pré-supposés sur les pensées de l’écologie…

– Enfin, vous venez de soutenir une thèse de philosophie intitulée « Pour une ontologie de l’écologie. Penser les fondements philosophiques de la conversion écologique ». Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

L’objet de ma thèse à été de contribuer à donner un socle philosophique (et spirituel) à la merveilleuse intuition du Pape François sur la « conversion écologique ». Pour ce faire, j’ai dû traverser un champ philosophique relativement vaste. J’ai commencé à m’intéresser aux pères fondateurs de la notion de conversion : les grecs ! J’ai tenté de montrer que du temps des stoïciens et des épicuriens déjà, la connaissance de la nature (physis) était une partie intégrante de la conversion du Soi mais qu’elle n’appelait pas encore une véritable « conversion écologique ». J’ai ensuite tenté de montrer les apports de la metanoia (conversion) chrétienne par rapport à la metanoia (et à l’epistrophè) grecque. Dans une dernière partie, j’ai poursuivi l’analyse dans un champs d’immanence, celui de la philosophie (Merleau Ponty principalement) et de l’écologie contemporaine (wilderness et écologie profonde), en mettant en évidence le fil rouge par rapport aux modalités grecques et chrétiennes de la conversion mais également la nécessité d’un dépassement pour passer d’une conversion du Soi à une véritable « conversion écologique ».

Inscription au colloque : en ligne ou par bulletin d’inscription

À propos Articles récents Gaultier Bès - Revue Limite Revue d’écologie intégrale

Limite - BLANCHE STREB : « LA GPA, C’EST LA DÉFAITE ABSOLUE DU ...

Source : https://revuelimite.fr/isabelle-priaulet-la-question-de-lempathie-pour-les-autres-creatures-est-un-enjeu-incontournable-de-lecologie-integrale

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4 bis.
Pape François – Sauvegarder notre maison commune - L’humanité à la croisée des chemins - La critique du paradigme et des formes de pouvoir qui dérivent de la technologie – Document à consulter sur ce site : http://peresblancs.org/4laudato_si_Notre_maison_commune_l_humanite_a_la_croisee_des_chemins.pdf

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Rubrique B – L’écologie dans le judaïsme

5.
« Aujourd’hui, il faut inviter à un autre rapport au spirituel » - 24 novembre 2018 / Entretien avec Marc-Raphaël Guedj (Photo) – Propos recueillis par Juliette Kempf - Document ‘Reporterre’ – Illustration

Marc-Raphaël Guedj est le grand rabbin de Genève. Il a créé la fondation Racines et Sources, dédiée à la recherche et au dialogue interreligieux, à la pensée et à la sagesse juives.

Une lecture littérale des monothéismes conduit à une vision du monde plaçant l’Homme au-dessus de la nature et donc légitimant son œuvre de destruction. Pourtant, explique le grand rabbin de Genève dans cet entretien, la réalité du rapport spirituel au monde est tout autre.


Reporterre — Le livre de la Genèse dit au verset 28, « Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. » Ce texte peut-il être mis en lien avec la crise écologique actuelle ?

Marc-Raphaël Guedj — En effet, une mauvaise compréhension des monothéismes a amené à rompre avec le monde, l’humus, la chair. Concernant ce verset, le sens en est que l’homme est l’intendant de la nature, non pas qu’il lui est supérieur. Il doit mettre de l’ordre et veiller aux grains de la nature, faire attention à ce que le monde soit préservé, et que le développement humain ne lui soit pas néfaste. Cela a été compris tout à fait différemment à cause d’une lecture littérale, superficielle.

Cette lecture littérale a-t-elle nourri un anthropocentrisme…

... utilisé par les destructeurs de l’environnement ? Oui. Dans le judaïsme, l’anthropocentrisme n’est pas évident. Maïmonide, l’un des plus grands penseurs et métaphysiciens juifs du Moyen-Âge, dit que le monde n’a pas été créé pour l’Homme. Toute la richesse de cette création infinie n’est pas là que pour l’Homme. Les tortues marines, par exemple, n’ont pas été créées pour nous, elles ont leur but en elles-mêmes ! L’homme a son chemin propre, qu’il doit respecter, mais la création n’est pas son marchepied.

Cela dit, cette mauvaise compréhension ne concerne pas seulement la Genèse, c’est toute une vision du « dépassement de la nature » qui est à remettre en question, car elle implique l’idée de s’en déconnecter, de s’élancer vers le spirituel, de transcender la dimension naturelle incluant notre propre nature, nos pulsions, notre rapport au monde, à la terre, à toute chose, au réel finalement ! Elle représente presque un dédain du réel.

En fait, une certaine lecture de nos monothéismes crée une relation hors-sol avec le monde. Cette lecture me dit que je suis sur terre pour m’élever au-dessus de ma nature, m’unir à la dimension spirituelle, que c’est là le sens de mon rapport au monde. Le temps de ma vie serait comme un outil pour atteindre le sublime et le divin. Il s’agit toujours de transcender notre réalité temporelle et spatiale, notre vitalité.

Je crois que le message d’un judaïsme profond est tout à fait le contraire. Dans le Deutéronome, Moïse dit à Israël : « Choisis la vie. » Certains commentateurs interrogent : « Dieu a donné à l’homme la vie, dans son aspect le plus subtil, la pensée, la liberté… alors, qu’est-ce que cela veut dire ? » Cela veut dire que nous devons choisir la vie de la vie, l’âme de la vie ; que si une Torah nous a été donnée, une dimension spirituelle révélée, ce n’est pas pour fuir la vie, mais pour la féconder. Dans le Talmud, un texte dit que le monde a été créé pour servir d’écrin d’intimité à l’homme. Cela veut dire que je ne suis pas dans le monde pour m’élancer vers le divin et la Torah, mais que j’ai besoin de la Torah, du divin, du message spirituel pour accéder à ce secret de l’intimité avec le monde. Le but ultime, c’est l’intimité avec le monde, avec la vie. La vie de la vie.

Et c’est dans cette intimité avec le monde que l’on s’élève ?

C’est cela. J’invite à un renversement théologique. Un grand maître de la Kabbale dit que « nous avons autant d’étincelles de sainteté dans notre âme que de jours à vivre ». Les jours sont une dimension intérieure. Ce n’est pas le temps qui est là pour « aller vers » la spiritualité, mais la spiritualité qui est là pour illuminer notre temps de vie. C’est un mouvement du haut vers le bas. Bien sûr qu’il faut d’abord aller vers le haut mais pour revenir ensuite vers le bas. Et dans ce retour vers le bas, il y a un immense respect : de la nature humaine, de la nature du monde, de la vie, des forces vitales, etc. Si je suis dans une intimité avec le monde, comment ne serais-je pas sensible au destin de la nature ? Je me sens responsable. C’est le lieu de mon expression spirituelle. Si nous abîmons la nature, nous n’avons plus ce lieu. C’est le lieu de la révélation, où transparaît la présence. Ainsi, en détruisant le lieu de la nature, je détruis le lieu de la présence. Ce n’est pas seulement un assassinat écologique auquel on assiste, c’est un assassinat spirituel.

Photo - Statue de Maïmonide dans l’ancienne Juderia de Cordoue, en Espagne.

D’où vient que les monothéismes se soient embarqués dans cette recherche de transcendance déconnectée du réel ?

Il est possible que ce soit un premier temps pédagogique, la première étape étant de ne pas être englué dans la matière. Parce que, si je dis d’emblée que l’essentiel est d’être avec le monde, dans le monde, cela risque d’aboutir à une forme de panthéisme, de polythéisme, ou d’idolâtrie de la nature et des forces vitales, alors que cela n’est pas le but. Quand je parle d’intimité avec le monde, ce n’est pas de cela dont je parle. Et peut-être que si j’en parle immédiatement, la conscience humaine n’est pas suffisamment mûre pour comprendre de quoi il s’agit. Ce recul est nécessaire pour des raisons pédagogiques, afin de mieux comprendre le lien au monde. Pour ensuite revenir au réel et le féconder, vivre une relation spirituelle avec le monde.

Et dans cette relation, la destruction à laquelle on assiste ne devrait pas avoir lieu ?

Non seulement elle ne devrait pas avoir lieu, mais on est en train d’assassiner la présence divine dans le monde, d’attenter au lieu même de la rencontre.

Concernant ce « premier temps pédagogique » de recul par rapport au monde, cela signifie-t-il que dans l’idéal, chaque génération aurait dû connaître ces différentes étapes : s’éloigner, et revenir au monde pour le féconder dans une autre relation ?

Évidemment. C’est dans les textes, je n’invente rien. Si on lit les textes hassidiques, kabbalistiques, profondément, on s’aperçoit que c’est ce mouvement de retour qui est important, ce que j’ai appelé l’art de la descente. Ces textes ont toujours existé mais les gens qui se réclament du monothéisme et qui détruisent la nature ont fait une omerta sur ces textes, ou n’y ont pas été attentifs. Les guides spirituels n’y ont pas assez insisté. Parce que le problème est relativement nouveau, il fallait le temps de la prise de conscience, le temps de l’analyse. Mais je crois qu’aujourd’hui, il faut inviter à un autre rapport au spirituel.

Le nouveau rapport au spirituel que vous appelez implique donc une présence au monde plus dense… alors la conscience écologique devient aussi un lieu de vécu spirituel. En même temps, tout un pan du milieu écologiste est athée.

Cela ne doit pas nous déranger. Nous menons le même combat. Eux d’un point de vue laïque, nous d’un point de vue religieux. Je me sens proche de ces personnes, qui ne vont pas forcément parler de spiritualité. L’essentiel est de sauver la planète. Préserver la vie. C’est l’urgence la plus absolue. Chacun avec sa vision du monde et des choses. Mais, quand je dis que certaines lectures monothéistes sont responsables, je vois aussi qu’elles ont fécondé le monde laïque. Celui-ci est l’héritier de cette vision monothéiste où l’homme vit dans un anthropocentrisme, est au-dessus de la création qui ne serait là que pour l’élever — et alors on oublie la création elle-même.

Le problème écologique, assez récent, est-il le fruit de tous ces malentendus ?

Chacun doit assumer ses responsabilités. Je ne peux pas dire que ce sont seulement les monothéismes qui sont responsables. Il y a cette société capitaliste, où l’argent est plus important que la vie. Au nom de l’argent, on détruit la vie, les générations à venir. On ne peut pas simplement accuser les monothéismes et les responsables religieux. De notre côté, on doit s’interroger sur notre degré de responsabilité, et sur la pédagogie que nous devons adopter pour tenter de corriger le tir, d’inviter nos fidèles à acquérir une conscience écologique plus aigüe.

Illustration - Une version médiévale de l’Arbre de Vie.

Qu’est-ce que cela change concrètement dans votre vie de guide spirituel ?

J’en parle beaucoup. Cela fait partie de mon enseignement, de mon message.

Vous êtes très impliqué dans des dialogues interreligieux. Y a-t-il accord sur la question écologique ?

Absolument. C’est une des dimensions du dialogue où nous sommes tous d’accord. Il n’y a pas de question, de débat théologique par rapport à la planète.

Avez-vous aussi des rencontres directes avec le milieu écologiste ?

Oui, j’ai été invité par ‘Terre du Ciel’, j’ai publié un article avec Pierre Rabhi, que j’ai rencontré. Je ne reste pas seulement dans le milieu religieux, et je me retrouve absolument dans cette sensibilité.

En vous écoutant, on se dit que le rapport à la crise écologique est une question de conscience.

Oui. Il s’agit de vivre sa vie spirituelle dans le monde. Un des grands maîtres de la mystique juive disait qu’il faut entendre la prière du monde. Le monde s’élance vers le divin. Quand je prie, ma prière doit être un écho à la prière du monde. Cela veut dire que la beauté du monde est comme une trace de la présence divine, et que je sens cette présence, cet élan, cette ouverture au monde, ce frémissement vers un ailleurs. Ceci féconde mon propre frémissement, mon élan, ma prière. Il y a un immense respect pour la beauté du monde. Assassiner la beauté, c’est assassiner la prière. Ça va très loin.

D’où pensez-vous que vient ce mouvement de destruction, aussi bien environnemental que spirituel, auquel on assiste ?

L’argent. L’idolâtrie de l’argent. L’appât du gain. On ne se rend même pas compte qu’il écrase la vie. Un commentaire du verset « Tu aimeras l’Éternel de tout ton cœur, tout ton être et tous tes moyens » dit : « Il y a des êtres qui préfèrent l’argent à la vie. » Aujourd’hui, on comprend ce que ça veut dire ! Il y a des gens pour qui la vie n’est que de l’argent. C’est une négation, une dévaluation de la vie elle-même. Nous assumons nos responsabilités religieuses, mais la société capitaliste, la consommation effrénée, est la principale responsable.

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Lire aussi : Le soufisme, une voie musulmane vers l’écologie

Photos :
. chapô : « La chute de l’Homme », peinture de Jan Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens, vers 1615. Wikipedia (CC0)
/ Maïmonide : Wikipedia (Annesov/CC BY-SA 3.0)
. Arbre de Vie : Wikipedia (CC0)

Dossiers Écologie et spiritualité - Thematique : Culture et idées

14 avril 2020 La solidarité, vaccin et remède contre la pandémie Tribune

2 juin 2020 Au sein des foyers, les tâches écologiques retombent sur les femmes Info

2 juin 2020 Dans les Balkans, bergers et biologistes s’unissent pour sauver les derniers vautours Reportage

25 janvier 2020 L’écologie n’est pas une religion mais une politique de la responsabilité

29 mai 2020 Comment je suis devenue anarchiste »

28 mai 2020 Imaginons que les alternatives prennent le pouvoir

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6.
Le judaïsme et l’environnement -(Conférence donnée le 20 février 2000 par le Dr. Manfred Gerstenfeld). Traduit de l’anglais par Jacques KOHN. Document ‘lamed.fr’ - Illustration de l’article Le judaïsme et l’ ’environnementalisme’ moderne se rejoignent sur beaucoup de problèmes pratiques, mais les systèmes de valeur qui en constituent les fondements théoriques sont très différents. Leurs préoccupations respectives ne sont pas les mêmes ; et ils ne tendent pas aux mêmes buts.Le judaïsme et l’ ’environnementalisme’ moderne se rejoignent sur beaucoup de problèmes pratiques, mais les systèmes de valeur qui en constituent les fondements théoriques sont très différents. Leurs préoccupations respectives ne sont pas les mêmes ; et ils ne tendent pas aux mêmes buts.

La tradition et la loi juives contiennent depuis des milliers d’années un système cohérent de protection de l’environnement. Le nombre de sources se référant à ce que l’on appelle aujourd’hui les problèmes ’ environnementaux ’ est considérable. Si l’on avait, il y a deux siècles, réuni toutes les lois juives applicables à l’environnement, on aurait obtenu le code de lois le plus avancé du monde, un code traitant d’une grande variété de domaines.Le judaïsme et l’ ’ environnementalisme ’ moderne se rejoignent sur beaucoup de problèmes pratiques, mais les systèmes de valeurs qui en constituent les fondements théoriques sont très différents. Leurs préoccupations respectives ne sont pas les mêmes ; et ils ne tendent pas aux mêmes buts.Plus les préoccupations environnementales s’écartent du pragmatisme pour rejoindre l’idéologie, plus s’éloignent l’un de l’autre ces deux modes de pensée. Le judaïsme est radicalement opposé à un ’ environnementalisme ’ pseudo religieux qui met l’accent sur un culte de la nature.

Pour le Juif, c’est là une version moderne du paganisme. L’essentiel pour le judaïsme, c’est la connaissance de D.ieu et l’obéissance à Ses commandements. Cela ne laisse aucune place à d’autres valeurs fondamentales.Commençons par le commencementLe paradis biblique semble être exactement conforme à l’idée que l’on se fait d’une société écologique. Au commencement, c’est-à-dire au paradis, il n’y avait aucune production ni aucun gaspillage. Un écologiste moderne en conclurait que ce paradis, tel qu’il est décrit par la Torah, représentait une société idéale. Ce qu’il appelle de ses vœux, c’est une société qui ’ tienne le coup ’. Le paradis biblique était exactement cela.Quand nous nous demandons quelle pollution l’homme et les animaux créaient dans le Jardin d’Eden, quels risques ils faisaient courir à l’écosystème, la réponse semble être : presque aucun. Les besoins humains fondamentaux comme le logement, le transport et la sécurité, devenus si essentiels dans les sociétés ultérieures, n’existaient pas encore dans le paradis. Il n’était même pas besoin de vêtements : l’humanité n’employait ni textiles ni d’autres matériaux. Il n’y avait aucun risque de pénurie. L’homme n’avait besoin ni de produits ni d’outils : il n’y avait aucun résidu de production.On n’avait pas besoin, pour faire pousser les plantes, d’engrais artificiels ou de pesticides. L’homme et les animaux ne mangeaient que des végétaux. Tout ce que cette humanité utilisait, et qui semble n’avoir été que de la nourriture, était biodégradable. S’il restait des déchets, ils étaient probablement métabolisés en plantes. Il n’y avait pas de voirie. Les animaux ne nécessitaient pas de mesures de protection spéciales, puisqu’ils n’étaient pas attaqués par d’autres créatures. La biodiversité était intégralement préservée.La consommation du fruit défendu et la fin de la société idéaleTrès probablement végétarien, l’homme, qui n’était pas encore violent, ne faisait aucun mal à la nature ni n’avait d’autre impact sur l’écosystème. L’application des outils d’analyse écologique révèle qu’une situation totalement idéale régnait au paradis.Un petit accroc, toutefois : pour qui se place selon le point de vue moderne d’un écologiste athée, il est difficile de comprendre pourquoi, du seul fait qu’elle avait mangé d’un fruit défendu par D.ieu, cette société humaine idéale est devenue instable et l’humanité a été chassée de l’utopie écologique. Une situation utopique similaire nous est promise pour la fin des temps, comme annoncé dans les prophéties d’Isaïe (11, 6 et suivants) : ’ Le loup habitera avec l’agneau, le tigre reposera avec le chevreau, veau, lionceau et bélier vivront ensemble, avec un jeune garçon les conduira… Génisse et ourse paîtront côte à côte, ensemble s’ébattront leurs petits ; et le lion, comme le bœuf, se nourrira de paille ’. On nous annonce aussi qu’il n’y aura plus de conflits entre l’homme et l’animal. Ainsi, selon le judaïsme, le début du monde et sa fin sont écologiquement parfaits.Le déluge : alors et maintenantAvec le déluge, la Bible nous place devant la question de l’incidence du comportement humain sur l’écosystème. Le déluge est le plus grand désastre naturel mentionné dans la Bible. Selon le point de vue juif, Dieu emploie la nature comme instrument de punition : de grandes parties de l’écosystème sont détruites par la montée des eaux. À l’exception de la famille de Noé, toute l’humanité est anéantie. La survie de Noé, cependant, va assurer la continuité avec l’humanité des origines. Sept couples de certains types d’animaux sont sauvés, protégés dans l’Arche ; chez d’autres espèces, un couple seulement est épargné. La biodiversité est ainsi assurée, malgré la catastrophe.Un écologiste verrait probablement d’un bon œil le geste de Noé emportant dans l’Arche toutes les espèces d’animaux. D’un point de vue écologique moderne, il n’y a pas grand-chose d’autre à dire sur ce texte, si ce n’est qu’un cataclysme naturel gigantesque a eu lieu, dont nous ne pouvons qu’essayer de deviner la raison. Certains êtres humains et certains animaux en ont réchappé miraculeusement.La raison que la Torah donne à ce désastre écologique est incompréhensible à l’écologiste moderne : l’homme a péché contre D.ieu, aussi décide-t-Il de détruire une grande partie de l’écosystème.Une version séculière de cet épisode biblique circule actuellement, en ce début du 21ème siècle. Elle affirme : l’homme a péché contre la nature. Les installations de refroidissement et de chauffage, la production industrielle, et l’intensification de la circulation automobile conduisent les unes et les autres à des émissions de gaz qui aggravent l’effet de serre, et probablement à un réchauffement de la planète.

Ce que disent les écologistes, c’est que l’homme pèche contre la nature et que la nature est en train de prendre sa revanche. ’ El Nino ’ n’en est que le premier signe. Il sera suivi par la fonte des glaces polaires et par une amplification des inondations.Ces deux exemples, qui se réfèrent aux premiers chapitres de la Genèse, nous donnent déjà deux indications significatives quant à l’attitude juive par rapport à l’environnement. La première est, comme déjà mentionné, que les considérations écologiques occupent une place considérable dans la Bible. La seconde est qu’il existe des différences considérables entre les jugements de valeur du judaïsme à l’égard de l’environnement et l’idéologie du mouvement écologique contemporain.Les dix plaiesEn envoyant les Dix Plaies sur les Egyptiens, D.ieu utilise la nature comme instrument de punition. Il y a beaucoup d’autres récits dans la Bible qui comportent des aspects écologiques.Un des plus importants est celui des Dix Plaies d’Égypte, qui nous offre beaucoup d’exemples de modification de la nature en tant qu’instrument divin de punition.

Un grand nombre de désastres écologiques vont tuer une partie de la population égyptienne, ses esclaves, ses animaux et ses récoltes, mais ils ne concernent pas les Hébreux, installés dans la terre voisine de Gochène. Plusieurs des plaies conduisent à une pollution dramatique de l’eau et de l’air. Cela est évident dès la première plaie, quand l’eau du Nil se transforme en sang. Le fleuve est si pollué que tous les poissons meurent. Il y a aussi une pollution de l’air : ’ Le Nil fut nauséabond, et les Égyptiens ne purent boire des eaux depuis le fleuve… ’ (Exode 7, 21).Nous découvrons ici un autre message transmis par le judaïsme au sujet de l’environnement et de la nature. D.ieu a créé la nature ; comme Créateur Il est aussi son Propriétaire, et comme tel, Il peut la changer à volonté. C’est précisément ce qu’Il fait dans le récit des Dix Plaies : Il utilise la nature pour enseigner une leçon à certains hommes à la nuque raide, et en particulier à Pharaon.Cette histoire contient beaucoup d’autres messages écologiques. Aujourd’hui, l’un des objectifs principaux de la science environnementale consiste à prouver que certaines maladies sont causées par la pollution. Le motif du caractère épidémiologique de la pollution est énoncé explicitement dans le récit d’une des plaies. Moïse et Aaron ont pris des poignées de suie de fournaise, laquelle est devenue de la poussière fine ’ Et il se développa un ulcère éruptif, des pustules, sur l’homme et sur l’animal. ’ (Exode 9, 8 et suivants). Les magiciens furent incapables de se confronter à Moïse à cause de l’inflammation, ’ car l’ulcère était dans les devins et dans toute l’Égypte ’. Si nous analysons ce texte d’un point de vue écologique moderne, il semble qu’une pollution industrielle aérienne a causé une épidémie.D.ieu, l’homme et la natureLe judaïsme affirme clairement que la préservation de la nature n’est pas le but principal de l’humanité. Cette série de désastres naturels prend une autre dimension dans le contexte religieux.Les plaies sont un exemple du rapport entre D.ieu, l’homme et la nature.

Rares sont les autres récits contenus dans la Bible qui présentent avec un tel luxe de détails la position de ces trois éléments dans le judaïsme. L’humanité doit obéir à D.ieu, et sinon la nature peut être employée de manière extraordinaire pour le punir.La protection de la nature est importante dans la tradition juive. Cependant, le judaïsme affirme clairement que la préservation de la nature n’est pas le but principal de l’humanité. Cette présentation est diamétralement opposée aux vues de certains écologistes extrêmes. Selon la pensée juive, D.ieu peut faire avec la nature et les animaux ce que bon lui semble selon Ses plans propres. Le fleuve peut être rendu inhabitable aux poissons afin de punir les hommes. Dans le même dessein, les grenouilles peuvent se multiplier puis, une fois exécutée la mission que leur a assignée D.ieu, mourir dans les maisons, les cours et les champs.Plusieurs de ces plaies constituent des punitions pour l’homme comme pour l’animal.

L’essence du message religieux est parfaitement claire et est répétée plusieurs fois : D.ieu peut punir l’homme qui a désobéi en utilisant la nature contre lui. D.ieu peut changer les règles de la nature comme Il le désire et de beaucoup de manières. Par exemple, l’obscurité frappe les Égyptiens à certains endroits tandis qu’elle est absente ailleurs en Égypte, dans les régions où vivent les Hébreux.Le monde animal peut aussi être lancé de diverses manières contre l’homme. Les grenouilles envahissent les maisons, la vermine les infeste, les insectes envahissent le palais et ruinent les récoltes, les sauterelles dévorent l’herbe des champs. De nombreuses parties de l’écosystème sont endommagées. La plupart des plaies sont extrêmement difficiles à expliquer d’un point de vue écologique.Il est clair, tant du point de vue des écologistes que de celui du judaïsme, qu’un désastre majeur s’est abattu sur les Égyptiens, leurs animaux et le monde inanimé. Si les motifs de ce cataclysme sont clairs pour les croyants, ils ne le sont pas pour ceux qui partagent la thèse ’ environnementaliste ’.On trouve dans l’histoire des plaies d’autres idées religieuses qui sont inaccessibles à l’analyse écologique. Par exemple, la prière adressée au Ciel par les innocents peut réussir à éliminer les plaies. Le remords est important pour mettre fin aux désastres. Pharaon aurait pu empêcher les catastrophes naturelles s’il avait permis aux Hébreux de s’en aller.La manneUn quatrième récit significativement écologique dans la Torah est celui de la manne.

Il comporte plusieurs caractéristiques évidentes de prévention du gaspillage. C’est ainsi qu’il aurait été parfaitement stupide pour un Hébreu d’en recueillir plus qu’il ne pouvait en manger, parce que le seul résultat qu’il en aurait obtenu aurait été un produit nauséabond pullulant de vers. On peut raisonnablement supposer que les enfants d’Israël ont rapidement appris la leçon et n’ont pas recueilli plus que nécessaire.Une seconde caractéristique explicitement écologique réside dans le fait que la manne restante ne polluait pas le désert.

Il est écrit à son propos que, ’ quand le soleil devenait chaud, elle fondait ’. En langage écologique contemporain, cela s’appelle la photo-dégradation, c’est-à-dire la décomposition du surplus par les rayons du soleil. Au début de ma recherche sur les rapports du judaïsme avec l’environnement, je me suis demandé si les Hébreux, quand ils partaient, laissaient le désert propre derrière eux. Il semble résulter de ce récit que oui.Un autre aspect écologique important dans le récit de la manne est que l’homme peut mener une vie complète avec une seule nourriture. La manne n’est pas la seule référence dans la Bible relative aux déchets dans le désert. Une autre résulte du verset : ’ Ton vêtement ne s’est pas usé de sur toi, et ton pied ne s’est pas enflé, ces quarante années. ’ (Deutéronome 8, 4).

A propos de l’auteur : le Dr. Manfred Gerstenfeld est un expert et consultant en écologie de renommée mondiale, avec un solide engagement dans les affaires juives. Né à Vienne, il a été élevé à Amsterdam, puis il a vécu à Paris d’où il est venu s’établir en Israël avec sa famille en 1968. Outre une formation en chimie et en économie, il a obtenu un doctorat en sciences de l’environnement, ainsi qu’un diplôme de professeur de matières juives délivré par le ’ Dutch Jewish Seminary ’. Au cours des trente-cinq années écoulées, il a rempli des missions de consultant international spécialisé dans la stratégie des affaires. Le Dr. Gerstenfeld a publié plusieurs livres, en dernier lieu celui intitulé ’ Judaism, Environmentalism and the Environment ’. Il a également écrit ’ Environment and Confusion ’, qui a été publié en anglais, en hébreu, en italien et en grec, où il examine l’avenir des problèmes écologiques.

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7.
Judaïsme et écologie Par Bernard Hadjadj Ancien directeur de l’Unesco - 21 mars 2016 – Document ‘revuelimite.fr’ – Illustration de l’article

La pensée écologique est incluse dans la Bible hébraïque ; les textes insistent fortement sur un rapport mesuré de l’homme à la nature, comme le démontre Bernard Hadjadj. 

Comment le judaïsme conçoit-il les relations entre l’homme et la nature ? En quoi ses textes, que certains ont vite remisés au fond d’une malle, nous parlent de l’inquiétude écologiste contemporaine ?

L’écologie scientifique est une discipline récente qui se définit comme la « science des interactions et des conditions d’existence des êtres vivants ». Elle n’existait certes pas au temps de la rédaction de la Bible hébraïque. Cette Bible, cependant, porte sur l’interaction et la condition fondamentale de toute existence – elle est en cela « méta- » ou « ultra-écologique », puisqu’elle revient sans cesse sur le lien de la Création et du Créateur. 

Au terme de l’œuvre de Création, Dieu accorde toute latitude à l’homme pour « soumettre » la nature : Dieu les bénit en leur disant « Fructifiez et multipliez ! Remplissez la terre et soumettez-la ! Commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à tous les animaux qui se meuvent sur la terre ! (Gn1, 28) 

Un écologiste serait tenté de s’arrêter à ces versets qui semblent poser d’entrée de jeu une domination totale, sinon une hostilité, de l’homme sur la nature. Cependant, que se passe-t-il un peu plus loin ? « Dieu bénit le septième jour et le proclama saint, parce qu’en ce jour il se reposa de l’œuvre entière qu’il avait produite et organisée ». (Gn 2, 3)

Est-ce donc que Dieu, après une rude semaine de boulot, était dans la nécessité de prendre quelque repos ? Avait-il besoin de reconstituer sa force de travail, pour utiliser le langage marxiste ? Rien de tel. Dieu est infini, infatigable, œuvrant toujours inlassablement et se reposant toujours généreusement.

Avant tout, bénissant le septième jour, le Chabbat, Il instaure une limite à l’activité productive de l’homme, à son action de conquête et de domination de la nature. La sainteté du jour du Chabbat indique à l’homme que c’est par une répression de sa tendance à vouloir toujours plus de richesses et toujours plus de puissance qu’il va vers la sainteté. La sainteté du Chabbat vient dès l’origine donner un coup d’arrêt à la volonté de puissance, à la dérive productiviste, à l’exploitation démesurée et inconsidérée de la Création.

Aussi ce chabbat pour l’humain devient-il chabbat pour la terre avec la chemita (mise en jachère de la terre tous les sept ans) et le jubilé (Yovel) qui vise au terme d’un cycle de cinquante années (après sept fois sept ans) à corriger les inégalités par la redistribution des terres. Si, par nécessité, une famille pauvre a été contrainte de vendre à un riche la terre héritée de ses ancêtres, la riche doit la restituer, de sorte que l’accumulation et le monopole sont rendus impossibles : « Ce sera pour vous un jubilé : chacun de vous rentrera dans son patrimoine, chacun de vous retournera dans son clan » (Lv 25, 10).


En poursuivant sa lecture de la Torah, l’écologiste pourra tomber sur ce verset surprenant : « Si tu es arrêté longtemps au siège d’une ville que tu attaques pour t’en rendre maître, tu ne dois cependant pas en détruire les arbres en portant sur eux la cognée : ce sont eux qui te nourrissent, tu ne dois pas les abattre. Oui, l’arbre du champ c’est l’homme même, tu l’épargneras dans les travaux du siège » (Dt 20,19). 

On apprend ainsi que même dans des situations extrêmes de guerre, suspendant la morale, l’homme se doit de préserver la nature. Mieux encore : l’arbre fruitier, c’est l’homme même. Qu’il le coupe inconsidérément, et cela équivaut à son propre suicide, car c’est réduire aux opportunités du moment ce qui relève du temps long de la pousse des arbres, et hypothéquer les nourritures des vivants à venir au profit de la tuerie présente.

Deux autres versets du Pentateuque viendront susciter la curiosité. Le premier s’énonce ainsi : « S’il t’arrive (qu’) un nid d’oiseau (soit) devant toi dans le chemin – sur tout arbre ou à terre – des oisillons et des œufs et que la mère soit posée sur les oisillons ou sur les œufs, tu ne prendras pas la mère avec les petits. Tu renverras certainement la mère, et les petits tu prendras pour toi ; afin qu’il t’arrive du bien et tu rallongeras tes jours » (Dt 22, 6-7). 

Le respect de la nature suppose la continuité de la vie animale – la préservation des espèces, dirait-on aujourd’hui. Épargner la mère, c’est garantir la reproduction de l’espèce. Égard pour la vie animale mais également pour sa souffrance comme l’enseigne ce second verset : « Si tu vois l’âne de ton ennemi succomber sous sa charge, garde-toi de l’abandonner ; aide au contraire à le décharger « (Ex 23, 5)

L’inimitié à l’égard de l’ennemi aurait pu nous détourner, et même nous réjouir de l’embarras de sa bête ; mais la Torah nous demande d’intervenir dans ce cas non pas pour l’homme mais pour l’animal, qui souffre de la méchanceté de son maître.

Il arrive en ce sens que l’âne soit plus intelligent que ce dernier. Qu’on se souvienne de l’épisode de Balaam, le prophète païen parti pour maudire Israël et qui maltraite son ânesse freinant des quatre fers, parce qu’elle devine qu’une telle malédiction sera mortelle pour lui. Il faut citer ce passage tout entier, tant il est riche d’enseignements sur l’attention que nous devons porter aux bêtes : « Quand l’ânesse vit l’Ange de l’Éternel, elle se coucha sous Balaam. Balaam se mit en colère et battit l’ânesse à coups de bâton. Alors l’Éternel ouvrit la bouche de l’ânesse et elle dit à Balaam : « Que t’ai-je fait, pour que tu m’aies battue ainsi par trois fois ? » Balaam répondit à l’ânesse : « C’est que tu t’es moquée de moi ! Si j’avais eu à la main une épée, je t’aurais déjà tuée. »L’ânesse dit à Balaam  : « Ne suis-je pas ton ânesse, qui te sers de monture depuis toujours et jusquaujourdhui  ? Ai-je lhabitude dagir ainsi envers toi  ? » Il répondit  : « Non. » Alors l’Éternel ouvrit les yeux de Balaam. Il vit l’Ange de l’Éternel posté sur la route, son épée nue à la main. Il s’inclina et se prosterna face contre terre. Et l’Ange de l’Éternel lui dit : « Pourquoi as-tu battu ainsi ton ânesse par trois fois ? C’est moi qui étais venu te barrer le passage ; car moi présent, la route n’aboutit pas. L’ânesse m’a vu et devant moi elle s’est détournée par trois fois. Bien t’en a pris qu’elle se soit détournée, car je t’aurais déjà tué. Elle, je l’aurais laissée en vie. »
(Nb 22, 27-33) ».

Le Midrash va insister sur la compassion à l’égard des animaux en interprétant le geste de Moïse à l’égard d’un chevreau de son troupeau : « Nos sages rapportent que lorsque Moïse, notre Maître, le bienheureux, faisait paître les brebis de Jethro dans le désert, il arriva qu’un chevreau se sauva du troupeau. Moïse le poursuivit, jusqu’à une barrière. Arrivé près de celle-ci, le chevreau, y trouvant un réservoir d’eau, se mit à se désaltérer. Lorsque Moïse le rattrapa, il se dit : “J’ignorais que c’était la soif qui te faisait courir ; tu dois être bien fatigué.” Il l’installa sur ses épaules et s’en retourna. Le Saint, Béni soit-il, Se dit alors : “C’est avec bonté que tu conduis le bétail d’un être humain. Par ta vie ! C’est toi qui seras le berger d’Israël, mes ouailles.” » (Chemot Rabba).

L’Éternel se révèle donc à Moïse au Buisson ardent parce que Moïse a reconnu et prit en pitié la soif ardente d’un chevreau. Notre comportement à l’égard des bêtes est un critère de notre comportement à l’égard des hommes et de notre capacité à les libérer des chaînes de la servitude.

Le gaspillage est aussi dénoncé, et ce dès les premiers pas des Hébreux dans leur longue marche dans le désert. La Manne en offre l’exemple. Il convenait d’en prélever une part pour assurer ses besoins quotidiens. Tout prélèvement supplémentaire pourrissait au soleil, enseignant ainsi aux enfants d’Israël le non-sens de l’accumulation inutile et le sens de la mesure : Celui qui avait beaucoup recueilli n’en avait pas trop, et celui qui avait peu recueilli en avait assez : chacun avait recueilli ce qu’il pouvait manger. Moïse leur dit : « Que personne n’en mette en réserve jusqu’au lendemain. »Certains n’écoutèrent pas Moïse et en mirent en réserve jusquau lendemain, mais les vers sy mirent et cela devint infect. Moïse sirrita contre eux.Ils en recueillirent chaque matin, chacun selon ce quil pouvait manger, et quand le soleil devenait chaud, cela fondait (Ex 16, 18-21) ».


Le concept de bal tach’hit, qui concerne la prévention des destructions injustifiées et du gaspillage va faire l’objet de plusieurs développements par les Maîtres du Talmud. On y trouve des prescriptions sur :

  • L’abattage des arbres fruitiers : « Rab a dit : un palmier qui produit même un kab (mesure de volume correspondant à environ 1,5 litre) de fruits ne doit pas être coupé. Un autre dit : quelle quantité devrait-il y avoir sur un olivier pour qu’il soit interdit de l’abattre ? Un quart de kab, car les olives sont plus précieuses. » (Traité Baba Kama, 91b) ;
  • La destruction d’objets : « On enseigne que R. Simon b. Eléazar a dit au nom de Hilpha b. Agra, qui citait R. Johanan b. Nouri : Celui qui dans sa colère déchire ses vêtements, casse des ustensiles ou jette son argent, considère-le comme un idolâtre… » (Traité Chabbat, 105b)
  • L’économie d’énergie : « Nos Rabbins enseignent : un morceau de sel (le sel clarifie l’huile) doit être placé dans une lampe (à huile) afin qu’elle brûle avec brillance ; et de l’argile et de la boue (elles refroidissent l’huile et réduit sa consommation) doivent être placées sous la lampe afin qu’elle brûle lentement. » (Traité Chabbat, 67b).
    Pour conclure ce rapide exposé sur l’écologie juive, laissons le dernier mot au Rav Avraham Yits’hak Kook (1865-1935) :

« Si vous êtes émerveillé du fait qu’il nous est donné de parler, d’entendre, de sentir, de toucher, de voir, de comprendre et de ressentir, dites à votre âme que tous les êtres vivants vous confèrent collectivement la plénitude de votre expérience. Pas même la plus infime parcelle de l’existence n’est superflue, toute chose est nécessaire, et toute chose a une finalité. “Vous” êtes présent au sein de tout ce qui est en dessous de vous, et votre être est lié à tout ce qui vous transcende. »

À propos - Articles récents - Bernard Hadjadj Ancien directeur de l’Unesco

Revue d’écologie intégrale ‘Limite’ –« Depuis bientôt 5 ans, la revue Limite travaille à renouveler notre imaginaire politique »

Limite - BLANCHE STREB : « LA GPA, C’EST LA DÉFAITE ABSOLUE DU ...

