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"Des drogues illicites dans l’eau potable" par le Professeur Joe Cummins

Traduction et compléments de Jacques Hallard

samedi 2 février 2013, par Cummins Professeur Joe

ISIS Eau Pollutions
Des drogues illicites dans l’eau potable
Illicit Drugs in Drinking Water
Les organismes chargés de la réglementation nient les risques de contamination généralisée de notre eau potable par des drogues illicites. Professeur Joe Cummins

Rapport de l’ISIS en date du 03/12/2012
Une version entièrement référencée de cet article intitlé Illicit Drugs in Drinking Water est disponible par les membres de l’ISIS sur le site suivant http://www.i-sis.org.uk/Illicit_Drugs_in_Drinking_Water.php?printing=yes et elle est par ailleurs disponible en téléchargement ici

Drogues licites et illicites

Jusqu’au milieu des années 2000, l’étude concernant l’émergence de produits pharmaceutiques dans l’environnement avait exclu de façon inexplicable les drogues illicites. Les drogues illicites constituent un groupe structurellement diversifié de produits chimiques qui sont utilisés en quantités énormes dans le monde et qui sont tout à fait susceptibles d’affecter les êtres humains et les autres organismes non-ciblés ; tout comme les produits pharmaceutiques, les drogues illicites peuvent pénétrer dans l’environnement par le biais de nombreuses voies. Il est bien connu depuis des décennies que les drogues illicites et leurs produits de dégradation sont excretées dans l’urine, dans les matières fécales, dans les cheveux et la sueur, mais cela a été ignoré jusqu’en 1999, lorsque l’organisation des Nations Unies a décidé d’inclure les drogues illicites dans son champ d’action.
Toutefois, les conventions des Nations Unies traitant du contrôle des drogues ne reconnaissent toujours pas la distinction entre les drogues licites et illicites : elles décrivent seulement leur utilisation, qui peut être licite ou illicite. Sous la dénomination de « drogues illicites », on désigne les médicaments qui sont sous un contrôle international (et qui peuvent être ou non licites pour des fins médicales), mais qui sont produits, vendus et / ou consommés illégalement [1].
La première indication qui a été publiée, concernant les drogues illicites et précisant qu’elles peuvent être des contaminants omniprésents dans notre environnement, est une étude de 1987 émanant du FBI et qui montrait que la cocaïne était présente sur les monnaies qui circulent généralement. Plus tard, des études ont montré la présence de drogues illicites dans les eaux usées, dans les eaux de surface, dans l’air, dans les boues d’épuration et dans l’eau potable. Les drogues illicites, qui sont couramment rencontrées en milieu urbain, comprennent la codéine, la morphine, la méthadone, l’amphétamine, la méthamphétamine, la cocaïne, le tetrahydrocannabino (THC) et les métabolites primaires de la méthadone.
Bien qu’elle soit largement détectée dans les recherches cliniques et médico-légales, l’apparition de l’héroïne (diacétylmorphine) est essentiellement limitée, dans l’environnement, aux billets de banque en raison de sa propension à s’hydrolyser dans l’eau.

Les drogues illicites dans l’environnement

Les drogues illicites et leurs métabolites qui sont présents dans l’environnement, ainsi que leur impact potentiel négatif sur l’écosystème, constituent une préoccupation croissante. La cocaïne, la morphine, les amphétamines et l’ecstasy (MDMA) ont de puissantes effets pharmacologiques et leur présence sous forme de mélanges complexes dans l’eau peut avoir des effets néfastes sur les organismes aquatiques et sur la santé humaine. Cependant, il n’existe aucune réglementation concernant la présence de ces polluants dans les eaux usées traitées, dans les eaux de surface, dans l’eau potable, ou encore dans l’atmosphère.
Les concentrations (en ng / L) des drogues illicites dans les eaux usées et dans les eaux de surface, provenant du monde entier, sont regroupées dans deux catégories : cocaïniques, opioïdes, et cannabinoïdes, d’une part, et les composés de la famille des amphétamines et de l’ecstasy, d’autre part. La gamme de ces résidus polluants s’étend sur trois à quatre ordres de grandeur (voir le tableau 1) [2].

