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"Des cocktails pharmaceutiques pour tout un chacun à partir de l’eau polluée" par le Prof Joe Cummins

Traduction et compléments de Jacques Hallard

mercredi 6 février 2013, par Cummins Professeur Joe

ISIS Santé
Des cocktails pharmaceutiques pour tout un chacun à partir de l’eau polluée
La pollution généralisée de l’eau potable par les rejets non réglementés des produits pharmaceutiques [ainsi que les produits de soins et tous leurs dérivés chimiques] est potentiellement dangereuse et dommageable pour la santé publique ainsi que pour notre environnement. Prof Joe Cummins

Rapport de l’ISIS en date du Report 02/10/2012
Une version entièrement référencée de cet article intituulé Pharmaceutical Cocktails Anyone est disponible pour les membres de l’ISIS sur le site http://www.i-sis.org.uk/Pharmaceutical_cocktails_anyone.php?printing=yes : ce document est par ailleurs disponible en téléchargement ici
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Les produits pharmaceutiques dans les eaux usées et dans l’eau potable

Les produits pharmaceutiques sont des produits chimiques naturels ou synthétiques qui se trouvent dans les médicaments délivrés sur ordonnance, dans les produits pharmaceutiques qui sont vendus dans les commerces spécialisés et dans les médicaments à usages vétérinaires. La généralisation de l’utilisation des médicaments (prescrits ou en vente libre) a abouti aux rejets et à la décharge continue de produits pharmaceutiques et de leurs métabolites dans les eaux usées. Ils sont introduits par les égouts, qui transportent les excréments des individus et des patients qui ont utilisé ces produits chimiques, mais aussi des produits provenant de l’élimination des médicaments non contrôlés (par exemple des médicaments au rebut qui sont jetés dans des toilettes), ainsi que dans les eaux de ruissellement dans les milieux agricoles, en provenance des effluents d’élevage. En outre, les produits pharmaceutiques peuvent être libérés et entraînés vers les sources d’eau à partir des effluents des installations de production et de fabrication mal maîtrisées.
Les progrès accomplis quant à la sensibilité des méthodes d’analyse ont conduit à la détection des produits pharmaceutiques dans les eaux usées, dans les diverses sources d’eau et dans certaines eaux potables. Les concentrations dans les eaux de surface, dans les eaux souterraines et dans les eaux partiellement traitées sont généralement inférieures à 0,1 ug / l (100 ng / l), alors que les concentrations dans l’eau traitée sont généralement inférieures à 0,05 mg / l (50 ng / l).
Les données disponibles indiquent qu’il y a une marge de sécurité importante entre les très faibles concentrations de produits pharmaceutiques dans l’eau potable et les doses minimales thérapeutiques.
Partant de ce constat, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’il n’est pas nécessaire de développer des valeurs standards formelles de contamination des produits pharmaceutiques dans ses ‘Lignes directrices pour la qualité de l’eau potable’, et que les préoccupations relatives aux produits pharmaceutiques dans l’eau potable ne devraient pas détourner l’attention des fournisseurs d’eau potable et des organismes de réglementation, vis-à-vis d’autres priorités pour la sécurité de l’eau potable, et plus particulièrement les risques microbiens tels que les agents pathogènes bactériens, viraux et les protozoaires, ainsi que d’autres risques chimiques comme l’arsenic d’origine naturelle et des niveaux excessifs de fluor dans les eaux [1, 2].
Je me trouve en désaccord avec les conclusions de l’OMS selon lesquelles les médicaments et leurs produits de dégradation se retrouvent à des concentrations trop faibles pour affecter la santé humaine. Le plus fréquemment, les médicaments apparaissent dans l’eau potable sous forme de mélanges dont l’effet combiné n’a pas du tout été considéré par les autorités sanitaires, même si de tels mélanges se sont montrés biologiquement actifs pour les organismes aquatiques, comme nous le verrons dans cet article. (Effets synergiques dus à des mélanges de faibles concentrations de polluants environnementaux qui sont déjà bien connus, voir [3] Super-Toxic Cocktails , SiS 43)* .
* Version en français "Pesticides & Colorants alimentaires : Super-cocktails toxiques" par le Professeur Peter Saunders. Traduction de Jacques Hallard ; accessible sur http://isias.transition89.lautre.net/spip.php?article102&lang=fr
Parmi les médicaments identifiés dans les réserves d’eau, on rencontre les antibiotiques, les analgésiques et anti-inflammatoires, les bêta-bloquants, les hormones, les statines, les inhibiteurs sélectifs de la recapture des inhibiteurs antiépileptiques, les diurétiques, les anti-asthmatiques, les antidépresseurs, les antipsychotiques, les antinéoplasiques, les stimulants, les sédatifs et les anticoagulants [4, 5].