Source : http://revuelimite.fr/judaisme-et-ecologie

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8.
La protection de l’environnement, une cause juive - Israël, où les mesures pour favoriser le développement durable sont encore timides, devrait être un phare pour l’humanité dans ce domaine – Par YOSEF I. ABRAMOWITZ - 28 janvier 2018 – « Il est temps d’agir individuellement et collectivement : s’il le souhaite, le peuple juif peut mener une révolution pour sauver la planète… »

Photo - L’auteur vêtu d’un talit coloré éthiopien lors d’un rassemblement en amont de la conférence sur le climat de Copenhague en 2009 - (photo credit : ALLIANCE OF RELIGIONS AND CONSERVATION)

Sous-titres :

Comportements paradoxaux

Une voix religieuse

Trop de voitures

Surpopulation

Mesures timides

Surconsommation de viande

Valeur juive

Comportement responsable

Vision de Ben Gourion

L’auteur - Militant écologique, lauréat d’une récompense décernée par la Knesset, l’auteur est le président de la société Energiya Global Capital qui travaille dans l’industrie solaire et a été nommé par CNN un des entrepreneurs « verts » les plus innovants.

© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite – Source : https://www.jpost.com/edition-francaise/social-eco/la-protection-de-lenvironnement-une-cause-juive-540030

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9.
Judaïsme et écologie - Pour une cacherout écologique, avec Yeshaya Dalsace - Vidéo 10 minutes – Paris, janvier 2018 - Y. Dalsace, rabbin - R. Honigmann, journaliste

Plan de la conférence : Choisir la vie, principe écologique - Un souci éthique de l’environement (6 minutes) - Les gestes du quotidien - Pour une cacheroute écologique (5 minutes) - Télécharger le fichier son - Dialoguer avec le conférencier - La conférence - Les documents - Pour en savoir plus - Les autres conférences

Organisateur : Akadem http://www.akadem.org/ - Source : http://www.akadem.org/sommaire/themes/vie-juive/les-fetes/tou-bichevat/pour-une-cacherout-ecologique-avec-yeshaya-dalsace-15-01-2018-97760_4397.php

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10.
Ecologie et Judaïsme - CRIF/Tou Bichvat - Par Marc Knobel - Publié le 10 Février 2020 – Document ‘crif.org/fr’ - Illustration de l’article

On parle beaucoup d’écologie en ce moment. Les préoccupations liées à la dégradation de notre environnement sont constantes et, en ces fêtes de Tou Bichvat, le judaïsme pense l’écologie, aussi.

Assurément, il en va de l’avenir de l’Humanité, de nos enfants, de notre planète. Que deviendra le monde, lorsque les terres seront polluées, lorsque l’air deviendra irrespirable, lorsque les fruits de la Terre viendront à disparaître ? Que sera notre monde, si ce n’est que désolation ? La situation est grave.

Résumons. Il y a d’abord la pollution excessive de l’eau, des rivières, des mers, par les déchets de toutes sortes, notamment l’accumulation de plastiques dans les océans. Les eaux sont tellement polluées par le rejet direct des eaux usées d’origine domestique et industrielle, comme des produits chimiques toxiques qui se déversent en grande quantité. Mais, il faut y ajouter aussi les déchets abandonnés par l’homme sur les sols. Et ces produits nocifs viennent polluer les fleuves. Tout cela se retrouve finalement dans les mers.

La pollution, de l’air est tout aussi inquiétante. Elle résulte des activités industrielles, des transports routiers et aériens. Certaines activités domestiques ont une répercussion sur la qualité de l’air, en particulier les chauffages (fuel, bois etc.). Il faut rappeler à ce titre que diverses pathologies chroniques (cancers, pathologies cardiovasculaires et respiratoires) se développent après plusieurs années d’exposition aux particules fines. Dans le monde, certaines grandes villes sont devenues irrespirables.

Et puis, il y a la pollution des terres, par les pesticides, le goudron, les acides, les hydrocarbures, le chrome, les huiles minérales, les métaux lourds… La liste est longue des polluants qui massacrent notre environnement, qui polluent la terre et les produits (fruits et légumes) que nous consommons.

Un autre problème suscite de l’inquiétude. Il s’agit de la déforestation. Il y a 4 siècles, 66 % des terres étaient recouvertes de forêt. Aujourd’hui, seulement un tiers, le sont encore. C’est là une véritable tragédie. Et, la déforestation se produit un peu partout. Or, 20% des émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines proviennent de la dégradation, de la destruction des forêts.

La situation est extrêmement préoccupante, elle est même grave en certains endroits. Dans ces conditions, il est normal que nos enfants s’inquiètent du monde que nous leur laisserons. Quel monde ? Pollué, irrespirable ? Invivable ? Surpeuplé ? Pour quelles ressources ?

Or, dans le judaïsme, Tou Bichvat, désignée comme le nouvel an des arbres, nous offre l’occasion de se pencher sur le lien que la Torah entend instaurer entre l’homme et la nature, l’homme et la Terre mère. Tou Bichvat constitue une occasion d’encourager la plantation d’arbres et le renouvellement de la nature.

La Torah mentionne a de nombreuses reprises l’importance des arbres et des fruits (de la Terre). Car, la nature est présente dans la Bible. Un exemple ? Le psaume 65 révèle ce lien inextinguible :

« Tu prends soin de la terre, tu fais tomber la pluie, les récoltes sont abondantes. Ô D.ieu, ta rivière est pleine d’eau, tu donnes la nourriture aux habitants de la terre. Voici comment tu prépares les champs : tu donnes de l’eau aux sillons, tu casses les mottes, tu rends la terre humide de pluie, tu donnes aux graines la force de pousser. À la fin de l’année, tu nous couvres encore de bienfaits. Quand tu passes, les richesses débordent. Les terres sèches sont couvertes de récoltes, les collines sont entourées de joie. Les pâturages portent les moutons et les chèvres, les vallées sont couvertes de blé : toute la campagne chante et danse de joie ».

Si nous voulons que « toute la campagne chante et danse de joie », il faut se réveiller collectivement, et rapidement. Il faut repenser le monde en arrêtant d’abîmer systématiquement les fruits de la terre, les arbres de la terre, de détruire, de mal traiter, de massacrer les espèces animales, de polluer les terres et les mers. D’abimer tout ce que nous touchons collectivement et toutes les richesses de la Terre. 

Il y a enfin une dernière signification à la fête de Tou Bichvat. Elle nécessite une réflexion en profondeur. Car, dans le judaïsme, cette fête est devenue le symbole du retour du peuple juif sur sa terre, de sa renaissance voire, pour certains, de sa rédemption. A méditer donc.

CRIF - Conseil Représentatif des Institutions Juives de France ... - Actualité de la communauté juive, informations et débats.

Crif - Conseil Représentatif des Institutions Juives de France ...

Source : http://www.crif.org/fr/actualites/criftou-bichvat-ecologie-et-judaisme

Selon Wikipédia, « Le Conseil représentatif des institutions juives de France (connu également sous l’acronyme CRIF) fédère, au sein d’une seule organisation représentative, différentes tendances politiques, sociales ou religieuses présentes dans la communauté juive de France. Le CRIF fédère plus de soixante associations dont le Fonds social juif unifié et l’Alliance israélite universelle. Au niveau international le CRIF est affilié au Congrès juif mondial. Son premier nom était Conseil représentatif des israélites de France (d’où le sigle CRIF et non CRIJF), le changement de dénomination témoignant du passage d’un esprit de démarches individuelles à un esprit institutionnel1. Structure organisée pour représenter la communauté juive auprès des pouvoirs publics, le CRIF est parfois qualifié de lobby2,3… » - Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_repr%C3%A9sentatif_des_institutions_juives_de_France

Tou BiChvat : selon Wikipédia, « Tou BiChvat ou Hamicha assar bichvat (hébreu : ט’ו בִּשְׁבָט ou חֲמִשָּׁה עָשָׂר בִּשְׁבָט « le quinze du mois de shevat », “Tou” étant mis pour les lettres Tet et Vav, טו, valant 9 + 6 = 15) est une fête juive d’institution rabbinique. Désigné dans la Mishna comme « nouvel an des arbres » (hébreu : רֹאשׁ הַשָּׁנָה לָאִילָן roch hachana la’ilan), Tou Bichvat devient, sous l’impulsion des kabbalistes de Safed, une fête du renouveau de la Terre d’Israël. Le sionisme reprend cette image, subtilisant l’État à la Terre, et des laïcs en font une journée juive de l’écologie. Le 15 shevat a lieu selon les années entre la mi-janvier et la mi-février du calendrier grégorien… » - Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tou_Bichvat

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10 bis.
Ecologie et spiritualité dans la tradition juive - Par David Sears – Document ‘fr.chabad.org’ - Ethique et Moralité- Illustration artistique par l’artiste ’hassidique Zalman Kleinman.

L’écologie est une branche tout ce qu’il y a de plus pratique de la science. Rien ne pourrait être plus « terre-à-terre » que la préservation de la planète. Pourtant, il est un aspect de la conscience écologique qui est souvent négligé : sa dimension spirituelle. Lorsque nous agissons de façon égocentrique, avec peu d’égard pour les personnes et les choses qui existent en dehors de nous, nous tombons immédiatement dans l’erreur morale et spirituelle. Comme le dit un vieil adage yiddish : « Un cheval aveugle se dirige droit vers le fossé ! »

C’est ainsi que d’innombrables lois dans la Torah nous adjurent d’ouvrir les yeux et d’agir de façon responsable et charitable envers le monde qui nous entoure. Parmi d’autres mandats écologiques, elle promulgue les lois de bal tach’hit (l’interdiction de détruire gratuitement et de gaspiller des ressources inutilement), l’interdiction d’abattre des arbres fruitiers qui entourent une ville ennemie en temps de guerre, les lois imposant de recouvrir les excréments et d’enlever les débris dans les lieux publics, etc. Ce faisant, la Torah indique que, bien que nous puissions parfois nous sentir en conflit avec la nature du fait que nous devons lutter pour survivre, le monde constitue en réalité un ensemble potentiellement harmonieux dans lequel chaque élément est précieux.

Le Rav Avraham Yits’hak Kook (1865-1935), qui fut le grand rabbin ashkénaze d’Israël avant la création de l’État et un penseur de premier plan du 20ème siècle, exprime cette idée de façon édifiante : « Si vous êtes émerveillé du fait qu’il nous est donné de parler, d’entendre, de sentir, de toucher, de voir, de comprendre et de ressentir, dites à votre âme que tous les êtres vivants vous confèrent collectivement la plénitude de votre expérience. Pas même la plus infime parcelle de l’existence n’est superflue, toute chose est nécessaire, et toute chose a une finalité. “Vous” êtes présent au sein de tout ce qui est en dessous de vous, et votre être est lié à tout ce qui vous transcende. »
1

Une personne épanouie spirituellement reconnaîtra que chaque créature est intrinsèquement liée à toutes les autres créatures et que nous partageons tous un destin collectif. Ainsi, notre approche la plus fondamentale devrait être celle de la compassion, et non celle de l’avidité ou de l’agressivité. Cette éthique s’applique à l’égard de tous les niveaux de la création. Comme le demande le maître kabbaliste Rabbi Moshé Cordovéro de Safed (le « RaMaK », 1522-1570) : « La compassion doit s’appliquer à toutes les créatures et il ne faut pas les mépriser ou les détruire, car la Sagesse Céleste [c’est-à-dire la sagesse divine qui porte toute chose à l’existence] s’étend à toute la création : au niveau “silencieux” ou minéral, aux plantes, aux animaux et aux êtres humains. C’est pourquoi nos sages nous ont mis en garde contre le traitement irrespectueux de la nourriture. Tout comme la Sagesse Céleste ne méprise rien, car tout en est issu – comme il est écrit : “Tu les as toutes formées avec sagesse” (Psaumes 104, 24) –, une personne doit manifester de la compassion pour toutes les œuvres du Saint, béni soit-Il. »
2

Les mots du RaMaK témoignent d’une vision de l’univers centrée sur D.ieu, par opposition à celle qui est centrée sur l’homme ou sur la nature. Selon les termes du Baal Chem Tov (Rabbi Israël ben Eliezer, fondateur du ‘Hassidisme, 1698-1760), il faut chercher le bien de tous précisément parce que nous sommes tous des œuvres de D.ieu, créées pour accomplir Sa volonté.

« Ne vous considérez pas supérieurs à qui que ce soit d’autre, dit le fondateur du ‘Hassidisme. En vérité, vous n’êtes pas différent de toutes les autres créatures, puisque toute chose a été créée pour servir D.ieu. Tout comme D.ieu vous accorde la conscience, Il accorde la conscience à vos semblables. De quelle manière un être humain est-il supérieur à un ver ? Un ver sert le Créateur au maximum de son intelligence et de sa capacité ; et l’homme est comparé à un ver, comme le dit le verset : « Je suis un ver et non un homme » (Psaumes 22, 7). Si D.ieu ne vous avait pas donné une intelligence humaine, vous seriez seulement capable de le servir comme un ver. En ce sens, vous êtes tous deux égaux aux yeux de D.ieu. L’homme doit considérer que lui-même, le ver et toutes les autres créatures sont des amis dans l’univers, car nous sommes tous des êtres créés dont les capacités nous sont attribuées par D.ieu. »
3

Cette parenté de toute la création et cette mission commune de servir D.ieu, chaque créature selon sa manière, est souvent comparée à un chant cosmique. Comme nous le disons dans la prière du Chabbat : « L’âme de chaque être vivant bénira Ton nom... Tous les cœurs Te révéreront et toutes les entrailles chanteront à Ton Nom. » En effet, lorsque le Talmud décrit les mystères du Maasseh Merkavah (le « Fonctionnement du Chariot », c’est-à-dire l’expérience mystique), il associe cette sagesse prophétique au chant. Les sages racontent que, lorsque Rabbi Eléazar ben Arakh démontra à son maître, Rabbi Yo’hanane, qu’il était prêt à s’engager dans l’étude de ces mystères, les arbres des champs furent pris dans un tourbillon de feu céleste et se mirent à chanter, faisant écho aux versets du Psaume 148 : « Louez D.ieu depuis la Terre, géants des mers et toutes les profondeurs aquatiques... montagnes et collines, arbres fruitiers et tous les cèdres... Louez D.ieu ! »
4

Si nous écoutons attentivement, ce chant peut encore être entendu. Le Rav Aryeh Levin (le « tsadik » de Jérusalem, 1885-1969), a raconté comment il marchait une fois dans les champs avec son mentor, le Rav Avraham Yits’hak Kook. Au cours de leur discussion sur des sujets de Torah, le Rav Levin cueillit une fleur. Le Rav Kook dit alors : « Toute ma vie, j’ai pris soin de ne jamais arracher un brin d’herbe ou une fleur inutilement, quand cette plante avait la capacité de pousser ou de fleurir. Tu connais l’enseignement de nos Sages selon lequel il n’est pas un seul brin d’herbe poussant ici sur Terre qui ne possède un ange au-dessus de lui qui lui commande de croître. Chaque germe, chaque feuille dit quelque chose de significatif, chaque pierre murmure quelque message dissimulé dans le silence. Chaque créature chante son cantique. »
5

« Ces paroles de notre grand maître, conclut le Rav Levin, émanant d’un cœur pur et saint, se gravèrent profondément dans mon cœur. Depuis ce jour, j’ai commencé à ressentir un fort sentiment de compassion pour toutes les créatures. »

Puisse-t-il en être de même pour nous qui entendons cette histoire aujourd’hui et qui méditons sur son éternelle vérité.

Notes


1.

Orot ha-Kodesh, p. 361.


2.

Tomer Devorah, chap. 2.


3.

Tsavaat ha-Rivach 12.


4.

Talmud ‘Haguiga 14a.


5.

Basé sur Simcha Raz, A Tzaddik in Our Time, pp. 108-109.

par David Sears

Cet article est la traduction d’un extrait de A Compendium of Sources in Halacha and the Environment, publié par Canfei Nesharim au printemps 5765/2005. Pour plus d’information sur Canfei Nesharim et des perspectives halakhiques sur la protection de l’environnement, visitez canfeinesharim.org.

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Source : https://fr.chabad.org/library/article_cdo/aid/1987332/jewish/cologie-et-spiritualit-dans-la-tradition-juive.htm

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11.
Autre accès - Dossier spécial : judaïsme et écologie - Communauté Sépharade Unifiée du Québec - Le rabbin Scharar Orenstein évolue actuellement au ‘Montreal Open Schul’, congrégation qu’il a créée avec la femme rabbin Sherril Gilbert et la chantre Heather ...

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A découvrir à la source : https://lvsmagazine.com/category/dossier-special-judaisme-et-ecologie/

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Rubrique C – L’écologie dans les philosophies et religions de la culture chinoise

12.
La pensée écologiste dans les trois courants ou systèmes philosophico-religieux en Chine : Confucianisme, Bouddhisme, Taoïsme - Causerie à la pagode Hồng Hiên à Fréjus (France) par Thái Công Tụng le 30 août 2008 – Document http://ttntt.free.fr/ - Référence de l’auteur : http://thaicongtung.blogspot.com/

1. Introduction

Les livres de Rachel Carson Silent Spring (1962), de Jonathan Schell The Fate of the Earth (1982) et de Bill McKibben The End of Nature (1989) ont trait aux trois différents types de problèmes d’ordre environnemental, à savoir respectivement la contamination toxique de la chaine alimentaire, les conséquences planétaires de la prolifération nucléaire et l’impact du réchauffement global. Ces avertissements entrainent des changements majeurs sur la politique nationale et internationale : l’interdiction de l’utilisation du DDT comme insecticide, les traités de réduction des armes nucléaires entre les Etats Unis et l’Union soviétique et le protocole de Kyoto pour la réduction des émissions des gaz à effet de serre. Chaque livre utilise des arguments scientifiques pour discuter des affaires d’intérêt public. En plus, il partage une même vue globale holistique, c’est à dire interreliée, dans la mesure où chaque action influencant une partie du système peut influencer sur d’autres parties du système.

Notre présent essai vise à étudier les contributions du confucianisme, du bouddhisme et du taoisme, - autrement dit, le tam giáo des Vietnamiens - dans la pensée écologique globale .

Mais l’on se demande d’abord sur ce que signifie l’écologie. L’écologie est étymologiquement la ‘ science de la nature’ (du grec oĩkos  : maison, et logos : discours). Bien que ce terme n’existe que depuis peu dans la langue française (il fut proposé au XIXe siècle par Ernst Haeckel, naturaliste disciple de Darwin), il véhicule un concept fort ancien, qui considère la nature comme notre ‘ maison commune’. Une maison aux pièces magnifiques : mers, forêts, montagnes, plaines, déserts... abritant des familles nombreuses et variées, formant ensemble ce que l’on nomme aujourd’hui un écosystème.

Nous allons d’abord aborder sur les problèmes actuels d’ordre écologique puis voir comment les 3 religions ont répondu à ces enjeux.

2. Les enjeux écologiques dans le monde d’aujourd’hui

2.1. Déforestation

La déforestation est la résultante de nombreux facteurs tels que l’urbanisation, le transport, l’agriculture, l’industrie etc. Cette destruction du couvert végétal entraine de nombreuses conséquences : perte de la biodiversité, aggravation de l’érosion du sol, abaissement du niveau de la nappe phréatique, diminution de la vapeur d’eau atmosphérique dans l’atmosphère, augmentation des risques d’inondation ... La forêt constitue pourtant un réservoir génétique, sans lequel pas d’amélioration végétale . La forêt et le sous bois contribuent aussi à la conservation médecinale. La forêt joue un role primordial dans lArrayxygène dans l’atmosphère. La forêt ou les parcs aident à diminuer la pollution atmosphèrique

2.2. Désertification

De nombreuses régions d’Afrique ainsi que d’autres régions sèches du monde sont exposées à la désertification, dủ aux mauvaises pratiques de surpaturage, déforestation et mauvaises pratiques d’irrigation..

2.3. Réchauffement de la planète

Avec les industries polluantes utilisant du charbon comme énergie, l’émission des gaz à effet de serre est inévitable. Ces gaz (CO2, CH4..) forment une couche supérieure dans l’atmosphère, et emmagasinent la chaleur, d’où réchauffement. Ceci provoque la fonte des banquises, entrainant la montée des eaux de mer et risquent d’inonder les parties basses des deltas.

2.4. Pollution

Avec la surconsommation, la surpopulation, les déchets sont plus abondants. Ils sont soit brulés , soit enfouis et occasionnent de la pollution des nappes souterraines. Les déchets des usines sont déversés directement dans l’eau sans aucune mesure de protection. De même, la pollution de l’air dans les grandes villes est une chose courante et occasionne des maladies du poumon ou des allergies. 

3. Bouddhisme et écologie

31. Selon les 4 nobles vérités (tứ diệu đế) dont la première concernant la souffrance ou la douleur, nous savons que l’existence telle que nous la connaissons, est souffrance (khổ) : la naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance, être uni à ce que l’on n’aime pas est souffrance, être séparé de ce que l’on aime est souffrance.

De nos jours, l’on assiste à une autre souffrance avec la détérioration du milieu vivant : désertification, fréquence des typhons, inondation, sécheresse, engendrant une crise alimentaire aigue.

Si nous interprétons la deuxième noble vérité, à savoir la cause de la souffrance (tập), l’on pourrait dire que la souffrance naît de l’envie. Le Bouddha estimait que les causes de la souffrance humaine proviennent de l’incapacité à percevoir correctement la réalité. Cette ignorance et les illusions qu ’elle provoque conduisent à l’avidité des hommes, à leur désir de posséder davantage que les autres, à l’attachement .

L’envie engendre le désir d’où l’avidité. Si on applique cette notion en écologie, l’on perçoit que l’avidité dans notre société de consommation entraine la détérioration des ressources naturelles, que ce soit la forêt, le bois, le pétrole, les ressources minières.. 

La troisième noble vérité est celle de la cessation de la souffrance (diệt) et la quatrième noble vérité est celle du chemin menant à la cessation de la souffrance (đạo).

Ce chemin est le ‘noble sentier octuple’ (bát chánh đạo) : pour parvenir à la cessation de la souffrance, il faut pratiquer parfaitement les prescrits de moralité ou giới (parole correcte, activité corporelle correcte, moyens d’existence corrects), de discipline mentale ou định (effort correct, attention correcte, concentration mentale correcte) et de compréhension-sagesse ou huệ (opinion correcte, intention correcte) ; ce chemin permet d’atteindre le nirvana. En particulier, l’attention correcte ou chánh niệm (mindful awareness) de l’universalité de la souffrance produit de l’empathie compassionnelle à toutes les formes de vie.

32. Rappelons les 5 préceptes du bouddhisme (ngủ giới), à savoir :

• S’efforcer de ne pas nuire aux êtres vivants ni retirer la vie,

• S’efforcer de ne pas prendre ce qui n’est pas donné,

• S’efforcer de ne pas avoir une conduite sexuelle incorrecte ─ plus généralement garder la maîtrise des sens,

• S’efforcer de ne pas user de paroles fausses ou mensongères,

• S’efforcer de ne pas ingérer tout produit intoxicant (drogue) diminuant la maîtrise de soi et la prise de conscience.

Le premier précepte nous dit de ne pas nuire aux êtres vivants ni retirer la vie. Or, la destruction du couvert végétal implique aussi une destruction de la faune car celle ci doit se servir des habitats naturels comme refuge. Avec la déforestation, la chasse, le braconnage, la faune s’amenuise de jour en jour. Comme conséquence directe, le monde assiste à la perte de la biodiversité

33. Les 3 poisons (tam độc). La religion bouddhiste cite souvent ces 3 poisons tels que l’avidité (tham), la colère (sân) et l’ignorance (si). Ces 3 poisons sont la racine qui est derrière nos souffrances.. Pour éviter cette souffrance, l`homme doit réaliser que le monde est un tout interconnecté, interrelié : le monde animal doit se reposer sur le monde végétal et celui ci doit s’appuyer sur le sol et l’eau pour se nourrir . Avec le Soleil qui illumine la planète, les plantes vertes dégagent de l’oxygène, grace à leur photosynthèse.

Comme corollaire, nous devons conserver l’équilibre dans tous les écosystèmes terrestres ou aquatiques de notre planète, sans quoi, le monde subit des désastres écologiques auxquels nous assistons malheureusement tous les jours avec pollution atmosphérique, réchauffement de la Terre. Si nous voulons apporter la paix au monde, nous devons commencer par changer nos manières mauvaises, à savoir nous débarrasser de l’avidité, de la haine et de l’ignorance.

34. D’après la religion bouddhiste, les caractéristiques de l’existence sont le non-soi (vô ngã), et l’impermanence (vô thường). L’impermanence veut dire que tout est constamment changeant, rien n’est figé. Ayant constaté les caractères éphémère ou impermanent de la vie, le bouddhiste doit vivre au moment présent car le passé est déjà l’histoire et le futur n’est pas arrivé. Avec le non-soi du bouddhisme, l’homme pourrait diminuer son arrogance et sa cupidité : ‘ceci est à moi’, ‘ceci est moi’, ‘ceci est mon ego’. Le non-soi veut dire qu’il n’y a rien qui ait une existence indépendante et réelle par lui-même car pour les bouddhistes, ce qui semble un ‘moi’ n’est en réalité, de façon visible et sensible, qu’une combinaison impermanente des 5 agrégats inséparables (ngủ uẩn) qui sont le corps (sắc), les sensations (thọ), les perceptions (tưởng), les sentiments (hành) et la conscience (thức). Il n’y a pas une entité permanente et inchangeable, inclus le Soi. Ces agrégats (en pali. khandha) sont impermanents car soumis eux aussi à la ‘coproduction conditionnée’ (lý duyên khởi), dont le principe est  : si il y a ceci, cela arrive ; si ceci s’éteint, l’autre aussi s’éteint. Autrement dit, tout a un ensemble de causes et un ensemble de conséquences.

35. Les 4 incommensurables (tứ vô lượng) signifiant conduites ou sentiments pieux. Ici, l’on cite : la bienveillance universelle (từ ), la compassion (bi ), née de la rencontre de la bienveillance et de la souffrance d’autrui, la joie sympathique (hỉ ) qui consiste à se réjouir du bonheur d’autrui et l’équanimité (xả ) qui est un état de paix face à toute circonstance.

La compassion est une vertu cardinale du bouddhisme. C’est le fait de ressentir ce que ressentent les autres, comme si vous le viviez vous-même. Joies, douleurs, angoisses, états d’âmes.. Les environnementalistes bouddhistes ne prônent pas une dominance hiérarchique de l’homme sur la nature mais plutôt une compassion empathique avec la nature, envers les plantes et animaux ainsi que la Terre elle-même. Comme l’a si bien dit un moine thailandais, Buddhadasa : ‘Le cosmos entier est une coopérative. Le soleil, la lune, les étoiles vivent ensemble comme une coopérative. Ceci est aussi vrai pour les hommes et animaux, plantes et la terre .Quand on réalise que le monde est une coopérative mutuelle, interdépendante alors on peut bâtir un environnement meilleur . Si nos vies ne sont pas basées sur cette vérité, alors on va périr

36.Quand on parle de l’écologie dans le bouddhisme, l’on pense immédiatement sur le zen (mot japonais) ou thiền (mot vietnamien) ou chan (mot chinois). Dans la tradition Zen des monastères, le calme des forets, la quiétude de l’environnement invitent à la méditation et la contemplation .Ceci revêt une importance particulière de nos jours car la vie trépidante des villes, le manque d’espace vert dans les agglomérations urbaines ont occasionné un stress immense, prélude à toutes sortes de maladies. Il suffit ici de rappeler qu’ il y a 2500 ans, le Bouddha a tout abandonné la vie heureuse des palais impériaux pour chercher une vie simple et spirituelle et que sur le chemin, il a cherché refuge auprès des forêts. Vers la fin, il a trouvé l’illumination sous un arbre, le Bodhi. Après l’illumination, le Bouddha et ses disciples continuent à vivre dans des forêts. Selon la tradition, le Bouddha préconise des mois de retraite pendant la saison des pluies, car durant cette saison, trop de moustiques : on évite de tuer des moustiques et de piètiner les jeunes pousses d’herbes. Tous les textes des sutras ont fait directement allusion aux forêts de Shorea, de manguiers, de Bambous là où le Bouddha enseigne à ses disciples durant plusieurs années avant sa mort.

 3.2 . Taoisme et écologie

Des trois courants de pensée dominants dans la Chine ancienne (taoïsme, bouddhisme, confucianisme), le taoïsme est certainement celui qui reflète la plus grande sensibilité écologique, assez proche en certains points du courant ‘naturaliste’ qu’a connu l’Occident avec Lamartine ou Rousseau, qui enseignait ‘qu’on ne peut commander à la nature qu’en lui obéissant’. Le livre le plus connu du taoisme est sans nul doute le Đạo Đức Kinh qui est encore une source d’inspiration pour ceux qui recherchent la perfection spirituelle sans être liés par un dogme religieux. Taoĩsme vient du mot Tao qui signifie voie, chemin. Le Tao (Đạo), est le ’Principe d’ordre’ de la nature toute entière, mais aussi de tout élément naturel qui se manifeste dans l’alternance régulière des saisons et dans celle des jours et des nuits. C’est le cycle du froid et du chaud, de l’ombre et de la lumière, du féminin et du masculin, du flux et du reflux des marées..

Le Tao façonne chaque chose grâce à sa puissance et sa vertu. Tout vient du Tao, il est au cỵur de chaque chose et c’est lui qui leur donne la vie. C’est la Vérité première et ultime, à la fois immanente et transcendante, qui est à la source de toute vie. Le mot Tao n’est qu’un terme commode employé pour nommer une chose essentiellement innommable et au-delà du pouvoir du langage :

La Voie que l’on peut exprimer par des mots n’est pas la Voie éternelle. Les noms par lesquels il est nommé ne sont pas des noms éternels. (Đao Đức Kinh1)

Alors que le Taoisme est à l’origine des théories du Yin/Yang(âm dương) et des cinq éléments (Ngủ hành) à savoir le métal, le bois, l’eau, le feu et le métal (kim, mộc, thuỷ, hoả, thổ ), et a des implications un peu partout, que ce soit dans la géomancie, la gastronomie, l’art militaire , nous croyons que l’un des aspects les plus marqués en écologie du Taoisme est sans doute le non-agir :

Le non-agir ne signifie pas ne rien faire mais ne rien faire qui soit en contradiction avec la nature. Cela veut aussi dire de s’abstenir d’activités contraires à la Nature, de non-interférence dans le cours des choses. Le non-agir implique le respect de l’ordre naturel et allie mouvement et quiétude ; elle se contente de répondre naturellement aux stimuli sans prendre l’initiative. S’abstenir des activités contraires à la Nature veut dire concrètement que l’utilisation des ressources alternatives telles que énergie éolienne, énergie solaire, énergie hydraulique, autrement dit des ressources renouvelables doit être favorisée car l’énergie que nous utilisons de nos jours provenant des fossiles tels que charbon, pétrole produit des gaz à effet de serre, ce qui fait augmenter la température du globe. Or celle-ci fera fonder les calottes polaires qui induit la montée des eaux marines, faisant inonder les deltas.

La vertu du sage, appelé le’non-agir’, est donc d’abandonner l’intention égoĩste et passionnée de modifier l’ordre naturel. Le Tao, lui aussi, bien qu’il soit le créateur de toute chose, n’a aucune intention, aucun désir d’agir. Le taoĩsme suit ses propres préceptes : fluide comme l’eau, vieux comme la mer, difficile à fixer dans des mots, impossible à enfermer dans une catégorie, particulièrement rétif à la systématisation, il imprègne et fertilise tout ce qu’il touche et réapparaît où on ne l’attendait pas.Le sage est une personne en union avec le Tao. Son mode d’opération suit le modèle du Tao, qui est en fin de compte le ‘non-agir’

 

Dans ses actes, le sage pratique le ‘non agir’,
Il répand l’enseignement sans parler.
Tous les êtres viennent à lui et il ne les rejette pas.
Il agit et ne garde rien.
L’oeuvre accomplie, il ne s’y attache pas.
Et précisément parce qu ‘il ne s’attache pas, il ne perd rien

Daodejing 2

De nos jours, la difficulté principale concernant la protection de l’environnement et le développement durable est la consommation effrénée des ressources. Dans les pays industrialisés et dans certaines couches nanties des pays en voie de développement, la consommation des ressources naturelles est un phénomène commun : chaque foyer a au moins 2 appareils de télévision, 2 ou 3 voitures, des appareils video, téléphone cellulaire, appareils d’exercices physiques. Cette consommation d’objets de luxe est signe de succès, de richesse.sCependant, au delà d’un certain seuil, la richesse n’a plus de relation directe avec le bonheur (Maslow 1954)

En effet, la consommation excessive accélère l’épuisement des ressources naturelles et exerce une grosse pression sur l’environnement. Dans son livre Notre pays, la planète (Our country, the Planet), S. Ramphal, président du World Conservation Union, maintient que la question de la consommation est centrale à tous les problèmes de la crise environnementale. L’impact de l’homme sur la biosphère produit un stress environnemental et met en danger la capacité de notre planète pour un développement durable.

Le Taoisme nous conseille d’avoir une vie simple, frugale. Ceci veut dire peu de gaspillage, donc peu de recyclage. En effet, la surconsommation créée des déchets, utilise des ressources dans les entrailles de la Terre, telles le fer, le cuivre, l’aluminium. Avec la surpopulation de nos jours et une consommation effrénée, l’on se rend compte que l’empreinte écologique devient insupportable pour notre planète. La capacité de charge de notre écosystème est dépassée

Parmi les vertus taoïstes positives sont mentionnées la modestie (humilité), la frugalité, le contentement, la compassion :

L’amour excessif entraine un grand gaspillage
Emmagasiner trop entraine certainement de lourdes pertes
Connaitre assez n’est pas disgrace
Savoir quand s’arrêter évite le danger
L’on est ainsi capable de durer
  

Daodejing 44

J’ai trois trésors que je détiens et protège
Le premier est l’amour compatissant ;
Le deuxième est l’économie
Le troisième est le refus de me mettre en avant dans le monde
Avec l’amour compatissant on peut être courageux ;
Avec l’économie on peut être généreux ;
En refusant de se mettre en avant, on peut prendre la tête des hommes de talent

Daodejing 67

Pour le taoĩste, l’homme fait partie intégrante de la nature, et en cette qualité, il doit vivre en harmonie avec le reste de l’univers. Même dans l’art chinois classique, on retrouve toujours cette harmonie écologique entre l’homme et la nature : les peintures placent volontiers des êtres humains au milieu des montagnes, des fleuves, des brumes et des forêts, leur rendant ainsi leur vraie dimension par rapport à la création, par contraste avec la peinture occidentale qui met l’homme et ses créations au premier plan, tandis que la nature reste le plus souvent reléguée au rang de décor.

Un autre exemple est celui des jardins traditionnels chinois ou japonais, où le travail du jardinier se veut une simple touche apportée à un chef d’oeuvre naturel, par opposition aux jardins ‘ à la française’, dont la structure géométrique ne laisse aucun doute sur le passage du jardinier, ni sur sa volonté de dominer les éléments. L’harmonie et la quiétude dans les jardins orientaux invitent à la contemplation et la méditation. La pierre, l’eau et la plante conjuguent pour donner au jardin une saveur de sérénité, une saveur zen.

3. 3. Confucianisme et écologie

Selon les Anciens le Monde est constitué de ’trois puissances’ : le Ciel, la Terre et l’Homme. Chaque homme est l’intermédiaire religieux entre le Ciel et la Terre, mais seul le ’Fils du Ciel’, c’est à dire le Roi, est habilité à jouer pleinement ce rôle.

Le confucianisme prône aussi la bienveillance (nhân ) qui, dans le sens large du mot, englobe non pas uniquement l’amour entre les êtres humains mais aussi le règne végétal et animal . Dans le présent contexte de mondialisation, ce principe revêt une valeur inestimable pour l’écologie sociale, l’éthique environnementale et le développement durable. Avec le néo-confucianisme,-confucianisme empreint d’autres courants métaphysiques/ philosophiques tels le taoisme et bouđhisme- les deux notions de Lý et Khí sont deux catégories fondamentales, tout comme la matière et énergie dans la pensée occidentale. Dans l’Univers, il y a le principe cosmique Lý (forme, ordre, régularité) qui existait avant la création de l’univers physique et la matière Khí (souffle de la vie). Alors que le Lý est le principe permanent, immuable derrière n’importe quoi, le Khí (Ch’i en chinois) est sa force matérielle. Là où il y a matière Khí, on trouve également Lý. De même, il ne peut, sans Lý, y avoir de chose matérielle (Khí) correspondantes. C’est le Lý qui est en relation totale avec l’homme et l’univers. L’univers est le résultat des phases de mouvement et de repos de la force matérielle, du Khí, se succédant sans interruption. Le Khí en mouvement est Yang, le Khí en repos est Ying .Leur conjonction donne naissance aux 5 éléments (Terre, Eau, Métal, Bois, Feu) dont les infinies combinaisons créent le monde matériel à travers ses cycles de création (exemples : la Terre nourrit le Bois) et de destruction (exemple : l’Eau supprime le Feu) qui influent sur l’harmonie de la nature. 

4. Trouver une harmonie entre l’homme et la Nature

Les désastres écologiques de nos jours sont dus à la destruction de l’équilibre de la nature La surpopulation vivant sur des espaces de plus en plus restreints a rompu la capacité de charge des écosystèmes. Notre empreinte écologique visant à traduire l’impact d’activités humaines sur notre planète et traduisant la quantité de ressources nécessaires pour la consommation individuelle, a été dépassée. En effet, la moyenne mondiale est d’environ cinq terrains de foot par personne, alors que la Terre avec ses 6 milliards d’habitants, offre trois ou quatre terrains de foot par personne ! Nous consommons donc plus que ce que la Terre peut nous offrir à long terme. Et cet espace vivant se rétrécit au fur et à mesure de l’accroìssement de la population du globe. C’est cette explosion de la population qui est la source des déforestations massives, des coupes de bois sans merci même dans des forêts amazoniennes du Brésil ou dans des forêts pluviales tropicales de Sumatra.