Tableau 1 - Les drogues illicites dans l’eau par catégorie

Un examen approfondi de divers endroits dans le monde révèlent une pollution généralisée des eaux par les drogues illicites. Les données apportent des informations sur l’abus des drogues qui ne peuvent pas être obtenues à travers des études épidémiologiques classiques. Plus important encore, ces données soulignent la nécessité de procéder à un assainissement afin de restaurer la qualité de l’eau potable distribuée en milieu urbain [3].

La consommation de drogues illicites et l’épidimiologie à partir des eaux usées

Une estimation de la consommation des drogues par l’analyse des eaux usées a été réalisée à Paris. La cocaïne et ses métabolites, les amphétamines, l’ecstasy (MDMA) et la buprénomorphine ont été comparés dans les zones autour de quatre usines de traitement de l’eau. La consommation des drogues différait dans les quatre lieux, la plus répandue étant observée pendant le week-end. L’estimation de la prise de drogues illicites à Paris était plus faible que dans d’autres pays comme l’Espagne et l’Italie [4].
En Australie, l’analyse à partir des eaux usées a montré que dans une année (de 2009 à 2010), l’utilisation de l’ecstasy (MDMA) a été divisée par 50 et, dans le même temps, une hausse de la consommation de méthamphétamine a été relevée. [5].
L’épidémiologie similaire des eaux usées dans l’Etat de l’Oregon, à l’ouest des Etats-Unis, a montré que la consommation de la cocaïne est principalement enregistrée en milieu urbain et qu’elle est faible ou absente dans les zones rurales [6]. L’ecstasy (MDMA) a été utilisée dans moins de la moitié des communautés, principalement en milieu urbain, tandis que la méthamphétamine a été utilisée dans toutes les collectivités, qu’elles soient urbaines et rurales [6].
Trois villes canadiennes anonymes ont été étudiées pour l’utilisation de la cocaïne, des amphétamines, de la méthamphétamine et de l’ecstasy (MDMA). La plus forte consommation de méthamphétamine a été trouvée dans la plus grande des villes, tandis que la consommation d’ecstasy et de cocaïne était la plus faible dans la plus petite ville [7]. Cette étude canadienne a violé une directive principale concernant le compte-rendu de la recherche scientifique, en omettant d’identifier clairement les villes et les stations d’épuration étudiées ; en conséquence, les expériences ne pourront jamais être répétées de façon indépendante.
Une étude des eaux de surface du fleuve Tage, qui coule à travers la province de Tolède en Espagne (en aval de la région métropolitaine de Madrid), et les eaux potables dans deux villes proches, a permis de détecter 12 des 22 drogues faisant l’objet d’abus à des concentrations allant de 1,14 à 40,9 ng / L [8] . Même si ces concentrations sont relativement faibles, les effets sur la faune et sur la santé humaine ne peuvent pas être négligés, en particulier chez les populations vulnérables.