Des études ont été conduites aux États-Unis

Une enquête portant sur des échantillons d’eau souterraine provenant des États-Unis a montré que l’antibiotique sulfaméthoxazole a été détecté (à une concentration maximale de 1,11 microgramme par litre) dans 23,4 % des 2.000 échantillons provenant de 25 sites à travers le pays [6]. Et les produits pharmaceutiques, y compris la fluoxétine, un antidépresseur et la matière active déhydronifédipine, utilisée pour le traitement des angines, sont apparus dans 4,3 % des échantillons d’eau souterraine.
Dans les sources d’eau potable de surface de 49 sites à travers les Etats-Unis, il a été trouvé l’antibiotique érythromycine-H 2O dans 8,1 % des échantillons, ainsi que des anticonvulsifs à base de carbamazépine dans 21,6 % des échantillons et l’anti-histaminique diphenhydramine dans 5,4 % des échantillons. D’autres échantillons n’ont montré aucune contamination ou de petits niveaux de résidus de médicaments. Les concentrations des médicaments retrouvées dans les nombreux échantillons étaient significatives, allant de 0,3 à 0,23 m g / L).
Les médicaments ou leurs produits de dégradation ont été détectés dans les eaux de surface à des concentrations allant jusqu’à 176 ng / L ; les eaux de surface prétraitées avaient des taux quelque peu réduits de médicaments, allant quand même jusqu’à 147 ng / L. Les médicaments n’ont pas été détectés dans l’eau de surface traitée, et ils n’ont pas été considérés comme pouvant présenter une menace pour la santé humaine [7].
Des composés pharmaceutiques ont été détectés à de faibles concentrations dans 2,3 % des 1.231 échantillons d’eau souterraine utilisée pour l’approvisionnement des populations en eau potable en Californie. Les échantillons ont été recueillis à l’échelle de l’État pour la surveillance des eaux souterraines dans le cadre du programme California State Water Resources Control Board’s Groundwater Ambient Monitoring and Assessment (GAMA). Les médicaments qui ont été détectés comprennent : l’acétaminophène (utilisé comme analgésique, avec une fréquence de détection de 0,32 %, et une concentration maximale 1,89 mg / L), la caféine (stimulant, à une fréquence de 0,24 %, et un maximum de 0,29 mg / L), la carbamazépine (un stabilisateur de l’humeur, 1,5%, avec un maximum de 0,42 mg / L), la codéine (un analgésique opioïde, à une fréquence de 0,16%, avec un maximum 0,214 mg / L), le p-xanthine (un métabolite de la caféine, à une fréquence de 0,08%, avec un maximum 0,12 mg / L), le sulfaméthoxazole (antibiotique, à une fréquence de 0,41%, avec un maximum 0,17 mg / L) et le triméthoprime (antibiotique, à une fréquence de 0,08 %, avec un maximum 0,018 mg / L).
Les eaux souterraines de la zone métropolitaine de Los Angeles ont des fréquences de détection plus élevées de produits pharmaceutiques et d’autres composés anthropiques que les eaux souterraines provenant d’autres zones de l’état, avec des proportions semblables d’utilisation des superficies urbanisées. La moitié des échantillons d’eau souterraine avec une détection de composés pharmaceutiques provient de la région métropolitaine de Los Angeles. Ceci reflète principalement le fait que la région de Los Angeles est la plus grande zone urbanisée dans l’état de Californie. Le pourcentage médian d’utilisation dans les superficies urbanisées, sur des sites avec des échantillons contenant certaines eaux souterraines ‘modernes’ dans la région de Los Angeles, a été de 79%, tandis que le pourcentage des sites avec des échantillons contenant certaines eaux souterraines ‘modernes’ dans le reste de l’étude (7%) était significativement plus faible.
En outre, la recharge artificielle des nappes, conçue à partir des eaux usées, est beaucoup plus répandue à Los Angeles et elle a été utilisée depuis plus longtemps que dans le reste de l’État [8]. Les niveaux relativement élevés de médicaments dans les eaux souterraines sont alarmants. L’ingénieurie de la recharge des eaux souterraines est essentielle aux Etats-Unis, mais le processus utilisé peut conduire à une pollution des eaux souterraines ; de plus, le milieu naturel est relativement exempt de microorganismes qui sont capables de remédier à ces pollutions.