Le végétalisme au secours de l’environnement. L’élevage bovin consomme beaucoup d’espace ; il est la cause de déforestations massives, il consomme plus de 8% des utilisations humaines d’eau à l’échelle mondiale, eau destinée à l’irrigation des cultures fourragères et il est à l’origine d’un important dégagement de gaz à effet de serre dû à l’expansion des pâturages et des terres arables pour les cultures fourragères, à la fermentation des ruminants et au fumier.

5. Conclusions

Ainsi, les 3 religions, que ce soit le bouddhisme, taoïsme ou confucianisme, tous les trois prônent une vie simple, frugale, respectueuse de l’environnement. Une économie forte doit se reposer sur un environnement sain. L’un ne va pas sans l’autre .En effet, l’environnement sain influe sur la santé des travailleurs sans quoi la productivité baisse. Consommons mieux et jetons peu ! La règle des trois R : réduire, réutiliser et recycler. La meilleure façon de réduire, c’est encore de consommer moins. Achetez des produits durables, réparez les articles défectueux et donnez ce qu’on n’utilise plus à d’autres personnes qui en feront bon usage. Le compostage aide à éliminer des ordures ménagères. Économisons l’énergie et réduisons nos transports, tout en favorisant les transports en vélo, la marche pour diminuer le Co2 dans l’air.

Respectons nos ressources, c’est notre héritage ! L’air, l’eau, la terre et la forêt sont nos ressources. Apprenons à les respecter ! Protéger notre eau, l’économiser, en être le fier propriétaire et savoir la partager. Cultiver la terre tout en la protégeant contre l’érosion, protéger nos forêts et s’engager à réduire la pollution de l’air que nous respirons.

Devenons des agents de changement ! La somme des petites actions individuelles peut devenir un vent de changement qui influera sur les politiques futures. Favorisez les producteurs qui agissent de manière responsable en matière d’environnement.

Trung Tâm Văn Hóa Nguyễn Trường Tộ - Association Convergence

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Source : http://ttntt.free.fr/archive/thaicongtuung2.html

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13.
Taoïsme et écologie - L’écologie n’est rien d’autre qu’une interrogation sur notre rapport au monde - Par Baird Callicott – Document ‘wildproject’ : journal of environmental studies’ home | who | events | galleryDessin symbolique du taoïsme

C’est surtout le taoïsme qui a attiré l’attention des écophilosophes occidentaux ayant cherché dans les traditions de pensée orientales des idées qui fassent écho aux préoccupations écologiques contemporaines. George Sessions, le porte-parole américain de l’écologie profonde de Næss, a étiqueté John Muir – un ancêtre spirituel du mouvement écologiste américain – « le taoïste de l’Occident » ; et une importante biographie de Muir a récemment évoqué de façon plus approfondie ses liens avec le taoïsme.

Les écologistes nous exhortent à cultiver une plus grande « harmonie avec la nature », et à « suivre la nature » dans la recherche de nos propres intérêts. De la même façon, le taoïsme puise son inspiration dans une nature que les activités humaines n’ont pas transformée ni entravée. Récemment, les écophilosophes australiens Richard Sylvan et David Bennett ont comparé dans le détail l’écologie profonde et le taoïsme. Selon eux, « le taoïsme est entièrement gouverné par des principes écologiques ; on y trouve un haut niveau de conscience écologique, et il fournit des bases pratiques pour un mode de vie dont la doctrine principale soit “suivre la nature
1” » De plus, à l’image des écologistes contemporains, les taoïstes d’autrefois s’opposaient au monde urbain, à l’humanisme et à la bureaucratie. Dans l’argot écologiste contemporain, ils étaient des « biorégionalistes ». Le Tao-tê-king va même plus loin :

« C’est un petit pays sans guère d’habitants
Auraient-ils des engins pour dix ou cent personnes
Qu’ils ne s’en occuperaient point
Ils redoutent la mort et ne vont pas au loin.
Auraient-ils bateaux et voitures
Qu’ils les laisseraient hors d’usage
Auraient-ils armes et armures
Qu’ils n’en feraient point étalage
Remettant en honneur la cordelette à nœuds
Ils trouvent leurs mets savoureux,
Leurs vêtements aisés,
Leurs demeures commodes
Leurs coutumes plaisantes
De ce pays à son voisin
S’entend le cri du coq comme l’aboi du chien
Mais tous deux mourront de vieillesse
Sans avoir eu affaire ensemble
2. »

L’idée qu’on puisse être personnellement récompensé en s’identifiant à un habitat particulier et en cultivant une relation harmonieuse avec la nature, et qu’on ne peut s’épanouir que si l’on s’accorde à la nature, fait partie des principes cardinaux de la philosophie taoïste. Comme nous l’expliquerons plus loin de manière plus développée, le taoïsme correspond même à la philosophie écoféministe contemporaine.

Le concept d’« harmonie avec la nature » est une métaphore écologique très répandue mais peu approfondie, et à l’examen, l’idée selon laquelle nous devrions « suivre la nature » est ambiguë et paradoxale. Tout ce qu’on fait est naturel – au sens où l’on ne peut pas violer les lois de la nature. D’un autre côté, tout ce qu’on fait est artificiel, si l’on entend par « naturel » ce qui « n’est pas façonné par l’homme. » L’univers taoïste n’est pas dualiste, aussi ne peut-il admettre l’exhortation à suivre la nature comme si celle-ci nous était étrangère. Il est pourtant possible de formuler ce paradoxe même à l’intérieur du taoïsme ; à l’évidence, les êtres humains ne vivent pas toujours en harmonie avec la nature, et il arrive même qu’ils vivent en discorde avec elle. En distinguant le tao constant (« l’inconditionné, l’ineffable ») du tao naturel (« les principes inhérents aux processus naturels »), le comparatiste Roger T. Ames résout ce paradoxe en même temps qu’il l’expose :

« Le tao constant doit rendre compte de l’indiscipline des êtres humains, qui sont tout à fait capables de vivre en discorde avec le tao naturel. À savoir que la distinction entre le tao constant et le tao naturel est nécessaire pour s’accommoder des conduites humaines qui entrent en contradiction avec le tao naturel, mais qui ne dépassent pas les limites (puisque rien ne le peut) du tao constant. »

Comme cette brève analyse le laisse entendre, il serait intéressant de comparer avec ses antécédents taoïstes l’idéal d’une « harmonie avec la nature » et l’exhortation à « suivre la nature » propre à l’écologie contemporaine.

Littéralement, le mot chinois tao signifie la « voie » ou le « chemin ». Le concept métaphorique de tao, la Voie des Choses – la Voie du Ciel et de la Terre – est immémorial dans la pensée chinoise. Manifestement, le monde dans lequel nous nous trouvons est ordonné et harmonieux. Les mouvements journaliers, mensuels et annuels des corps célestes ; le cycle des saisons ; l’alternance de la pluie et du beau temps ; la croissance, la reproduction et la mort des animaux – toutes ces choses témoignent d’une cohérence cyclique dans la diversité. La cohérence de la diversité du cosmos : c’est cela, le tao (le tao « naturel »). Mais le tao est à la fois ce qui est et la manière dont cela est. La loi des principes gouvernant la nature n’est pas séparée de la nature elle-même.

La nature cyclique de la Voie est particulièrement intéressante pour les écologistes contemporains, car l’écologie met également au jour des processus cycliques dans la nature. En plus des processus cycliques globaux – tels que ceux du carbone, de l’oxygène, de l’azote et de l’eau –, il y a des cycles nutritifs à l’intérieur des écosystèmes, et les populations de faune sauvage présentent des cycles d’expansion et de d’extinction semblables à ceux des marées, pour ne mentionner que deux exemples. Comme le remarque le philosophe comparatiste D. C. Lau, « le mouvement du tao est décrit comme un “retour en arrière”. Selon les interprétations habituelles, cela signifie que le tao engendre toutes choses pour qu’elles suivent un processus de transformation cyclique. » Si le tao est cyclique et que nous le mettons en œuvre dans les activités humaines, les technologies humaines pourraient être conçues en prenant en compte ce principe. Les écologistes font la promotion du « recyclage » pour des raisons symboliques autant que pour des raisons pratiques. Cette attitude, qui correspond assez bien à l’esprit du taoïsme, a pour but d’accorder le microcosme humain au macrocosme écosystémique.

Étant donné l’analyse que nous avons faite du monisme mystique du sud de l’Asie dans le chapitre précédent, et compte tenu de la tendance occidentale à ne pas tenir compte des différences propres aux traditions de pensée asiatiques, en les associant toutes à une « sagesse orientale » monolithique, il est important de soigneusement et fermement distinguer le tao de l’atman-brahman. Ce dernier est une substance statique, immatérielle et indifférenciée. Il se tient caché au cœur de toute chose, sans exception. Et il est identique à lui-même en toute chose. Le changement, la diversité et la pluralité ne sont que des illusions, au mieux des apparences. Le tao n’a aucune de ces caractéristiques. Même le point de départ est différent. Aux yeux des Chinois, la nature n’est pas une juxtaposition d’entités soumises à la génération et à la corruption (les Indiens ayant tendance à insister sur cette dernière) mais une combinaison de processus immanents. Le changement n’est donc pas illusoire. Le tao est, pour ainsi dire, le principe qui coordonne la diversité et la multiplicité des processus naturels.

Suite à l’analyse de la philosophie naturelle gréco-moderne que nous avons faite précédemment et compte tenu de la tendance humaine à rabattre les concepts étrangers sur des idées familières, il est également important de distinguer soigneusement et fermement le tao du logos d’Héraclite, des Formes de Platon et de tous les autres principes précurseurs du concept de « lois de la nature » dans les sciences modernes. Dans la métaphysique platonicienne, la matière est une substance « féminine » malléable, à laquelle ordre et forme sont imposés. Les Formes platoniciennes, tout comme les « lois de la nature » de Newton, sont des principes abstraits et éternels qui préexistent à la matière et en structurent le changement perpétuel. Pour David L. Hall et Roger T. Ames, inspirés par Alfred North Whitehead, cette manière de penser l’ordre naturel propre à l’Occident classique est « logique » et « transcendante »
3. La façon dont les anciens Chinois ont pensé l’ordre naturel est au contraire « esthétique » et « émergente ». L’ordre naturel est immanent et non transcendant. Et il provient des ajustements mutuels des nombreux processus naturels, parmi lesquels les conflits et les tensions sont résolus pour parvenir à un ensemble coopératif.

Imaginez que vous faites cuire un ragoût. D’après le concept occidental de l’ordre, vous devez le préparer en suivant une recette. Une « recette universelle » exige que nous y mettions tels ou tels ingrédients, dans des proportions bien dosées, et que nous le fassions cuire à température fixe pour une durée de temps limitée. On trouve la recette dans un livre de cuisine, où elle existe sous une forme abstraite et permanente. On dresse une liste de courses et l’on va au supermarché pour acheter les ingrédients nécessaires. Et finalement, on mélange les ingrédients en suivant les recommandations de la recette.

Si l’on suit le concept chinois de l’ordre, voici comment nous cuisinerions notre ragoût. On rassemble les légumes et les fines herbes de saison disponibles, en y ajoutant peut-être quelques fruits de mer locaux – pêchés le jour même. Ce n’est pas avec une recette qu’on commence, mais avec les ingrédients dont on dispose, en prenant en compte les particularités de chacun d’entre eux et non seulement leurs caractéristiques génériques. Peut-être la carotte est-elle un peu trop grosse – coriace mais savoureuse ; le chou chinois, qu’on a oublié de mettre dans le sauté de la veille, est un peu fané ; les patates sont trop fraîches ; etc. Mais on coupe, on fait bouillir et on goûte ; on décide d’ajouter un peu de ceci et un peu plus de cela ; on augmente un peu la flamme puis, la trouvant trop forte, on la diminue – jusqu’à ce que le mélange soit juste. Si tout est bien fait, la saveur particulière de chacun des ingrédients est perceptible tout en étant enrichie par celle des autres. Chaque ingrédient est mis en valeur par son association avec les autres. Il ne s’agit pas seulement d’une juxtaposition d’agrégats, mais d’un ensemble harmonieux.

Imaginez maintenant de l’eau s’écoulant sur le flanc d’un large versant de montagne après une forte pluie. De nombreux petits ruisseaux se sont formés. Chacun d’entre eux suit une voie différente, mais tous convergent vers une même direction. Ils s’écoulent ensemble, unissant leurs forces. Ils n’entrent pas en conflit et ne s’éliminent pas les uns les autres. Il y a dans le cours même du processus une force qui les rassemble. Il y a dans l’ensemble une harmonie sans compositeur ni chef d’orchestre. Tel est le tao – ni l’eau, ni les petits ruisseaux ni les voies qu’ils empruntent, mais l’harmonie orchestrant l’ensemble du processus hydrologique.

Enfin, pour aller tout droit à la métaphore de l’harmonie, pensez à la musique, l’image même de l’harmonie. Là encore, la musique classique occidentale incarne parfaitement le concept d’un ordre logique et transcendant. Le compositeur crée une partition, qui est comme une recette : abstraite, plutôt mathématique et statique. Avant que la symphonie commence, les membres de l’orchestre prennent place, et chaque musicien vérifie que son instrument soit au point. L’ensemble paraît alors chaotique et désordonné. Puis le chef d’orchestre (le démiurge) ouvre la partition et se met à diriger l’orchestre. Tous les musiciens sont disciplinés et attentifs, et le chaos désordonné des instruments de musique laisse place à une merveilleuse harmonie.

Le concept chinois de tao ressemble plus au jazz afro-américain. Le batteur semble régler et essayer son instrument de manière hasardeuse, puis peu à peu, il prend le rythme ; le bassiste le suit avant de donner lui-même le ton ; le pianiste agrémente le tout d’une mélodie ; et ceux qui jouent des instruments à vent occupent les espaces sonores encore disponibles. La musique émerge, puis elle change et se transforme en quelque chose de jamais vu et d’unique à mesure que les musiciens se répondent les uns aux autres.

Ce concept taoïste d’un ordre « esthétique » fait écho aux idées contemporaines de la théorie de l’évolution et de l’écologie scientifique, pour lesquelles l’ordre incroyablement riche et complexe de la nature terrestre n’est pas préconçu mais émergent. Les sciences de la terre ne se conforment pas au modèle hypothético-déductif de la physique classique. Il y a une bonne part d’histoire dans l’histoire naturelle – dans la géologie, la climatologie, l’évolution et l’écologie. Le taoïsme pourrait aider les écologistes à exprimer le caractère émergent de l’ordre naturel, qui est le résultat d’un processus multimillénaire d’adaptations mutuelles entre les plantes, les animaux, la terre et l’atmosphère. Il serait tout aussi important que la théorie de l’évolution et l’écologie soient bien accueillies dans la Chine moderne (et qu’elles y soient peut-être mieux appréciées qu’en Occident), où elles pourraient être reconnues comme l’expression et la confirmation scientifique d’une intuition propre à la pensée chinoise classique.

Les traducteurs occidentaux ont systématiquement traduit le mot ch’i par « matière », mais la pensée chinoise est à tel point focalisée sur les processus – plutôt que sur les entités – qu’une telle traduction est insatisfaisante. Ils semblent avoir pensé qu’il devait exister un mot chinois pour désigner la matière, la substance physique dont les choses sont faites. Mais ch’i n’est pas une substance matérielle, et il est plus juste de dire qu’il s’agit de l’énergie universelle, ou de la vie universelle, ou encore de l’« énergie hylozoïste ». Le ch’i peut en effet désigner l’esprit d’un être, aussi bien que sa corporéité. Si ch’i anime les processus naturels de l’intérieur, le tao en assure en quelque sorte la chorégraphie.

Évoquer l’erreur d’interprétation qui accompagne régulièrement la traduction de ch’i nous permet de mettre en lumière une autre différence entre la pensée chinoise et certaines caractéristiques de la pensée sud-asiatique et occidentale. Ch’i n’est ni esprit ni matière, ni âme ni corps – mais il peut être l’un et l’autre à la fois. La conception chinoise de la nature n’est pas dualiste, mais structurée par une polarité. Pour le jaïnisme et pour la tradition gréco-chrétienne, l’âme peut exister sans le corps, et vice versa. Par exemple, les devas et les anges sont des âmes sans corps, tandis que les pierres sont des corps sans âme. Au contraire, dans une conception des opposés qui n’est pas dualiste mais polaire, un opposé contribue à définir l’autre ; l’un ne peut être conçu sans l’autre, et ne peut pas non plus exister sans l’autre. On pourrait par exemple définir la nuit comme la négation du jour, et vice versa. Mais l’un est inconcevable sans l’autre, et le jour vient après la nuit comme la nuit vient après le jour. De manière peut-être encore plus évidente, le mâle et la femelle relèvent d’oppositions polaires et non dualistes, puisqu’ils dépendent l’un de l’autre pour exister. La « guerre » des sexes qui a caractérisé l’Occident, et que poursuivent aujourd’hui encore des féministes radicales et quelques misogynes récalcitrants, résulte peut-être de la réduction d’une opposition essentiellement polaire à une opposition dualiste. Quoi qu’il en soit, les concepts de yin et de yang généralisent une conception polaire où les opposés s’unissent et se complètent plus qu’ils ne s’excluent.

Le symbole très répandu du yin et du yang rend parfaitement compte de cette idée. Un cercle suggérant l’unité est divisé en deux parties égales – mais cette division est fluide et organique. L’une des parties est blanche, l’autre est noire. Au centre de chacune de ces parties se trouve un petit cercle de la couleur opposée, comme pour signifier la complémentarité et la réciprocité des parties entre elles.

Tout comme le tao, la polarité du yin et du yang est un concept originaire de Chine. Le yang est actif, dur, chaud, lumineux et masculin. Le yin est souple, doux, obscur, humide, passif et féminin. Les nombreuses choses du monde manifestent le yin et le yang à travers différentes combinaisons. Certaines en ont plus, d’autres moins. Les fluctuations des événements météorologiques, personnels, nationaux et historiques reflètent l’influence alternée, la croissance et le déclin réciproque, du yin et du yang.

Lao-Tseu, le fondateur légendaire du taoïsme et l’auteur supposé du Tao-tê-king, vécut – si seulement il vécut – au cours des 6e et 5e siècles avant J.-C. Il fut donc le contemporain des premiers philosophes présocratiques grecs ainsi que du Bouddha et de Mahâvîra en Inde. Le Tao-tê-king et le Tchouang-Tseu, deux textes manifestement composites, ont probablement pris leurs formes définitives trois ou quatre siècles plus tard. Tout au long de ce commentaire, nous devons garder à l’esprit ce que dit le premier vers du Tao-tê-king : le tao qu’on peut exprimer par des mots n’est pas le tao véritable.

Cela étant signalé, nous pourrions dire que le tao « naturel » est la Voie de l’Univers, le déploiement harmonieux et ordonné de ses phénomènes, la tendance des choses à se développer de façon complémentaire. Mais il ne faut pas séparer l’ordre de l’être. Le tao est la fois l’ordre et les phénomènes qui l’expriment. De plus, cette « Voie » qui gouverne les choses, bien qu’elle ne soit ni compatissante ni aimante ni même bienveillante, apporte paix et santé, qui sont respectivement l’ordre et l’harmonie du corps politique et du corps humain. Si on le laisse suivre son cours, le tao conduit à l’accomplissement de la nature et à la perfection.

Les études taoïstes ont accordé une grande attention au concept de tao, mais beaucoup moins à son complément, te. Te est une idée tout aussi subtile et tout aussi difficile à définir par des mots. Compte tenu des limites de ce livre, contentons-nous de définir le te comme la disposition propre à chaque être particulier – disposition au sens dynamique, bien sûr, et non au sens statique. La carotte, la patate et l’huître de notre ragoût chinois ont chacune leur te. Dans notre groupe de jazz, la batterie et le batteur, la basse et le bassiste ont chacun leur te. L’harmonie que représente le tao survient à mesure que chaque entité particulière, avec le te qui lui est propre, vient au monde et s’affirme en relation et en réponse aux autres, qu’elles soient proches ou lointaines. Ainsi que le dit David L. Hall, tout comme le yin et le yang, « les concepts de tao et de te forment une seule notion, le tao-te, qu’on peut mieux comprendre en termes de champ (le tao) et de foyer (le te) »
4.

L’idéal taoïste du wu-wei est particulièrement intéressant pour les écologistes. Littéralement, le wu-wei signifie « non-agir ». La notion de wu-wei et les notions de wu-chih (le non-savoir) et de wu-yu (le non-désir) qui lui sont liés ont été soumises à des analyses philologiques, conceptuelles et philosophiques extrêmement complexes et minutieuses. Ces analyses vont bien au-delà de ce dont nous avons besoin pour cet examen des idées écologiques du taoïsme. Il suffit ici de dire que la pratique du wu-wei n’est pas un simple quiétisme et n’implique pas nécessairement une attitude passive. Elle ne consiste pas simplement à se laisser porter par le flux du tao. Les nombreux exemples taoïstes où le wu-wei se trouve associé à son opposé, le yu-wei, laissent plutôt penser qu’il s’agit d’une action de non-interférence dans le cours des choses, une action qui procède de notre propre te et respecte la myriade de tes qui nous environne, afin de parvenir à une harmonie créative qui puisse bénéficier à tous les êtres.

En voici une illustration. Un homme est agriculteur dans une région où les pluies sont abondantes mais saisonnières. Afin d’obtenir une récolte, il lui faut irriguer ses champs durant les périodes sèches. S’il s’inspire du yu-wei, il travaillera dur pour couper les arbres des hautes terres, dont la superficie est plus importante, et il y plantera ses cultures. Mais dans la mesure où cela entraînera un ruissellement rapide des eaux de pluie et l’inondation des vallées les plus étroites, il devra également construire des barrages au prix d’un dur labeur, et ce à la fois pour contrôler les inondations et pour retenir l’eau destinée à l’irrigation. Pour libérer dans ses champs l’eau retenue, il devra la porter ou la pomper vers les plus hautes terres – ce qui représente également une immense dépense de travail et d’énergie. Si ce genre d’agriculture peut fonctionner pendant un certain temps, et même rapporter d’importants profits à court terme, il ne peut durer longtemps, car les versants non protégés finiront par être emportés par la pluie, et la vase se déposera derrière les barrages. Au contraire, en s’inspirant du wu-wei, il ne toucherait pas aux forêts des hautes terres. De cette façon, l’agriculteur retiendrait le sol, planterait ses cultures dans les basses terres et pourrait détourner vers ses champs l’écoulement régulier des ruisseaux au moyen d’une série de fossés. Il parviendrait ainsi aux mêmes résultats sans travail éreintant ni dépense d’énergie inutile. Ses gains à court terme seraient peut-être moindres, car il aurait moins de terres cultivées, mais ils se maintiendraient indéfiniment par la suite. De plus, le te de tous les éléments en présence est reconnu, respecté, et satisfait ; le te des collines (qui est de laisser pousser les arbres), le te des arbres des hautes terres (qui est de retenir le sol) et le te des ruisseaux (qui est de suivre leur cours sinueux jusqu’à la mer). L’ensemble du domaine agricole est à la fois productif et beau, rentable et durable.

Les écologistes contemporains ont interprété ces paraboles sur le wu-wei comme des vieilles homélies de ce que nous appelons aujourd’hui la « technologie appropriée » ou le « développement durable ». L’énergie nucléaire – qui utilise l’eau pour produire de l’électricité, usant ainsi d’une technologie exotique et risquée et dépensant de grandes quantités de capital et de travail – est yu-wei. Utiliser des énergies éoliennes et solaires ou se déplacer en vélo est wu-wei. Augmenter les rendements agricoles pour nourrir une population croissante d’êtres humains, comme le préconisait la révolution verte, est yu-wei. Une réforme agraire associée à des améliorations créatives des diverses agricultures de subsistance paysannes et des organisations familiales permettrait d’atteindre un équilibre entre une productivité accrue et une demande moindre ; elle serait wu-wei. Et ainsi de suite.

Il n’est donc pas étonnant que les biorégionalistes, les défenseurs de la nature sauvage, les théoriciens des énergies renouvelables, les agriculteurs bio et les autres écologistes aient cru trouver dans le taoïsme une vieille ascendance intellectuelle. Ce n’est en revanche pas le cas des écoféministes, ce qui est compréhensible, dans la mesure où les anciens taoïstes chinois sont souvent présentés comme des personnages bourrus et réfractaires à l’ordre social. Selon D. C. Lau, « Lao-Tseu » signifie « Vieil Homme », un nom auquel les écoféministes peuvent difficilement s’identifier. Mais les écoféministes soutiennent que le patriarcat est à l’origine historique de l’exploitation de la nature tout comme de l’exploitation de la femme par l’homme. Dénoncer et s’attaquer aux structures hiérarchiques et transcendantes de l’organisation sociopolitique patriarcale permettrait donc de dénoncer et de s’attaquer à la relation destructrice que la civilisation agro-industrielle entretient avec son environnement. Historiquement, le taoïsme a manifesté une préférence pour les technologies « douces » et des affinités avec l’anarchisme et l’égalitarisme. Ces idées font écho à la manière dont les écoféministes idéalisent les sociétés villageoises qui ont précédé l’émergence du patriarcat et des hiérarchies sociales dans les grands empires du néolithique. Mais c’est l’androgynie du yin-yang qui présente le plus grand intérêt pour les écoféministes. Le yin est le pôle énergétique féminin de la nature. Comme le dit explicitement le Tao-tê-king  : « Connais-en toi le masculin / Adhère au féminin
5. » S’il était cité sans référence, ce passage du Tao-tê-king pourrait être pris pour un texte écoféministe contemporain :

« Un vivant naît faible et souple
Un mort est dur et rigide
Ce rameau faible et gracile
Mort se flétrit, sèche
Compagnons de la mort le dur et le rigide
Compagnons de la vie le faible comme le souple
6. »

La meilleure métaphore est peut-être celle du pouvoir de l’eau. Le pouvoir de l’eau peut soulever des montagnes et creuser des précipices à travers les roches les plus solides, mais l’eau en elle-même est d’une souplesse absolue, la parfaite incarnation du yin :

« Rien n’est plus souple au monde et plus faible que l’eau
Mais pour entamer dur et fort rien ne la passe
Rien ne saurait prendre sa place
7. »

Il est certain que le taoïsme mérite l’attention que lui portent les éthiciens de l’environnement contemporains, y compris les écoféministes et les adeptes de l’écologie profonde. Les préoccupations taoïstes sont résolument ancrées dans ce monde. Ses recommandations pratiques, particulièrement l’idéal du wu-wei, fournissent un modèle extrêmement flexible à des applications écologiques contemporaines. Enfin, l’élaboration et l’interaction subtile de ses concepts centraux peuvent enrichir et éclairer la pensée écologique contemporaine, et vice versa. (...)

Conclusion

En réalité, l’extension de la conception sociale de la réalisation de Soi (propre au confucianisme) à une conception authentiquement et profondément écologique de la réalisation de Soi s’est peut-être déjà produite au cours de l’histoire. Si l’on suit la critique taoïste du confucianisme, l’idée de suivre le tao doit s’étendre à l’ensemble de la nature, par-delà la sphère sociale. Un être humain est un foyer individuel dans un réseau de dynamique et changeant de relations – des relations sociales autant qu’écologiques.

Les êtres humains jouissent d’une relation d’interdépendance avec toutes les conditions écologiques. C’est peut-être avec cette conception dynamique de la nature, où les éléments se constituent mutuellement et sont reliés les uns aux autres de l’intérieur, que la pensée chinoise classique peut apporter sa plus grande contribution à une conscience écologique globale. On peut entendre la réalisation de Soi comme un accord avec le tao, mais le tao n’est ni transcendant ni statique. La singularité de chaque personne, son te, a un impact et une influence sur le tao.

La tendance despotique de la pensée occidentale, dont le but était de justifier la tyrannie de l’homme sur la nature, n’est donc pas simplement inversée dans le taoïsme, de telle manière que la nature soit la maîtresse et l’homme, son esclave. Disons plutôt que dans le taoïsme, le dualisme homme-nature est subverti et déconstruit.

Si les hommes font partie de la nature et si la nature est un réseau de relations et de processus, l’éthique environnementale ne consiste pas en un wu-wei littéralement compris comme une « non-action » (dont le concept écologique équivalent serait la « préservation de la nature »).

Le wu-wei, on l’a vu, est plutôt une action non coercitive et coopérative, qui s’exprime par exemple dans le concept écologique plus récent d’un « mode de vie durable » par la mise en œuvre d’une « technologie appropriée ».

Extrait de J. Baird Callicott,Pensées de la terre Traduction Pierre Madelin
Wildproject, 2011

Notes


1 Richard Sylvan and David H. Bennett, “Taoism and Deep Ecology”, The Ecologist 18 (1988) : 148.


2 Lao-Tseu, Tao-tê-king, Le Seuil, 1979, traduction François Houang et Pierre Leyris.


3 David L. Hall and Roger T. Ames, Thinking Through Confucius (Albany : State University New York Press, 1987).


4 David L. Hall, “On Seeking a Change on Environment”, in Nature in Asian traditions of thought, State University of New York, 1989.


5 Lao-Tseu, Tao-tê-king, op. cit.


6 Ibid.


7 Ibid.

Editions Wildproject -From natural to human sciences, urbanism to contemporary art, wildproject is a journal of environmental studies grounded in environmental philosophy.

Éditions Wildproject — Wikipédia

Source : https://www.wildproject.org/journal/11-taoisme-callicott

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14.
A la découverte du taoïsme avec ‘China Collection’

Référence : voir https://china.lu/fr/notre-histoire-26

Le taoïsme est une philosophie née du Tao Te Ch’ing - ou Tao Te King -, œuvre de Lao Tseu datée du VIe siècle avant notre ère. Trois grands systèmes philosophico-religieux dominent la longue histoire de la Chine : le taoïsme, le confucianisme et lebouddhisme. Le taoïsme est une philosophie, dont le concept se réfère à l’essence de l’univers, l’ordre de la nature, et régit l’existence.

Son histoire - L’historicité du taoïsme est difficile à cerner.

Origine - Ce système philosophico-religieux s’est formé au fil des siècles, en intégrant progressivement différents courants issus de l’antiquité chinoise, alors que confucianisme et bouddhisme sont directement rattachés à un personnage fondateur, ce qui permet de les situer dans le temps. La découverte lors de fouilles archéologiques de versions anciennes du Livre de la Voie ont permis de conclure, que, comme la plupart des écrits classiques chinois de la période antique, il n’est pas l’œuvre d’un seul auteur, et que son texte a évolué au cours de compilations successives. Illustration

Évolution - Le taoïsme, qui apparaît à ses débuts comme un courant de pensée philosophique, celle de l’Absolu comme Voie (Dao ou Tao, qui a donné le mot taoïsme), commence à s’organiser en tant que religion au milieu du IIe siècle de notre ère. Durant son histoire, vieille de 2000 ans, ses rituels ont beaucoup évolué et pris de multiples formes. Illustration

Confucianisme et taoïsme - A partir des Han, le taoïsme se défini par rapport à son rival, le confucianisme, bien que ces deux courants de pensée soient plus complémentaires qu’antagonistes. Au cours des âges, les lettrés chinois les perçoivent comme deux moyens différents d’arriver au même but : la sagesse pour soi -le taoïsme- et pour la société -le confucianisme-. Chacun est efficace dans son domaine, et, comme le dit l’adage, on peut être « confucianiste le jour et taoïste la nuit ». Illustration

Les trois enseignements - A partir du Ier siècle, l’introduction du bouddhisme séduit les lettrés, mais les idées indiennes sont faussement assimilées à une forme de taoïsme, aussi, confucianisme, bouddhisme et taoïsme, s’influencent-ils mutuellement, au point qu’il devient souvent difficile de les dégager. Particularisme chinois, ce syncrétisme permet aux trois enseignements de cohabiter, d’échanger, et aussi d’éviter la plupart du temps les guerres de religion, transformées en luttes d’influence auprès de l’empereur. Le pouvoir attend soutien des trois, et officialise à tour de rôle l’un ou l’autre, provoquant une alliance objective des deux autres.

Déclin - Vers la fin de l’époque impériale, le taoïsme commence à être attaqué comme le cœur de tout ce que la culture chinoise comprend de superstitieux, de féodal et de retardé. Les politiques anti-religieuses, dans les dernières années du XIXe siècle visent particulièrement les temples, sans lesquels il n’est pas de taoïsme, et les taoshi. Les rituels sont interdits et les persécutions nombreuses. Illustration antique

Renouveau - La relative ouverture religieuse depuis vingt ans a permis au taoïsme de sortir de l’ombre et de renaître, dans les monastères et les campagnes, même si la situation reste difficile en de nombreux endroits.

Suivre la voie – Illustration

La recherche de la sagesse en Chine, se fonde sur l’harmonie, qui pour les taoïstes, équivaut à retourner à l’authenticité de la nature. En imitant sa passivité féconde, en plaçant cœur et esprit dans cette voie -le Tao- l’homme peut se libérer des contraintes sociales, et retrouver insouciance, spontanéité et liberté individuelle. Pour ce faire, le taoïste peut fuir la ville et se retirer dans les montagnes, ou vivre en paysan. Confucius, évoque ceux qui assument la vie en société et cherchent à l’améliorer (les confucianistes) et ceux qui considèrent qu’il est impossible, voire dangereux d’améliorer la société, qui n’est qu’un cadre artificiel empêchant le naturel de s’exprimer (les taoïstes).

Illustration - Zhuang Tseu, dans son ouvrage Zhuangzi illustre cet antagonisme, avec l’histoire édifiante de l’arbre tordu, dont le menuisier ne peut faire de planches, et qui vivra de sa belle vie au bord du chemin, tandis que l’arbre bien droit sera coupé, puis vendu par le bûcheron. L’inutilité est garante de sérénité et de longue vie. Il est sage d’être inutile, vide, sans qualités, transparent, de « vomir son intelligence », de n’avoir pas d’idées préconçues et le moins d’opinions possible. Ayant fait le vide en soi, le sage est entièrement disponible et se laisse emporter librement, comme une feuille morte pour « s’ébattre dans la Voie »

Plénitude, vacuité et paradoxes - « La roue tourne par le vide du moyeu. La jarre contient d’autant plus qu’elle est creuse. Sans les trous des portes et fenêtres, à quoi sert une maison ? ». Ce qui peut se résumer par « du plein », comme moyen et « du vide » comme effet. L’inutilité sociale, la libération de tout souci mondain, sont les aspirations les plus courantes de la voie taoïste. Cependant pour réaliser cette libération, point n’est nécessaire de se retirer du monde « c’est sans sortir de chez soi qu’on connaît le monde », « ce n’est en ne sachant pas qu’on sait », « c’est quand on agit le moins que son action est la plus efficace », « la faiblesse est plus forte que la force », « la stupidité marque l’intelligence suprême », « la civilisation est une décadence ». Le but de ces paradoxes semble d’abord de briser la logique, mais également une manière d’apporter une efficacité bien éloignée d’une mécanique vide.

Illustration - Non agir (wu-wei) - Wu-wei est une idée principale de Lao Tseu. le taoïsme s’attache à cultiver l’efficacité particulière qui découle de l’absence d’intentions. L’activité de certains artisans est minutieusement décrite par Zhuangzi. Il montre un boucher ou un charron qui ont acquis une grande maîtrise de leur art après des années d’apprentissage, et qui de ce fait peuvent oublier les règles et la matière qu’ils travaillent. Ils laissent les gestes et leur corps opérer seuls, sans intention consciente. Certaines situations montrent que le vouloir, peut interférer avec l’action du corps, et produire des œuvres ratées. Une part de lâcher prise, de laisser faire, est souvent nécessaire pour peindre, écrire, sculpter ou chanter…

Les œuvres du Zhuang Tseu et Lao Tseu peuvent être lues comme des énigmes. Le sens n’a pas été épuisé en de nombreux siècles de tradition chinoise.

Suivre la voie Illustration

Illustration - Le calendrier est rythmé par des fêtes solaires, notamment les équinoxes, précédés de jeûnes, aboutissant à des paroxysmes. Il y a beaucoup de littérature sur ces festins orgiaques. Dans certaines régions, les églises taoïstes tenaient l’état-civil, et célébraient les naissances, les mariages et les décès. Contrairement aux religions universelles de salut, les rituels taoïstes ne sont pas fixés en une recette stricte et exportable.

Régime alimentaire - La vie se nourrit avec du mort, l’adepte le constate aussi, et se demande surtout : comment devenir immortel en mangeant des choses qui vont mourir ? Le taoïsme prône le végétarisme.

Selon Marcel Granet (1884-1940) spécialiste de la Chine ancienne « pour accroître ou seulement conserver sa vitalité, [l’adepte] doit adopter un régime conforme au rythme de la vie universelle. Toutes ces techniques procèdent, en effet, d’une systématisation des règles saisonnières de la vie rustique dont la grande loi était de faire alterner les débauches d’activité joyeuse et les temps de famine, de restriction, de contrainte. De là provient en particulier l’idée que le jeûne vaut uniquement à titre de préparation à la frairie. Les privations, loin d’être inspirées par le désir de macérer le corps, tendent uniquement à le purger de tout ce qui peut être poison, maléfice, germe de mort. Il s’agit non de se mortifier, mais de se vivifier ». Illustration

Illustration - Respiration et gymnastique - Le taoïste cherche à retenir son souffle le plus longtemps possible, cette apnée a des effets psychotropes. L’air, le qi, étant considéré comme la substance de tous les corps, l’adepte, en respirant, régénère sa matière, en se représentant mentalement la sensation d’air dans une anatomie sentie.

Selon Maurice Granet , « c’est le matin seulement que la gymnastique respiratoire est profitable. Les exercices d’assouplissement n’ont d’heureux effets qu’au printemps. Les jeunes pousses, alors, sont encore toute souplesse. Le printemps est la saison des danses rustiques qui suscitent la montée de la sève et aident au renouveau : on y mime les souples inflexions des tiges naissantes sous le souffle fécond du Ciel. De pareilles danses et des ébats gymniques peuvent seuls conserver la souplesse première. Quand celle-ci disparaît, la mort triomphe chez les humains qui s’ankylosent, comme chez les plantes qui se lignifient. Ce qui est dur et résistant s’use et périt. Seul demeure invulnérable et vivant ce qui sait ployer. »

Illustration - La sexualité - La complémentarité yin-yang - À l’opposé des pratiques religieuses monacales, un taoïste peut être marié, la piété filiale et le culte chinois de la descendance est respecté. La sexualité n’est pas réprimée, mais sacralisée, notamment par les complémentarités yin-yang nourrissant symboliquement le principe vital. Echo à la particularité de la technique respiratoire chinoise, apnée et rétention, ce mode est appliqué à l’acte. Les traités s’étendent sur des recettes pour conserver l’essence. Cependant, la modération est conseillée en toute chose.

