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"L’accès à l’eau est un droit humain précaire" par Chee Yokeling

Traduction et compléments de Jacques Hallard

dimanche 9 juin 2013, par Yokeling Chee

ISIS Eau
L’accès à l’eau est un droit humain précaire
Access to Water a Precarious Human Right
Les utilisations non durables de l’eau et les privatisations dans ce secteur font oublier que l’accès à l’eau potable par les populations est pourtant un droit humain.
Discours d’ouverture à la Journée mondiale de l’eau, prononcé par le Directeur de ‘Third World Network’ le réseau du Tiers-Monde : Chee Yokeling

Rapport de l’ISIS en date du 16/05/2013
L’article original en anglais est intitulé Access to Water a Precarious Human Right et il est accessible sur le site http://www.i-sis.org.uk/Access_to_water_a_precarious_human_right.php
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Je suis originaire de Malaisie, où une grande partie de ma jeunesse a été consacrée à la marche dans les collines de l’île de Penang, une belle et très importante réserve et zone de captages d’eau qui alimentent plus de 40% de l’eau consommée sur l’ensemble de l’île. Ainsi, à l’écoute de la musique que nous nous avons entendue aujourd’hui, cela nous rappelle d’où nous venons : l’eau coule aux alentours, des flots libres, une nature vivante et soutenable et les êtres humains qui vivent là. Lorsque nous nous éloignons de la complexité des organismes vivants, pour devenir des ingénieurs dans la forme la plus réductionniste qui soit, nous faisons des cauchemars. Les flux s’arrêtent avec d’énormes barrages et des canaux d’irrigation qui, souvent, ne permettent pas d’aider les agriculteurs, et nous commençons à déplacer l’eau en grosses quantités, à travers des projets d’ingénierie, pour alimenter des villes si étendues et densément peuplées qu’elles ne peuvent plus être durables (ou soutenables) ; et tout cela finit par être jeté dans l’océan comme des déchets. De nos jours, nous exploitons également de plus en plus d’eaux souterraines - un fait qui retient très peu l’attention du public - et nous sommes littéralement en train d’assécher la planète entière.
Ayant grandi sur une île où les captages d’eau occupaient mon passage en fin de semaine, je vis maintenant à Beijing en Chine, qui est un endroit fascinant. Il y a plus de 2o millions de personnes au milieu d’un écosystème très sec et qui n’est pas durable. Mais à travers l’histoire, les êtres humains ont été en mouvement, nous avons connu l’établissement de colonies humaines et des villes, et puis nous avons eu le développement, et pendant longtemps, nous n’avons pas trop réfléchi si ce genre de développement serait viable à long terme, dans le cours de nos existences et pour les générations futures.
Alors maintenant, je travaille beaucoup pour essayer de voir si, en tant qu’êtres humains, nous pouvons retrouver une affinité avec la nature, de voir la façon dont nous voulons organiser notre vie en société, comment nous voulons et pouvons faire des transports en commun, produire de la nourriture, sur la façon de vivre le plus près possible de la nature, ce qui signifie l’élaboration, par des autorités gouvernementales appropriées, de politiques et de lois qui respectent réellement les lois de la nature. Je travaille maintenant pour une ONG - le Third World Network - lancé par les Malaisiens au milieu des années 1980.
Quand j’étais étudiant, j’étais déjà très attiré par ce genre de travail. Nous avons travaillé à un niveau très local avec les communautés rurales sur la salubrité des aliments et sur d’autres problèmes environnementaux. En tant que pays en développement qui avaient une chance de peut-être faire les choses différemment, nous nous sommes demandé si nous devions suivre le chemin de l’Europe occidentale, de l’Amérique du Nord et du Japon, ou si nous devrions réellement commencer à chercher des façons différentes de faire du développement.
Au début des années 1990, il y a eu ce moment où les gouvernements se sont réunis, et j’ai eu le privilège et la chance de faire partie de ce processus. Les gouvernements se sont réunis et il y avait beaucoup de pression des citoyens partout dans le monde, les gens ont protesté, à partir de l’Amazonie au Brésil, du Sarawak sur l’île de Bornéo, de mon pays la Malaisie.
Les forêts tropicales ont été rapidement perdues pour construire des villes et pour produire des caisses et des emballages pour le transport des biens de consommation dans le monde entier, et puis pour les jeter quelques années ou quelques mois plus tard,
Les communautés autochtones locales, ainsi que leurs terres, les forêts et les ressources en eau ont été détruits, les graines de semences ont été récupérées dans les fermes, puis mises en réserve dans des laboratoires, puis transformées en « propriété intellectuelle » par quelques entreprises, enfin vendues aux agriculteurs sous forme de les semences ‘manipulées’ qui ne savent pas comment se développer dans la nature et qui nécessitent beaucoup de pesticides divers, dont des herbicides ; toutes ces questions ont été abordées par beaucoup de personnes et nous y avons travaillé dans de nombreux pays en Asie, en Amérique latine et en Afrique.
Le choc des systèmes de pensée sur la façon dont nous voulions développer nos sociétés est devenu très fort. Ainsi, la combinaison des mouvements de citoyens, des protestations exprimées et le sentiment d’injustice étaient une très grande force d’entraînement qui a conduit les gouvernements en 1992 - et ceux-ci étaient des chefs d’Etat, des présidents et des premiers ministres - à cette énorme conférence des Nations Unies sur l’environnement et développement - Le Sommet de la Terre - à Rio de Janeiro, au Brésil. Il y a eu un engagement politique au plus haut niveau et une reconnaissance du fait que nous ne faisions pas le développement d’une manière très soutenable ou très durable et que nous ne pourrions plus, dans le futur, conduire les affaires comme d’habitude. Nous avons eu à ce moment, l’espoir d’un développement durable à venir qui permettrait de concilier la nature, les besoins sociaux et la façon dont nous gérons notre économie. Mais, nous le savons aujourd’hui, cet espoir n’est pas devenu réalité.
Nous soulignons à travers toute cette histoire que faire du développement durable est una question de droits. Je veux parler en particulier du droit humain à l’eau. En septembre 2010, après de nombreuses années de débat, avec des citoyens organisés autour de réseaux, qui exigeaient que tout le monde a le droit à l’eau, à l’eau potable et à l’assainissement ; ce droit fut finalement reconnu sous les auspices de l’ONU par tous nos gouvernements.
Et pourquoi devions-nous formuler une demande pour notre droit à l’eau ? Parce que l’eau devenait un bien très précieux, elle devenait en outre la propriété privée des entreprises, et la majorité des gens dans de nombreux pays n’ont pas encore accès à de l’eau potable, en particulier dans les villes (voir encadré 1).
Il y a des gens qui vivent dans les zones rurales et qui dépendaient de l’eau dans l’environnement pour assurer leur subsistance, leur vie ; mais de l’eau a été prélevée pour être acheminée loin de chez eux, dans les villes, dans les usines ou dans les grands projets d’agriculture commerciale ; et les populations qui avaient besoin de l’eau n’y avaient pas accès, ou les ressources en eau étaient devenues tellement polluées que l’eau potable était devenue un bien extrêmement précieux et hors de portée pour la plupart des gens.
Ainsi, la demande pour la reconnaissance du droit humain à l’eau est maintenant bien enracinée chez ceux qui ont été privés de ce droit, et qui est absolument essentiel pour notre survie.