Des études qui ont été conduites en Europe

Une étude conduite aux Pays-Bas a permis de contrôler 17 médicaments courants et 9 produits de transformation dans les sources d’approvisionnement en eau, y compris dans des eaux de surface brutes, dans des eaux de surface pré-traitées, dans des filtrats de bords de rivières, dans des échantillons d’eaux souterraines touchées par les eaux de surface et dans des eaux potables.
Il a détecté 12 produits pharmaceutiques et 7 produits résultants de la transformation chimique de ces derniers. Les concentrations étaient généralement plus élevées dans les eaux de surface (176 ng / L), intermédiaires dans les eaux de surface traitées et les filtrats des berges et absentes dans l’eau potable produite pour la distribution, à l’exception de l’eau rendue potable à partir de filtrats de berges (avec des résidus de médicaments à base de phénazone). Toutefois, les concentrations en phénazone (un analgésique et antipyrétique) et son produit de transformation dans l’environnement AMPH (jusqu’à 35ng / L et 19ng / L respectivement) étaient significativement plus élevées dans les filtrats des bords de rivières, ce qui est probablement dû à une contamination historique ancienne. Des rapports assez constants ont été observés entre les concentrations de produits de transformation et de dégradation et les produits pharmaceutiques d’origine [9].
Pour la production d’eau potable, les berges de filtration sont utilisées car elles amortissent les concentrations maximales de nombreux composants dissous, elles retirent sensiblement les micropolluants et elles suppriment presque complètement de nombreux agents pathogènes et les solides en suspension. L’aquifère de production n’est pas seulement alimenté par les infiltrations mais aussi par l’eau qui s’infiltre à travers des couches de recouvrement. L’étude néerlandaise est importante parce que les produits de transformation des médicaments ont été mesurés. Ces produits peuvent être aussi actifs que la molécule pharmacologique d’origine, ou même hautement plus toxiques en comparaison.
En Espagne, la rivière Llobregat reçoit les eaux traitées des stations d’épuration des eaux usées, et elle sert de source d’eau potable pour la ville de Barcelone. Cinquante-huit produits pharmaceutiques, sur 74 qui ont été recherchés, ont été détectés dans au moins un échantillon. Dans l’eau en amont du fleuve, la majorité des composés ont été détectés à de faibles concentrations exprimées en nanogrammes par litre. Cependant, en aval de la décharge des effluents tertiaires, quelques composés ont été détectés à des niveaux supérieurs à 100 ng / L, y compris l’acétaminophène (paracétamol), le diclofénac (un anti-inflammatoire non-stéroïdien), l’érythromycine (un antibiotique) et la sulfaméthazine (anti- microbien ?). La concentration totale de drogues illicites a été jugée très faible sur les deux sites d’échantillonnage (<50 ng L (-1). Les antibiotiques ciprofloxacine et sulfaméthoxazole, présents dans l’eau de la rivière, ont été considérés comme pouvant représenter une menace importante pour les algues dans le milieu aquatique [10].