Illustration - La morale - Avant de découvrir la voie, l’adepte pratique une charité proche de celle du christianisme « tu ne tueras pas, tu ne voleras point ». La faute ne se transmet pas de pères en fils, ou par les renaissances. Le pardon et le rachat sont possibles, l’évaluation très précise des fautes et des bonnes actions répond au code des délits et des peines, révélateur des représentations et de l’ordre social. Ainsi, on peut se racheter en réparant cent pas de route, ou en fournissant le riz et la viande utiles à des auberges publiques gratuites. Pour un taoïste, une mauvaise action, ce sont des jours de vie en moins, et quand la mort vient, il est trop tard.

Illustration - Citations de Lao Tzu - Un bon voyageur n’a aucun plan fixe. Ce n’est pas l’arrivée qui compte. Simplicité, patience, compassion sont les plus grands trésors. De grands actes se composent de petits contrats. Si vous vous rendez compte que toutes les choses changent, il n’y a rien que vous puissiez y faire. Si vous n’avez pas peur de la mort, il n’y a rien que vous ne puissiez réaliser. La nature ne se dépêche pas, pourtant tout est accompli. Soyez heureux avec ce que vous avez. Quand vous réalisez que rien ne vous manque, le monde entier vous appartient. Etre aimé par quelqu’un donne force et courage. Comment l’homme pourrait-il se réjouir dans la victoire et la mort des hommes ?

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15.
Le taoïsme à la recherche d’une harmonie entre l’homme et la nature

Extrait d’un document relatif à une exposition qui a été présentée du 16 mars au 20 juin 2004 à la Bibliothèque Nationale de France site François Mitterrand.

Doctrine philosophique et religieuse, le taoïsme est l’un des deux grands systèmes de pensée qui se sont développés en Chine. Le terme est issu du mot chinois Dao qui signifie la ’voie’. On peut dire que le taoïsme est la religion de la ’Chine profonde’, car il fait appel à des croyances d’une tradition fort ancienne touchant les couches les plus populaires de la société. Face au confucianisme, philosophie humaniste officielle insérant l’homme dans un univers avant tout moral et social, le taoïsme, quant à lui, se montre davantage préoccupé de l’individu, de sa conscience et de sa vie spirituelle, voire spéculative, dans sa recherche d’une harmonie avec la nature et l’univers. Au début du IIIe siècle de notre ère, la ’Voie du Maître Céleste’ devient une véritable religion encadrée par un clergé instruit, à la différence du confucianisme qui reste un simple système de pensée et de valeurs. On édifie des monastères, un rituel est codifié, un corpus textuel défini. Le taoïsme est alors reconnu et pratiqué par une grande partie de la population. Deux grands textes sont au fondement de la philosophie taoïste : le Laozi et le Zhuangzi, les ouvrages adoptant le nom de leurs auteurs respectifs.

Alors que le Laozi est un petit bréviaire de 81 paragraphes, rédigé dans un mélange de prose rythmée et de vers libres, le Zhuangzi est un grand corpus, au vocabulaire d’une richesse inouïe, qui présente toute une métaphysique du Dao, ’absolu suprasensible’ : la vérité est dans le retour à la nature mais sublimée par la culture.Une religion Pour parler de religion authentiquement chinoise, il faut se tourner vers le taoïsme. Le confucianisme possède bien un réseau de temples et transmet depuis l’Antiquité des recueils d’actes cérémoniels mais n’a pas pour autant de contenu religieux ; le bouddhisme, quant à lui, n’a pas pris son origine en Chine bien qu’il s’y soit beaucoup développé. Au début du IIIe siècle de notre ère, la Voie du Maître céleste devient une véritable religion encadrée par un clergé instruit et hiérarchisé ; on édifie des monastères, un rituel est codifié, un corpus textuel fondamental est défini, et un panthéon de divinités est célébré : le taoïsme est alors reconnu et pratiqué par une grande partie de la population ainsi qu’au sommet de l’État.

Une philosophieCette appellation recouvre également une philosophie, aussi convient-il de séparer les aspects religieux et philosophiques, tous deux fondés sur les textes du Laozi et du Zhuangzi. Hsiung Ping-ming souligne la différence d’approche entre ces deux conceptions par un exemple pertinent : ’L’école taoïste […] préconise le retour dans les montagnes et les forêts ; c’est une nature sans divinité, chantée par les poèmes bucoliques et les peintures paysagistes […]. Les adeptes de la religion taoïste pratiquent l’alchimie ; pour eux il faut revenir dans les montagnes et les forêts, mais ici c’est une nature remplie de divinités et de démons particulièrement effrayante […] [d’où la nécessité de] talismans qui protègent tous ceux qui veulent pénétrer dans les montagnes […].’Le taoïsme reconnaît que les écritures divines ont été dévoilées à certains adeptes et transcrites en chinois profane. Dès le Ve siècle, le volumineux corpus textuel commence à être organisé. Sous l’impulsion de Tang Xuanzong (685-762), il se fixe véritablement de manière officielle au VIIIe siècle. Le Canon comprend notamment les écrits révélés ainsi que des prescriptions du rituel, des enseignements de maîtres, des règles d’hygiène physique et mentale à mettre en pratique par la méditation. Il consigne aussi un nombre considérable de caractères talismaniques, ainsi que des représentations topographiques sacrées.

Un culte d’Etat Le patronyme des empereurs de la dynastie des Tang (618-907) étant Li, comme celui qu’aurait porté Laozi auquel est attribuée la paternité du texte fondateur du taoïsme, la famille régnante adopta le Sage comme ancêtre divinisé et se bâtit une généalogie qui la faisait remonter jusqu’à lui. Ce culte familial s’imposa comme un culte d’État. En 666, Laozi fut canonisé et un titre impérial lui fut décerné. Tous les souverains et leurs épouses furent initiés au cours de rites d’ordination, et de nombreux temples impériaux dédiés à cette religion d’État virent le jour. Sous cette dynastie, le taoïsme connut une période de gloire sans précédent et la diffusion de ses textes fut imposée à tout l’Empire. Cette religion dépassa les frontières de la Chine centrale et s’étendit même jusqu’à Karakhoja, en Asie centrale, où avait été fondé un temple taoïste. Dunhuang, pourtant réputé comme centre bouddhiste, possédait aussi le sien. Parmi environ 500 manuscrits taoïstes retrouvés dans la grotte n° 17, près de 400 rouleaux portent des textes autres que ceux du Laozi, du Zhuangzi et du Liezi qui donnent à ce fonds un intérêt exceptionnel. Certains présentent des exemples inédits de calligraphie taoïste et d’écriture talismanique. Un grand nombre avait été copié à la capitale et se retrouvèrent à Dunhuang où un organisme officiel avait été établi, probablement dans le monastère taoïste ou dans une école patronnée par le gouvernement. Ces documents furent dispersés, sans doute à la suite de l’occupation tibétaine.

L’alliance taoïsme confucianisme contre le bouddhismeL’impératrice Wu Zetian (r. 690-705) avait favorisé le bouddhisme. Par contrecoup, Xuanzong, qui régna de 712 à 756, promut vigoureusement le taoïsme qui connut l’une de ses périodes de gloire. La grande rébellion d’An Lushan, à la fin de l’année 755, mit un terme à cette domination absolue. Toutefois, les rivalités entre les trois courants de pensée furent incessantes. Les confucéens et les taoïstes pactisèrent et prirent pour cible commune les bouddhistes dont l’influence politique et la prospérité n’avaient cessé de croître. L’antagonisme entre ces courants doctrinaires atteint son paroxysme dans les années 842 à 846, aboutissant à une véritable persécution qui s’avéra redoutablement destructrice au point que le bouddhisme ne s’en releva jamais totalement. L’époque glorieuse de la religion taoïque d’État Jamais il n’y eut autant de mesures en faveur du taoïsme que sous le règne de l’empereur Xuanzong, le plus long de la dynastie des Tang, considéré comme une période de paix et de prospérité. L’empereur affirma avec force son lien de consanguinité avec l’ancêtre Laozi divinisé et prit, surtout à partir de 732, des décisions très radicales concernant le culte familial du Sage qui furent appliquées dans les temples impériaux édifiés dans tout l’Empire. La possession par chaque famille d’un exemplaire du Daodejing, Livre de la voie et de la vertu, devint obligatoire. Le souverain diffusa un commentaire orthodoxe et en écrivit lui-même un autre. Des académies taoïstes d’État furent établies en 741. Les textes de cette religion s’intégrèrent au cursus obligatoire pour les candidats aux examens d’entrée dans la fonction publique. Par ordre impérial, ils devaient être récités quotidiennement dans les monastères ou lors de certaines circonstances, l’empereur considérant qu’il en allait de la paix et de la prospérité du pays. On rapporta plusieurs apparitions de Laozi sous son règne. À la suite de l’une d’elle, en 742, l’empereur changea le nom de son ère en Tianbao, ’Trésor céleste’.

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http://expositions.bnf.fr/chine/images/2/c080a.jpgTous les détails, avec plusieurs reproductions de manuscrits en chinois sont à découvrir à la source : http://expositions.bnf.fr/chine/reperes/4/index2.htm

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16.
Le taoïsme, philosophie ou religion ? Par la rédaction ‘viversum’ – Communiqué publié le 12.09.2016 dans le magazine la revue ‘Spiritualité’ – Paysage typique de Chine

Au cours de l’histoire, trois courants principaux ont influencé la pensée chinoise : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme.

Alors que ce dernier fascine en Occident, les deux premiers demeurent plus méconnus.

Qu’est-ce que le taoïsme ?

Quels sont ses piliers ?

Est-ce une philosophie ou une religion ?

Qu’est-ce que le taoïsme ?

Littéralement « enseignement de la voie », le taoïsme est une philosophie ou une religion issue de la culture chinoise. Selon lui, toute chose a pour origine un principe vital appelé « tao ». Le courant taoïste s’intéresse à différents éléments : une mystique de cheminement spirituel passif vers Dieu, l’équilibre issu de la philosophie chinoise du Yin et du Yang, une éthique de bonne action sans hiérarchie et le naturalisme, selon lequel la cause, l’explication et la fin de toute chose sont naturelles.

Lao-Tseu, père fondateur du taoïsme ?

« Connaître, c’est ne pas connaître : voilà l’excellence. Ne pas connaître, c’est connaître : voilà l’erreur. »

Lao-Tseu, « Tao Tö King »

Sage chinois ayant vécu à cheval sur les 6e et 5e siècles avant Jésus-Christ et contemporain de l’illustre philosophe Confucius, Lao-Tseu est parfois considéré « a posteriori » comme le père fondateur du taoïsme. Son ouvrage intitulé « Tao Tö King », le livre de la voie et de la vertu, l’a en effet grandement influencé et occupe une place importante dans la culture chinoise.

Le « Tao Tö King » est un recueil d’aphorismes tels que « Celui qui sait ne parle pas. Celui qui parle ne sait pas » ou « La faiblesse est plus forte que la force ». Il est aujourd’hui traduit en une multitude de langues. Autre texte fondateur du taoïsme, le « Zhuāngzǐ » du penseur chinois Tchouang Tseu est un recueil de fables qui se présentent sous forme de dialogues et abordent en réalité des thèmes philosophiques.

Le « dào »

« Le tao que l’on peut nommer n’est pas le tao » - Lao-Tseu, « Tao Tö King »

Le tao, prononcé « dào » en shanghaien signifie route, voie ou chemin. C’est la mère fondatrice de l’univers, la force vitale qui coule dans tout ce qui est au monde, l’essence de toute chose. Lao-Tseu l’a thématisé dans son livre de la voie et de la vertu. Permettant d’atteindre une unité comparable à celle qu’évoque la philosophie chinoise du Yin et du Yang, le dào chinois a fortement influencé le bouddhisme.

Taoïsme et confucianisme

À partir de la dynastie des Han (-206 avant Jésus-Christ – 9 après Jésus-Christ), le taoïsme s’est défini par rapport au confucianisme qu’il considère comme son rival. Cependant, ces deux courants de pensée faisant partie intégrante de la culture chinoise partagent le même objectif : atteindre la sagesse, aussi bien sur le plan personnel que collectif. Ils empruntent seulement des chemins différents pour y parvenir : tandis que le taoïste se retirera de la vie sociale pour s’affranchir de ses contraintes grâce à une vie dans les montagnes, la confucianiste restera par exemple en ville pour l’améliorer.

Les principaux piliers du taoïsme

Thématiques des écrits fondateurs

Dans le « Tao Tö King » de Lao-Tseu et le « Zhuāngzǐ » de Tchouang Tseu, on retrouve les thèmes suivants :

  • La poursuite du tao, c’est-à-dire de la voie : suivre la voie naturelle avec son cœur et son esprit afin d’atteindre l’harmonie. L’imitation de la passivité féconde de la nature fait du taoïsme une philosophie naturaliste. Il incarne les valeurs de liberté de l’individu et de rejet des contraintes sociales, d’insouciance, de spontanéité et de communion avec la nature.
  • La plénitude du vide : paradoxe en apparence, se libérer des contraintes et faire le vide apporte un état de sagesse, de bonheur et de plénitude.
  • La passivité productive : le non-agir constitue la forme d’action la plus efficace. Si on ne tente pas de gouverner l’humanité, elle s’organise spontanément de la meilleure manière possible.
  • La préférence de l’état naturel à la civilisation : vivre en autonomie sans intérêt pour la technique.
    L’immortalité comme quête suprême

La quête de l’immortalité est l’un des thèmes principaux du taoïsme. On parvient à sa réalisation en nourrissant le principe vital, le tao, de manière appropriée. Les taoïstes accordent de l’importance à :

  • La nourriture du corps : ils refusent les nourritures qui évoquent la mort, comme les mets fermentés (fromages) ou la viande. Les boissons alcoolisées comme le vin appellent au contraire la vie. Ils pratiquent des techniques de respirations aussi poussées que celles des yogis. Le taoïsme préconise des exercices de gymnastique afin d’assouplir le corps et de mieux laisser circuler les énergies. La sexualité est sacralisée.
  • La nourriture de l’esprit : dans l’ouvrage Le Taoïsme et les Religions chinoises d’Henri Maspero, on apprend qu’« il faut, dit un alchimiste du 4e siècle, avoir accompli 1200 bonnes actions pour pouvoir devenir immortel ; et toute mauvaise action interrompt la série et oblige à recommencer du début, fût‑on arrivé à 1199 ».
    Le taoïsme en Occident - Un art de vivre méconnu

À l’image de nombreux éléments de la culture chinoise, le taoïsme a pénétré le monde occidental. Il est cependant bien moins populaire que le bouddhisme ou que la philosophie chinoise du Yin et du Yang. Le « Tao Tö King « de Lao-Tseu est très difficilement traduisible, ce qui en fait un texte guère accessible au Occidentaux. En France, on trouve une petite communauté de maîtres taoïstes en région parisienne. Des associations taoïstes existent par ailleurs en Angleterre, en Belgique, en Espagne, en Suisse et en Allemagne.

Une philosophie plurielle

« Le taoïsme n’a jamais été une religion unifiée et a constamment été une combinaison d’enseignements fondés sur des révélations originelles diverses » - Isabelle Robinet, « Histoire du taoïsme : des origines au 14e siècle »

Qu’est-ce que le taoïsme : voilà une question épineuse. À la fois philosophie et religion, cet art de vivre est fondamentalement pluriel car les penseurs qu’il regroupe ont des visions du monde différentes. C’est leur but qui les réunit : atteindre la sagesse en suivant le tao.

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17.
Le taoïsme est une philosophie de vie Par Marc Halévy, le 30 octobre 2012

En Chine, il est établi que seule l’Harmonie entre l’Humain et la Nature permettrait d’accéder à la Sagesse. C’est en plaçant son cœur et son esprit dans la Voie du Tao, c’est-à-dire en se conformant aux lois de la Nature qu’on devient sage.

Les principes de base du Taoïsme :

1. L’humain fait corps avec l’univers

  • Le taoïste se doit d’être modeste face à l’univers, à la nature et ce qu’elle impose. Il doit s’y soumettre car il ne trouvera que le malheur s’il lutte contre elle ou s’il essaye de la dominer.
  • Dans le taoïsme, l’univers est en perpétuelle évolution, seul le changement est permanent, tout n’est que recommencement sans fin.
    2. La voie et la vertu
  • Le livre « Tao Te King » (La Voie et la Vertu) de Lao-tseu pose les fondements du taoïsme.
  • Sans notions moralisatrices, il est exempt de concepts comme l’enfer, le diable, les ténèbres éternelles, les forces du mal, en opposition avec un Dieu lumineux et bon. Rien dans l’univers n’y est conçu comme intrinsèquement mauvais. Le bien a besoin du mal et inversement.
  • Le sens de l’équité et la volonté d’être en harmonie avec l’univers suffisent à être dans le Tao, dans la Voie.
  • La moralité est une norme interne chez l’homme sage, il ne fait pas le mal. Pour le taoïste, l’homme n’est pas coupable de ses erreurs, il est juste ignorant, il est en apprentissage.
    3. Les paradoxes
  • Pour « trouver la Voie », un des moyens possible est l’utilisation de paradoxes, il est écrit dans le « Tao Te King » :
    « Celui qui sait ne parle pas. Celui qui parle ne sait pas. »
    « La faiblesse est plus forte que la force »
    « Connaître, c’est ne pas connaître : Voilà l’excellence. Ne pas connaître, c’est connaître : Voilà l’erreur. »
  • Le but de ces phrases paradoxales est de perturber le cerveau, de briser la pensée conventionnelle, l’éducation reçue, l’instruction inculquée.
    4. L’expérience avant tout 
  • Le Tao n’est compréhensible que dans la réalité de la vie. C’est à chacun de travailler avec ses outils, de créer son propre chemin, dans l’expérience concrète et le quotidien.
  • Le but de toute réflexion est l’action, aussi abstraite soit-elle, elle doit toujours avoir une finalité pratique, concrète, dans la vie de chaque jour.
    5. Responsabilités
  • Les taoïstes sont des anarchistes spirituels, il n’y a pas de hiérarchie, pas de règles et une absence de volonté de convaincre.
  • Chaque humain est responsable de son existence, de son développement affectif, social, spirituel et de sa santé.
  • Pour le taoïste, l’infraction aux lois naturelles entraîne inévitablement des sanctions : Manque d’harmonie, isolement et affliction.
  • Toutes mes paroles, tous mes actes ont des conséquences, ma responsabilité est donc grande, je dois faire attention à tout ce que je fais et à tout ce que je dis. L’idéal étant de ne pas laisser de traces.
    6. Les outils
  • Marche dans la nature, méditation, respiration en conscience, contemplation, exercices corporels (Qi gong, Taï chi), ralentissement des gestes, attention portée aux 5 sens…
  • Autant d’outils qui permettent d’instaurer l’harmonie en soi et autour de soi.
    7. Être soi, authentique
  • S’accepter tel que l’on est est la meilleure manière de conduire sa vie. Focaliser toute son attention sur son apparence ou porter un masque font perdre trop d’énergie.
  • Être authentique avec soi et avec les autres est le meilleur moyen de ne pas tomber dans les pièges de l’ego.
    8. Avoir une vie simple
  • Dans le taoïsme, il est recommandé de ne pas gaspiller son énergie vitale, l’excès est donc à bannir dans les pensées, les mots et les actes de la vie. Le « trop » est source de déséquilibre dans tous les domaines de la vie.
  • A contrario, la simplicité et la frugalité nous font aller à l’essentiel des êtres et des choses.
    7. Détachement, humilité
  • Apprendre à gérer ses émotions par des outils corporels pour ne pas s’identifier à ses succès ou à ses échecs, pour être capable de relativiser.
  • Le but est de cultiver un ego stable et non réactif, la pratique de l’humilité et du détachement conduiront au dépouillement et à la sagesse.
    8. Humour et émerveillement
  • Il s’agit de se rendre disponible à l’émerveillement, à voir la beauté partout et en tout, mais aussi de rire des choses du monde, de les dédramatiser.
  • Le taoïste a compris que la vie était un jeu, il la traverse en restant lui-même, en étant à la fois attentif et détaché, mais en jouissant de sa beauté.
    Comment connaître le Tao ?

« Selon Lao, le Tao est cette chose silencieuse, profonde, invisible, inaltérable qui existait avant le ciel et la terre. Il est aussi la mère de l’univers, la source d’où provient chaque chose. Il embrasse toute chose et demeure insaisissable, indicible.
Tao signifie également route, chemin, voie. Il est toujours en mouvement, fluide, insaisissable.

C’est en oubliant toute connaissance, en abandonnant les savoirs multiples, désapprenant pour retourner à la simplicité originelle et s’approcher de cette racine inexplicable et silencieuse de notre être que l’on peut connaître le Tao.

« Celui qui cherche la connaissance apprend chaque jour, 
celui qui cherche le Tao oublie chaque jour »

Pour l’atteindre, il faut rester dans le rien, le non-être, ne suivre aucune voie, ne rien chercher. Il est nécessaire de s’installer dans la quiétude, de connaître la parfaite tranquillité pour retrouver son origine première.

Dans la Tao, l’esprit devient si vaste qu’il embrasse le ciel et la terre en une même harmonie. Celui qui a mené ce chemin à son terme devient un immortel. »

Tiré de : Erik Sablé « Sagesse libertaire taoïste » - Pour compléter le sujet :
Qu’est-ce que le taoïsme ? Les 8 grands principes Taoïstes - Tiré de l’enseignement donné au Cercle Taoïste Lyon

Texte - « Alors que Bankei, le grand maître zen, enseignait au temple de Ryumon, un prêtre Shinshu, jaloux de son auditoire impressionnant, voulut discuter avec lui.

Bankei était en train de parler lorsque le prêtre se présenta, et celui-ci provoqua un tel désordre que Bankei s’interrompit pour lui demander ce qu’il voulait.

– « Le fondateur de notre secte, dit le prêtre avec arrogance, avait des pouvoirs si miraculeux qu’il pouvait écrire son nom alors qu’il se tenait sur l’une des rives du fleuve, un pinceau à la main, et que son serviteur était sur l’autre rive avec une feuille de papier. Es-tu capable d’une chose aussi remarquable ? »

Bankei répondit d’un ton léger :
– « Ces tours de passe-passe ne sont pas dans la manière du Zen. Mon miracle à moi, c’est de manger quand j’ai faim et de boire quand j’ai soif ». Marie Bertolotti desirdetre.com

Les fondements du Taoïsme

Le Taoïsme propose une vision du monde qui s’oppose en tout, à celle de la modernité occidentale. Il sera, sans doute, une clé de l’après-modernité. S’il fallait faire entrer la pensée taoïste dans les catégories philosophiques occidentales, il faudrait distinguer, d’abord, le versant cosmologique (qui traite des principes fondamentaux qui régissent le tout du Tout) du versant anthropologique (qui traite de l’homme et de ses sociétés).

Cosmologiquement, le taoïsme philosophique est un naturalisme, un monisme, un processualisme, un panthéisme et un non-dualisme.

Anthropologiquement, il est un antihumanisme, un libertarisme, un élitarisme, un érémitisme et un antidémocratisme.

Essayons, brièvement, de définir chacun de ces mots techniques en ’isme’ afin d’éclairer notre sujet.

Naturalisme  : rien n’est surnaturel, tout est naturel. Il n’y a ni ’autre monde’, ni ’arrière-monde’. Tout ce qui existe , existe dans la Nature, par la Nature et pour la Nature, même l’Esprit (l’Esprit-de-la-vallée qui fait tout s’écouler vers son destin), même les esprits qui hantent les sources, les arbres ou le vent. Il y a, dans le Taoïsme, comme de vieux relents de l’animisme ancestral, quelques touches de chamanisme antique véhiculées par le Yi-king : le Classique de la Mutation.

Monisme : tout est Un. Tout ce qui existe forme une unité absolu : tout est dans tout, tout est cause et effet de tout, tout est interdépendant de tout, tout est inextricablement intriqué. Le Tao est l’essence profonde de ce Un cosmique. Il fonde tout ce qui existe et tout ce qui existe émane de lui et n’en est que la manifestation et l’expression, comme les vagues à la surface de l’océan.

Processualisme  : contrairement à la tradition européenne, la pensée chinoise s’ancre, non pas dans des métaphysiques de l’Être, mais bien dans une métaphysique du Devenir. Autrement dit : tout est impermanent, rien n’est fixe, rien n’est au repos, rien n’est stable : tout change tout le temps, tout évolue, tout se transforme, tout est vivant. Il y a là comme une sorte d’hylozoïsme stoïcien. La permanence de l’Être est une illusion ; seule l’impermanence radicale et définitive du Devenir est réelle et exprime l’essence profonde du Tao qui est ’processus’ et non ’objet’.

Panthéisme  : il n’y a pas de Dieu personnel pour le Taoïsme philosophique. Une telle conception prêterait d’ailleurs à rire. Le mot ’Dieu’ n’existe pas en mandarin. S’il faut parler du Divin, alors que ce soit un Divin immanent, une sacralisation de la Vie et de la Nature. Le cosmos est un vaste système autocréateur et autoréférent. Le Taoïsme n’est pas un athéisme, comme on le dit souvent à tort, puisqu’il vénère la Nature et ses forces de Vie, puisqu’il reconnaît du Divin en tout, du sacré partout. Mais il est certainement un antithéisme, une négation claire et franche de tout Dieu personnel qui serait créateur du monde , mais extérieur à celui-ci, d’une autre nature que lui.

Non-dualisme : tout ce qui existe, est mû par une force dipolaire : le yin-yang. Mais il ne s’agit nullement d’une dualité, d’un dualisme, d’une opposition binaire comme on les aime en occident : bien-mal, beau-laid, vrai-faux, sacré-profane, etc … Rien de tel au sein du Taoïsme puisque toute bipolarité se résout dans le Tao vivant qui fonde, maintient et affirme l’unité absolue de tout ce qui existe.

Antihumanisme : la Chine n’est pas et ne sera jamais humaniste. Pour elle, l’homme est insignifiant, surtout lorsqu’il est individuel. L’individu ne compte pas. Les catégories kantiennes comme ’l’inaliénable dignité humaine’ non seulement lui sont étrangères, mais lui répugnent. L’homme ne vaut rien par lui-même. Il ne vaut que par ses œuvres. Si la muraille de Chine a coûté des centaines de milliers de vies humaines, qu’importe : la muraille est là et ces hommes morts sont oubliés. Ils ne comptent pas.

Libertarisme : le saint taoïste, la sage du Tao, sont des hommes libres. Ils refusent la société. Ils refusent de vivre en société. La promiscuité des hommes leur répugne. Le bon Prince est un Prince qui laisse le Tao faire son œuvre, qui n’intervient pas, qui se contente de remplir les panses du peuple et à contenir les ardeurs des soldats ; son seul rôle est de maintenir la paix dans le sens de ’ficher la paix’.

Elitarisme : les petites gens n’offrent aucun intérêt pour le saint du Tao. A l’extrême limite, il accepte, parfois, de conseiller les Princes, mais le peuple ne lui est que ’chiens de paille’ : un objet de décoration que l’on brûle après la fête.

Erémitisme : l’idéal de vie du saint taoïste est la vie solitaire de l’ermite, au fond des forêts, au sein de la Nature, loin des hommes et de leurs turpitudes. Il exècre les villes. Il vit dans sa hutte, au fond des bois, chantant et rimant, s’enivrant de vin et de sagesse.

Antidémocratisme : inutile de préciser, après tout ce qui vient d’être dit, que le sage taoïste ne croit nullement en une quelconque sagesse du peuple, en un quelconque bon sens populaire, en une quelconque intelligence des masses. Il ne croit donc pas à la démocratie et certainement pas au suffrage universel. Mais il ne croit pas non plus à l’autoritarisme hiérarchique qui sera la colonne vertébrale du confucianisme. Très profondément, il ne croit pas en la société, il n’y voit que le champ de bataille des intérêts personnels, souvent mesquins et médiocres. Il préfère en tout la solitude, loin des hommes et de leurs miasmes.

Auteur : Marc Halévy, le 30 octobre 2012 – « Je suis un chercheur pratique. Il me faut comprendre pour pouvoir bâtir, agir en conséquence, faire les choses avec sens. J’étudie donc, tout le temps et quel plaisir ! J’expérimente. Je formalise des méthodes. Et lorsque le bon mot est prêt, lorsque la bonne formule est au point, lorsque vous êtes prêt à aller de l’avant, je fais un bout de chemin avec vous ... Marc. ’La pluie ne mouille pas les poissons’ (M.H.)

Marc Halévy www.noetique.eu - Journal philosophique · Livres et recueils à télécharger · Marc Halévy · Noétique · Parus dans la presse · Vidéos · La Maison Noétique. Les incontournables.

Source du communiqué : https://www.noetique.eu/billets/2012/fondements-taoisme

Selon Wikipédia, « La noétique (terme dérivé de noèse, du grec νόησις) est une branche de la philosophie métaphysique concernant l’intellect et la pensée. Parmi ses centres d’intérêt, on peut mentionner l’étude de la nature et du fonctionnement de l’intellect humain et les liens entre cet intellect et l’intellect divin. C’est pourquoi la noétique a eu souvent des liens très étroits avec la métaphysique. Dans la tradition occidentale et dans la philosophie arabe, la noétique a été très influencée par les philosophes tels que Anaxagore, Aristote ou Platon… » - Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%A9tique

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Rubrique D – L’écologie dans l’Islam

18.
Écologie en islam et dialogue interreligieux Par Emmanuel Pisani - Dans Transversalités 2016/4 (n° 139), pages 53 à 64 - Article Résumé Plan Auteur Sur un sujet proche file_download

1Dans sa monumentale Histoire des civilisations, l’historien Arnold J. Toynbee soutient que si les civilisations sont mortelles comme l’affirmait en son temps Paul Valéry, elles peuvent aussi connaître un sursaut mais à la condition qu’elles soient en mesure de relever le défi auquel elles sont confrontées [1][1]Arnold J. Toynbee, A Study of History, Oxford, Oxford…. Il montrait aussi que c’est au contact les unes des autres, dans l’interaction de leurs mythes et de leurs théologies que se créent les conditions de l’avenir. La crise écologique qui traverse le monde est l’un des défis majeurs d’aujourd’hui [2][2]André Beauchamp, « Création et écologie. Redéfinir notre…. Elle concerne tous les continents, toutes les générations, toutes les civilisations. Classiquement, elle se caractérise par la destruction des habitats, la raréfaction de l’eau potable, le dérèglement climatique, les crises sanitaires, l’érosion de la biodiversité, le dérèglement des écosystèmes. L’exploitation de la terre y apparaît démesurée et menaçante pour les sociétés humaines. Là où l’homme abîme la terre, l’éventre et la dessèche, là aussi l’homme est blessé, mutilé, assoiffé. Là où la terre gronde, l’homme crie. Tel est le diagnostic que pose le pape François dans son encyclique Laudato si’. Cette crise peut être appréhendée comme un « signe des temps », où l’Église, en dialogue avec le monde, écoute et décrypte afin de guider, d’éclairer et de proposer une réponse. Elle y voit pour l’humanité le terreau d’une conversion, la possibilité de « renouveler notre façon de penser » (Rm 12,2).

2Une conviction y est affirmée  : l’enjeu nécessite le concours de tous. Le pape invite tous les habitants de la « maison commune » à une conversion spirituelle qu’il fonde sur l’Évangile de la création ; il situe sa contribution au sein d’une réflexion qui implique toutes les Églises, toutes les religions, tous les hommes de bonne volonté. Or, ce concours est déjà à l’œuvre et François souligne que « nous ne pouvons pas ignorer qu’outre l’Église catholique, d’autres Églises et communautés chrétiennes – comme aussi d’autres religions – ont nourri une grande préoccupation et une précieuse réflexion sur ces thèmes qui nous préoccupent tous » (LS 7). Dans le sillage du concile Vatican II, l’encyclique insiste sur la contribution des religions en tant que vecteur d’une vision et d’une relation à la nature qui permet de répondre aux défis environnementaux et de proposer une alternative ancrée dans une sagesse séculaire pour éviter « l’indifférence, la résignation facile ou la confiance aveugle dans les solutions techniques » (LS 14). Elles constituent une richesse « pour une écologie intégrale et pour un développement plénier de l’humanité » (LS 62). Il s’agit donc pour toutes les religions de puiser dans « leur propre héritage éthique et spirituel », de revenir « à leurs sources » pour « mieux répondre aux nécessités actuelles » (LS 200). « Tous, nous pouvons collaborer comme instruments de Dieu pour la sauvegarde de la création, chacun selon sa culture, son expérience, ses initiatives et ses capacités » (LS 15). Cette crise, source de migrations violentes et contenant en elle la possibilité prochaine des guerres, peut aussi être un lieu de rencontre, de dialogue et d’action (LS 15) entre tous les hommes. Dans une perspective dont on a souligné les accents blondéliens [3][3]Juan Carlos Scannone, « La filosofia dell’azione di Blondel e…, le pape y voit la possibilité de susciter une communion d’action afin d’ouvrir à une « nouvelle solidarité universelle » (LS 14).

3Ainsi, si le pape François apporte un éclairage magistériel en puisant dans « le trésor de l’expérience spirituelle chrétienne » (LS 15), il ne réduit pas son propos à la seule spiritualité chrétienne mais reconnaît la valeur des Écritures et des enseignements des autres religions comme contenant des éléments de réponse à la crise actuelle. En suivant la théologie des religions dessinée par le Concile, le pape ne limite pas ces sources à des éléments de réponse pouvant être mobilisés par les peuples non chrétiens. Il s’agit aussi par le dialogue et la connaissance de l’autre de leur reconnaître une authentique valeur spirituelle qui légitime de recourir à ces héritages religieux comme venant confirmer, prolonger, approfondir chaque tradition religieuse. Ainsi, si une part belle est faite à l’œcuménisme, François se réfère dans son encyclique au maître spirituel musulman ‘Alī al-Ḫawwāṣ et à son enseignement sur l’empreinte de Dieu dans le créé. Le maître soufi affirmait en effet :

4

Il y a un « secret » subtil dans chacun des mouvements et des sons de ce monde. Les initiés arrivent à saisir ce que disent le vent qui souffle, les arbres qui se penchent, l’eau qui coule, les mouches qui bourdonnent, les portes qui grincent, le chant des oiseaux, le pincement des cordes, les sifflements de la flûte, le soupir des malades, le gémissement de l’affligé… [4][4]Cité par Eva de Vitray-Meyerovitch (éd.), Anthologie du…

5À la lumière de cette citation, le pape reconnaît l’« héritage écologique » de l’islam et sa portée universelle. Il invite les chrétiens à se laisser enseigner par les sources des autres dans le chemin de la conversion écologique. Une spiritualité écologique ne saurait donc se réduire à la spiritualité chrétienne mais, tout en en dessinant le cadre harmonique entre l’homme et la nature, elle interagit et puise dans les religions, qu’il s’agisse de l’hindouisme, des religions traditionnelles africaines ou encore de l’islam. Ainsi, non seulement les sources religieuses permettent aux non-chrétiens de pouvoir penser le rapport de l’homme à la nature et de promouvoir une éthique soucieuse d’un équilibre entre les hommes et la terre, mais l’écologie devient un lieu concret de dialogue, d’ouverture, de stimulation à scruter, à puiser et à partager dans les trésors de chaque tradition religieuse pour nourrir et enrichir la conversion écologique. La nature n’y est pas envisagée comme une ressource instrumentale et un objet de maîtrise mais comme création, liée à l’existence pérenne de l’homme [5][5]Isabelle Priaulet, « Repenser la place de l’écologie dans le…. Le regard porté par l’encyclique s’insère donc dans une théologie des religions et du dialogue interreligieux où à la lumière du défi posé, il s’agit aussi d’écouter et de se laisser enseigner par l’autre tradition.

6Si l’articulation entre crise écologique, d’une part, et dialogue interreligieux et action commune, d’autre part, est clairement exprimée dans l’encyclique Laudato si’, qu’en est-il dans le monde musulman ? L’écologie y est devenue une préoccupation et les déclarations islamiques y sont nombreuses, mais quel lien s’établit-il avec les religions ? Peut-on identifier du point de vue musulman la prise en compte d’une évaluation positive de l’apport des autres traditions religieuses pour une œuvre écologique commune ? Dans un contexte de politisation de l’islam et d’un discours musulman à la fois identitaire et exclusiviste, la crise écologique conduit-elle à rebours à une métanoïa dans l’appréhension des autres traditions religieuses reconnues comme lieu de maïeutique permettant de fonder et de légitimer du point de vue musulman la rencontre, le dialogue et l’action commune entre religions ?

7Pour répondre, nous analyserons le discours des principales déclarations émanant de savants ou de diverses obédiences musulmanes afin d’évaluer la place accordée au rapport entre la thématique écologique et le dialogue interreligieux. Puis, en repartant du Coran, nous nous demanderons si la vision coranique de l’articulation entre l’harmonie du créé et la responsabilité des actes des hommes propose et développe une approche promouvant la reconnaissance et le dialogue avec les autres traditions religieuses. Nous répondrons par l’affirmative en montrant comment dans le Coran la question du respect de l’harmonie du créé participe d’une émulation voulue par Dieu. Nous conclurons en nous demandant comment la question écologique permet de repenser et de refonder le dialogue interreligieux du point de vue musulman.

Déclarations musulmanes et écologie

8Depuis les années 1960, la question écologique est inscrite dans l’agenda de nombreuses instances internationales. Les colloques ou congrès qu’elles ont organisés attestent de leur certitude que les religions constituent un acteur incontournable pour promouvoir une réponse adaptée au drame écologique et influer sur la conversion écologique de leurs fidèles [6][6]Steven A. Kolmes, Russell A. Butkus, « Science, Religion, and…. En effet, en recentrant le regard sur l’origine de toutes choses, en proposant une cosmologie et en embrassant toutes les réalités de la création, la plupart des religions constituent par conséquent une ressource pour transformer l’agir des hommes. Définies par des rites où s’affirment des attitudes singulières où s’entremêlent monde spirituel et monde matériel, elles sont aptes à susciter un habitus écologique[7][7]Richard C. Foltz, Frederick M. Denny et Azizan Baharuddin…. Dans ce cadre, des ONG ont sollicité des responsables de différentes religions de proposer une lecture théologique de l’écologie à la lumière de leurs sources respectives.