Encadré 1
Statistiques de l’ONU sur l’accès à l’eau
783 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable
2,5 milliards de personnes n’ont pas accès à un assainissement adéquat
700.000 enfants meurent chaque année de diarrhée provoquée par de l’eau insalubre et un assainissement insuffisant

Et donc nous avons le droit humain à l’eau, mais comment peut-il s’inscrire réelllement dans la vie quotidienne ? Je tiens à souligner certaines choses qui font partie des menaces dont nous allons essayer de parler ici. Aujourd’hui est un jour spécial car tous les gouvernements du monde entier, représentés à l’ONU, ont décidé de consacrer une journée internationale de commémoration et de réflexion sur l’eau, (je ne sais pas combien de personnes sont en fait aujourd’hui entrain de penser à l’eau), et nous allons avoir également une déclaration des Nations Unies pour une ‘décennale internationale d’action’, intitulée « L’eau, source de vie » (2005-2015).
Il y a tant de décennies qui sont élaborées sur toutes sortes de choses à l’ONU, et c’est ouvent au cours de ​​la 9ème année, quand nous commençons à travailler aux préparatifs de la 10ème année, que nous réalisons que nous n’avons pas atteint tous les espoirs et les promesses que nous avions formulés 10 ans auparavant ce qui est assez fréquent.
Nous ne pouvons pas laisser les choses à faire aux seuls politiciens : les citoyens ont été très actifs au niveau local, au niveau national, et maintenant ils ont même accès à l’ONU, et de nombreux collègues et moi-même, à partir de différentes parties du monde, nous essayons de rendre les gouvernements responsables dans leur pays et à tous les endroits où les grandes décisions sont prises.
Cela n’est pas facile, parce que le droit humain à l’eau et le droit de la nature d’exister et de maintenir la vie, sont constamment compromis par ceux qui sentent qu’ils ont le droit de faire beaucoup de profits. Et pour beaucoup d’entre nous, pendant cette année et au cours des trois prochaines années, il y aura des moments où nous pourrons créer des occasions à l’ONU, qui a une charte qui, si vous vous en souvenez, commence par les mots « Nous, les peuples » [Nous, les Peuples : le rôle des Nations Unies au XXIe siècle].
Nous faisons partie de l’ONU, nous sommes au contact des gouvernements parce qu’ils sont censés être au service des populations, et au cours des 20-30 dernières années, nous avons tous pris conscience que la planète elle-même a atteint ses limites et il est maintenant exprimé haut et fort que nous ne pouvons pas continuer d’abuser ainsi en poursuivant de la même façon comme nous l’avons fait dans le passé.
Le réchauffement planétaire et la crise qui résulte du changement climatique sont probablement, en termes d’écologie, l’ultime limite, alors que nous avons déjà tellement détruit, tellement pollué, que la planète se réchauffe et qu’elle se trouve à un point de basculement. [Voir également l’article intitulé Le climat de la Terre s’approche d’un "point de basculement", 2007].
Les chercheurs scientifiques nous ont dit et répété cela pendant des années et des années. Cela est très inquiétant, mais je veux vous donner cette citation qui montre que ceux qui font beaucoup d’argent à partir de la destruction de la nature, se penchent maintenant sur la façon dont ils peuvent faire de l’argent avec le réchauffement et le changement climatique et comment l’eau est entrain de devenir un sujet très, très contesté.
Il s’agit d’une déclaration émanant du chef de l’exploitation d’un fonds financier de New York appelé Water Asset Management (voir encadré 2 ci-après) : « Pas assez de gens pensent à l’eau dans le long terme comme un bien qui est digne de propriété ».