Des études conduites à Singapour

De nouveaux polluants organiques persistants (POP), qui se rencontrent dans les eaux de ruissellement en milieu urbain, peuvent avoir une influence négative sur les écosystèmes sensibles et sur les ressources en eau potable. La présence de 13 POP a été caractérisée dans le bassin versant Marina, qui est un grand bassin versant urbain s’étendant sur environ un sixième de la superficie de Singapour.
Les 13 nouveaux POP comprennent : les alkylphénols éthoxylés (métabolites APEM), les hormones, les produits pharmaceutiques, le bisphénol A (BPA), et un pesticide (fipronil). Plusieurs POP étaient présents, à des concentrations de l’ordre du ng L (-1) : le chloramphénicol, 1-15 ng L (-1) ; ibuprofène, 2-76 ng L (-1) ; naproxène, 8-108 ng L (-1) ; BPA, 30-625 ng L (-1) ; fipronil, 1-72 ng L (-1) ; estrone, 1-304 ng L (-1) et estriol, 3 à 451 ng L (-1). Les POP détectés semblent entrer dans les canaux et les rivières en provenance de sources diffuses, peut-être par le ruissellement et par les fuites des conduites d’égout. Les hormones estrone et estriol ont dépassé les valeurs qui sont considérées comme sans effet d’après la littérature spécialisée [11].

Les études menées dans la région des Grands Lacs et au Canada

Une vaste enquête menée par Dow Chemical Company, Midland, dans le Michigan aux Etats-Unis, a permis de détecter des composés pharmaceutiques dans 34% des échantillons d’eau de surface de la région des Grands Lacs, y compris des médicaments délivrés sur ordonnance et des médicaments qui sont en vente libre, et le plus souvent à des endroits situés près des points de rejet des eaux usées des stations d’épuration ou de traitement des eaux usées (STEP dans les pays anglo-saxons) ou aux alentours des exploitations agricoles [12].
En août 2005, des échantillons d’eau de surface ont été prélevés dans 10 sites le long du bassin de la rivière Yamaska ​​au Québec, qui traverse d’importantes zones agricoles, et qui reçoit les eaux usées de plusieurs centres urbains avec des populations allant jusqu’à 44.000 habitants. Plusieurs médicaments acides (naproxène, ibuprofène, brozil GEMFI), des médicaments neutres (caféine, carbamazépine, cotinine) et l’antibiotique sulfamide sulfaméthoxazole ont été détectés dans la majorité des échantillons d’eau de surface. L’acétaminophène (un médicament acide) n’a été détecté que dans deux endroits, et la sulfapyridine (antibiotique sulfonamide) a été détectée sur un seul site. Le sulfaméthoxazole et la carbamazépine étaient présents avec les plus fortes concentrations maximales de 578 ng / L et 106 ng / L, respectivement [13].
Une étude en coopération a été menée à Calgary, en Alberta au Canada [14]. Un certain nombre de produits pharmaceutiques et des produits chimiques perturbant le système endocrinien ont été détectés dans les effluents des stations de traitement des eaux usées à des concentrations allant du ng / L à plusieurs µg / L. Bien que ces composés soient généralement éliminés dans les effluents des stations au cours du traitement, certains composés comme la carbamazépine étaient plus persistants. Certains produits pharmaceutiques cibles et des perturbateurs endocriniens chimiques ont été détectés à de faibles concentrations, de l’ordre du ng / L dans les eaux de surface et dans l’eau potable. À l’heure actuelle, il n’existe aucune revue indiquant que de petites quantités de produits pharmaceutiques et de produits chimiques perturbant le système endocrinien, présents dans les voies navigables de Calgary, peuvent avoir un impact sur la santé des êtres humains, mais ils peuvent pourtant présenter des effets négatifs chroniques sur la vie dans les milieux aquatiques.