9Ainsi, en 1986, le prince Philip, duc d’Édimbourg, a organisé à Assise – la ville de saint François que Jean-Paul II a déclaré en 1979 saint patron des écologistes – une rencontre entre juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes et hindous afin d’évaluer comment chaque religion pouvait contribuer à la protection de l’environnement. Dr Abdullah Umar Naseef, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, y a donné une conférence intitulée « Déclaration musulmane sur la nature » mais il a d’emblée situé son propos au sein d’une théologie de la création : « L’essence de l’enseignement islamique est que l’univers entier est la création de Dieu ». Dans cette création, l’homme a un statut à part : il est la seule des créatures qui peut se révolter contre Dieu [8][8]Il faudrait cependant ajouter que ce pouvoir est aussi donné…. À partir de l’étymologie du mot islam qui renvoie à la fois à l’obéissance et à la paix, il montrait que l’homme ne peut trouver la paix qu’en obéissant à Dieu, cette paix se déclinant à tous les niveaux dont celui avec la nature. L’homme a été promu par Dieu pour être son lieutenant (khalif) : il lui revient donc d’être « responsable du maintien de l’unité de la création et de préserver l’équilibre et l’harmonie de la création entière » alors qu’il sera jugé au Jour du Jugement sur sa capacité à avoir maintenu cette « balance » (mīzān)[9][9]Abdullah Umar Naseef, « The Muslim Declaration on Nature », The…. Si la Déclaration ne renvoie à aucun verset coranique, elle s’appuie sur un dit (adīth) célèbre de Muḥammad qui permet à Abdullah Umar Naseef de souligner l’articulation entre l’islam et l’attention au soin de la création :

10

La Terre est verte et belle et Dieu vous a désignés comme les administrateurs de cette Terre. La Terre entière a été créée comme un lieu de culte pur et propre. Celui qui plante un arbre et s’en occupe diligemment jusqu’à ce qu’il mûrisse et porte ses fruits est récompensé. Si un Musulman plante un arbre ou sème un champ et que les humains et les bêtes et les oiseaux s’en nourrissent, tout cela est de l’amour de sa part [10][10]Amad b.anbal, Musnad, t. IV, 61 et 374..

11La shari‘a, concluait l’auteur, rassemble ces principes et injonctions, à partir desquelles les juristes ont développé un cadre de législation de protection des espaces naturels, des ressources en eau, mais aussi un cadre de restriction et de limitation. La shari‘a ne saurait donc se limiter au domaine des crimes et des châtiments mais, en embrassant toute la vie de l’homme, elle répond à l’enjeu éthique de la préservation de l’équilibre environnemental. Pour l’auteur de la Déclaration, la crise écologique est la triste conséquence de l’absence d’éthique musulmane universelle : les scientifiques, les techniciens, les économistes ou les politiques agissent de manière contraire aux règles environnementales édictées par l’islam. Le défi posé à l’humanité est donc celui de la diffusion et de l’adoption de ces valeurs. À suivre son auteur, la crise écologique est le signe emblématique que l’humanité n’est pas encore « musulmane ». La teneur du discours est sans doute religieuse mais le cadre y est politique : le propos s’inscrit clairement dans la lignée du slogan qui s’impose dans le monde musulman à partir des années 1980 : « l’islam est la solution » [11][11]Georges Corm, Pensée et politique dans le monde arabe, Paris,…. Il n’y est question d’aucune ouverture à l’autre, d’aucun dialogue, d’aucune œuvre commune, d’aucun espace aux autres religions. Le discours est politique et apologétique.

12Par la suite, d’autres initiatives ont eu lieu aux accents plus neutres. Ainsi, en juillet 2009, à Istanbul, se sont réunis quelques cinquante savants musulmans et chefs politiques, sous la houlette du très célèbre prédicateur Yusūf al-Qaraḍawī afin d’établir un plan d’action pour lutter contre le changement climatique : c’est le plan The Muslim Seven Year Action Plan on Climate Change 2010-2017 organisé par MACCA (Muslim Associations for Climate Change Action) [12][12]Parmi les intervenants, on trouvait notamment le Sheikh Ali… et dont l’objectif est de mobiliser la communauté musulmane (umma) afin de promouvoir « un environnement sain pour nos enfants et les prochaines générations où toutes les nations de toutes les religions vivront en harmonie avec la nature et jouiront de la justice et des bienfaits de Dieu » [13][13]Le plan est très ambitieux : de manière très concrète, il…. Si le projet rappelle la notion d’harmonie de l’humanité avec la nature, contrairement à la Déclaration d’Assise, il sous-entend la possibilité de vivre cette harmonie indépendamment de l’appartenance à l’islam. L’harmonie et la justice peuvent se réaliser au sein d’une humanité religieusement plurielle.

13La Déclaration d’Istanbul des 17-18 août 2015, peu avant la COP21, est une contribution importante, fruit de l’initiative conjointe de la Fondation Islamique pour l’Écologie et les Sciences Environnementales, d’Islamic Relief Worldwide mais aussi de Green Faith, réseau interconfessionnel sur l’environnement. Elle a réuni une soixantaine de leaders musulmans venus de vingt-deux pays. D’emblée, le Préambule situe l’homme comme un être créé pour « servir le Seigneur de tous les êtres, pour œuvrer autant que nous le pouvons pour le bien de toutes les espèces, tous les individus et toutes les générations des créatures de Dieu ». Elle affirme la responsabilité de l’homme qui consiste à maintenir l’équilibre (mīzān) créé par Dieu : si la création est confiée à l’homme, elle n’appartient qu’à Dieu. La corruption de la terre (fasād) est dénoncée comme la conséquence de l’action des hommes et de leurs appétits effrénés alors même que l’homme ne dispose aucunement du droit d’opprimer les créatures. Ici, il s’avère que la Déclaration ne distingue pas les musulmans des non-musulmans : elle dresse le constat d’une responsabilité collective, d’une détérioration générale. En retour, elle appelle dans un premier temps toutes les nations, les peuples et leurs dirigeants à promouvoir un système alternatif. Elle exhorte à un changement de système financier sans pour autant présenter la finance islamique comme le système à mettre en œuvre. Elle conclut par un vibrant appel destiné aux musulmans afin qu’ils s’engagent pour lutter contre les habitudes, les mentalités et toutes les causes qui entraînent et accentuent la crise écologique. La structure et le caractère exhortatif ne sont pas sans rappeler l’encyclique du pape François : constat, théologie, appel à une conversion. Adressée à tous les dirigeants, elle invite avant tout les musulmans à agir, à peser dans les débats et les décisions politiques, mais elle n’explicite pas la nécessité d’un travail commun. La crise écologique n’apparaît pas comme le lieu de reconnaissance d’une éthique écologique partagée par l’islam et les autres religions à partir de laquelle doit pouvoir se fonder une mobilisation commune.

14Une telle perspective n’est cependant pas absente, mais elle se trouve dans des initiatives à proprement parler interreligieuses. Ainsi, en est-il du Uppsala Interfaith Climate Manifesto de 2008  [14] https://www.svenskakyrkan.se/default.aspx?id=664984. Il atteste de la prise de conscience d’une autocritique commune aux religions : elles ne sont pas seulement des ressources pour pallier le problème écologique : elles ont pu y contribuer. Ainsi, les théologiens et savants des religions soulignent que « nous sommes confrontés au défi consistant à reconsidérer les valeurs, les philosophies, les croyances et les concepts moraux, ayant non seulement modelé et guidé nos comportements mais aussi mis en évidence notre relation dysfonctionnelle avec notre environnement naturel ». Ce propos s’inscrit dans une perspective dialogale de reconnaissance de la responsabilité et de l’apport de chacun : « Nous nous engageons à assumer et à partager la responsabilité d’une gouvernance morale au sein de nos diverses confessions et sans exclure quiconque. Nous exhortons tous les auteurs influents en matière d’éducation intellectuelle et spirituelle à s’engager en faveur d’une réorientation profonde du regard que l’humanité porte sur elle-même et sur le monde, tout en reconnaissant nos différences et notre volonté de vivre en harmonie avec la Nature et avec notre prochain ». Les différentes croyances sont décrites comme des dons pour soutenir l’effort de nouveaux styles de vie et de développement durable. Une telle perspective trouve-t-elle un fondement coranique ? Quand le Coran traite de la question de l’environnement, l’associe-t-il à une collaboration, à une responsabilité de tous les hommes, à un dialogue entre religions en tant qu’il conditionne la pérennité des hommes sur la terre ? De cette réponse dépend la légitimité « islamique » de la perspective qui se dessine dans cette Déclaration interreligieuse et par suite de la capacité de l’islam à répondre au dialogue promu par Laudato si’.

Écologie et dialogue interreligieux dans le Coran

15L’insistance sur les dangers du consumérisme, de l’exploitation des ressources de la terre, des limites de l’anthropocentrisme et du danger du paradigme technologique ne saurait trouver de références coraniques. Il est symptomatique que le mot arabe communément utilisé pour la préservation de l’environnement (imāya) ou le mot environnement lui-même (bī’a) sont absents du Coran. Pour autant, comme l’attestent les Déclarations ci-dessus, le Coran renvoie à une théologie de la création qui permet de définir des principes éthiques qui dessinent un modèle écologique. Dans le Coran, la nature revêt une dimension sémiotique puisque tout en elle est signe de Dieu, tout fut créé par Dieu et tout dépend de Dieu. Le message central du Coran est fondamentalement théocentrique : rien ne saurait exister sans que Dieu ne le veuille. Mais si la nature suit le commandement de Dieu, seul l’homme a le pouvoir d’affirmer son indépendance à l’égard de l’autorité divine. Dans nul verset du Coran il n’est dit que la nature se rebelle contre Dieu ou lui désobéit. Aussi, le Coran invite l’homme à regarder, à contempler la nature pour y lire les signes de la création et découvrir en quoi consiste l’obéissance à Dieu. Le sens des mots islam et musulman doivent être ainsi compris : la nature est musulmane en tant qu’elle obéit à la loi de Dieu. Le muslim, c’est-à-dire le musulman, désigne d’abord une attitude existentielle et spirituelle de reconnaissance de Dieu et d’une soumission à sa volonté. Ainsi, la nature a une vocation pédagogique : elle est l’image du parfait musulman. Pour décrire cet état spécifique de soumission, le Coran recourt à la notion de fira : elle renvoie à l’état originel de l’humanité (S. 30, 30) qui est cette foi qui reconnaît qu’il n’y a que Dieu qui est Dieu et que tout vient de Lui. Aussi, si l’homme se rebelle, ce n’est pas pour nuire à la nature ou la défier, mais c’est d’abord contre Dieu. Or, sa rébellion menace l’équilibre, l’harmonie du monde créé. Dans sa révolte, l’homme a l’arrogance d’oublier la cause première et de croire que les fruits de la terre ne sont dus qu’à son travail : il en oublie qu’ils sont d’abord un don du Créateur. Ainsi donc, l’état de soumission (islam) implique le respect par l’homme de l’harmonie du cosmos et de l’écosystème. Le « soin écologique » devient une expression de la foi, une de ses œuvres : il atteste d’une gratitude au Créateur et de la foi en la nécessité de préserver l’ordre donné. Dans cette perspective, toute forme de pollution ou de dommage de l’environnement est une forme d’associationnisme car l’homme réduit le don divin à un réservoir auquel il peut puiser indéfiniment. Ainsi, même si la question environnementale n’est pas dans le Coran, on y trouve la problématique : les actions des hommes sont en mesure de contribuer à la disharmonie de toute la création. Pour autant, il convient de tenir que celle-ci n’est jamais réalisée sans le bon vouloir divin. Par conséquent, la crise écologique peut être comprise comme la manifestation d’une pédagogie divine pour provoquer le retour de l’homme à Dieu : « La corruption est apparue sur la terre et dans la mer à cause de ce que les gens ont accompli de leurs propres mains ; afin qu’[Allāh] leur fasse goûter une partie de ce qu’ils ont œuvré ; peut-être reviendront-ils (vers Allah) » (S. 30, 41). Il reste que le Coran affirme cette responsabilité qui est donnée à l’homme : il est khalīf, c’est-à-dire l’héritier, le lieu-tenant de Dieu (S. 6, 165 ; 27, 62 ; 35, 39). Il lui revient donc de contribuer au maintien de l’harmonie (mīzān). Mais qui est calife ? Le musulman en tant qu’il a embrassé l’islam ou tout homme en tant qu’il dispose de la religion originelle, du souffle de l’esprit divin ou de la connaissance lumineuse ? [15][15]Al-akīm al-Tirmiī (m.318/930), le mystique de la région du… Les interprétations fluctuent entre deux systèmes juridiques, anthropologiques et épistémologiques [16][16]Dans son étude sur la fira, Geneviève Gobillot a montré…. Dans la perspective du dialogue interreligieux, plusieurs penseurs ont soutenu l’existence d’une approche pluraliste des religions au sein du Coran [17][17]Imtiyaz Yusuf, « Islamic Theology of Religious Pluralism :…. Ainsi en distinguant la religion (dīn) de l’islam, le penseur turc Mahmut Aydin conclut de son analyse du Coran la nécessité de distinguer la religion musulmane de l’attitude d’islam qui concerne tous les hommes, y compris ceux des autres religions. La relation entre les musulmans et les non-musulmans est donc nécessairement inclusiviste et suivre le commandement de Dieu (amr) à la lumière du témoignage de la nature est un impératif pour tout homme : tel est le message éthique de l’islam, au-delà de l’attestation de foi islamique (šahāda).

16Cependant, le lien le plus explicite entre le défi écologie et le dialogue interreligieux d’un point de vue coranique est affirmé par Asma Asfaruddin dans sa lecture conjointe de deux versets : le premier est issu de la sourate al-Ḥuǧrāt (S. 49, 13), « Ô vous les hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle. Nous vous avons constitués en peuples et en tribus pour que vous vous connaissiez entre vous. Le plus noble d’entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux d’entre vous – Dieu est celui qui sait et qui est bien informé ! » [18][18]Asma Afsaruddin, « Celebrating Pluralism and Dialogue :… ; le second est celui de la Sourate al-Mā’ida (S. 5, 48b) : « Si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté, mais il a voulu vous éprouver par le don qu’il vous a fait. Cherchez à vous surpasser les uns des autres dans les bonnes actions. Votre retour, à tous, se fera vers Dieu ; il vous éclairera, alors, au sujet de vos différends ». Après avoir contextualisé le premier verset dans le cadre d’une reconnaissance de la diversité au sein de l’humanité, elle voit dans cet appel la nécessité de se connaître mutuellement (ta‘aruf) en découvrant ce qui constitue la vie de l’autre. Pour Asfaruddin, ce verset ne saurait se réduire à tolérer l’autre mais il est une exhortation à un engagement pour découvrir qui est l’autre. Dans son contexte initial, ce verset est un appel explicite à dépasser les rivalités tribales, à établir des relations, à ouvrir un cadre universel au-delà des frontières sociales définies par le clan ou la tribu. Dans une relecture moderne, elle y voit le fondement du dialogue interreligieux et l’exhortation à établir un dialogue engagé avec ceux de différentes cultures, pays et religions. Le second verset fait clairement du pluralisme une réalité appartenant au dessein de Dieu. Si la perspective est celle d’une émulation et d’une certaine façon d’une rivalité, une lecture conjointe au verset précédent lui permet de fonder le dialogue, l’approfondissement de la connaissance de l’autre et de ses sources religieuses comme ce qui permet d’accomplir le bien. Ici, si chaque personne doit suivre sa religion – la perspective se défend de toute forme de syncrétisme – la réalisation de la justice, de l’équité, de l’harmonie (mīzān) nécessite la connaissance de l’autre et du dialogue mis en œuvre avec lui dans une dynamique de ralliement, de réconciliation des cœurs (ta’līf al-qulūb) qui va au-delà de la réalité historique des ralliés (mu’allafa qulūbuhum, ceux dont il convient de rallier les cœurs) [19][19]Historiquement, ils bénéficiaient de la zakāt en vue d’une… mais qui s’étend à tout homme et à chaque culture ou religion en tant qu’elle est voulue par Dieu.

Conclusion

17La crise écologique est un fait quantifiable et la part de responsabilité de l’homme peut être en partie appréciée. Il s’ensuit pour le monde musulman une interpellation théologique et éthique. Dans ce contexte, le pape François soutient dans l’encyclique Laudato si’ que cette crise est un lieu possible de dialogue entre les religions : elle est l’occasion d’un enseignement existentiel et moral sur la base des héritages propres ; elle embrasse des préoccupations communes ; elle ouvre et invite à un regard serein et constructif dans la lecture des textes sacrés des autres religions.

Dans les éclairages propres aux traditions monothéistes du bassin méditerranéen, une attention commune à la création se dégage, laissant découvrir l’action en profondeur du même Esprit dans le cœur des hommes qui ont accueilli l’inspiration sacrée. En islam, une lecture du Coran permet de fonder un dialogue interreligieux, une reconnaissance et une connaissance mutuelle. Mais l’enjeu ne doit pas se réduire à l’émulation réciproque : il doit être l’occasion d’un travail commun, d’un lien éthique pour une justice écologique où s’affirme avec résolution la crainte révérencielle que saint Thomas appelle « vertu de religion » et l’espérance.

Co-créateur, intendant du monde, l’homme dispose en lui de ces ressources capables de transfigurer le monde qui lui est confié. Une telle approche est inséparable d’une théologie de la beauté où les lectures anthropocentristes sont rééquilibrées par celles du silence, de l’émerveillement, de la louange, de l’ouverture. C’est de sa capacité à se laisser provoquer, enseigner par les autres traditions religieuses et à entrer en dialogue que les religions seront en mesure de répondre au défi de la crise écologique. À croire Toynbee, c’est de leur capacité à s’ouvrir et à interagir que dépend leur pérennité.

Notes

  • [1]
    Arnold J. Toynbee, A Study of History, Oxford, Oxford University Press, 1934-1961.
  • [2]
    André Beauchamp, « Création et écologie. Redéfinir notre rapport à la terre », Christus, n° 185, 2000, p. 29-37.
  • [3]
    Juan Carlos Scannone, « La filosofia dell’azione di Blondel e l’agire di papa Francesco », Civiltà Cattolica, n° 3969, 14 novembre 2015, p. 216-233.
  • [4]
    Cité par Eva de Vitray-Meyerovitch (éd.), Anthologie du soufisme, Paris, Sindbad 1978, p. 200.
  • [5]
    Isabelle Priaulet, « Repenser la place de l’écologie dans le christianisme avec les autres religions », dans Jean-Marie Gueullette et Fabien Revol (éd.), Avec les créatures. Pour une approche chrétienne de l’écologie, Paris, Cerf, 2015, p. 51-72.
  • [6]
    Steven A. Kolmes, Russell A. Butkus, « Science, Religion, and Climate Change », dans Science 316, 2007, p. 540 ; Edward O. Wilson, The Creation. An Appeal to Save Life on Earth, New York, Norton, 2006.
  • [7]
    Richard C. Foltz, Frederick M. Denny et Azizan Baharuddin (éd.), Islam and Ecology. A Bestowed Trust, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 2003, p. xi-xii.
  • [8]
    Il faudrait cependant ajouter que ce pouvoir est aussi donné aux anges, à l’exemple d’Iblīs qui, selon le Coran, refusa de se prosterner devant la créature humaine (S. 7, 11 ; 18, 50 ; 20, 116).
  • [9]
    Abdullah Umar Naseef, « The Muslim Declaration on Nature », The Assisi Declarations : Messages on Humanity and Nature from Buddhism, Christianity, Hinduism, Islam and Judaism, Basilica di S. Francesco Assisi, WWF 25Th Anniversary, 29 September 1986, Alliance of Religious and Conservation (ARC), 1986, p. 11.
  • [10]
    Aḥmad b. Ḥanbal, Musnad, t. IV, 61 et 374.
  • [11]
    Georges Corm, Pensée et politique dans le monde arabe, Paris, La Découverte, 2015.
  • [12]
    Parmi les intervenants, on trouvait notamment le Sheikh Ali Goma’a, Grand Mufti d’Égypte, Dr ‘Ikrama Ṣabrī, mufti de Palestine, Dr Salmān al-’Ūda, éminent savant saoudien, l’ayatollāh Sayyd ‘Alī Muḥammad Ḥusayn Faḍlallāh, libanais ši’īte, ainsi que des représentants des ministères de l’environnement et des Awqaf des États du Koweït, Bahreïn, Maroc, Indonésie, Sénégal et Turquie.
  • [13]
    Le plan est très ambitieux : de manière très concrète, il envisage la construction pilote d’une « mosquée verte », d’un « pèlerinage (Haǧǧ) vert » sans bouteille plastique et afin de conscientiser les pèlerins à la signification de la création et d’en faire un acte de foi ; établir des labels islamiques pour différents produits, développer deux ou trois villes vertes qui pourront être des modèles pour les autres villes islamiques ; développer une attention à la formation sur l’environnement.
  • [15]
    Al-Ḥakīm al-Tirmiḏī (m.318/930), le mystique de la région du Ḫūrasān identifie la fira, en tant que connaissance innée et naturelle de la Suzeraineté divine (rubūbiyya), par la compréhension (fahm), la pénétration (akā’), la mémoire (if), la science (‘ilm) et l’entendement (ihn) : Geneviève Gobillot, Le livre de la profondeur des choses, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1996, p. 223.
  • [16]
    Dans son étude sur la fira, Geneviève Gobillot a montré l’existence de deux systèmes épistémologiques : l’un, de type « universaliste » où la fira est le point commun in divinis de tous les êtres humains et l’autre, « exclusiviste », où la fira ne concerne que les musulmans : Geneviève Gobillot, La fira. La conception originelle, ses interprétations et fonctions chez les penseurs musulmans, Cahiers des Annales Islamologiques, n° 18, Le Caire, Institut Français d’Archéologie Orientale, 2000.
  • [17]
    Imtiyaz Yusuf, « Islamic Theology of Religious Pluralism : Qur’an’s Attitude towards Other Religions », Prajna Vihara, vol. 11/1, janvier-juin 2010, p. 123-140 ; Adnane Mokrani, « Le pluralisme religieux dans le Coran », Mélanges de l’Institut dominicain d’études orientales, n° 28, 2010, p. 279-292 ; Mahmoud Ayoub, « Al-Qawniyya wa l-šumuliyya wa l-ta’addudiyya fī l-masihiyya wa l-islām » (Universalism, inclusivism and pluralism in Christianity and Islam), dans Center for Christian-Muslim Studies, Summer Symposium, Koura, University of Balamand, 1999 ; Mahmoud Ayoub, « Religious Pluralism and The Challenges of Inclusivism, Exclusivism and Globalism : An Islamic Perspective », dans Th. Sumartana et al. (éd.), Commitment of Faiths : Identity, Plurality and Gender, Yogyakarta (Indonésie), Institute of DIAN/Interfidei, 2002.
  • [18]
    Asma Afsaruddin, « Celebrating Pluralism and Dialogue : Qur’anic Perspectives », Journal of Ecumenical Studies, n° 42/3, 2007, p. 389-406.
  • [19]
    Historiquement, ils bénéficiaient de la zakāt en vue d’une conversion à l’islam : Henri Laoust, Précis de droit d’Ibn Qudāma, Damas, Institut français du Proche-Orient, 1950, p. 59.

Mis en ligne sur Cairn.info le 27/10/2016

https://doi.org/10.3917/trans.139.0053

Source : https://www.cairn.info/revue-transversalites-2016-4-page-53.htm

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19.
Peut-on être musulman·e sans être écolo ? Emnus 05 juin 2018

Pour moi, le mois de Ramadan est l’occasion de revenir à l’essentiel, de nous détacher de nos désirs matériels et de réfléchir au sens que nous donnons à notre vie et à nos actes quotidiens. Et dans une société où nous sommes avant tout défini·e·s comme des consommateurs·trices, cela concerne aussi notre manière de consommer et l’impact que celle-ci a sur le reste de la Création – humains, animaux, végétaux, etc. Aujourd’hui, c’est ma foi qui m’aide à revoir mes pratiques et à tenter de les orienter vers plus de sobriété, de respect de notre environnement et de justice sociale.

Lorsque je relis nos sources scripturaires, le Coran et la Sunna (les actes et les propos de Muhammad, que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui), je me demande comment on fait pour passer à côté d’enseignements si importants. Pourquoi la surconsommation et le gaspillage sont-ils si répandus parmi nous, en particulier pendant Ramadan, alors que notre Prophète vivait de manière si sobre ? Pourquoi ne sommes-nous pas les pionnier·e·s en termes de protection des humains et de la nature, alors que l’éthique islamique est si claire à ce sujet ?

Le rôle essentiel de la nature dans notre rapport à Dieu

En effet, nombreux sont les versets coraniques qui nous incitent à admirer la nature qui nous entoure, à prendre conscience des bienfaits qu’elle représente, et à méditer sur ce que les musulman·e·s considèrent comme des signes de l’existence de Dieu.

« N’avons-Nous pas disposé la Terre comme un berceau et les montagnes comme des rivets de fixation ? Ne vous avons-Nous pas créés par couples, institué le sommeil pour votre repos, étendu la nuit sur vous comme un manteau et réservé le jour à la recherche de votre subsistance ? N’avons-Nous pas élevé au-dessus de vous sept Cieux inébranlables, dans lesquels Nous avons placé un flambeau éblouissant ? Et des nuages accumulés ne faisons-Nous pas descendre une pluie abondante, par laquelle Nous faisons pousser des grains, des plantes et des jardins luxuriants ? »

(Sourate 78 – An-Naba (la Grande nouvelle), versets 6 à 16)

Il existe même une adoration particulière qui consiste à méditer sur la Création divine. Elle se nomme en arabe tafakkur, ce qui pourrait se traduire par « contemplation méditative ». C’est une pratique recommandée pour revivifier notre cœur et nous rapprocher de Dieu. Malheureusement, enfermé·e·s comme nous sommes dans nos grandes villes, entouré·e·s par le béton, nous avons perdu cette connexion à la nature qui nous mène vers Dieu. Tout nous paraît banal, et nous ne nous émerveillons plus de l’eau qui fait pousser notre nourriture, de l’immensité de l’univers, ou de l’incroyable diversité des plantes et des animaux.

Pour les arabophones et/ou les anglophones parmi vous, je recommande l’excellente mini-sérieFaseero du cheikh Fahad Alkandari, qui fait joliment le lien entre nature, foi et science (en arabe sous-titré anglais).

Le khilafat, une responsabilité qui incombe aux humains

Cette prise de conscience que tout ce qui nous entoure appartient à la Création divine est une première étape : l’islam est ensuite clair sur la responsabilité qui incombe aux êtres humains pour la préserver.

Le Prophète (que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui) a ainsi dit :

« Le monde est beau et verdoyant et en vérité, Dieu, soit-Il glorifié, a fait de vous Ses intendants, dans ce monde, et Il voit de quelle façon vous vous acquittez de cette tâche. » (rapporté par Mouslim)

Selon la notion de khilafat, nous sommes, en tant qu’êtres humains, des vicaires, des intendants sur Terre. Au même titre que notre corps, les éléments de la nature sont un dépôt, une amâna  : ils ne nous appartiennent pas, mais nous avons la responsabilité de leur gestion. En tant que musulman·e·s, nous avons la conviction que nous devrons donc rendre des comptes, au Jugement dernier, sur la manière dont nous aurons pris soin de cette amâna. C’est pourquoi nous devons agir au quotidien pour être à la hauteur de cette responsabilité.

« Va de l’avant, à condition que ce soit à titre de bienfaiteur et non de voleur, de cultivateur et non de destructeur. » - (Ali ibn Abi Talib, un des plus proches compagnons du Prophète et le dernier des « 4 califes bien guidés »)

Préserver les ressources naturelles et faire preuve de bienveillance envers tous les êtres vivants

Comment cette « bonne gestion » doit-elle se manifester ? Les enseignements islamiques soulignent notamment l’importance de faire preuve de miséricorde envers tous les êtres vivants sans distinction. Il est par exemple question d’une personne ayant vu ses péchés pardonnés pour avoir abreuvé un chien qui mourait de soif. A ses compagnons qui s’en étonnaient, le Prophète avait répondu : « Il y a une récompense pour tout bien fait à tout être vivant. » A l’inverse, il est relaté qu’une femme est entrée en Enfer pour avoir séquestré et affamé une chatte jusqu’à ce qu’elle meure (hadiths tous deux rapportés par Boukhari et Mouslim).

L’islam nous enjoint également à préserver les ressources naturelles. Alors que le compagnon Sa’d ibn Abî Waqas faisait ses ablutions, le Prophète lui demanda : « Qu’est-ce que ce gaspillage, ô Sa’d ! ». Sa’d répondit : « Y a-t-il un gaspillage dans l’ablution ? » Le Prophète dit alors : « Oui ! Quand bien même tu serais au bord d’une rivière ! » (rapporté par Ibn Majah).

Ceci fait écho à l’éthique islamique de la modération, qui nous incite à vivre de manière sobre et à nous contenter de peu :

« Celui d’entre vous qui se réveille le matin en sécurité parmi les siens ne souffrant d’aucun mal dans son corps et possédant la nourriture de sa journée, c’est comme si l’on avait amassé pour lui tous les biens de ce monde. » - (rapporté par at-Tirmidhi)

http://www.lallab.org/wp-content/uploads/2018/05/Image-2-1.jpg

Crédit : Muslim travelers

Comment remédier au décalage avec nos modes de vie et de consommation actuels ?

On ne peut que constater le gouffre qui sépare ces paroles de notre mode de vie actuel. Bien souvent, nous n’apportons pas l’attention qu’il faudrait à ce que nous consommons : dans quelle quantité, de quelle manière, et surtout avec quel impact sur nos frères et sœurs en humanité et sur notre environnement.

Pouvons-nous ainsi nous contenter d’un sticker « halal » sur la viande que nous achetons, sans nous soucier des devoirs que nous avons envers les animaux et des conditions affreuses de la production industrielle ? Ou sans nous inquiéter du rôle de la surconsommation de viande sur la persistance de la faim dans le monde, du fait de la monopolisation de terres agricoles pour nourrir le bétail ?

Pouvons-nous ingurgiter tout et n’importe quoi, en oubliant que notre corps est un dépôt, une amâna, et que nous l’empoisonnons à coups de produits chimiques et d’excès en tout genre ?

Pouvons-nous acheter et jeter sans réfléchir, sans penser au fait que « Dieu n’aime pas ceux qui gaspillent » (sourate 6 Al-An’âm (les Bestiaux), verset 41) ?

Pouvons-nous remplir notre armoire d’habits ou d’objets aux prix dérisoires, en fermant les yeux sur le fait qu’ils ont été fabriqués par des esclaves modernes ?

Pouvons-nous nous soucier seulement d’acheter les produits les moins chers, en omettant qu’ils maintiennent d’autres humains dans des conditions de vie indignes, et alors que nous avons des alternatives avec les producteurs locaux et le commerce équitable ?

Pourrons-nous plaider l’ignorance alors que nous disposons de tant de moyens de nous informer ?

Je suis la première concernée par ces questions, et bien que mes habitudes évoluent petit à petit, j’ai encore énormément de chemin à parcourir pour que mon mode de vie soit en adéquation avec mes aspirations éthiques. Fort heureusement, des initiatives existent pour nous accompagner dans cette transition, comme le blog d’Oum Naturel, celui de Consomouslim, ou encore la page des Permaculteurs musulmans.

Il y a une autre bonne nouvelle – c’est qu’il n’est jamais trop tard :

 « Si la fin du monde venait à survenir alors que l’un d’entre vous tenait dans sa main une plante, alors s’il peut la planter avant la fin du monde, qu’il le fasse ! » - (rapporté par Ahmad)

Mots clefs : écologie environnement islam musulman nature respect

Emnus - L’Emnus Lallabus est un croisement rare entre des espèces venant d’Afrique du Nord et d’Europe de l’Est. Son régime alimentaire est caractérisé par une consommation excessive de chocolat. Ses signes distinctifs : tendance compulsive à faire des listes, bilingue en sarcasme, affection particulière pour les films moldaves sous-titrés en norvégien.

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Spiritualité et écologie : un impératif coranique ? 7 octobre 2019 Pascal Gemperli Non classé

Autant le Coran et les Hadits en parlent beaucoup, autant les savants musulmans classiques parlent peu de l’écologie en Islam en ces termes contemporains. Cela est certainement dû à l’absence d’une nécessité particulière en termes d’écologie au moment des grands classiques et de l’âge d’or de la civilisation islamique à Bagdad ou en Andalousie. Et il est vrai que ces derniers siècles notre communauté n’est pas à l’hauteur de sa gloire au niveau de l’interprétation moderne de nos sources religieuses. Beaucoup de rattrapage reste à faire et l’écologie en est une des portes d’entrée fondamentales. Rien que l’herméneutique coranique nous expose immédiatement à la prise en considération de la nature, par exemple quand Dieu utilise le même terme pour révélation (Awhâ) concernant ses transmissions verbales aux Prophètes ainsi que pour celles aux abeilles pour leur enseigner la technique pour récolter leur nectar. Et c’est encore plus fort quand le même mot est utilisé pour désigner les versets du Coran (Âya) ainsi que pour les signes (Âya) qui, selon le Coran, se trouvent dans la création des cieux et de la terre, dans l’alternance de la nuit et du jour, dans le navire qui vogue, dans l’eau qui descend du ciel, dans la propagation des bêtes, dans la variation des vents et dans les nuages soumis entre le ciel et la terre. Tout comme les sources scripturaires, la nature et son observation sont sources de la voie islamique.

Il nous faut une réactualisation des textes fondamentaux en fonction de l’impératif écologique très présent dans ces textes, en ces temps où la dégradation de l’environnement est devenue préoccupante et risque d’être irrémédiable.

Fazlun M. Khalid (chercheur et activiste Sri lankais basé en Angleterre), pionnier du mouvement écologique islamique, applique quatre principes coraniques fondamentaux à la protection environnementale. Le Tawhid, l’unicité de Dieu et donc l’interdépendance de toutes les composantes de la création ; la Fitra, la nature originelle de la création, l’état naturel de l’Homme en harmonie avec la nature ; le Mizan, l’équilibre harmonieux parfait de toutes les composantes de la création ; et la Khilâfa, l’intendance que Dieu a transmise aux Hommes pour la sauvegarde de sa création. On y rajoute le principe du Taskhir, donc la jouissance des fruits de la création, sans contrepartie, dont les Hommes bénéficient. Elle implique deux dimensions, l’accès aux ressources de l’univers, et le partage équitable de ces dernières. Puisque ce principe s’applique à l’ensemble des êtres humains, aucune nation, aucun groupe ne peut faire valoir un accès particulièrement avantageux à ces ressources. Le principe de la Maslaha (le bien commun), doit donc être étendu aux considérations environnementales ou, selon une déclaration attribuée au Prophète Mohamed : « Je ne crains pas pour vous le retour au paganisme, je crains pour vous la richesse de ce monde ».

Ainsi retrouvons-nous un fort rejet du système capitaliste et du consumérisme en islam. Le bonheur et la libération ne se trouvent pas dans l’accumulation des biens, ils se trouvent dans la suffisance (Qana‘a), dans le fait de faire du bien aux autres et dans la générosité. A plusieurs reprises, le Coran met en garde contre l’excès (Isrâf) et le gaspillage (Tabdhîr), il promeut une véritable éthique de la consommation qui s’inscrit d’abord dans la modération et le partage. Ces deux dernières valeurs sont un bien spirituel en soi, par respect de la création. Un grand nombre de textes promeuvent également la protection et le respect des animaux, ainsi que des ressources limitées comme l’eau.

Pour Mostafa Brahami (imam et auteur vaudois), les finalités (Maqâsid) même de la foi islamique visent, parmi d’autres, la préservation de la vie sur terre et de la progéniture de toute chose créée, une véritable priorité écologique ! Un enseignement prophétique précise que l’Homme devrait, même en voyant arriver le Jour de la Résurrection, planter une pousse, il ne dit pas d’accomplir une prière ! Prier lui profiterait individuellement, planter par contre est bénéfique au donateur et aux nombreux bénéficiaires (humains, animaux, nature), même la veille du Dernier Jour.

En conséquence, il n’existe pas en Islam l’idée d’une domination de la nature et des animaux par l’Homme, l’être humain n’est pas au centre de la création, l’islam ne connait pas d’anthropocentrisme. L’humain est en Unité avec la nature, avec un rôle spécifique de Khilâfa certes, mais ce rôle implique des responsabilités plutôt que des droits, l’Homme est Khalifa, mais il est aussi ‘Abd, serviteur. Il s’agit d’un « Je » soumettant, en totale contradiction avec le « Je » centralisateur cartésien. Les bienfaits des Lumières ont été accompagnés d’une déconnexion de l’humain de la nature par supériorité imaginée, et c’est depuis ce moment que nous l’avons perçu comme “autre”. Cette pensé a conjuré la nature dans un autre espace, séparé de l’Homme et objectifié. Nous sommes désormais aliénés de ce qui nous alimente. Une ré-sacralisation de la nature pour surmonter la crise écologique est urgente.

Ecologie Islam Spiritualité - Pascal Gemperli - D’origine alémanique, Pascal Gemperli vit dans le Canton de Vaud depuis l’an 2000. Il est marié et père de 4 filles. De 2012 à 2018 il était Président, aujourd’hui Secrétaire général de l’UVAM. Il est porte-parole de la FOIS et membre de la Commission consultative du CSIS. Pascal est médiateur assermenté et membre du Conseil communal de Morges. Pour ae-Centre, il gère des projets de coopération au Maghreb.

Source : https://blogs.letemps.ch/pascal-gemperli/2019/10/07/ecologie-et-spiritualite-un-imperatif-coranique/

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Pourquoi ces cinq imams cartonnent sur YouTube Par Gurvan Kristanadjaja — 08 février 2016 à 13:50 (mis à jour le 11 février 2016 à 11:59) – Document ‘liberation.fr’ - Photo - Rachid Abou Houdeyfa, imam à Brest, le 20 novembre. Photo Fred Tanneau . AFP

Rachid Abou Houdeyfa, Mohamed Bajrafil, Hassan Iquioussen, Islam Ibn Ahmad et Rachid Haddach sont connus pour leurs chaînes YouTube. Chaque semaine ou presque, ils l’alimentent avec des tutoriels qui s’apparentent à du développement personnel.

En novembre dernier, l’imam de Brest Rachid Abou Houdeyfa, qui a bénéficié d’une popularité soudaine grâce à la diffusion de ses prêches sur YouTube, est dans la controverse. Le religieux, dans l’une de ses vidéos, déclare à un parterre d’enfants que ceux qui écoutent de la musique risquent d’être « transformés en porc ». Après les attentats du 13 Novembre, lorsque le débat se cristallise autour de l’islam et du radicalisme, il est pointé du doigt pour ses prêches ultraorthodoxes, son dérapage faisant foi. En marge de la polémique, Xavier Bertrand, lui, parle d’« Imam Google » pour qualifier la forte présence de l’islam sur Internet.