Encadré 2
Water Asset Management LLC
La gestion d’actifs se rapportant à l’eau
Water Asset Management LLC (WAM) a été fondé en 2005 et il vise à capitaliser sur les opportunités d’investissement favorables dans le secteur mondial de l’eau. La société estime qu’une approche d’investissement dynamique à travers des participations publiques et privées, dans le secteur de l’eau, peut procurer des rendements [financiers] supérieurs, non corrélés sur le long terme. Source : http://waterinv.com/fund_login&e

Donc, aujourd’hui, nous constatons que la Banque mondiale et de nombreuses grandes entreprises sont à la recherche de cette ressource essentielle pour la vie comme un atout de plus en plus précieux à travers les droits de propriété. D’abord, vous transformez l’eau en titre de propriété, et ensuite vous pouvez transformer le titre en actions que pouvez échanger par la suite, utiliser comme un atout, pour les hedge funds, [ou en français fonds d’investissement d’un type particulier, on parle aussi de fonds de gestion alternative]. qui deviennent ensuite des milliards. Dans de nombreux pays, allant du Canada à la Bolivie, la privatisation de l’eau a déclenché des troubles sociaux énormes, des formes de résistance et de protestation.
L’eau est quelque chose de si précieux qu’elle doit être considérée comme un bien public des sociétés humaines dans leur ensemble. Nous allons retrouver plus en détail cette contestation concernant l’eau au cours des prochaines années, car même si nous avons la reconnaissance de l’eau comme un droit humain, c’est un droit humain également enraciné dans la reconnaissance de ce que la nature ne doit pas être ou devenir la propriété de personne, et que les droits de l’homme incluent un droit humain pour la survie de la majorité des gens dans le monde qui est déjà privé de toutes les ressources essentielles.
Aujourd’hui, le mot de « droits » est également très utilisé par des lois ‘artificielles’ à donner aux entreprises - les droits de propriété intellectuelle pour les entreprises des médicaments, des denrées alimentaires et de la nature. Nous avons aujourd’hui les « droits » des investisseurs étrangers par des accords d’investissement privés signés par les gouvernements, permettant de poursuivre directement un gouvernement donné.
Dans le passé, si un individu ou une société estimait qu’il ou qu’elle avait été lésée, vous pouviez allez vers votre gouvernement, et ce gouvernement pouvait passer la plainte au gouvernement suivant s’il s’agissait d’un litige transfrontalier. Mais aujourd’hui, les sociétés, par le biais des investissements et des accords commerciaux, font passer la demande auprès des gouvernements des pays riches vers les gouvernements des pays les plus faibles, pour les amener à consentir à ce que nous appelons des “investor-to-state rights” (droits de l’investisseur envers un Etat).
[On peut de référer à l’ouvrage ‘Droits de l’investisseur étranger et protection de l’environnement - Contribution à l’analyse de l’expropriation indirecte’ de Sabrina Robert-Cuendet, à partir du site http://www.brill.com/droits-de-linvestisseur-etranger-et-protection-de-lenvironnement ].
Beaucoup d’entre nous rejettent l’utilisation même du mot « droits » : ce sont des privilèges, qui peuvent même constituer des monopoles, mais ils ne sont pas des droits parce que les droits appartiennent en fait uniquement à l’humanité et à la nature.
Pour conclure, nous entrons dans une ère où la compétition sur les ressources précieuses, et en particulier sur l’eau, va être l’un des éléments les plus contestés sur notre planète : il s’agit de sujets concernant les droits et les obligations qui ont besoin de beaucoup de débats pour être solutionnés correctement.
Il est très important pour nous tous de se mettre à travailler sur tous ces sujets au niveau local, au niveau national et au niveau international, afin d’exiger que ces droits réels soient bien pris en compte en considérant, avant tout, la nature et ses diverses populations.

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Traduction et inclusion des accès aux définitions en français

Jacques Hallard, Ing. CNAM, consultant indépendant.
Relecture et corrections : Christiane Hallard-Lauffenburger, professeur des écoles.
Adresse : 585 Chemin du Malpas 13940 Mollégès France
Courriel : jacques.hallard921@orange.fr
Fichier : ISIS Eau Access to Water a Precarious Human Right French version.2
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