Le ministère de l’Environnement de l’Ontario au Canada a mené une enquête en 2006 sur les nouveaux polluants organiques (POP) qui comprennent les produits pharmaceutiques, les hormones et le bisphénol A. Dix-sept sites d’échantillonnage ont été sélectionnés à partir d’une section de 17 réseaux d’eau potable qui participent au programme de surveillance de l’eau potable, et qui comprenait 8 sources d’eau de surface dans les rivières, 7 approvisionnements en eau à partir des eaux de lacs et 2 à partir de sources d’eau souterraine.
Les composés les plus fréquemment détectés (≥ 10%) dans l’eau potable étaient la carbamazépine, le gemfibrozil, l’ibuprofène et le bisphénol BPA ; leurs concentrations ont été déterminées avec précision en utilisant un système intégré de gestion de base de données (un système de gestion de base de données pour les réseaux principaux) : elles étaient de 4 à 10 fois inférieures à celles mesurées dans l’eau de source. Les 13 composés les plus fréquemment détectés dans plus de 10% des échantillons analysés dans les eaux de source sont les suivants : carbamazépine (50%), gemfibrozil (33%), bisphénol BPA (22%), ibuprofène (21%), naproxène (21%), lincomycine (19%), sulfaméthoxazole (18%), acétaminophène (11%), monensine (11%) et benzafibrate, triméthoprime, érythromycine et sulfaméthazine (tous à 10%). Les produits monensine, tylosine, tétracycline, érythromycine, enrofloxacine, lincomycine, roxithromycine et benzafibrate ont été détectés dans 2 à 9 % des échantillons d’eau potable. La carbamazépine est le composé le plus fréquemment détecté dans l’eau potable, et elle a été détectée dans 25 % des échantillons provenant de huit sites différents ; elle avait une valeur médiane, 95ème percentile, et une valeur maximale de 0,21, 37 et 601 ng / L, respectivement [15].
Les résultats de l’étude conduite par le ministère de l’Environnement de l’Ontario au Canada sont plutôt alarmants, mais ils ont été considérés comme n’étant pas un sujet de grande préoccupation par ce ministère. Le rapport publié dans la revue Science of the Total Environment [15] n’a pas identifié les endroits exacts où les échantillons d’eau potable ont été collectés. Les rédacteurs des revues scientifiques semblent avoir omis d’exiger la base fondamentale de la recherche scientifique, selon laquelle les résultats des expériences doivent être signalés de façon exacte et en totalité. Il s’agit d’un grave abus du journalisme scientifique qui permettra, aux bureaucrates chargés des contrôles et aux politiciens, de décider comment et quelles données doivent être utilisées.
Il y a déjà trente-trois ans, j’ai critiqué le Ministère en question au Canada et la revue scientifique Environmental Mutagenesis pour avoir publié un article sur les agents mutagènes dans l’eau potable et omis de signaler l’emplacement exact où les échantillons avaient été prélevés. Le ministère de l’Environnement de l’Ontario n’aurait pas dû être autorisé à poursuivre ainsi une violation flagrante de la démarche scientifique. Je suis un contribuable qui paie des impôts pour financer de telles expériences, et j’ai appris que mon fournisseur d’eau potable ‘Elgin’ fournit des échantillons d’eau pour cette étude. L’antibiotique érythromycine, auquel j’ai une allergie mortelle, a été trouvée à des niveaux assez élevés dans certaines sources d’eau potable et toutes les personnes sensibles à l’un ou l’autre de ces polluants doivent être informées sur les pollutions contenues dans notre eau potable. Je continue de m’adresser au ministère de façon pressante pour obtenir les données exactes concernant l’eau qui est distribuée à mon domicile.