Au-delà du débat qui l’entoure, le prêcheur brestois est la tête de gondole d’un phénomène bien réel : celui des prêcheurs religieux qui se font une popularité sur Internet, notamment sur YouTube.

Ils sont cinq piliers francophones à rediffuser leurs conférences ou leurs prêches sur la plateforme : Rachid Abou Houdeyfa, imam à Brest, Mohamed Bajrafil, imam à Ivry-sur-Seine, Hassan Iquioussen, Islam Ibn Ahmad et Rachid Haddach, tous trois conférenciers. S’ils ne prêchent pas tous un islam ultraorthodoxe, leurs pratiques sur Internet sont les mêmes. Libération a analysé les 2 683 vidéos de chacune de leurs chaînes YouTube.

Ils totalisent à eux seuls plus de trente millions de vues au sein de la rubrique éducation de la plateforme, presque autant que certaines autres chaînes connues dans la même catégorie comme Les Bons Profs (20 millions) ou Tutaupe (13 millions). A chaque fois, le dispositif est identique : ils posent face caméra, la voix est claire, l’allure plutôt aisée. La diction accentue chaque mot pour mieux marquer le propos. L’image haute définition témoigne d’un dispositif professionnel.

Un islam ultra-pragmatique

Des clefs pour séduire le public plutôt jeune qui fréquente la plateforme, habitué à ce genre de dispositifs. Leur discours est aussi séducteur. Rachid Abou Houdeyfa comme Mohamed Bajrafil livrent dans leurs vidéos un islam ultrapragmatique. Ils offrent une réponse concrète aux questions contemporaines et très variées que se posent les jeunes musulmans : peut-on envoyer des émoticones ? Peut-on faire l’amour ? Comment se laisse-t-on pousser la barbe ? Ces prêcheurs indiquent ce qu’il est bon ou non de faire, selon leur lecture du coran. Ils ont su profiter du « réflexe Google » : si l’utilisateur se pose une question, il va chercher la réponse sur Internet. Y compris pour connaître une application de la religion. Certains prêcheurs utilisent aussi dans leurs titres de vidéos la sémantique accrocheuse développée sur Internet pour certains contenus viraux : « Si tu veux te marier, avoir de l’argent et être heureux, ECOUTE ! ».

La vidéo la plus vue de ces prêcheurs est ainsi celle de Rachid Abou Houdeyfa, intitulée « Retiens tes larmes si tu peux ». Cette séquence d’une demi-heure débute avec des images d’enfants amaigris victimes de malnutrition, avec en fond sonore la voix de l’imam qui s’écrie : « L’homme qui dit ’je veux faire un crédit pour avoir une plus belle voiture’, pourquoi tu ne remercies pas ton seigneur pour la voiture qu’il t’a donnée, alors qu’il y a des Somaliens qui ne trouvent même pas de monture pour aller s’abreuver ? […] Le jour où la femme, elle se plaint, parce que la tapisserie de chez elle, elle ne lui satisfait plus trop [sic], elle veut changer de couleur, alors que la tapisserie est neuve. Va voir la tapisserie des Somaliens ! » Résultat de ce plaidoyer des bons sentiments : 504.000 vues au total.

Autre vidéo très populaire sur ces réseaux, celle de Hassan Iquioussen, intitulée « Musulman et homosexuel ? ». En description, il est questionné : « Comment se comporter lorsqu’un musulman tombe dans ce grand péché qu’est l’homosexualité ? » Le prêcheur y répond pendant vingt-sept minutes, abordant dans un premier temps le mariage pour tous : « Le mariage pour tous, ça ne veut rien dire, et c’est une arnaque. C’est le mariage pour les homos. Mais comme ils sont assez malins et intelligents, que ce sont des pros de la com, ils n’ont pas dit ’le mariage pour les homos’ parce qu’on n’a pas encore bien avalé la pilule. » Il poursuit : « Il est évident qu’en tant que musulman, je condamne l’homosexualité, parce que nous la considérons comme un péché. Comme je condamne la consommation d’alcool, comme je condamne le vol, et le viol. » Hassan Iquioussen explique la marche à suivre pour les musulmans pieux mais gays : « Tu peux très bien avoir un musulman pieux qui craint Allah et qui commet un grand pêché. Mais il est musulman, on ne va pas aider le diable. On doit l’aider à sortir de leur faiblesse. Ça peut durer un an ou dix ans. »

Effet « bulle de filtres »

Les vidéos les plus vues – entre 250.000 et 500.000 vues – abordent l’argent et l’homosexualité donc, mais aussi la dépression, la mort, le mariage, la fin du monde et les relations entre les « jeunes filles et les jeunes hommes ».

YouTube n’est pas non plus étranger au succès de ces prêcheurs. Le but de la plateforme est de suggérer un contenu similaire à celui visionné. Ce qui importe pour le réseau, ce sont les chiffres : le nombre de vues et le temps passé. Ainsi, si l’on regarde le prêche d’un imam sur YouTube, il en est proposé 20 autres à droite de l’écran. Selon l’analyse des suggestions de vidéos réalisée par Libération, la plupart redirigent vers une autre de la chaîne visionnée, ou vers celle d’un des cinq prêcheurs. Quant à celles qui renvoient vers des chaînes extérieures, presque toutes concernent l’application contemporaine de l’islam. C’est l’effet « bulle de filtres » conceptualisé par Eli Pariser. Pour lui, les algorithmes contribuent à placer l’utilisateur dans un isolement en s’appuyant sur la personnalisation du contenu. Sur YouTube, cet effet est renforcé par la fonction « recommandé pour vous », qui va suggérer des vidéos en fonction de son historique.

Voir la représentation graphique - Le résultat de l’analyse des 2.683 vidéos des cinq prêcheurs. Chaque point représente une vidéo, le trait la façon dont elles sont reliées entre elles. Les bulles grises correspondent aux vidéos qui ne font pas partie d’une des cinq chaînes étudiées.

Succès inattendu et vrai business

Tous les imams contactés l’avouent : ce ne sont pas eux qui gèrent leur stratégie sur la plateforme YouTube. Mohamed Bajrafil, joint par Libération, explique même ne pas bien comprendre sa soudaine popularité sur Internet : « Ce sont trois de mes élèves qui ont eu cette idée. Ce sont eux qui s’occupent de la mise en ligne des vidéos et du site Internet. Je trouve cela intéressant pour donner la bonne parole. » Quant à l’éventualité de monnayer ses prestations sur YouTube, l’imam est catégorique : « Non je ne toucherai jamais un centime, notre religion l’interdit. Nous faisons un appel aux dons parfois lorsqu’il faut louer une salle pour des conférences. » D’autres, en revanche, ont développé un petit business autour de ces vidéos.

Rachid Abou Houdeyfa, l’imam de Brest, vend par exemple des DVD et CD de ses prêches diffusés sur YouTube. Il y reprend les thématiques les plus vendeuses : la mort, le crédit bancaire, l’adolescence, la drogue, « comment devenir un bon commerçant ». Ses films, qui se revendent entre 6 et 20 euros, sont édités par « la Sunna », une maison d’édition dont est propriétaire la société Globacom, qui possède elle-même le portail de revente de DVD et CD de prêches en ligne Iqrashop ainsi qu’un important magasin musulman rue Jean-Pierre-Timbaud à Paris. Hassan Iquioussen, conférencier, vend également des enregistrements sonores de ses prêches sur la plateforme en ligne Iqrashop. A l’inverse de l’imam de Brest, pour le conférencier, la vente de ses disques semble avoir précédé le développement de sa chaîne YouTube. Impossible de connaître en revanche le nombre de produits vendus chaque année, la société éditrice ayant refusé de nous répondre, ni si les conférenciers en retirent un profit (ceux-ci n’ont pas donné suite à nos sollicitations).

« C’est un phénomène qui touche au développement personnel »

Pour Raphaël Liogier, philosophe, sociologue du religieux et auteur de la Guerre des civilisations n’aura pas lieu, Rachid Abou Houdeyfa est devenu « une vraie marque, avec ses produits dérivés ». Si certains autres imams y sont venus par hasard, le plus connu d’entre eux sur YouTube soigne sa stratégie sur Internet : « Ces vidéos le font exister, il était inconnu avant ça. Contrairement aux autres imams, son parcours est plus flou, on ne sait pas vraiment s’il est universitaire ou docteur. Il est devenu une vraie star sur Internet et ses fans cherchent de plus en plus à le rencontrer. Rachid Abou Houdeyfa commence d’ailleurs à organiser des rencontres ». Selon le sociologue, certains prêcheurs cherchent même à apparaître sur sa chaîne, afin d’être plus visibles.

Dans les autres « grandes » religions, un tel phénomène n’est pas ou peu observé. Raphaël Liogier explique : « Ces imams qui prêchent sur YouTube, c’est un phénomène qui touche au développement personnel. C’est rempli de conseils et assez éloigné des sermons habituels. Dans les autres ’grandes’ religions, il n’y a pas cet aspect développement personnel. »

Ousmane, un musulman converti, consulte certaines de ces vidéos. Il les partage de temps en temps sur sa page Facebook. S’il dit leur reprocher de ne pas être toujours porteuses de la parole de « scientifiques », il explique en revanche y rechercher « une compréhension qui nous facilite [la vie] aujourd’hui en 2015 et qui faciliterait les générations futures et non une compréhension qui nous ramènerait 1 400 ans en arrière. » 

Gurvan KristanadjajaToute l’actualité en direct - photos et vidéos avec Libération

Libération (journal) — Wikipédia

Source : https://www.liberation.fr/france/2016/02/08/pourquoi-ces-5-imams-cartonnent-sur-youtube_1429862

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La Nature et L’environnement en Islam – Par Islam Ibn Ahmad Vidéo 15:42 - 12 novembre 2016 Islam Ibn Ahmad Officiel - Catégorie : People et blogs – [Elocution en français avec des précisions en arabe].

Source : https://www.youtube.com/watch?v=B4IcC4X3HgY

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Le sentiment de la nature en islam Par Abdelwahab Meddeb - Dans Les Sentiments de la nature (1993), pages 72 à 84 - Mis en ligne sur Cairn.info le 04/10/2016 - Article Auteur Sur un sujet proche

Comme dans la Bible, la notion de « nature » n’existe pas dans le Coran. Elle est assimilée à la notion de « Création ». Ainsi perçue, la nature est une grâce et un don divins offerts à la souveraineté de l’homme pour sa jouissance. L’homme ne cesse d’être émerveillé devant le spectacle de la Création divine, laquelle est une œuvre infinie fondée sur la séparation du ciel et de la terre, de la lumière et des ténèbres, du jour et de la nuit.

Dieu a placé dans les cieux le soleil, la lune et les étoiles. Il a fait de la terre un séjour stable, un lit, un tapis. Il a établi sur la terre des montagnes et des fleuves, des jardins et des fruits. Le vent, porteur d’une pluie bienfaisante, est « une annonce de sa miséricorde » (Coran, VII, 57). Ainsi s’exprime le Coran. De cette manière, il sacralise la nature. Il introduit la main de Dieu en ses moindres parcelles. Le divin devient manifeste en tout lieu, à chaque instant. Dans cette vision se révèle la virtualité d’une sorte de panthéisme qui sera exploité par certains maîtres spirituels de l’islam qui avaient tendance à croire que Dieu serait immanent à la nature et à la personne. Mais là nous anticipons. Avant de revenir sur cet aspect des choses et pour illustrer cette systématique référence à l’action divine pour ce qui concerne les phénomènes naturels, citons les versets 60-61 de la sourate XXVII qui restent des plus éloquents : « N’est-ce pas lui qui a créé les cieux et la terre et qui, pour vous, a fait descendre du ciel une eau grâce à laquelle nous faisons croître …

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Source : https://www.cairn.info/les-sentiments-de-la-nature—9782707122254-page-72.htm?try_download=1

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24.
Addenda – Signalement d’autres articles parus dans ‘Les Sentiments de la nature’ (1993) – Diffusion ‘cairn.info’

Les Sentiments de la nature - Sous la direction de Dominique Bourg - Année : 1993 Pages : 250 - Collection : Cahiers libres - Éditeur : La Découverte – Source : https://www.cairn.info/les-sentiments-de-la-nature—9782707122254.htm

Aperçu du contenu :

Pages 1 à 6 Pages de début

Pages 7 à 8 Présentation Dominique Bourg

Pages 9 à 30 Chine : comment vivre son milieu ? Pierre Gentelle

Pages 31 à 46 Japon : un attachement sélectif à la nature Philippe Pons

Pages 47 à 71 L’homme en nature. Hindouisme et pensée sauvage Jean-Claude Galey

Pages 72 à 84 Le sentiment de la nature en islam Abdelwahab Meddeb

Pages 85 à 98 Afrique : le « mythe » de la vie en symbiose Constantin Gbâané Dabiré

Pages 99 à 116 Australie : entre terreur et beauté Xavier Pons

Pages 117 à 137 Autour de la représentation de la nature au Brésil : pensées, fantaisies et divagations Traduit du portugais par Danielle Birck

Pages 138 à 161 Christianisme et concept de nature Stanislas Breton

Pages 162 à 174 Russie : rapport à la nature et quête d’identité Marie-Hélène Mandrillon

Pages 175 à 195 La nature, la religion et l’identité américaine Michel Conan

Pages 196 à 214 Nature, culture et sens de la responsabilité en Allemagne Reiner Wiehl, traduit de l’allemand par Denis Trierweiler

Pages 215 à 226 L’héritage du cartésianisme et l’approche française de la nature : le cas du droit des animaux Luc Ferry

Pages 227 à 246 Postface : modernité et nature Dominique Bourg

Pages 246 à 249 Pages de fin

Cet ouvrage est en accès conditionnel – Renseignements à la source : https://www.cairn.info/les-sentiments-de-la-nature—9782707122254.htm

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Rubrique E – L’écologie dans la Franc-maçonnerie

25.
Écologie et Franc-maçonnerie – Document ‘l’Edifice’ – Date et origine non communiquées. Auteurs indiqués H\ B\

Introduction

Les révolutions industrielles des deux derniers siècles ont permis au monde occidental de connaître un développement économique exceptionnel. L’apparition de nouvelles machines et la découverte de nouvelles sources d’énergie permirent en effet de multiplier à l’extrême les capacités de production de nos sociétés et par là même leur richesse. Si ces développements fulgurants et leurs conséquences économiques, sociales et philosophiques furent rapidement analysés (en bien ou en mal), il aura fallu attendre le Xxe siècle pour qu’une réflexion relative aux conséquences écologiques de ce phénomène soit entreprise.

La réflexion et l’action écologiques occupent à l’heure actuelle, les devants de la scène politique, poussées par le militantisme persévérant des partis écologistes et par certains types de spiritualités relevant du Nouvel âge (New age).

Le but ici est de présenter certains problèmes philosophiques et théologiques liés à la question de l’écologie. Partant du principe que la Franc-maçonnerie (et la foi chrétienne qui l’accompagne souvent) ne touche pas seulement à ce qu’il est convenu d’appeler le domaine spirituel, mais qu’elle doit éclairer l’ensemble de la réalité créée. Il s’agit de développer une réflexion qui tienne compte des débats actuels pour présenter une alternative cohérente aux problèmes soulevés par les idéologies passées et présentes.

Pour ce faire, commençons par aborder une école de pensée et d’action écologique qui n’a cessé de monter en puissance : il s’agira de la deep ecology ou écologie profonde. Après quoi, il convient de se pencher sur les critiques émises à l’égard de ce mouvement. Enfin, il s’agira de présenter une conception maçonnique et chrétienne de l’écologie et de mettre en évidence l’écart qu’il y a entre cette position et celles qui auront été étudiées préalablement.

I L’écologie profonde

La notion d’écologie profonde provient des universités américaines, où, dans les années soixante, certains théoriciens ont ressenti le besoin d’opérer une distinction fondamentale au sein de la mouvance écologique. A partir de ce moment, on ne parlera plus de façon générale d’écologie, mais d’écologie profonde et d’écologie superficielle. Que reprochent les nouveaux écologistes profonds à la pensée écologique dite superficielle  ? Principalement de ne pas aller suffisamment loin dans l’analyse des problèmes écologiques de notre temps et, par conséquent, de ne proposer que des solutions inadéquates. Pour comprendre l’étendue du désaccord, il convient de présenter brièvement ces deux manières de concevoir l’écologie.

L’écologie superficielle reste attachée à une vision « anthropocentrique » du monde. Le mot anthropocentrisme vient du grec (ανθροπος = homme) et définit une pensée « qui fait de l’homme le centre du monde et considère le bien de l’humanité comme la cause finale du reste des choses  ». Appliqué à l’écologie, l’anthropocentrisme débouche sur la position suivante, telle que formulée par le philosophe français moderne Luc Ferry :

« A travers la nature, c’est encore et toujours l’homme qu’il s’agit de protéger, fût-ce de lui-même lorsqu’il joue les apprentis sorciers. L’environnement n’est pas doté ici d’une valeur intrinsèque. Simplement, la conscience se fait jour qu’à détruire le milieu qui l’entoure, l’homme risque bel et bien de mettre sa propre existence en danger et, à tout le moins, de se priver des conditions d’une vie bonne sur cette terre. »

Dans cette forme de pensée écologique, la nature n’est prise en considération que parce qu’elle est l’environnement de l’être humain. Si l’on s’intéresse à elle, ce n’est pas d’abord pour elle-même, mais simplement dans la mesure où la survie de l’homme en dépend. L’homme reste au centre d’un tel système de pensée, c’est pourquoi l’écologie superficielle est anthropocentrique.

Au contraire l’écologie profonde correspond au type de pensée écologique qui tente de dépasser la vision anthropocentrique de la réalité pour adopter une perspective « cosmocentrique ». L’homme ne doit alors plus être placé au centre, car cette place est désormais occupée par le monde pris comme un tout, le cosmos. Selon l’écologie profonde :

« L’ancien « contrat social » des penseurs politiques est censé faire place à un « contrat naturel » au sein duquel l’univers tout entier deviendrait sujet de droit. Ce n’est plus l’homme, considéré comme centre du monde, qu’il faut au premier chef protéger de lui-même, mais bien le cosmos comme tel qu’on doit défendre contre les hommes. L’écosystème -la biosphère- est dès lors investi d’une valeur intrinsèque bien supérieure à celle, somme tout plutôt nuisible, qu’est l’espèce humaine. »

Dans cette perspective, la nature prise comme un tout prime sur l’espèce humaine. L’homme n’est plus qu’un élément du cosmos parmi tant d’autres et n’a aucune dignité spécifique, ni aucun droit supérieur à ceux des animaux ou des arbres.

Il est important de bien prendre la mesure de cette distinction fondamentale entre écologie superficielle et écologie profonde, pour réaliser à quel point la seconde représente une rupture importante avec la manière moderne de concevoir les rapports de l’homme au monde. Et cela est d’autant plus important que l’écologie profonde monte actuellement en puissance dans notre monde occidental, notamment par le biais d’un lobbying très efficace auprès des organismes internationaux. C’est pourquoi le Franc-Maçon doit considérer ce mouvement écologique profond sous trois angles différents : philosophique, théologique et politique.

D’un point de vue philosophique, l’écologie profonde est une forme classique de monisme. Le monisme « se dit de tout système philosophique qui considère l’ensemble des choses comme réductible à l’unité ». Dans le cas présent, l’unité réside dans le monde. Tous les éléments de ce dernier, les hommes, les animaux, les végétaux et les minéraux n’ont pas de valeur en eux-mêmes. Ils n’en ont que dans la mesure où ils appartiennent à l’unité fondamentale, au cosmos.

Un exemple très parlant permettra de comprendre cette position philosophique. A plusieurs reprises, les théoriciens de l’écologie profonde fustigent ce qu’ils nomment le « spécisme ». Ce mot est construit selon la logique qui a donné des mots comme « racisme  » ou « sexisme » et traduirait un préjugé ou une attitude de parti pris en faveur des intérêts des membres de sa propre espèce. L’argumentation contre le racisme ou le sexisme est récupérée et appliquée sans autres à la défense des différentes espèces qui composent notre monde contre toute forme d’exploitation par l’homme. Voici comment se présente l’argumentation des écologistes profonds américains :

« Après l’émancipation des Noirs, des femmes, des enfants et des bêtes, serait venu le temps des arbres et des pierres. La relation non anthropocentrique à la nature trouverait ainsi sa place dans le mouvement général de la libération permanente qui caractériserait 1 ’histoire des Etats-Unis. »

Cette argumentation rend manifeste le fait que dans le système de l’écologie profonde, il n’y ait plus de différences fondamentales entre les règnes de la nature (minéral, végétal, animal, voire humain). Seul le cosmos, le monde pris comme un tout indistinct, compte.

D’un point de vue théologique, le monisme de l’écologie profonde débouche tout naturellement sur une forme de culte à laquelle l’esprit humain est très enclin, le panthéisme. Le panthéisme est la « doctrine d’après laquelle tout est Dieu, Dieu et le monde ne font qu’un  ». On est souvent frappé par la fréquence avec laquelle des expressions religieuses –« valeurs sacro-saintes », « sainteté de la vie », etc. ­reviennent sous la plume des écologistes profonds dès lors qu’il s’agit d’évoquer le vivant en général. On doit bien convenir que le fait s’explique assez par le caractère holistique de cette pensée. Voulant dépasser les limites de l’humanisme, elle en vient à considérer la biosphère comme une entité quasi divine, infiniment plus élevée que toute réalité individuelle, humaine ou non humaine. A la fois extérieure aux hommes et supérieure à eux, elle peut à la limite être regardée comme leur véritable principe créateur -par où l’on retrouve l’une des figures classiques de la divinité. Cette analyse de la situation rend en outre manifeste le fait que l’homme, créature religieuse, ne puisse s’abstenir de toute forme d’adoration.

Il est intéressant de relever à ce stade que le monisme et le panthéisme véhiculés par l’écologie profonde rencontrent de très sûrs alliés dans la mouvance du Nouvel âge. Cette nébuleuse spirituelle draine en effet de nombreuses idées similaires et tout cela finit par former des alliances intellectuelles et militantes très puissantes, qui sont tout entières orientées contre une conception maçonnique ou chrétienne de la réalité.

Le troisième angle à partir duquel il convient d’analyser l’écologie profonde est celui de la politique, puisque comme toujours, les réflexions philosophiques et théologiques ne manquent pas d’avoir des conséquences sur la vie publique. Il convient ici de revenir sur la distinction présentée précédemment entre écologie superficielle et écologie profonde. En matière de politique, la première a des objectifs réformistes : il ne s’agit pas de renverser les fondements des sociétés modernes mais de conduire un certain nombre de réformes qui permettent de concilier les exigences de l’économie et de l’industrie avec les contraintes écologiques.

Par contre, l’écologie profonde a des visées politiques révolutionnaires. L’écologie profonde, à la différence de l’environnementalisme de type réformiste [i.e. l’écologie superficielle], n’est pas simplement un mouvement social pragmatique, orienté vers le court terme, avec pour but de stopper l’énergie nucléaire ou de purifier les cours d’eau. Son objectif premier est de remettre en question les modèles de pensée conventionnels dans l’Occident moderne et d’y proposer une alternative. Le message est clair : les perspectives philosophiques et théologiques de l’écologie profonde doivent déboucher sur une remise en question fondamentale de la culture occidentale. Au niveau politique, la démocratie libérale qui caractérise plusieurs pays occidentaux risque de faire les frais de l’avènement de la pensée écologique profonde. Selon Greenpeace, par exemple, les systèmes de valeurs humanistes doivent être remplacés par des valeurs suprahumanistes qui placent toute vie végétale et animale dans la sphère de prise en considération légale et morale. Et, à la longue, que cela plaise ou non à tel ou tel, il faudra bien recourir le cas échéant à la force pour lutter contre ceux qui continuent à détériorer l’environnement.

D’autres encore vont jusqu’à rêver d’un « gouvernement mondial » qui puisse oppresser les populations afin de réduire toutes les pollutions et changer les désirs comme les comportements par des manipulations psychologiques. Le caractère révolutionnaire de l’écologie profonde est ainsi facilement perceptible. Alors que dans la pensée marxiste, l’avènement d’une société sans classe ne peut avoir lieu qu’après un temps pendant lequel le prolétariat aura exercé sa dictature (en vue d’anéantir toutes les structures de la société bourgeoise), la pensée écologique profonde préconise une forme de dictature verte exercée par divers organismes internationaux en vue de briser les modes de vie actuels.

A ce stade, le désir est grand de penser qu’il ne s’agit là que de phénomènes périphériques, exagérément amplifiés par des philosophes en mal d’audience. Si un tel désir devait se manifester, la lecture de L’Empire écologique de Pascal Bernardin s’impose. L’auteur présente en effet une quantité impressionnante (parfois même jusqu’à la nausée) de documents émanant de multiples organismes internationaux qui vont tous dans le sens des extraits mentionnés ci-dessus. Sans forcément adhérer à toutes les thèses de l’auteur, il est difficile de ne pas être saisi par la présentation d’un aussi grand nombre de sources qui convergent et donnent à penser que l’écologie profonde est d’ores et déjà bien implantée dans les hautes sphères de divers organismes internationaux et que ses programmes coercitifs sont bien engagés.

L’écologie profonde forme donc un système de pensée philosophique et religieux cohérent qui débouche sur une action politique parfaitement définie et en pleine expansion. Avant de passer à une critique maçonnique et chrétienne de ce mouvement, il convient de présenter une vision qui puisse faire face aux grands courants de pensée actuels pour mettre en évidence leurs forces et leurs faiblesses. Ce n’est qu’au prix d’un tel détour qu’on pourra développer une réflexion maçonnique chrétienne cohérente et apte à faire face aux réalités actuelles. Il sera alors possible de voir qu’une réponse fondée sur les présupposés de la philosophie moderne est incapable de s’opposer efficacement à l’écologie profonde. Cela mettra en lumière les faiblesses d’une pensée occidentale qui a voulu se développer hors de toute révélation initiatique ou chrétienne.

II Retour à l’humanisme ?

L’écologie profonde développe un arsenal dirigé contre la Modernité philosophique. L’héritage philosophique de René Descartes et d’Emmanuel Kant est assailli par ce mouvement. Pour comprendre les enjeux de ce débat, il est important de revenir brièvement sur certains éléments de la pensée de Descartes et de Kant.

Deux aspects importants de la pensée de Descartes sont son dualisme et son anthropocentrisme. Sans développer la question de l’anthropocentrisme, rappelons que le dualisme s’oppose au monisme et peut être défini comme «  la doctrine qui admet deux principes premiers irréductibles des choses  ». Chez Descartes, les deux principes premiers sont l’étendue et la pensée. La notion d’étendue définit tout ce qui touche à la réalité des corps, au monde matériel. La notion de pensée définit tout ce qui ne relève pas de la réalité matérielle mais des choses spirituelles (l’esprit, l’âme, la raison). Le domaine de l’étendue est tout entier régi par un déterminisme de type mécaniste. Ce domaine est clos, fermé sur lui-même et peut être décrit exhaustivement par les lois de la physique, de la chimie et de la biologie. Le domaine de la pensée se caractérise quant à lui par la liberté ; contrairement à l’étendue, il n’y a ici nulle place pour le déterminisme.

Nous nous trouvons donc face à un dualisme étendue / pensée, monde physique / monde spirituel, déterminisme / liberté. Les minéraux, les végétaux et les animaux n’appartiennent qu’au premier domaine. L’homme, composé d’un corps et d’une âme, appartient aux deux, les anges et Dieu ne relèvent que du second domaine.

Kant, et avec lui de nombreux penseurs du XVIIIème siècle vont réaménager ce dualisme cartésien en développant plutôt les notions de nature et de liberté. Ce qui relève de la nature ne possède aucune liberté ; ce qui relève de la liberté n’est en rien conditionné par la nature.

Cette pensée quelque peu abstraite va prendre forme sous la plume de Jean-Jacques Rousseau, qui incarne à merveille l’esprit de son temps.

« Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir jusqu’à un certain point de tout ce qui tend à la détruire ou à la déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine ; avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes en qualité d’agent libre. L’une choisit ou rejette par instinct, et l’autre par un acte de liberté : ce qui fait que la bête ne peut s’écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire, et que l’homme s’en écarte souvent à son préjudice. »

La liberté est ainsi conçue comme étant ce qui dépasse toute forme de conceptualisation ou de définition. L’homme est le seul être libre. Aucun autre être ne possède cette possibilité de s’arracher à sa naturalité, à son instinct pour accéder au monde de la liberté. Pour désigner ce qui vient d’être présenté, la philosophie moderne a parlé de la « transcendance » de l’homme. Il faut comprendre par là le fait que l’essence de l’homme ne peut jamais véritablement être saisie, qu’elle est au-delà de toute expérience possible. En effet, l’homme étant libre, il peut toujours échapper aux multiples déterminations en exerçant sa volonté.

Aux yeux de cette philosophie, les écologistes profonds commettent une grave erreur en oubliant le caractère transcendant de l’homme. L’homme seul est véritablement libre, ce qui lui confère une place à part dans la nature. Or, le monisme de ces derniers leur interdit d’envisager la dualité nature / liberté et les pousse à tout placer sur le même plan.

L’absence d’esprit de distinction qui caractérise les écologistes profonds contient en puissance d’effrayantes déviations. Ainsi, une possible dérive totalitaire, où l’être humain, réduit à sa dimension purement naturelle, serait tout entier, subordonné à l’équilibre supérieur de la nature. Des questions comme celles de l’euthanasie ou du contrôle mondial de la population pourraient prendre dans ce contexte un sens dramatique, puisque l’homme, privé de son caractère transcendant, n’aurait plus cette dignité particulière qui lui assurerait un droit à l’existence supérieur à celui des végétaux ou des animaux. Son existence pourrait alors être soumise au bien ultime que représente l’équilibre de la biosphère.

On peut évoquer à ce propos les lois écologiques, hygiénistes ou eugéniques promues par le régime nazi dans les années 30. Il est frappant de constater que des thèses écologiques proches de celles promues par l’écologie profonde côtoient dans un même système de pensée, un mépris de la vie et de la dignité humaines sur lequel il est inutile de revenir. Les penseurs nazis aussi, après avoir privé l’homme de tout caractère transcendant se sont sentis libres d’agir sur lui comme bon leur semblait pour atteindre un idéal supérieur.

Dans les deux cas, le passage du dualisme nature / liberté à un système de pensée moniste se fait au détriment de la liberté. Tout est réduit à la dimension naturelle. L’homme perd ce qui le différencie fondamentalement du reste de la nature et devient alors l’auteur et la proie des pires exactions.

La critique philosophique humaniste et maçonnique refuse la vision moniste de la réalité et tente de rendre à l’homme la place spécifique qui lui revient non sans se heurter cependant à un obstacle. La tradition philosophique dont nous sommes les héritiers est sans doute à l’origine de bien des problèmes écologiques de notre temps. Le dualisme cartésien a en effet permis le développement d’un mépris de la nature, considérée comme un vulgaire automate.

Pas plus à l’aise avec ce pan de notre héritage philosophique qu’avec l’écologie profonde, nous pouvons tenter de développer « une théorie des devoirs envers la nature ». Voilà ce qu’elle pourrait dire :

« Au sens où la nature serait le sujet et le partenaire d’un contrat naturel, des êtres mixtes, synthèses de matière brute et d’idées cultivées, participeraient autant de la naturalité que de l’humanité. Il faudrait ainsi faire une phénoménologie des signes de l’humain dans la nature pour accéder à la conscience claire de ce qui, en elle, peut et doit être valorisé. »

Sans entrer dans le détail de ce projet, relevons simplement qu’il tend à réaménager la place pour une forme nouvelle d’anthropocentrisme.

III Dieu, l’homme et le monde

Après avoir abordé la question de l’écologie profonde et étudié les critiques émises à ce sujet, engageons-nous à présent dans une réflexion plus spécifiquement maçonnique et chrétienne au sujet de l’écologie. Celle-ci se fera principalement en deux temps : le premier consistera à présenter dans les grandes lignes une conception biblique de l’écologie. Dans un deuxième temps, il faudra revenir sur les positions de l’écologie profonde pour les confronter au modèle biblique.

Pour développer une conception maçonnique chrétienne de l’écologie, il s’agit avant tout de saisir avec précision la manière dont la Bible articule le triangle des rapports entre Dieu, l’homme et le monde.

III. Les trois branches du triangle

1 La première branche de ce triangle à aborder est celle entre Dieu et le monde, sa création. « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ». Il est possible, à partir de ce verset initial de la Bible, de dégager quelques éléments importants :

 avant que le monde soit créé, Dieu est. Dieu seul est éternel et tout ce que contient le monde, les choses terrestres et les choses célestes ont un commencement. Le texte de la Génèse réfute donc l’idée assez répandue de nos jours selon laquelle l’énergie ou la matière sont éternelles. La création divine est une création ex nihilo (à partir de rien).

 Dieu et le monde sont radicalement séparés. Le monde n’est pas un prolongement, une émanation (au sens ontologique, qui relève de l’être) du principe divin. En théologie, on parle de la transcendance de Dieu.

 Le monde créé reflète cependant le caractère de Dieu. Tout comme une oeuvre d’art, sans être une émanation de l’artiste qui l’a produite, ne rend pas moins compte du caractère profond de ce dernier, ainsi la réalité créée manifeste la gloire du créateur : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l’étendue céleste annonce l’œuvre de ses mains ».

III. 2 La deuxième branche du triangle qu’il convient d’aborder est celle entre Dieu et l’homme. Voici un extrait du texte de la Genèse qui éclaire cette question :

Dieu dit : faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, pour qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. Dieu créa l’homme à son image : il le créa à l’image de Dieu, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui rampe sur la terre. »

Le Maçon, à cette citation biblique, ne peut manquer de se remémorer la première maxime qui lui fut offerte, lors de son initiation : «  L’homme est l’image immortelle de Dieu ; mais qui pourra la reconnaître, s’il la défigure lui-même ?  »

Ce passage biblique et cette citation du rituel initiatique maçonnique permettent de dégager les éléments suivants :

 Tout comme le reste du monde, l’homme est créé par Dieu. Il y a donc une certaine connivence entre l’homme et le reste du monde créé. L’être humain n’est pas un extraterrestre implanté artificiellement dans une réalité sans rapport avec sa nature.

 Une différence importante est cependant perceptible, puisque seul l’homme est créé à l’image de Dieu. Sans entrer dans le détail, il est possible d’avancer que l’homme est à l’image de Dieu dans la mesure où, tout comme son créateur, il est un être personnel (de par son intelligence et le fait qu’il ait une âme) et moral (car capable de bien ou de mal). La nature est un reflet de la gloire de son créateur mais il n’est jamais dit d’elle a été faite à l’image de Dieu : cette différence est essentielle.

 Dieu confie à l’homme un mandat particulier : celui de dominer et de gérer la création. L’homme est ainsi établi gérant du monde dans lequel il est placé ; gérant et non propriétaire, car la terre appartient à Dieu.

III. 3 La dernière branche du triangle qu’il convient d’aborder, celle qui ferme ce triangle et le rectifie est celle entre 1’homme et le monde. Sans revenir sur ce qui vient d’être dit, on peut caractériser cette articulation par les termes de proximité et de distance. Proximité, car l’homme fait partie intégrante de la création et est donc profondément enraciné dans la nature. Distance, car il n’en est pas un élément comme les autres. Créé à l’image de Dieu, il possède une dignité supérieure. Mandaté pour gérer la création, il dispose d’un pouvoir d’action et d’une autorité légitimes sur cette dernière.

On peut dresser la synthèse du triangle des trois rapports qui sous-tendent la conception maçonnique chrétienne de l’écologie. Ce triangle n’est ni anthropocentrique, ni cosmocentrique :

Le monde est création de Dieu et non de 1’homme à qui il n’appartient pas. La création n’est pas sous la seigneurie de l’homme, mais sous celle de Dieu. L’homme agit seulement en maître dans une création qui reste propriété de Dieu et qu’il a reçue en prêt, pour la régir selon les normes de la justice divine et non celles qu’il forge dans son désir de puissance. L’homme avec son pouvoir n’est pas au centre de tout. Certes, il occupe, dans la création, une place centrale, mais il n’en est pas « le couronnement ».

Il est important, suite à ce qui vient d’être avancé, de relever à quel point la critique qui consiste à voir dans le développement de la conception maçonnique et de la foi chrétienne les causes de l’exploitation outrancière de la nature par l’homme est inepte. On retrouve régulièrement ce point de vue dans les ouvrages des écologistes profonds, des tenants du Nouvel âge et de philosophes proches de Martin Heidegger. La cause principale des excès dans l’exploitation de la nature -car excès il y a- relève beaucoup plus certainement du dualisme cartésien qui est le fondement philosophique de la science mécaniste moderne et de la technique qui en découle.

Par cette remarque, nous entrons dans la deuxième moitié de cette dernière partie. La vision maçonnique et chrétienne de l’écologie étant présentée, il convient à présent de la confronter aux thèses de l’écologie profonde.

Nous avons vu comment l’écologie profonde se caractérise du point de vue philosophique par un monisme et du point de vue théologique par un panthéisme. La critique de ce mouvement passera donc par une critique de ces deux positions. La dimension politique du projet, et sa critique seront abordées dans un deuxième temps.

Une réfutation maçonnique ou chrétienne du monisme passe par une réflexion sur le rapport entre Dieu et le monde, et plus particulièrement sur la manière dont le monde reflète l’être de Dieu. Avant d’entrer dans le vif du sujet, précisons que le développement qui suit repose sur une série de postulats théologiques qu’il est impossible de développer brièvement.

Pour bien comprendre le rapport entre Dieu et le monde, il est nécessaire de revenir sur la question de l’être de Dieu et plus particulièrement sur le fait que Dieu est un être trinitaire. Voici un extrait de la confession de l’Église chrétienne à ce sujet. Il s’agit ici du Symbole d’Athanase : « Voici quelle est la foi catholique : vénérer un seul Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l’unité, sans confondre les personnes et sans diviser la substance  ». Ce court passage permet d’établir le fait que l’unité et la pluralité sont également ultimes en Dieu. L’unité de Dieu, le fait qu’il soit un ne passe pas avant sa pluralité. Le fait qu’il soit composé de trois personnes distinctes -et l’inverse est également faux. Ainsi, l’un et le multiple sont également constitutifs de l’être de Dieu.

Si l’on part du fait que la création est distincte du Créateur mais qu’elle n’en reflète pas moins le caractère, la question de l’unité et de la pluralité de Dieu va avoir des conséquences directes sur notre manière de comprendre le cosmos. Ainsi va-t-il être possible d’établir que l’un et le multiple sont également constitutifs de la réalité créée. Le monde n’est pas plus un tout totalement indivisible qu’un éclatement de réalités irréductibles les unes aux autres. Le symbole d’Athanase affirme ne pas devoir confondre les personnes et diviser la substance de Dieu ; par analogie, il est possible d’appliquer une telle formule au monde. Il s’agit ainsi de discerner la pluralité des ordres de la création sans pour autant oublier que nous vivons dans une réalité qui est une (un univers).

Ce constat contredit directement le monisme des écologistes profonds. En affirmant pouvoir réduire l’ensemble des choses à l’unité, les monistes font de l’un le principe ultime de la réalité. Ce faisant, ils négligent le caractère également constitutif du multiple. Une telle position philosophique les prive des catégories de pensée qui leur permettraient d’envisager des différences fondamentales au sein du cosmos. Ils tombent ainsi dans un profond déséquilibre intellectuel qui les empêche de relever la place spécifique qu’occupe l’homme dans le monde, réalité pourtant évidente pour quiconque se donne la peine d’observer les choses.

Quant au panthéisme des écologistes profonds, celui-ci est dû à une combinaison d’au moins deux facteurs. Le premier réside dans leur monisme : en ne voyant que l’unité fondamentale du monde, la tentation est grande d’absolutiser ce dernier et de le diviniser. Le cosmos devient ainsi un grand Tout, qui donne la vie et l’enlève aux différents éléments qui le composent.

Le deuxième facteur qui contribue au développement du panthéisme est la négligence du caractère transcendant de Dieu : Dieu est radicalement séparé de sa création et cette séparation interdit toute forme de divinisation d’une réalité créée, telle qu’on la trouvait dans le culte de la fertilité des Cananéens. Ce fait est à la base du culte institué par Dieu dans l’Ancien Testament et est repris par le Christ dans les écrits du Nouveau Testament.

La confusion des esprits engendrée par le monisme dans la réflexion relative à la réalité créée s’étend ainsi au domaine spirituel par le biais du panthéisme. Les écologistes profonds ne se contentent pas de confondre les multiples ordres de la réalité créée ; ils escamotent également la séparation entre le Créateur et sa création en faisant de ces deux pôles un tout indistinct.

Pour ce qui est de l’aspect politique du projet des écologistes profonds, il convient ici d’y apporter un complément critique. En réduisant l’ensemble de la réalité (Dieu compris) à un tout indivisible, ces écologistes préparent le terrain à l’émergence d’un pouvoir centralisé et unifié : une réalité indifférenciée appelle en effet un gouvernement absolu. Au début de notre ère, la foi chrétienne a rendu possible l’émergence de libertés fondamentales en distinguant les domaines temporel et spirituel (ce qui interdisait au pouvoir politique de s’auto diviniser et de gérer l’ensemble des sphères de l’activité humaine et au pouvoir spirituel d’imposer la foi par la force). Cet héritage risque de disparaître sous les coups répétés du monisme et du panthéisme des écologistes profonds et des tenants d’une spiritualité Nouvel âge.

Enfin, d’une manière générale, on se gardera de passer sous silence un aspect très important du problème : les enjeux spirituels liés à ce type de pensée. Nous avons vu comment on peut relever la dimension religieuse de cette mouvance écologiste. A ce propos, il faut rappeler que la Bible, par exemple par le biais de l’apôtre Paul, condamne le panthéisme, comme toute autre forme d’idolâtrie :

« La colère de Dieu se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent injustement la vérité captive, car ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, car Dieu le leur a manifesté. En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient fort bien depuis la création du monde, quand on le considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables, puisque, ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans de vains raisonnements, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. Se vantant d’être sages, ils sont devenus fous ; et ils ont remplacé la gloire du Dieu incorruptible par des images représentant l’homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles.

C’est pourquoi Dieu les a livrés à l’impureté, selon les convoitises de leurs cœurs, en sorte qu’ils déshonorent eux-mêmes leurs propres corps ; eux qui ont remplacé la vérité de Dieu par le mensonge et qui ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur, qui est béni éternellement » (Ro. I. 18-25).

L’homme est par nature un être religieux, et s’il n’adore pas le seul vrai Dieu, son adoration sera orientée vers d’autres dieux. L’écologie profonde, de par sa dimension panthéiste, permet d’assouvir l’aspiration religieuse de beaucoup ; mais malheureusement, cette adoration est mal orientée et débouche sur une idolâtrie. Or la Bible enseigne qu’il n’y a pas de paix spirituelle possible entre la vraie foi et les différentes formes d’idolâtrie. La manifestation de cet état de guerre déclenché par le panthéisme de l’écologie profonde est facile à percevoir et peut pousser à un certain pessimisme quant à l’issue du combat.

L’écologie profonde vise à provoquer un changement de paradigme (identique à celui prôné par le Nouvel âge), une modification de la conception de Dieu, de l’homme et du monde d’infinies conséquences. Ainsi s’effondre la conception chrétienne de l’homme, créé par Dieu et placé au centre de la Terre, remplacée par la perspective holistique qui veut que nous ne soyons que le produit -malfaisant - de l’évolution, le sommet de la chaîne évolutionniste. Dans cette perspective, seule la totalité importe, seul l’univers doit être considéré. La Création est alors sacralisée, sans référence au Créateur. L’écologie, le respect de la Création, oeuvre de Dieu, est subvertie et véhicule une conception païenne et révolutionnaire de la Nature (Pascal Bernardin).

La manière dont on envisage l’écologie n’est donc pas spirituellement neutre.

Suite à ces compléments apportés aux critiques qu’émet à l’égard de l’écologie profonde, il convient d’analyser la position de ce philosophe à la lumière d’une vision maçonnique et chrétienne du monde. Malgré tout l’intérêt porté aux développements de Ferry, il est nécessaire de relever deux grands problèmes posés par sa pensée : l’anthropocentrisme et le dualisme. Ce sont là deux questions importantes, car ce sont les armes avec lesquelles la Modernité philosophique s’est développée. Les critiques qui vont être émises ont donc une portée générale et dépassent le cadre de l’écologie.

L’argumentation de Luc Ferry contre les écologistes profonds est, comme vu précédemment, sous-tendue par une vision anthropocentrique de la réalité. C’est du moins ce qui ressort de ce qu’il propose dans son programme écologique : « Il faudrait ainsi faire une phénoménologie des signes de l’humain dans la nature pour accéder à la conscience claire de ce qui, en elle, peut et doit être valorisé  ». Ce système est anthropocentrique dans la mesure où c’est 1 ’homme qui détermine ce qui peut et doit être valorisé dans la nature. Sa pensée est donc normative et qualifie le réel.

Une telle vision des choses s’oppose à la vision biblique de la réalité qui est théocentrique. Le pouvoir de ‘normer’ la réalité, d’en valoriser certains aspects, de distinguer le bien du mal n’appartient qu’à Dieu ; toute tentative de renverser cet ordre équivaut à une révolte contre l’autorité et la souveraineté de l’Éternel. Ce fait ressort des premiers chapitres du livre de la Genèse : « L’Éternel Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder. L’Éternel Dieu donna ce commandement à l’homme : Tu pourras manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras  ».

Des exégètes ont montré que la connaissance du bien et du mal dont il est question ici est avant tout un symbole de l’autorité et de la souveraineté divines. En promulguant cet interdit, Dieu manifeste sa souveraineté intangible sur l’ensemble de sa création. Bien qu’investi de grandes responsabilités, l’homme n’est pas le roi de la création et doit exercer son mandat dans la soumission à son créateur. Dieu seul possède un pouvoir de détermination du réel et l’homme, s’il veut vivre heureux, doit évoluer à l’intérieur du cadre donné par son Créateur. Le refus de ce cadre, manifesté par la consommation du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, entraînera un jugement immédiat de Dieu. Ainsi en va-t-il de toute tentative de définition anthropocentrique de la réalité.

La deuxième réserve à émettre à l’égard de la pensée de Ferry - en plus de son caractère anthropocentrique- est qu’elle substitue au monisme des écologistes profonds un dualisme qui est, à nos yeux, également erroné. Les deux termes du dualisme sont, rappelons-le, nature et liberté, la nature étant le domaine d’une détermination mécanique totale alors que la liberté est comprise comme un absolu, une réalité échappant à toute forme de conceptualisation ou de détermination. Les deux termes sont symétriquement opposés et représentent les deux pôles de cette pensée.

Le dualisme ne se caractérise cependant pas seulement par son caractère bipolaire, mais surtout par son incapacité à penser les rapports entre ses deux pôles autrement que sur un mode conflictuel. Ainsi, pour reprendre le sujet qui nous occupe, toute forme de détermination ne peut qu’être une restriction de liberté et inversement, la liberté ne peut-être qu’absence -ou dépassement -de détermination. L’idée que certaines déterminations peuvent constituer un cadre dans lequel la liberté s’épanouit -qui est une pensée tendant à une harmonisation et non à une mise en conflit des deux éléments -est inconcevable pour un dualiste. Et s’il pouvait simplement concevoir un tel rapport non conflictuel entre nature et liberté, il serait déjà partiellement infidèle à son dualisme.

Le problème engendré par ce type de pensée est double, puisqu’il ne permet ni de rendre compte du résultat d’une simple observation de la réalité, ni de comprendre la conception biblique de la liberté. Il est en effet évident, pour quiconque se donne la peine d’observer le monde, que la liberté -telle que définie par Rousseau -est une fiction philosophique. La liberté absolue n’existe pas et l’homme ne peut jamais échapper complètement à ses déterminations, d’une part naturelles (cosmiques, physiologiques, écologiques) et de l’autre sociales (éducation, conditions professionnelles, politiques, etc).

De plus, le dualisme nature / liberté s’oppose à la définition biblique de la liberté, pour laquelle il n’est jamais question de choix absolu mais plutôt de capacité d’adhérer à ce qui est juste et de pratiquer le bien. Or, comme la notion de bien est elle-même déterminée par la loi de Dieu, il est à relever que la liberté ne peut s’épanouir que dans un cadre donné (la révélation générale et particulière de Dieu).

Conclusion

A prendre un peu de recul, on constate que le cosmocentrisme de l’écologie et l’anthropocentrisme moderne, sont deux erreurs symétriques : tous deux n’accordent pas la place centrale au Dieu créateur. Mais alors que la seconde semble avoir ses beaux jours derrière elle, la première monte en puissance. Elle présente donc un danger réel auquel il faut faire face.

Le problème est que le monde moderne avec son héritage intellectuel semble incapable de le faire. En effet, une bonne partie des maux écologiques à l‘origine de la réaction radicale des écologistes profonds provient des erreurs philosophiques de la Modernité.

L’anthropocentrisme a donné l’illusion à l’homme qu’il était Dieu et l’a poussé à se comporter comme tel -avec la sagesse en moins -. Le résultat scientifique et technologique ne s’est pas fait attendre. Une conception esclavagiste de la nature, ainsi qu’une volonté démiurgique d’en exploiter toutes les ressources ont vu le jour. Le dualisme moderne a également contribué à ne faire du monde qu’une grande machine, corvéable à merci et continuellement disponible.

L’écologie profonde, malgré son caractère fondamentalement antimaçonnique, anti-chrétien et dangereux, est une réaction compréhensible face aux déséquilibres engendrés par la pensée moderne. Et ce n’est pas en réaffirmant les principes erronés de cette même pensée qu’on contrera efficacement ce mouvement écologiste.

La Modernité philosophique s’est construite en opposition plus ou moins explicite avec une vision chrétienne et aussi maçonnique de la réalité et elle a eu tort. Elle a ouvert la porte à de graves déséquilibres dans lesquels les sociétés occidentales se sont engouffrées. Elle a également préparé ce retour du balancier qu’est l’écologie profonde.

Une réaffirmation de la vision maçonnique chrétienne de Dieu, de l’homme et du monde est, à nos yeux, nécessaire pour retrouver un équilibre intellectuel, politique et social. Ce programme n’est pas à comprendre comme une volonté d’atteindre à nouveau un Âge d’or lointain. Il s’agit plutôt de repenser maçonniquement et chrétiennement les fondements intellectuels de notre monde pour ensuite orienter notre action dans la réalité d’aujourd’hui. Pour le Franc-maçon chrétien, cette démarche est triplement nécessaire, puisqu’elle relève :

I Premièrement du mandat ‘créationnel’ pris dans un sens large (cultiver et garder la terre)

II Deuxièmement du mandat évangélique (faire de toutes les nations des disciples)

III Et troisièmement de la première maxime offerte à la méditation du nouveau Franc-Maçon, lors de son initiation : « L’homme est l’image immortelle de Dieu ; mais qui pourra la reconnaître, s’il la défigure lui-même ?  »

H\ B\

Notes
1 Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique, Paris, Grasset, 1992, 222p.
2 « Anthropocentrique » in André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, P.U.F., 1926.
3 « Monisme » in ibid.
4 « Panthéisme » in ibid.
5 Ce que Ferry ne dit pas, c’est que les démocraties sociales (comme par exemple la France) auront moins de peine à s’adapter aux mesures préconisées par l’écologie profonde. En effet, l’idée que l’État peut légitimement intervenir dans toutes les sphères de la vie sociale est déjà acquise dans le cadre d’une démocratie sociale.
6 Pascal Bernardin, L’Empire écologique (ou la subversion de l’écologie par le mondialisme), Drap, Notre-Dame des Grâces, 1998, 592p. Cet ouvrage a été recensé par Jean-Marc Fellay aux pages 62-63 du numéro 45-46 de Résister et Construire.
7 Cette notion, à laquelle il est fait appel à plusieurs reprises, désigne approximativement la période allant du XVIIe siècle à la Deuxième guerre mondiale.
8 Il va de soi que le cadre de cette présentation ne permet pas de développer ces deux sujets qui, à eux seuls, pourraient faire l’objet d’une contribution ultérieure. Contentons nous donc de ne donner que les grandes lignes de pensée. Relevons que Francis Schaeffer a esquissé quelques éléments de réflexion à ce sujet dans son ouvrage Démission de la raison, Genève, La Maison de la Bible, 1971.
9 Cette question mènerait décidément beaucoup trop loin. En deux mots, disons simplement que l’anthropocentrisme de Descartes réside principalement dans le fait qu’il fait du « je pense donc je suis » (et non ce que pense et ordonne Dieu) le fondement inébranlable de toute connaissance.
10 « Dualisme » in André Lalande, op. cit.
11 On pourrait analyser les oeuvres de Sade à la lumière de cette problématique. On parviendrait au même résultat.
12 J. Douma, Bible et écologie, Aix-en-Provence, Kerygma, 1991, p. 20.
13 Voici un exemple de ce type de discours, tiré de l’excellent livre de Douglas Groothuis, Le Nouvel âge sans masque, Genève, La Maison de la Bible, 1991 : « Les critiques de Rozsak, de Capra et d’autres ont convaincu bien des esprits de la responsabilité du christianisme par rapport à la crise écologique actuelle. Ils pensent qu’un Dieu distinct et séparé de la nature ne peut guère préserver le caractère sacré de celle-ci. Seule l’unité de toutes choses -dieu, homme et nature -assurera une vision globale et équilibrée de l’environnement naturel. La mentalité moderne -chrétienne et non-chrétienne -qui traite les choses de la nature uniquement sur un plan objectif et démystifié [sic], doit être écartée, de crainte d’être précipités dans une catastrophe écologique insoluble. Ici, la Mère Terre remplace le Dieu Père (p. 60). »
14 À ce propos, la lecture de Rousas John Rushdoony, The One and the Many, Fairfax, Thoburn Press, 1978, est particulièrement intéressante.
15 Prologue du Symbole d’Athanase in Confession de la Rochelle, Aix-en-Provence, Kerygma, 1988, p. 72. L’usage qui est fait ici du terme « catholique » est à prendre dans le sens défini par Pierre Courthial dans Le jour des petits recommencements. Lausanne. L’Age d’homme, 1996, p.133. Écologie et Franc-maçonnerie
16 Op.cit., pp.10-11.
17 Voir notamment Cornelius Van der Waal, The Covenantal Gospel, AI Publications, 1990, pp. 48 à 52.
18 Il est par ailleurs intéressant de constater que dans l’Ancien Testament la valorisation de divers éléments dans la nature n’est pas laissée à l’homme, mais est prise en charge par Dieu 1ui-même. Ainsi, certains végétaux (1’01ivier, le figuier, la vigne, etc.) et certains animaux (l’agneau, le bœuf, etc.) sont valorisés alors que d’autres sont des marques de la création déchue (les ronces, les orties, etc., ainsi que les animaux impurs ou charognards). Bien que dénuée de valeur taxonomique exhaustive, la Bible dégage ainsi des principes pouvant redonner une dimension théocentrique à la réflexion.

19 Question philosophique relativement compliquée. Ceux qui désireraient approfondir ce domaine, se référeront avec profit à deux ouvrages de MuraIt, L’enjeu de la philosophie médiévale, Leiden, Brill, 1999 I, nécessite de solides bases philosophiques ; le second, Jean-Marc Berthoud, « Les différentes formes de causalité et la pensée de la Bible » in L’école et la famille contre l’utopie, Lausanne, l’Age d’homme, 1997, est probablement plus directement accessible.
20 Il conviendrait à ce stade, pour revenir à la thématique introductive de la révolution industrielle, d’aborder la question des fondements philosophiques de cette dernière et de montrer qu’elle repose également sur le dualisme cartésien…

L’article complet avec les notes est à lire à la source : https://www.ledifice.net/7035-D.html

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26.
Défense pour un environnement éthique et spirituel - Par le R∴ F∴ J.-M. M. - Octobre 2017 – Document ‘freimaurerei.ch’ (Franc-maçonnerie suisse)

Introduction à la ‘World Conference’, à Madagascar. Les valeurs fondamentales de notre monde sont journellement attaquées par l’intolérance, les vertus bafouées et rejetées. Quel message la Franc-maçonnerie doit-elle faire passer à ses membres et aux générations futures ? Les problèmes de la société s’appellent environnement, emploi, responsabilité. Une autre approche de la Franc-maçonnerie pourrait pallier la désaffection des jeunes qui veulent y répondre.

L’homme porte en lui l’énigme du monde. C’est lui qu’il faut connaître pour comprendre l’univers et c’est pourquoi toute connaissance du monde commence par la connaissance de soi. Nicolas Berdiaev, philosophe orthodoxe russe, écrivait déjà en 1916 que l’homme se présente comme le centre absolu du cosmos. Toute véritable démarche conduisant à la connaissance de soi exige donc de s’assumer, de prendre la responsabilité de soi-même, de sa vie et de son destin. Penser qu’une telle démarche est aisée serait une illusion, en raison même de la rigueur qu’elle impose constamment. Le sens métaphysique de la Terre ne peut être découvert par la science. Seules la philosophie anthropologique et la mystique sont capables d’y apporter une réponse.

Alors, la Franc-maçonnerie peut-elle jouer un rôle essentiel dans ce domaine de réflexion ? Fille des Lumières, elle a incontestablement assis ses idéaux dans les sociétés démocratiques actuelles. Ces idéaux ont, pour la plupart, été repris depuis par des mouvements idéologiques et sociétaux dont ils sont venus compléter les actions.
En ce sens, on rejoint les réflexions de l’Association écologie économie pour un développement durable qui pose la question de savoir comment passer d’une société qui répond aux seuls besoins solvables à celle qui réfléchit à la manière dont 7 ou 8 milliards d’êtres humains peuvent vivre ensemble.

La défense d’une écologie participative non dogmatique est une des préoccupations morales de ceux qui se consacrent à la défense de l’environnement ; sans oublier qu’aborder l’écologie d’une manière sèche, théorique, technique et abrupte était la manière la plus inadéquate d’en faire connaître l’apport positif.

L’écologie fait appel à diverses branches du savoir : une science de la nature et de l’homme. Elle relie toutes les composantes de l’environnement et le fonctionnement des sociétés, et réfléchit à préserver les ressources naturelles. La spiritualité, quant à elle, permet de développer une optique ni individualiste ni égoïste et qui consiste à savoir comment devenir plus altruiste. Cette interrogation est au coeur de tout ce qui pousse l’homme à se tourner vers ce qui le dépasse et le met en situation de développer une relation avec les autres hommes par la quête d’une transcendance. Cette expérience enseigne alors qu’il y a une certaine unité entre tous les êtres humains et toutes les composantes de l’univers.

Dans les années 1970, on a entendu parler du Club de Rome et du rapport Meadows « Halte à la croissance ». Puis est apparu le mouvement de La Gnose de Princeton mené par des scientifiques renommés qui posent comme base que la science ne peut plus ignorer les problèmes de société que son propre développement génère.
De nombreux articles, parfois contradictoires, ont entraîné une réflexion profonde sur les relations entre science, société et spiritualité. On trouve dans ces mouvements le fondement de ce qui deviendra le Développement durable et permettra la tenue du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro (1992).

La notion de développement soutenable (ou durable) introduit le schéma connu d’un triangle dont les sommets s’appellent environnement, économie et société, d’égale importance, et dont le bon fonctionnement de chacun dépend de celui des deux autres. Toute action devrait donc forcément être issue d’une négociation entre ces trois partenaires. A court terme, le bilan de cette négociation est positif car il place en premier la capacité à mettre en oeuvre une pratique démocratique. Mais à long terme, le bilan est plus contestable, la négociation satisfaisant aux besoins des acteurs présents, ignorant ceux qui n’y ont pas pris part : les générations futures.

Le 15 novembre 2000 à Katmandou, le Prince Philip, Président d’honneur du WWF-International présentait au monde 26 « cadeaux sacrés » en faveur de l’environnement, offerts par 11 religions : bahaï, bouddhiste, chrétienne, hindoue, jaïna, juive, musulmane, shintô, sikhe, taoïste et zoroastrienne ; initiatives similaires reprises, en 2001, par les 6 principales religions représentées en France. Et nous ?

Le Franc-maçon aurait-il également un rôle à jouer en matière de défense de notre environnement ou plus largement du maintien de la biodiversité et de la vie sur Terre ? N’aurions-nous pas à mettre en pratique cette éthique étudiée dans nos Travaux et nos Loges au service d’une conscience plus élevée de nos devoirs envers une Humanité, au sens le plus large du terme ? Considérerions-nous, avec Kant, que la moralité d’une action dépend de sa conformité avec les principes déontologiques qui sous-tendent que certains devoirs ne permettent aucune dérogation et qu’il convient de les rappeler dans nos instructions morales ? Ces principes moraux qui justifient le respect de la nature et la protection de la biodiversité.

Répondre aux questions précédentes nous entraînerait à suivre la voie proposée par Virginie Maris : développer un système moral suffisamment riche pour rendre compte de la diversité de nos responsabilités, être la voie privilégiée d’une éthique pour guider les nombreuses actions individuelles ayant un impact sur l’environnement.

Nous voici donc placés devant l’alternative qui consiste à continuer de pratiquer cette Franc-maçonnerie que nous connaissons depuis 300 ans, au risque de voir nos effectifs s’en désintéresser, ou nous consacrer volontairement et personnellement à défendre les valeurs nouvelles portées par une éthique personnelle, environnementale et spirituelle.

Cela implique d’une manière évidente une double action sur la formation de nos Frères et leur éducation en la matière, comme proposée par Pierre Rabhi : Puisqu’à terme, l’économie de croissance et les croyances qui la fondent n’ont plus d’avenir… l’éducation et l’enseignement devraient favoriser l’évolution de l’être humain en remplaçant les valeurs de compétition et performance par des valeurs d’humanisation nécessaires au monde de demain. »

Schweizerische Grossloge Alpina

Grande Loge Suisse Alpina - Schweizerische Grossloge Alpina

Source : https://freimaurerei.ch/fr/defense-pour-un-environnement-ethique-et-spirituel/

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27.
Comment concilier progrès de l’humanité et développement durable ? - Publication 2008 - Document ‘droithumain-france.org’

« Le plus grand défi du 21ème siècle pour l’avenir de l’homme est la préservation de la planète. Comment pourrons-nous concilier le progrès de l’humanité avec pour corollaire le développement durable et convaincre les Etats et les citoyens d’accepter les contraintes qui s’imposent ? »

Synthèse de la Question sociale 2008

Il est des questions qui embarrassent et la question 2008, par son ampleur, en fait partie. Librement choisie lors du convent 2007, elle a débouché sur un diagnostic et sur des propositions visant à concilier le progrès de l’humanité avec le développement durable.

1- Pour une conception humaniste du développement durable

Le mot et la chose

La complexité des problèmes contenus dans le terme de développement durable et l’omniprésence du mot dans l’espace public peuvent laisser perplexes voire inviter à une certaine méfiance. Avant de recouvrir une réalité planétaire au devenir menaçant, le développement durable est d’abord un terme sur lequel il faut s’arrêter tant il est vrai qu’il recouvre à la fois une évidence et un immense problème. Ce mot est galvaudé, répété à tout bout de champ, inlassablement traité par les médias, utilisé par un nombre d’acteurs (politiques, économiques, internationaux, associatifs) ce qui accroît la confusion plus que l’intelligibilité. Ce terme fourre-tout invite à se demander s’il ne s’agit pas d’une nouvelle idéologie, d’un dogme contraire à nos principes, d’une affaire de nantis voire d’une « notion occidentalo-centrée » qui peut aller de l’angélisme au plus parfait cynisme. L’opacité, l’ambiguïté du mot peuvent même conduire certains tenants de la décroissance à voir en lui une contradiction dans les termes. Il est donc important d’y voir plus clair et de poursuivre l’investigation, malgré le flou conceptuel et politique, malgré les doutes sur les instruments à adopter, malgré la difficulté d’articulation et de définition des échelles pertinentes. Quelle que soit la multitude d’acteurs et la prégnance des conflits, le développement durable a acquis une dimension mondiale, on ne saurait l’ignorer ni s’en détourner, aussi est-il l’occasion, le prétexte et le moment d’effectuer des choix conformes à nos valeurs.

Comprendre le développement durable suppose que l’on revienne aux textes fondateurs qui le définissent et le campent à travers le monde. La référence au rapport Brundtland qui en 1987 introduit et consacre ce terme est incontournable. L’extrait de la section 2 définit le développement durable comme « le processus permettant de satisfaire les besoins de la génération présente sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ».

L’appel aux autres grands moments et grands textes est tout aussi important à rappeler : convention de Stockholm, sommets de Rio et Johannesburg, positions de l’Union Européenne etc. De ces références majeures nous retenons la vision des trois piliers ou des trois cercles qui, dans la foulée du texte de 2002 « Stratégie de l’Union Européenne en faveur du développement durable » et de la Charte de l’Environnement adossée à la Constitution française en 2005, imbrique développement économique et social et respect environnemental On peut ainsi comprendre les trois préoccupations majeures (écologique, économique et social) comme trois cercles interdépendants, comportant une zone commune : le développement durable.

Le premier cercle écologique partage avec l’économique le caractère viable, avec le social le vivable, le social et l’économique se partagent l’obligation d’être équitable. La réalité et les perspectives contenues dans le développement durable sont multiples : changement climatique, crise énergétique, extinction de certaines espèces, épuisement des ressources, raréfaction de l’eau potable, pollutions chimiques, maladies émergentes etc. Ces défis engagent de lourdes conséquences sur les plans des modes de production, de consommation, d’emploi, de santé, de transport, d’aménagement du territoire, de l’habitat etc. La technicité ou particularité de ces points nous ramène aux dimensions fondamentales du vivre ensemble : quelles solidarités envisager ?

Quel fonctionnement démocratique ?

Quels modes de croissance ?

Quelles relations avec les pays du sud ?

Derrière le terme est en effet pointée une réalité concernant notre milieu de vie que les conclusions d’experts (GIEC notamment) et de personnalités estiment compromise voire en danger. Les grandes forces de la nature sont en jeu : l’air, l’eau, la terre et le feu sont menacés, l’équilibre du monde humain, animal, végétal et minéral est compromis. Si la vie biologique est menacée, la vie humaine voit se profiler la perspective de guerres et de famines liées à une utilisation inégalitaire des ressources naturelles.

Retour aux valeurs

Avant de répondre à la question « que faire ? », il est essentiel d’insister sur le rôle du faire, sur la capacité humaine à organiser voire ordonner le monde. Le fatalisme ou l’attentisme ne sont pas des solutions : les citoyens ne peuvent remettre au temps ou au hasard l’évolution du cours du monde d’autant plus que selon certains scenarios l’évolution peut être implacable et transformer notre vie en pénible survie. Sans céder ni au pessimisme ni à l’alarmisme, il revient à chacun de prendre ou de reprendre en mains notre présent et notre avenir.

Le développement durable est une opportunité en ce sens, il peut nous permettre de repenser les valeurs qui accompagnent nécessairement le progrès et nous permettre de façonner le visage du monde que les êtres humains veulent construire et dans lequel ils veulent vivre.

Avant d’apporter des réponses et des solutions, la réflexion doit se situer en amont, participant d’un volontarisme résolu qui seul permet de construire une réponse humaine aux défis actuels, l’important étant d’être auteur et non victime de notre développement. Le développement durable est un prolongement d’une conception de l’Humanité plaçant l’homme au cœur de la réflexion et de l’action.

Le premier enjeu est ainsi une conception de l’humanisme, du rôle et de la place de l’homme dans l’univers. Nous agissons comme si nous étions immortels et comme si nos ressources étaient inépuisables, il est dans ce cadre important de retrouver le sens de la mesure dans nos besoins et notre usage du monde, de changer de regard et de revenir à l’humanisme au croisement entre croissance infinie et monde fini.

Le second enjeu concerne la forme moderne et à venir de la solidarité. Penser la fraternité à l’heure du développement durable, c’est déployer la solidarité dans l’espace (le nord et le sud de la planète) et dans le temps (générations présentes et à venir), sous une forme à la fois contiguë et continue. Nous tenons à rappeler à ceux, très nombreux, qui ne retiennent du rapport Brundtland que la dimension intergénérationnelle que la dimension intergénérationnelle est tout aussi importante. Il convient d’agir entre générations mais aussi au sein d’une même génération, auprès de nos contemporains partout dans le monde. La reconstruction du lien social, l’établissement d’un nouveau contrat social voire une citoyenneté mondiale sont ici en jeu. C’est le moment et l’occasion de passer d’une interdépendance subie à une solidarité voulue et qu’il convient d’organiser au sein de nos sociétés et à travers la planète.

Le troisième enjeu est la conception du progrès revue dans un monde en mutation et animée par un objectif de libération et de bonheur de l’humanité. Le développement durable pose la question du sens du progrès technique qu’il convient de rapporter à une perspective humaine. Nous ne sommes ni technophobes ni technophiles et pensons que la question du progrès est celle de la maîtrise du progrès. Sur ce point la responsabilité humaine est centrale, elle consiste à assumer ses actes et accepter d’en subir les conséquences ici et ailleurs, aujourd’hui et demain.

2- Les pistes d’action suggérées

La réorientation de l’action nous appartient et il ne sert à rien d’attendre un sauveur. La confiance dans la capacité humaine d’action et de réaction ne fait guère de doute, elle est d’ailleurs prouvée par un certain nombre de points positifs tels que la réduction du trou d’ozone consécutive à l’abandon des CFC ou encore la généralisation du tri sélectif. Le foisonnement des pistes envisagées (foisonnement à la mesure du périmètre de la question posée) sera ordonné autour de trois points : la posture, le niveau de l’action et les types d’actions.

La posture

Sur le plan de la posture qui commande l’action à venir, nous insistons sur le fait que la réponse à apporter est fondamentalement humaine et pas seulement technique. Il ne nous reste qu’une seule alternative, devenir intelligents ensemble ou disparaître. Sans verser dans la dramatisation ni le catastrophisme il est possible d’agir au quotidien et de montrer l’exemple et de peser sur le choix des décideurs. Les citoyens peuvent être des éveilleurs dans ce domaine. La réalisation du développement durable passe d’abord et fondamentalement par une réorientation des choix : Faire, Etre et Avoir autrement. Nous préconisons une conversion de la posture qui consiste à passer de l’avoir à l’être, de la propriété au partage, à penser globalement l’action, à ne plus penser les problèmes de manière isolée, à retrouver le sens du continuum des êtres et du monde, à agir localement en pensant globalement.

Le développement durable est une occasion pour affirmer des choix et parmi les choix que nous proposons, la dimension sociale du Développement Durable nous semble mériter d’être renforcée voire placée au centre. La perspective d’une harmonie entre les hommes et la nature passe par une meilleure cohésion sociale entre les hommes. La dimension sociale du développement durable est selon nous trop peu étudiée et prise en compte alors qu’elle engage des aspects essentiels. Le primat du pôle environnemental est bien souvent, ci et là souligné, ceci est important mais insuffisant.

Le versant social du développement durable est négligé, aussi un débat est à instaurer sur sa place voire sa prééminence (par rapport à l’environnemental et à l’économique) et sur les déclinaisons d’un social durable qui aujourd’hui n’est pas suffisamment considéré. L’objectif social du développement durable vise le développement humain, partout où il y a des hommes. Dans cette perspective, l’égalité de répartition, l’accès à des biens ou services essentiels (eau, santé, éducation), la responsabilité politique et une citoyenneté active doivent être promues et faire l’objet de mesures concrètes. Sur ce point, l’égalité des hommes et des femmes doit être réaffirmée et concrétisée tant dans la cité que dans le monde du travail. Des politiques sociales de respect, de promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomie des femmes méritent d’être développées ainsi que des mesures de respect des diversités culturelles.

Le niveau de l’action

Le niveau de l’action à mener est sur ce sujet démultiplié car il engage autant les individus que le niveau régional, national et international. L’action des individus pour laquelle de nombreux exemples sont donnés (gestes citoyens au quotidien) s’imbrique dans des actions menées par les collectivités locales, par l’Etat et par les instances internationales. L’action individuelle se situe sur plusieurs plans : les bons gestes au quotidien (rapport responsable à la consommation des biens et des ressources), exemplarité et transmission de ces gestes mais aussi comportement de citoyen informé et vigilant envers les instances politiques locales et élargies. La disparité des mesures en vigueur sur le territoire dans différents domaines (alimentation bio dans les cantines scolaires, retraitement des déchets etc) montre bien que l’intervention des citoyens pèse très fortement sur le choix des décideurs.

Le rôle de l’Etat est essentiel et mérite d’être accentué. Si un bon nombre de structures existe (ministère, conseil national du développement durable, stratégie nationale de développement durable etc), il est important que l’Etat et les administrations publiques aient en France (comme c’est le cas au Québec) un rôle exemplaire et par un engagement fort, soient forces de proposition, d’innovation voire d’obligations. En matière d’éducation et afin d’aller plus loin, nous avançons ainsi la proposition inédite d’un service environnemental citoyen proposé aux jeunes (conçu sur le modèle de la journée d’appel).

Le rôle des instances internationales en matière d’orientation et d’éducation est positif, cependant il mérite une systématisation et une meilleure coordination aussi rejoignons- nous la proposition de création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement. Acteurs individuels, institutionnels, politiques mais aussi économiques sont concernés. La responsabilité des entreprises qui génèrent bon nombre d’externalités négatives doit être encadrée, stimulée (par exemple par un système de labellisation, environnementale mais aussi sociale) et évaluée. La prise en compte des droits de l’homme dans l’organisation et les relations contractuelles des entreprises est un enjeu important de la dimension sociale du développement durable qui mérite d’être affirmé et reconnu.

Les types d’actions

S’il est vrai que de nombreuses mesures existent déjà ou sont suggérées ci et là, il convient de faire un tri parmi les propositions, de les mesurer, de détecter au passage les fausses bonnes solutions tels que les biocarburants qui ont eu un effet désastreux sur le cours mondial des matières premières agricoles et donc pointer les axes qui nous sont essentiels. La voie coercitive ne suffit pas. Il est important de préserver les libertés individuelles aussi une dialectique faite de coercition et d’incitation est elle à inventer. La voie de l’imagination et de l’innovation est à développer : la recherche peut apporter des solutions intéressantes (dans le domaine technique mais pas seulement). Généraliser l’éco conception, développer et relier les projets innovants contribuent à l’instauration et à la diffusion de nouvelles manières d’agir, de produire et de consommer. L’éducation et l’information sont essentielles, le rôle de l’Education Nationale et des médias est déterminant tandis que le rôle de la publicité trop souvent incitative à la surconsommation mériterait d’être réorienté. Former, informer pour transformer les pratiques est un leitmotiv récurrent, les jeunes et les enfants devant faire l’objet d’une attention particulière.

3- Redéfinir le progrès par un projet de société

La réflexion sur le couple progrès-développement durable invite à se demander quelle société nous voulons pour demain et quels sont les moyens à mettre en oeuvre pour y arriver ? Il s’agit de mettre le progrès au service d’un projet de société et donc de resituer le progrès sur trois plans, d’interroger les relations entre progrès et trois points décisifs.

Progrès et croissance

Le développement durable est une occasion de repenser les finalités mais aussi les modalités de l’activité économique. La question de la société de consommation et de la production consommation infinie d’objets invite à envisager les contours d’une croissance responsable ;

– Pour cela il convient de repenser la croissance, dans son rythme et ses modalités mais aussi dans la manière de l’évaluer. La mesure par le PIB devrait être contrebalancée au-delà de l’existant par la définition d’autres indicateurs aux composantes élargies incluant par exemples l’illettrisme, le taux de pauvreté, l’égalité des sexes, etc. Rappelons également que la croissance est aussi celle de la culture et des échanges.

– Il convient de repenser le rôle du marché, d’inscrire les composantes du DD dans ce cadre ce qui passe par la proposition et la promotion de biens et de services qui soient respectueux de l’environnement et des sociétés.

– Le levier financier et fiscal donnant une valeur monétaire à la qualité de l’environnement et un coût à sa dégradation peut être envisagé ce qui engage une large palette de possibilités.

Progrès et démocratie

Dimensions juridique et politique sont ici entrelacées. La question du droit est un point important des discussions en cours. Après la première génération des droits individuels et politiques (déclaration des droits de l’homme et du citoyen) puis des droits économiques et sociaux proclamés en 1946, l’heure n’est-elle pas au droit de l’environnement et de la solidarité, droit qui doit être distingué du droit de la nature ? Il convient de développer des modes de gouvernance participatifs : renforcer les contrepoids et contrepouvoirs, les débats publics citoyens, donner une place à une démocratie de proximité, miser sur le rôle des associations, vecteurs de démultiplication des propositions et des actions permettant aux citoyens de se connaître et d’agir ensemble.