L’activité biologique de l’eau potable polluée par des produits pharmaceutiques

La génotoxicité (altération de l’ADN) présente un risque grave car elle peut conduire au développement de cancers. Les génotoxiques potentiels et les mécanismes de six produits pharmaceutiques fréquemment détectés dans les eaux de surface à travers le monde, ont été étudiés en utilisant des lignées cellulaires isogéniques de poulet. Ces médicaments comprennent l’érythromycine, la sulfaméthazine, le sulfathiazol, la chlortétracycline, l’oxytétracycline et le diclofénac. Les effets génotoxiques de ces médicaments ont été évalués par leurs effets sur la cinétique de croissance de plusieurs lignées cellulaires mutantes. Les données indiquent que les produits pharmaceutiques induisent des dommages à l’ADN qui bloquent la réplication de l’ADN, entraînant des cassures chromosomiques ainsi que des effets mutagènes dépendant de la synthèse d’ADN avec des lésions particulières (trans). [15].
Il a été démontré que l’utilisation d’antidépresseurs chez les femmes enceintes a été associée à l’autisme. Ces substances, et d’autres produits pharmaceutiques ou médicaments psychoactifs non métabolisés ont également été trouvés dans l’eau potable à partir de sources d’eau de surface, offrant une autre voie d’exposition possible et qui soulève des questions sur les conséquences pour la santé humaine.
Les profils d’expression génique de poissons (vairon à grosse tête) traités avec un mélange de trois produits pharmaceutiques psychoactifs (fluoxétine, venlafaxine et carbamazépine) avec des dosages devant être semblables aux plus hautes concentrations observées et avec des estimations prudentes, dans l’environnement, ont été utilisés pour étudier l’expression des gènes. Des expériences réalisées à l’aide de micropuces, qui donnent en même temps un profil d’expression pour de nombreux gènes, ont été effectuées sur les tissus cérébraux des poissons exposés à des produits pharmaceutiques individuels et à un mélange des trois. Les tests d’analyse génétique par classe pour l’enrichissement des ensembles de gènes impliqués dans dix troubles neurologiques humains ont été pratiqués. Seuls, les groupes de gènes associés à l’autisme idiopathique ont été clairement enrichis. Les médicaments psychoactifs induisent chez les poissons des motifs d’expression des gènes ressemblant à ceux de l’autisme. Ces résultats suggèrent un nouveau déclencheur potentiel de l’autisme idiopathique qui aurait son origine, négligée jusqu’à maintenant, dans les contaminations et les pollutions dans l’environnement [16].
La génotoxicité des effluents, avant et après biodégradation, a été évaluée in vivo dans la moelle osseuse de souris, en évaluant le pourcentage de cellules portant différentes aberrations. Les résultats ont indiqué que les produits pharmaceutiques dans les eaux usées comprennent un mélange de composés organiques parmi lesquels se trouvaient les matières actives suivantes : le celiprol (bêta-bloquant), le losartan (contrôle de la pression artérielle), l’énalapril (contrôle de la pression artérielle), le buflomédil (circulation sanguine améliorée), et le carvédilol (médicaments en cardiologie), ainsi que l’oseltamivir (médicament antiviral), le sucralose et la simvastatine (médicament du métabolisme de la nutrition) et, enfin, la ciprofloxacine (antibiotique). Les eaux usées ont montré une grande capacité pour induire des lésions de l’ADN. En outre, l’eau induit une peroxydation lipidique remarquable (LPO). L’effet des aberrations chromosomiques, ainsi que la LPO, ont été significativement réduites après que la bioremédiation des eaux polluées ait été mise en oeuvre [17].
La distribution tissulaire des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) a été évaluée chez des poissons de la famille des salmonidés (l’omble de fontaine) exposés pendant 3 mois, dans un flux continu d’effluents avant et après un traitement primaire à l’ozone. Les résultats ont montré que l’enzyme Na / K-ATPase a été facilement inhibée par l’exposition aux effluents municipaux avant et, dans une moindre mesure, après traitement à l’ozone. En outre, l’activité de la Na / K-ATPase était significativement et négativement corrélée avec les concentrations de tissus cérébraux des matières actives suivantes : fluoxétine (r = 0,57, p <0,03), desméthylsertraline (r = 0,84, p <0,001) et sertraline (r = 0,82, p < 0,001). Cette étude révèle que les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont facilement disponibles pour les poissons et biologiquement actifs, ce qui confirme les conclusions antérieures sur les propriétés sérotoninergiques des effluents municipaux pour les organismes aquatiques [18]. Na / K-ATPase est une enzyme membranaire intégrale qui transporte les ions K+ et Na+ contre les gradients de concentration respectifs, avec une hydrolyse de l’ATP, et cette enzyme est associée à des fonctions physiologiques importantes telles que la prolifération cellulaire, la régulation du volume et de l’entretien du potentiel électrogénique des tissus excitables, c’est à dire des muscles et des nerfs.
Il est clair que les produits pharmaceutiques contenus dans l’eau nuisent aux organismes aquatiques, d’une part, et que la génotoxicité, due à la fois aux produits pharmaceutiques et à leurs produits de dégradation, est susceptible de causer un préjudice à des populations et d’être la cause des troubles du système nerveux.

Les traitements pour retirer les produits pharmaceutiques contenus dans l’eau potable

Les marais filtrants artificiels constituent un bon moyen pour purifier l’eau polluée. Ils sont peu coûteux comme systèmes de traitement des eaux usées et ils ont été utilisés et étudiés depuis plusieurs décennies pour le traitement des eaux usées des petites collectivités urbaines et pour plusieurs sortes d’eaux usées industrielles. Ces systèmes ont prouvé leur efficacité pour éliminer les produits pharmaceutiques et produits de soins personnels (PPSP).
Des microcosmes de marais filtrants ont été utilisés pour étudier les PPSP dans une variété de conditions de sol et de drainage sur une période de trois ans, et ils se sont montrés efficaces dans l’assainissement des eaux polluées par les PPSP [19]. L’effet de l’alimentation en continu et par lots, sur le retrait de 8 produits pharmaceutiques (la carbamazépine, le naproxène, le diclofénac, l’ibuprofène, la caféine, l’acide salicylique, le kétoprofène et l’acide clofibrique) provenant des eaux usées, a été étudié dans un mésocosme synthétique à l’échelle de zones humides artificielles. Des mésocosmes aquatiques, ou des boîtiers expérimentaux pour l’eau, sont conçus pour fournir un ensemble limité d’eau au plus près des conditions naturelles, où les facteurs environnementaux peuvent être étudués de façon réaliste. L’alimentation du système par lots a prouvé sa supériorité dans l’élimination des produits pharmaceutiques dans l’eau [20].

L’inactivation simultanée d’Escherichia coli et de l’oxydation de produits pharmaceutiques a été étudiée par simulation avec les effluents des usines de traitement à l’aide d’un traitement photocatalytique avec du dioxyde de titane (TiO2) dans une suspension ou immobilisé sur un réacteur à lit fixe. TiO2 est de l’oxyde de titane d’origine naturelle ; c’est un pigment utilisé dans les peintures blanches et il a été étudié depuis un certain nombre d’années pour une utilisation dans la purification de l’eau. Les deux formes d’emploi du TiO2 (suspension et immobilisé sur lit) ont réussi à inactiver simultanément et à oxyder les deux types de polluants (les bactéries Escherichia coli et les produits pharmaceutiques) [21].
Les techniques de filtration membranaire, en particulier celles qui utilisent la nanofiltration ou l’osmose inverse, sont parmi les procédures les plus efficaces et les plus prometteuses pour l’élimination des composés pharmaceutiquement actifs dans des sources d’eau contaminées. Malgré la hausse des coûts d’exploitation, un nombre croissant d’installations de purification d’eau potable utilisent le système de filtration sur membrane comme méthode de purification finale. Les résultats obtenus à partir des expériences de laboratoire, ou avec des installations à grande échelle, ou encore avec des unités mobiles de purification d’eau potable, ont tous montré une élimination des composés pharmaceutiquement actifs [22].
Une approche de la haute technologie pour l’élimination des produits pharmaceutiques est une nouvelle méthodologie, appelée « capsulare perstraction », qui a été utilisée pour supprimer sept médicaments fréquemment trouvés dans l’eau. Le procédé comprend l’enveloppement de solvants organiques pré-sélectionnés dans une membrane d’hydrogel poreuse pour former des microcapsules avec un liquide de base au centre, qui extrait de manière efficace une large gamme de composés présents dans l’eau. Les résultats ont indiqué une extraction rapide des sept composés avec une efficacité variable. L’utilisation simultanée du dibutylsébaçate et de l’’acide oléique liquide dans des microcapsules à base liquide, avec un rapport en volume de seulement 4% (v / v), ) conduit à l’extraction suivante au bout de 50 minutes, après l’addition d’eau contaminée dans les capsules : furosémide 15%, acide clofibrique 19 % ; sulfaméthoxazole 22% ; carbamazépine 54% ; warfarine 80% ; métoprolol 90% et 100% de diclofénac [23].
Parmi les méthodes de purification de l’eau mentionnées ci-dessus, les marais filtrants artificiels peuvent fournir un soulagement immédiat pour les petites collectivités. La méthode qui fait appel au catalyseur TiO2 semble être pratique à condition qu’il puisse être étendu aux grandes installations. La filtration sur membrane est déjà employée dans certains pays. Alors que la ‘perstraction capsulaire’, qui en est encore aux étapes préliminaires de la commercialisation, peut se révéler être une percée majeure.