Progrès et justice

Les inégalités criantes doivent être jugulées. Il n’est pas acceptable que 40% de la population mondiale soit deux milliards et demi d’humains vivent avec moins de deux dollars par jour ou que 500 personnes aient un revenu supérieur à celui des 416 millions les plus pauvres (source : rapport mondial 2005 sur le développement humain, PNUD) L’occasion se présente de repenser le rôle des pays riches qui devraient mettre en place des politiques de lutte contre la pauvreté à la fois en leur sein et en direction des pays frappés par la pauvreté, engager un partage de ce qui est disponible (ressources et savoir) et instaurer une redistribution pour un développement futur de notre planète. L’horizon du commerce équitable qui consiste à payer les matières premières à leur juste prix s’inscrit ainsi dans ce souci du respect de la dignité des hommes.

Conclusion

Si la mauvaise trajectoire du progrès est entrevue ou explorée, la bonne trajectoire est difficile à cerner. L’idée d’une terre en héritage et d’un devoir citoyen à l’égard de la planète, de ses ressources, de son avenir a fait du chemin à travers le monde mais ce chemin ne fait que commencer et il y a urgence en la matière. Au fil de la réflexion, le développement durable apparaît autant comme un horizon que comme un processus, comme un idéal à viser et comme le creuset de comportements quotidiens. Nous envisageons ce cheminement sur deux plans :

Retour aux valeurs et à la conscience agissante Contre la fatalité et la peur envers les menaces présentes et à venir, il s’agit de prendre pied en redéfinissant les enjeux, les valeurs et les modalités de l’action sur le monde. Nous avons un rôle à jouer en qualité de citoyen du monde et en conformité avec notre idéal humaniste. Le progrès revêt une dimension morale, intellectuelle et spirituelle et suppose des choix qui introduisent de l’équilibre, de la solidarité et de la responsabilité dans le progrès humain.

Des propositions concrètes - Nos propositions sont à la fois réalistes et concrètes : mettre l’accent sur le volet social du DD sur un plan national et international, miser sur le rôle d’éveilleur des citoyens et le rôle exemplaire de l’Etat (l’idée d’instaurer un service citoyen environnemental trouvant ici tout son sens), repenser le fonctionnement du marché et la définition des indicateurs de croissance à la lumière de nos valeurs.

Questions sociales

Association Philosophique LE DROIT HUMAIN Fédération Française - LE DROIT HUMAIN est l’obédience maçonnique historique de la mixité, il proclame l’égalité de l’homme et de la femme qui doivent « parvenir sur toute la terre à bénéficier d’une façon égale de la justice sociale dans une humanité organisée en sociétés libres et fraternelles ».

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Communiqué de la Fédération française du DROIT HUMAIN - mesures pandémie

©2020 Ordre Maçonnique Mixte et International LE DROIT HUMAIN - Fédération française « L’expérience maçonnique en mixité » - Source : https://www.droithumain-france.org/comment-concilier-progres-de-lhumanite-et-developpement-durable/

Selon Wikipédia, « La Fédération française du « Droit humain », fondée en 1901, est la première et la plus ancienne fédération de l’Ordre maçonnique mixte international « le Droit humain »… - Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Droit_humain_(France)

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Rubrique F - Revisiter les notions de développement durable et de durabilité

28.
« La durabilité forte : enjeux épistémologiques et politiques, de l’économie écologique aux autres sciences sociales »

Entretien avec Valérie Boisvert mené par Leslie Carnoye et Rémi Petitimbert - « Strong sustainability : epistemological and political stakes, from ecological economics to other social sciences »

https://doi.org/10.4000/developpementdurable.13837

Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteurs

Résumés

Français English

La notion de « durabilité forte » semble aujourd’hui réinvestie au sein de différentes disciplines des sciences humaines et sociales telles que l’histoire (Quenet, 2016), la géographie (Chartier, 2016), mais aussi l’éthique ou encore les sciences politiques. Elle semble aussi soulever d’importantes questions épistémologiques autour de l’intégration des enjeux environnementaux dans les sciences sociales (Blanc et al., 2017). Toutefois, c’est en économie écologique que la distinction entre durabilité « faible » et « forte » a initialement émergé, à partir du milieu des années 1990. Cette dernière s’est immédiatement inscrite dans des jeux d’acteurs et des conflits de légitimité qui pèsent encore sur sa portée heuristique, ainsi que sur sa capacité à nourrir la pluralité des représentations des rapports sociaux à l’environnement.

Source : https://journals.openedition.org/developpementdurable/13837

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29.
Rappel de la notion de Durabilité Forte

Conception du développement durable, selon laquelle aucune des trois dimensions (ou capitaux) du développement durable (économiques, environnementales, et sociales) ne doit diminuer. Cette hypothèse est défendue par Herman Daly à partir de 1990. Selon lui, seuls les flux matériels de l’économie qui remplissent les trois conditions suivantes peuvent être considérés comme durables sur le plan matériel et énergétique :

  • Le rythme de consommation des ressources renouvelables ne doit pas excéder le rythme de régénération de ces mêmes ressources.
  • Le rythme de consommation des ressources non renouvelables ne doit pas excéder le rythme auquel des substituts renouvelables et durables peuvent être développés.
  • Le rythme d’émission de pollution ne doit pas excéder la capacité de l’environnement à absorber et assimiler cette pollution.
    Dans cette hypothèse, le stock de capital naturel ne doit pas baisser. Daly soutient que capital naturel et capital artificiel sont complémentaires et non substituables.

Source : http://www.fondation-2019.fr/lexique/durabilite-forte/

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30.
Le développement durable introduit par Wikipédia

« Durable (Soutenable) » et « Développement soutenable » redirigent ici. Pour les autres significations, voir durabilité.

Pour les articles homonymes, voir Développement.

Schéma du développement durable, à la confluence de trois préoccupations, dites « les trois piliers du développement durable ».

Voir un schéma - Pour atteindre les objectifs du développement durable, il faut notamment faire appel à des ressources naturelles, minérales et vivantes qu’on peut classer selon leur vulnérabilité en « pas, peu, difficilement, coûteusement ou lentement renouvelables ». Les aménageurs et gestionnaires peuvent alors chercher à les restaurer, les protéger et les économiser, et le cas échéant à compenser les impacts.

Voir le schéma - La « théorie du baquet » rappelle métaphoriquement que dans les systèmes complexes, tous les sous-ensembles vitaux du système sont importants, comme les organes vitaux d’un organisme. Un niveau d’excellence sur l’un des piliers (l’économie par exemple) est inutile si un autre élément (le social ou l’environnement) est dégradé, car le niveau de performance ou de qualité de l’ensemble est ici contrôlé par la « planche la plus faible du baquet ».

Le développement durable (anglais : sustainable development, parfois traduit par développement soutenable) est une conception de la croissance économique qui s’inscrit dans une perspective de long terme et qui intègre les contraintes liées à l’environnement et au fonctionnement de la société. Selon la définition donnée dans le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies, dit rapport Brundtland, où cette expression est apparue pour la première fois en 1987, « le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Cette notion s’est imposée à la suite de la prise de conscience progressive, depuis les années 1970, de la finitude écologique de la Terre, liée aux limites planétaires sur le long terme. La notion fait toutefois l’objet de critiques, notamment de la part des tenants de la décroissance, pour lesquels cette notion reste trop liée à celle de la croissance économique, mais aussi de la part de ceux qui y voient un frein au développement technologique ou au développement des pays pauvres.

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31.
Le développement durable - Analyse critique par l’Institut d’éco-pedagogie

A la demande : formation à l’utilisation de cet outil (groupes de 5 à 15 personnes) - Renseignements : info@institut-eco-pedagogie.be -Cette fiche sur le développement durable est une réactualisation de l’article publié en 2008 : elle intègre notamment les récentes réflexions de l’IEP à ce sujet dans le cadre du projet de recherche-action TOPOZYM.

Table des matières

Contexte
L’émergence du concept
Son enracinement culturel
Un modèle de développement ?
Les limites de la notion de développement durable
Des modèles alternatifs
Conclusion
Bibliographie

Contexte

Aujourd’hui, la référence au ’développement durable’ est utilisée sans vergogne partout : avec toutes les apparences d’une nouvelle vertu, il est devenu une priorité dans les discours des politiques, au point que la France a choisi d’imposer l’éducation au développement durable aux enseignants, dans le discours des ONG, des entreprises, et dans la publicité.

Pourtant, l’appellation peut s’avérer inconfortable car elle est contestée à plus d’un titre, et en particulier lorsqu’elle devient une finalité éducative : l’éducation au développement durable (EDD), voire l’éducation par et pour le développement durable, ou - pire encore à nos yeux - l’éducation à l’environnement pour un développement durable (EEDD).

Le but de cette fiche est d’attirer l’attention des animateurs socioculturels sur l’importance de garder une distance critique vis-à-vis de tout slogan aux allures dogmatiques, comme l’est devenu le développement durable.

Nous présenterons d’abord une manière de voir l’émergence de cette notion. Ensuite, les limites du modèle classique généralement admis seront mises en évidence. Enfin, des modèles alternatifs seront présentés…

Accès à l’article complet sur : https://institut-eco-pedagogie.be/spip/spip.php?article59

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Voir également :

Le mythe du développement durable - revue Entropia www.entropia-la-revue.org › IMG › pdf › pre_ventiqu... – PDF - De F. Rodhain – « Les deux auteurs de l’article que nous publions ci-après font une analyse très critique de « l’idéologie du développement durable ... ».

Approches Critiques du Développement Durable www.reseaucritiquesdeveloppementdurable.fr - Accueil · Présentation et inscription · Présentation du réseau · Network presentation · Comité scientifique · CV des membres du réseau ACDD…

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32.
La durabilité selon Wikipédia

Les termes durabilité ou soutenabilitéa sont utilisés depuis les années 1990 pour désigner une configuration de la société humaine qui lui permet d’assurer sa pérennité. Une telle organisation humaine repose sur le maintien d’un environnement vivable, permettant le développement économique et social à l’échelle planétaire et, selon les points de vue, sur une organisation sociale équitable. La période de transition vers la durabilité peut se faire par le développement durable, via la transition énergétique et la transition écologique notamment. En 1987, le rapport Brundtland définissait le développement durable comme l’objectif de développement compatible avec les besoins des générations futures. Il repose sur trois piliers : économique, environnemental et d’équité sociale.

Voir le schéma  : Une représentation des concepts du développement durable : gérer, restaurer et protéger des ressources plus ou moins renouvelables.

La durabilité est la qualité d’un bien qui dure1. En droit, c’est la période d’utilisation d’un bien[citation nécessaire]. Dans le domaine de la sûreté de fonctionnement, c’est l’aptitude d’un bien à accomplir une fonction jusqu’à ce qu’un état limite soit atteint2, ce qu’on appelle couramment la solidité d’un objet ou d’un équipement, par opposition à l’obsolescence.

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Rubrique G – Applications dans l’urbanisme, l’agriculture, l’éducation et la culture

33.
Entre durabilité et lutte contre les épidémies, les grandes villes vont-elles devoir choisir ? Marina Fabre, @fabre_marina - Publié le 01 juin 2020

« La densité urbaine des mégalopoles a été pointée du doigt partout à travers le monde pour son rôle dans la propagation du virus. Si Paris veut entamer une ’cure d’hygiène’ en pensant à agrandir les trottoirs, ces aménagements semblent insuffisants pour rassurer des habitants en mal de nature. Un défi d’autant plus complexe que la densité permet en revanche de lutter contre le réchauffement climatique en limitant l’étalement urbain. Une double injonction qui représente un vrai défi pour les villes… »

A lire sur ce site : https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/le-covid-19-signe-t-il-la-fin-des-megalopoles-148617.html?utm_source=Abonn%C3%A9s+Novethic&utm_campaign=3ab7b44bdb-EMAIL_CAMPAIGN_2020_06_02_07_38&utm_medium=email&utm_term=0_2876b612e6-3ab7b44bdb-1710597614

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34.
En tant qu’intendants des terres, les agriculteurs s’engagent à maintenir leurs ressources pour les générations futures. Documentation professionnelle canadienne

L’agriculture canadienne occupe une place importante dans l’environnement canadien. La communauté agricole est le principal intendant et gestionnaire de vastes ressources naturelles, le propriétaire et l’architecte de la majeure partie du paysage et le protecteur d’une importante ressource, le sol. Se souciant du tissu environnemental du Canada, la FCA estime qu’il faut accorder une grande importance aux mesures de gestion de l’environnement afin d’assurer le maintien des ressources foncières qui fournissent la nourriture destinée à la population du Canada et à une grande partie de la population mondiale.

Il y a une prise de conscience croissante de la relation entre la production agricole et les enjeux environnementaux au Canada. En tant qu’intendants de la terre, les agriculteurs canadiens savent quelles sont leurs responsabilités envers l’environnement et prennent des mesures concrètes pour assurer la durabilité écologique de leurs pratiques.

Recommandations de la FCA :

  • reconnaissance du rôle et des réalisations des agriculteurs en matière d’intendance environnementale
  • soutien pour la recherche sur le changement climatique et outils pour favoriser l’adaptation et la résilience
  • prise de mesures pour assurer la compétitivité continue des produits agricoles canadiens sur le marché mondial
  • adoption d’une stratégie nationale sur la bioéconomie pour soutenir le développement de produits durables et de chaînes d’approvisionnement
  • investissements qui appuient l’amélioration continue dans la production agricole durable au Canadian
    Relever les défis au chapitre de la compétitivité suite à la tarification du carbone

Les producteurs canadiens craignent qu’il sera difficile pour eux de maintenir leur compétitivité lorsqu’ils auront à payer des prix plus élevés pour les intrants à cause de la tarification du carbone. Alors qu’une grande partie de ces mesures et de l’élaboration des politiques à cet égard sont dirigées à l’échelle provinciale et territoriale, certains aspects, comme la cohérence des politiques entre les provinces, présentent un intérêt au niveau fédéral. Il faut reconnaître l’agriculture en tant que secteur de compensation des émissions de carbone afin de réduire les effets de la tarification de celle-ci dans la chaîne de valeur et afin d’éviter de rendre les produits canadiens moins compétitifs dans le monde. Un grand nombre de nos concurrents, comme l’Australie et les États Unis, n’ont pas l’intention d’instituer une tarification du carbone, et la réalité est que les prix des produits agricoles canadiens destinés à l’exportation sont fixés sur les marchés mondiaux.

Pour que les producteurs canadiens demeurent compétitifs, il est absolument essentiel que les revenus provenant de la tarification du carbone servent à financer les activités suivantes au profit des producteurs :

  • technologie propre
  • recherche et innovation
  • adaptation et atténuation en réponse au changement climatique
  • mesures de renforcement de la résilience
  • compensation pour l’augmentation des prix des intrants
    Il est absolument crucial que l’on s’assure que les revenus provenant de la tarification du carbone servent à indemniser les producteurs agricoles par le truchement de crédits compensatoires pour la séquestration du carbone ou les réductions significatives des émissions d’oxyde d’azote. Tandis que les conditions agroenvironnementales varient à travers le Canada, il est important d’offrir des incitatifs à l’ensemble des producteurs pour les encourager à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le secteur de la culture en serre, pour sa part, en tant qu’utilisateur de CO2 durant la production, nécessite un examen attentif afin qu’il puisse continuer à fonctionner au Canada.

Recommandations de la FCA :

  • les gouvernements doivent prendre des mesures pour s’assurer que la politique de tarification du carbone n’ait absolument aucune incidence sur les revenus des producteurs agricoles ;
  • toute utilisation de carburants à la ferme, y compris du propane et du gaz naturel utilisés à des fins autres que le chauffage des serres, doit être exemptée de la tarification du carbone ;
  • le gouvernement doit investir dans l’innovation dans le secteur agricole afin d’exploiter à fond le potentiel de compensation des émissions de carbone du secteur ;
  • il faut prévoir des mesures d’incitation afin d’offrir des possibilités de séquestration du carbone à l’ensemble des agriculteurs au Canada ;
  • aucune politique sur le changement climatique ne devrait nuire directement ou indirectement à la sécurité alimentaire ;
  • l’agriculture nécessite une approche autre que la tarification du carbone qui met l’accent sur des incitatifs, l’adoption de technologies propres et l’amélioration de la gestion dans le but de réduire les émissions ;
  • il faut soigneusement prendre en considération les avantages connexes fournis par l’agriculture lorsqu’on élabore la politique sur le changement climatique ;
  • il faut reconnaître les investissements faits tôt dans ce dossier par les producteurs agricoles canadiens et les biens et services écologiques liés au climat que fournissent les agriculteurs ;
  • les émissions de gaz à effet de serre provenant du secteur agricole doivent être prises en considération du point de vue de leur intensité dans le contexte des besoins de sécurité alimentaire et en tenant compte des vastes différences qui existent au chapitre de l’efficience ;
  • il faut reconnaître davantage le rôle des technologies propres dans la réduction actuelle et future des émissions ;
  • les gouvernements doivent s’efforcer d’assurer une plus grande uniformité des politiques en matière de changement climatique afin d’en réduire les répercussions sur les producteurs agricoles.
    Voir aussi : 

Document d’information sur l’environnement et le changement climatique

Politique permanente sur le changement climatique de la FCA.

FCA - La Fédération canadienne de l’agriculture - Nous sommes une voix unifiée pour représenter les intérêts des agriculteurs canadiens au niveau national. Crée en 1935 pour répondre à la nécessité d’avoir une voix unie pour intervenir au nom des agriculteurs canadiens, la FCA est une organisation-cadre nationale financée par les agriculteurs qui représente à la fois les organisations agricoles provinciales à vocation générale et les groupes nationaux de producteurs. Par l’entremise de ses membres, elle représente plus de 200.000 familles agricoles canadiennes d’un océan à l’autre.

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© 2020 FCA. Tous les droits sont réservés. Politique de confidentialité – Source : https://www.cfa-fca.ca/fr/enjeux/durabilite-ecologique/

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35.
Rapport mondial de suivi sur l’éducation - La planète : vers la durabilité environnementale - Rapport UNESCO 2016

Contexte Le Rapport mondial de suivi sur l’éducation (Rapport GEM) est une publication annuelle de l’UNESCO éditorialement indépendante et fondée sur des données factuelles faisant autorité, produite par l’équipe du Rapport GEM

L’action individuelle et collective de l’homme a mis la planète et les formes de vie qu’elle contient à très rude épreuve. C’est aussi par son action que l’humanité, qui a clairement contribué à la dégradation de l’environnement, à la perte rapide de biodiversité et au changement climatique, devra trouver des solutions à ces problèmes.

L’éducation, de concert avec les initiatives des gouvernements, de la société civile et du secteur privé, peut jouer un rôle majeur dans la nécessaire transformation vers des sociétés environnementalement plus durables. L’éducation forge les valeurs et les points de vue. Elle contribue aussi au développement de compétences, de concepts et d’outils pouvant servir à réfréner ou abolir des pratiques non durables.

Si l’éducation favorise la durabilité de multiples façons, celles-ci ne sont pas toujours positives. L’éducation peut en effet encourager des pratiques non durables comme la surconsommation des ressources, ou exacerber la perte de savoirs et de modes de vie autochtones relativement durables. Il pourra s’avérer nécessaire de la redéfinir et de la transformer pour qu’elle ait un impact positif.

Les comportements humains ont provoqué une crise environnementale

Trois des raisons les plus couramment invoquées pour expliquer comment les comportements humains ont entraîné une dégradation de l’environnement sont la démographie, les modes de vie modernes et le comportement des individus. Par démographie, on entend tout simplement que nous sommes trop nombreux sur la planète : la population mondiale a triplé entre 1950 et 2015, et elle devrait croître d’un milliard supplémentaire pour atteindre 8,5 milliards à l’horizon 2030. L’imputation aux modes de vie modernes part de la constatation que les zones urbaines et les pays avancés ont une plus forte consommation de ressources par habitant. Les pays où les conditions de vie se sont rapidement améliorées ont vu quasiment doubler leur empreinte écologique au cours des deux dernières décennies : en 2012, la plupart des pays à haut revenu avaient une empreinte écologique non durable. L’explication fondée sur les comportements individuels considère que les individus sont à la fois la source des problèmes environnementaux et leur solution potentielle, via l’adoption, par exemple, de politiques encourageant le recyclage, l’utilisation du vélo et les véhicules économes en carburant.

L’apprentissage est une clé pour résoudre ces problèmes

L’éducation a un rôle fondamental à jouer pour répondre aux défis environnementaux. L’éducation, en particulier celle des filles et des femmes, est le moyen le plus sûr de ralentir la croissance démographique et d’accroître la capacité des femmes à maîtriser leur propre fécondité et à décider à quel moment elles veulent avoir un enfant. L’éducation est capable d’améliorer les moyens de subsistance en augmentant les revenus, et les individus qualifiés sont indispensables à la transformation des économies et des systèmes alimentaires. L’éducation peut peser sur les comportements individuels et collectifs vis-à-vis de l’environnement, grâce à une approche contemporaine, traditionnelle ou tout au long de la vie de l’apprentissage.

« L’analyse de 78 curricula nationaux montre que 55 % d’entre eux emploient le terme d’« écologie », et 47 % celui d’« éducation environnementale »

L’approche contemporaine : l’apprentissage par l’école

L’école aide les élèves à appréhender un problème environnemental donné, ses conséquences et le type de mesures requises pour y remédier. Les connaissances environnementales occupent une place grandissante dans les programmes scolaires formels. L’analyse de 78 curricula nationaux montre que 55 % d’entre eux emploient le terme d’« écologie », et 47 % celui d’« éducation environnementale ».

En Inde, par exemple, à la suite d’un arrêt de la Cour suprême, les agences gouvernementales ont décidé en 2003 d’élaborer un programme complet d’éducation à l’environnement, dispensé depuis, à des degrés divers, à plus de 300 millions d’élèves dans 1,3 million d’écoles.

L’éducation environnementale encourage les modes de vie durables, la réduction des déchets, une meilleure utilisation de l’énergie, un usage plus fréquent des transports en commun, le soutien aux politiques en faveur de l’environnement et l’activisme environnemental. En Estonie et en Suède, où le développement durable est inscrit au programme des écoles, les élèves interrogés dans le cadre du Programme international pour le suivi des acquis des élèves en 2006 avaient plus de probabilité que leurs camarades des pays n’offrant pas un tel contenu de répondre correctement aux questions de sciences de l’environnement. Certains établissements ont adopté une « approche globale » de l’école en matière d’éducation à l’environnement. Les recherches effectuées en Angleterre (Royaume-Uni) sur ce type d’écoles montrent une amélioration de leur état d’esprit et de la santé et de l’apprentissage des élèves, ainsi qu’une réduction de l’empreinte écologique des établissements.

L’approche traditionnelle : l’apprentissage communautaire

Les savoirs traditionnels – en particulier autochtones – dans des domaines comme l’agriculture ou la production et la conservation alimentaires ont joué un rôle important dans la durabilité environnementale pendant des siècles. De nombreuses pratiques traditionnelles de gestion des terres par les communautés autochtones sont de plus en plus reconnues au niveau mondial comme d’excellentes approches de la conservation de la biodiversité et de la préservation des processus écosystémiques. En Colombie, le Conseil des établissements durables des Amériques met en pratique le concept du « bien vivir » (bien vivre), qui reconnaît la contribution des communautés autochtones, par exemple dans les projets d’écoquartiers urbains, les villages traditionnels durables et les centres d’éducation à la durabilité.

Les savoirs locaux et autochtones ont contribué au bon fonctionnement des écosystèmes, à la création de systèmes d’alerte précoce aux catastrophes naturelles, et à l’adaptation et à la résilience des populations face au changement climatique. Aux États-Unis, l’Alaska Rural Systemic Initiative, qui met les élèves en relation avec les anciens des communautés autochtones, est un exemple d’apprentissage des savoirs traditionnels en milieu scolaire. L’enseignement dans les langues locales contribue aussi au partage des connaissances entre générations.

L’approche tout au long de la vie : l’apprentissage dans le travail et la vie quotidienne

Par-delà l’éducation formelle, les organismes gouvernementaux, les organisations religieuses, les associations à but non lucratif et communautaires, les organisations syndicales et le secteur privé peuvent tous favoriser un changement de comportement individuel et collectif.

Des campagnes soutenues par les gouvernements peuvent sensibiliser sur un problème environnemental, en désigner les causes et informer les populations sur de possibles solutions. Le Gouvernement éthiopien et ses partenaires ont ainsi lancé en 2015 une campagne publique de sensibilisation aux avantages de l’éclairage solaire.

Les dirigeants religieux, culturels et sociaux peuvent aider à diffuser des valeurs et des comportements écologiquement sains.

Le lieu de travail est un centre essentiel d’apprentissage de l’écologie. Les entreprises ont pris diverses initiatives pour réduire leur empreinte écologique et former leurs personnels et le grand public à la préservation de l’environnement. Selon une enquête de 2008 de l’Economist Intelligence Unit, plus de 40 % des cadres internationaux estimaient important que leurs entreprises placent leur activité sur la voie du développement durable. Les organisations syndicales ont également encouragé l’adoption de pratiques plus durables sur le lieu de travail.

Par leurs campagnes d’information des populations, leurs projets, leurs partenariats et leurs alliances « vertes », les organisations non gouvernementales (ONG) jouent un rôle crucial en mobilisant le soutien du public aux projets de sauvegarde. Des organisations de cybermilitantisme comme Avaaz, forte de 44 millions de membres répartis dans 194 pays, contribuent à sensibiliser à la protection de l’environnement grâce à des initiatives comme sa campagne de deux ans pour l’interdiction des pesticides qui ravagent les populations d’abeilles.

L’adaptation au changement climatique passe par une approche intégrée de l’apprentissage

L’éducation renforce la résilience des populations face aux risques climatiques. Elle encourage aussi leur soutien et leur participation aux mesures d’atténuation. Pour lutter contre les effets du changement climatique, il est plus efficace d’élargir l’accès à l’éducation que d’investir dans des infrastructures comme les digues ou les systèmes d’irrigation. L’éducation des filles et des femmes réduit le nombre des victimes des catastrophes. Les projections montrent qu’en cas de stagnation des progrès de l’éducation, les décès dus aux catastrophes augmenteraient de 20 % par décennie. Les communautés les plus exposées aux événements climatiques se trouvent généralement dans des pays où les niveaux d’études sont faibles et inégaux.

L’éducation peut aider les communautés à se préparer et à s’adapter aux catastrophes climatiques. Une étude réalisée à Cuba, en Haïti et en République dominicaine a révélé que l’absence de scolarité et les faibles taux d’alphabétisme avaient empêché les populations de comprendre les messages d’alerte aux catastrophes. Aux Philippines, les communautés locales ont travaillé de concert avec les responsables de l’éducation et d’autres partenaires pour enseigner aux jeunes des moyens de s’adapter au changement climatique, contribuant à renforcer la résilience communautaire.

« En cas de stagnation des progrès de l’éducation, les décès dus aux catastrophes augmenteraient de 20 % par décennie ».

Source : https://gem-report-2016.unesco.org/fr/chapter/la-planete-vers-la-durabilite-environnementale/

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36.
Développement durable et culture, selon Louise Sicuro Présidente-directrice générale de ‘Culture pour tous’ - 04 juin 2020 – Document ‘ledevoir.com’ - Québec Canada - Idées

La lutte contre la COVID-19 nous plonge dans une crise qui bouleverse nos certitudes. Est-ce que cette crise va modifier notre façon de vivre et notre rapport aux autres ? Le Devoir a demandé à différentes personnalités de réfléchir aux conséquences de la pandémie dans nos vies. Cette réflexion vous est présentée en page Idées pendant quelques semaines. Aujourd’hui : Louise Sicuro et la culture.

La situation de confinement nous aura révélé à quel point les arts et la culture représentent des points d’ancrage où s’accrocher pour résister à la tempête, briser la solitude ou retrouver courage. On ne compte plus le nombre d’initiatives et d’œuvres partagées par les artistes et des organismes pour nous divertir, nous inviter à la réflexion ou nous apaiser. La solidarité des artistes et des travailleurs culturels à l’égard de leurs concitoyens, confinés comme eux, révèle leur grande humanité et leur besoin irrépressible de continuer de créer et de s’exprimer.

Comme le dit si justement l’auteur Paolo Girodato : « Le bien-être n’est plus individuel mais social. Dans la contagion, nous redevenons une communauté ». Au moment où on redécouvre les vertus de la consommation locale et de la solidarité de proximité, il est grand temps de conjuguer développement durable et développement culturel.

Culture, démocratie et développement durable

La culture a ses racines dans un territoire et elle se développe en reflétant et en remettant en question les valeurs et les émotions de ceux qui y vivent. La culture, c’est ce que nous apprenons, transportons, transmettons et fabriquons tout au long de notre existence, de matériel et d’immatériel. Les artistes puisent dans la nature et la culture pour créer. Quand les œuvres enrichissent la culture, sans appauvrir la nature, nous progressons comme collectivité et comme civilisation.

Les stratégies publiques de développement culturel ne peuvent faire l’économie d’actions concertées de démocratisation de la culture sans compromettre la solidité et la durabilité du lien social, tout comme la capacité pour les individus et les communautés locales de tendre vers un légitime et souhaitable désir d’émancipation. En effet, les arts et la culture génèrent la confiance sociale sans laquelle la démocratie, le maintien des institutions et l’économie tomberaient en panne. Dans un contexte mondialisé où l’on constate la perte des repères, la fragilité du lien social, l’affaiblissement des valeurs, il ne faut plus seulement, comme le disait Jacques Rigaud, « démocratiser la culture, mais démontrer qu’elle est l’accomplissement même de la démocratie ».

Pas de relance sans culture

La conjoncture actuelle crée à la fois une obligation urgente et une formidable occasion de renforcer les liens entre la création artistique, le développement culturel et les préoccupations quotidiennes de nos concitoyens. En effet, même si les différents ordres de gouvernement ont progressivement augmenté leurs investissements en culture depuis quelques années et bien que la nouvelle politique culturelle du Québec déposée en 2018 ait été saluée par les milieux directement concernés, beaucoup de travail reste à faire pour que la culture devienne une dimension incontournable de notre vie en société.

Actions structurantes

Alors qu’une bonne partie du secteur culturel est malheureusement encore paralysée par les effets de la pandémie, il me semble important de rappeler l’importance primordiale d’actions structurantes qui doivent être prises en compte dans les plans de relance qui sont élaborés par les instances gouvernementales et nos institutions publiques.

Remédier à la précarité financière dans laquelle sont maintenus trop d’artistes, trop de travailleurs culturels et trop d’organismes artistiques. Un financement adéquat, juste et prévisible du secteur culturel serait une dépense publique rentable sur les plans social et économique. L’investissement en culture devrait soutenir des emplois décents, renforcer la résilience des communautés, aider à contrer le décrochage social et scolaire des jeunes et accompagner les personnes tout au long de leur vie.

Porter une attention particulière aux artistes indépendants, aux artistes autochtones et à ceux de la diversité, parce que c’est eux qui renouvellent nos institutions. Les artistes sont des penseurs et des chercheurs qui se questionnent sur les défis de notre temps et apportent aussi des réponses. Ce sont des gardiens de ce que nous sommes et les éclaireurs des chemins que nous pouvons emprunter pour dépasser les limites de nos conditions individuelles et collectives.

Accélérer l’acquisition de connaissances numériques et bâtir les infrastructures nécessaires pour mettre en œuvre des stratégies de communication et de diffusion qui ne seront pas monnayées et récupérées par les géants du Web. Il faut protéger la propriété intellectuelle de nos créateurs tout en favorisant le partage démocratique de leurs œuvres.

Mettre en place des mesures fiscales additionnelles pour encourager les dons en culture et l’engagement des citoyens à investir dans nos entreprises culturelles.

Faire de l’éducation culturelle une priorité transversale dans nos écoles pour développer la capacité d’idéation et la pensée critique. C’est une des clés de voûte d’un développement culturel « durable ». Il est plus que jamais primordial de maintenir le lien entre les milieux culturel et scolaire pour une vie culturelle de proximité.

Lancer des conversations nationales sur les arts, la culture et le mieux-être des collectivités réunissant les artistes et leurs associations, mais aussi les citoyens et les dirigeants des secteurs de l’éducation, de la recherche, des affaires et de la santé, pour qu’on puisse unir nos intelligences, nos capacités et nos réseaux pour favoriser un développement culturel intégré à nos milieux de vie. Couplé à une stratégie de communications à l’échelle nationale, cet exercice pourrait devenir un vaste mouvement d’appropriation ou de réappropriation des arts et de la culture par les citoyens du Québec, qui se déploierait à la grandeur du territoire tout au long de 2020, de 2021 et au-delà.

Avant d’être une industrie ou même un secteur d’activité, la culture est une dimension de notre vie individuelle et collective. Réveillons les solidarités et relançons la vie culturelle du Québec en n’oubliant personne.

Le Devoir | Nouvelles, actualités, politique, culture et chroniques - www.ledevoir.com - Consultez le journal Le Devoir en ligne pour obtenir les toutes dernières actualités. Le Devoir, le quotidien indépendant par excellence au Québec depuis 1910.

Une pratique illégale | Le Devoir | 13 mars 2015 - AQDR

© Le Devoir 2002-2020 – Source : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/580114/sortie-de-crise-la-culture-developpement-durable-et-culture

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37.
Une émission de France Culture ‘Cultures Monde’ par Florian Delorme - 04/06/20 17:56 - Humains/Nature, vers la réconciliation ? – « Dernier temps de notre semaine sur l’environnement, après nous être demandé si la relance serait verte, étudié l’intensité de notre dépendance aux énergies fossiles, et questionné la place de la métropole dans le monde de demain… Humain/Nature, vers la réconciliation ? C’est notre sujet aujourd’hui ». Écouter(58 min) http://link.newsletter.francecultur...

Photo - Un raton laveur traverse une allée à New York le 16 avril 2020 • Crédits : Johannes EISELE / AFP - AFP

Le confinement mondial a été l’occasion pour certains animaux de sortir le bout de leur museau et s’offrir une petite promenade en ville. Les citadins, bien que confinés dans leurs appartements, se sont émerveillés du chant des oiseaux, à nouveau audibles dans la ville libérée des nuisances. Ces urbains ont aussi pris soudainement conscience du caractère vital de la nature, les espaces verts ont été envahis dès les mesures d’urgences allégées. Rappelons tout de même que la maladie à l’origine de l’épidémie mondiale est une zoonose, c’est-à-dire une maladie infectieuse des vertébrées transmissible à l’humain. Ces maladies sont le fruit d’une relation malsaine au vivant, déforestation, braconnage, élevage intensif….

« L’Humanité est au croisement des chemins et la définition d’un nouveau contrat avec le vivant est nécessaire ». 

Sommes-nous en train de vivre la vengeance de la nature ? Quels sont les liens entre Santé et Biodiversité ? Qu’est-ce que l’expérience de nature et comment se reconnecter avec le vivant ?

À (ré)écouter également :

La Méthode scientifique

Gilles Boeuf : Covid, une catastrophe écrite à l’avance ?

Les Cours du Collège de France

Covid-19 ou la chronique d’une émergence annoncée

Extraits sonores :

Nicolas Hulot estime que la nature nous a adressé un « ultimatum » lors de cette crise de la COVID-19 (BFM, 22 mars 2020)

 Deux rorquals aperçus dans le Parc des Calanques

 A Hong Kong en mars 2013, les contrôles étaient renforcés au sein des élevages de volailles, après les cas d’infections par le virus H7N9 en Chine. On entend Allen Chan, vétérinaire-en-chef, Hong Kong Centre for Food Safety (AFP, 11 avril 2013)

 Reportage de 1962 concernant un pangolin (Archive INA, 04 mai 1962) Son du pangolin

  « Khei ati » interprété par Batsukh Dorj (label : Buda musique)

Extraits musicaux :

 « Supernova spacetime drift » de Pantha du Prince (label : BMG)

 « Blackbird in the morning » de Bert Jansch (label : Earth record)

Une émission préparée par Lucas Lazo.

Voir tous les épisodes

Dans la même série - Bibliographie :

Les Sentinelles des pandémies : Chasseurs de virus et observateurs d’oiseaux aux frontières de la Chine Frédéric Keck Zones Sensibles, 2020

Nomad’s land. Éleveurs, animaux et paysage chez les peuples mongols Charlotte Marchina Zones Sensibles, 2019

Intervenants : Frédéric Keck Anthropologue, directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale au CNRS - Anne-Caroline Prévot, chercheur au CNRS, biologiste de la conservation au Muséum National d’Histoire Naturelle - Céline Sissler, directrice France et Afrique subsaharienne de l’IFAW (International Fund for Animal Welfare), ONG et organisme consultatif auprès des Nations Unies - Charlotte Marchina : anthropologue et maître de conférences en langue et civilisation mongoles à l’INALCO.

À découvrir aussi :

Honk Kong : la Chine accuse les Etats-Unis d’ingérence dans la crise actuelle

Philosophie de l’écologie (1/4) : Aux origines de l’écologie

Menaces sur Hong Kong

Tags : actualité Protection de l’environnement crise sanitaire Développement durable confinement Climat Nature Animaux Mongolie Virus Géopolitique

L’équipe – Production : Florian Delorme – Réalisation : Vincent Abouchar, Benjamin Hû - Production déléguée : Mélanie Chalandon, Hélaine Lefrançois - Avec la collaboration de : Bertille Bourdon, Margaux Leridon

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Source : [https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/culturesmonde-emission-du-jeudi-04-juin-2020?actId=ebwp0YMB8s0XXev-swTWi6FWgZQt9biALyr5FYI13OooDBJkPcQykd8SkIKwMoFh&actCampaignType=CAMPAIGN_MAIL&actSource=589598#xtor=EPR-2-LaLettre04062020]

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Auteur : Jacques HALLARD, Ingénieur CNAM, consultant indépendant – 07/06/2020

Site ISIAS = Introduire les Sciences et les Intégrer dans des Alternatives Sociétales

http://www.isias.lautre.net/

Adresse : 585 Chemin du Malpas 13940 Mollégès France

Courriel : jacques.hallard921@orange.fr

Fichier : ISIAS Ecologie Ecothéologie Les notions de nature, d’environnement, d’écologie et de durabilité.3

Mis en ligne par Pascal Paquin de Yonne Lautre, un site d’information, associatif et solidaire(Vie du site & Liens), un site inter-associatif, coopératif, gratuit, sans publicité, indépendant de tout parti.

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