Pour conclure

Une grande partie de l’eau potable dans le monde est polluée par des produits pharmaceutiques ou par leurs produits de dégradation après leur transformation chimique. L’OMS, ainsi que de nombreux fournisseurs d’eau, soutiennent que la pollution d’origine pharmaceutique n’est pas un sujet de préoccupation suffisamment grave, même si les effets néfastes de l’exposition des organismes aquatiques sont bien connus et rapportés.
Le principe de précaution exige que la menace pour la santé humaine et pour l’environnement doit être reconnue et que des mesures appropriées doivent être prises pour remédier à l’eau polluée et pour limiter les rejets provenant des sources industrielles.
La méthode d’approche scientifique est basée sur la publication des rapports complets et véridiques et, là encore, le ministère ontarien de l’Environnement choisit de publier des rapports qui ne peuvent pas être corroborés de façon indépendante, car les sites exacts des prélèvements des échantillons d’eau potable ne sont pas indiqués. Les rédacteurs en chef ne devraient pas permettre que cette pratique répréhensible puisse persister. L’omission d’informations peut entraîner l’exposition mortelle d’individus sensibles à des allergènes puissants ou à des produits chimiques tels que ceux qui causent l’autisme.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a manqué gravement à son rôle de gardien des approvisionnements en eau potable dans le monde.
Addenda
J’ai demandé des renseignements détaillés sur les médicaments polluant mon eau potable à domicile, qui est alimentée par l’eau de ‘Elgin’, Ontario, Canada, qui est puisée dans le lac Érié. Après un long retard, le Ministère ontarien de l’Environnement a fourni des renseignements détaillés sur les médicaments polluants.
Trois produits pharmaceutiques et un sous-produit de la fabrication de plastique, le bisphénol A, ont été détectés dans des échantillons d’eau potable : carbamazide (un anti-épileptique) dans 2 des 5 échantillons d’environ 3 ng / l, le gemfibrozil (une statine de régulation des lipides) dans 2 des 5 échantillons à environ 1,5 ng / l, et l’érythromycine (un antibiotique) dans l’un des cinq échantillons à 116 ng / l ; le bisphénol A a été détecté dans l’un des cinq échantillons à 56 ng / l [25].
La carbamazide s’est avérée toxique pour les algues à des niveaux rencontrés dans des environnements pollués [26] ; cette substance fait l’objet d’une bio-accumulation dans les moules et elle induit des changements spécifiques dans la transcription génique [27]. Les résultats de la chloration de l’eau donne le gemfibrozil chloré qui est plus résistant à la dégradation et bien plus toxique comme anti-androgène que la molécule mère d’origine [28]. Le gemfibrozil a provoqué des malformations embryonnaires chez le poisson zèbre [29].
L’érythromycine s’est montrée génotoxique dans les cultures de cellules de poulet [30], et elle est toxique pour les invertébrés d’eau douce et les poissons Medaka [31].
Le bisphénol A a une influence sur les fonctions des cellules à des niveaux bien en deçà de ce que l’approvisionnement en eau d’Elgin assure [32] ; il produit des ‘DNA adduits’ et il modifie le protéome chez la souris [33].
L’étude du Ministère ontarien de l’Environnement a été menée en 2005-2006 et publiée en 2011. Il n’y a eu aucun changement majeur dans le traitement de l’eau potable qui permettrait de réduire les résidus de la pollution chimique depuis que l’étude a été achevée. Certes, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour améliorer le traitement des eaux et pour réduire le flux de produits pharmaceutiques dans l’environnement.
Enfin, ceux d’entre nous qui présentent une sensibilité connue aux médicaments tels que l’érythromycine, devraient être avertis des médicaments qui polluent notre eau potable dès que les résultats sont connus.

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Définitions et compléments

Des cocktails pharmaceutiques pour tout un chacun à partir de l’eau polluée

Traduction, définitions et compléments :

Jacques Hallard, Ing. CNAM, consultant indépendant.
Relecture et corrections : Christiane Hallard-Lauffenburger, professeur des écoles
Adresse : 585 19 Chemin du Malpas 13940 Mollégès France
Courriel : jacques.hallard921@orange.fr
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