La purification de l’eau potable polluée par des drogues illicites

L’eau potable polluée par des drogues illicites a été jugée acceptable par les organismes gouvernementaux, y compris par l’Organisation Mondiale de la Santé, par l’Union européenne, ainsi que par l’Agence américaine de protection de l’environnement, en violation flagrante du principe de précaution en matière de santé et de sécurité publiques.
Un procédé faisant appel à une réaction de Fenton (procédé photo-Fenton) s’est montré remarquablement efficace pour la dégradation des drogues illicites [8] : il consiste à traiter l’eau avec du fer ferreux et du peroxyde d’hydrogène en présence de lumière ultraviolette.
Une récente étude comprend l’élimination des polluants de drogues illicites par les technologies de traitement conventionnelles, ainsi que par des traitements de pointe tels que les bioréacteurs à membrane [9]. La technologie des bioréacteurs à membrane est considérée comme le développement le plus prometteur pour le traitement microbiologique des eaux usées. Plusieurs études ont clairement défini son fort potentiel de réduction des risques écologiques associés aux drogues illicites, ainsi que vis-à-vis d’autres micro-polluants polaires.
La filtration sur berges est un type de filtration qui purifie l’eau par passage de l’eau à travers les berges d’une rivière ou d’un lac. L’eau est ensuite extraite par des puits situés à une certaine distance de la masse d’eau. Ce mode de filtration ne garantit pas l’élimination complète de tous les résidus potentiels des drogues illicites présents dans l’eau. Il peut être considéré comme un outil utile pour le pré-traitement de l’eau brute (eau de surface, eaux usées et eau recyclée), mais il nécessite ensuite une purification supplémentaire pour produire de l’eau potable.
Les aptamères constituent une nouvelle classe de molécules d’ADN / ARN simple brin et synthétiques, qui ont été sélectionnées parmi des bibliothèques d’acides nucléiques, d’après leurs propriétés de reconnaissance moléculaire [10] (voir Aptamers for Biosensing, Diagnosis, Drug Delivery and Therapy, SiS 56) *.
* Version en français "Des aptamères pour la biodétection, le diagnostic, l’administration des médicaments et la thérapie" par le Dr Mae-Wan Ho. Traduction et compléments de Jacques Hallard ; accessible sur http://isias.transition89.lautre.net/spip.php?article267&lang=fr
Une nouvelle colonne de purification avec des aptamères a été mise au point afin d’éliminer les résidus de micro-polluants provenant des drogues dans l’eau potable. La cocaïne et le diclofénac (un médicament anti-inflammatoire) ont été choisis comme molécules modèles pour tester cette colonne fonctionnant avec des aptamères. La suppression de la drogue illicite a été de l’ordre de 88-95 % [11].

Questions morales et éthiques dans l’épidémiologie des eaux usées

Un rapport australien de 2012 traite de quelques ramifications juridiques de l’utilisation de l’analyse des eaux usées spécifiques sur un site de consommation de drogues illicites dans les prisons et / ou des lieux tels que les boîtes de nuit ou les festivals de musique [12].
L’article d’un journal juridique conclut que la production de données anonymes et non identifiables est essentielle pour un certain nombre de raisons, y compris du fait que les études portent sur des activités illégales, à savoir la possession et le trafic de drogues. Il précise que pour les études dans des prisons, il est important que les publications ne dénomment pas les installations et les lieux où la recherche a été conduite. Mise à part la diminution des préoccupations relatives à une présentation de caractère négatif par les médias, il est jugé important de protéger l’anonymat des prisons participantes pour éviter la stigmatisation des détenus, de leurs familles et du personnel pénitentiaire.
Je suis en complet désaccord avec cela. Des perspectives de conflits entre avocats se profilent, portant sur les bases fondamentales de la démarche scientifique, selon lesquelles les résultats obtenus doivent être rapportés de manière exacte et en totalité.
Les publications dans des revues scientifiques devraient exiger que les grands échantillons anonymes, tels que ceux utilisés dans les études épidémiologiques des eaux usées, devraient signaler l’heure et les lieux des prélèvements et des analyses.
En outre, il s’agit d’une question de santé publique, en particulier pour ceux et celles qui sont obligés de subir les conséquences de la pollution de l’eau, sans en avoir au préalable connaissance et sans leur consentement.

Pour conclure

La pollution croissante des eaux de surface et des eaux potables avec des drogues illicites et avec leurs sous-produits de dégradation est un grave sujet de préoccupation.
Comme dans les cas de la pollution avec les médicaments pharmaceutiques, et pour laquelle les niveaux observés sont suffisants pour affecter les organismes aquatiques, les autorités chargées de la réglementation affirment n’avoir aucune préoccupation majeure pour les êtres humains.
Une simple précaution exige que le public soit avisé de la menace croissante concernant l’eau potable. Les endroits où l’eau potable est polluée avec les drogues illicites ne devraient pas être tenus secrets auprès de la population qui y est affectée.

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Définitions et compléments

Des drogues illicites dans l’eau potable

Traduction, définitions et compléments :

Jacques Hallard, Ing. CNAM, consultant indépendant.
Relecture et corrections : Christiane Hallard-Lauffenburger, professeur des écoles
honoraire.
Adresse : 585 19 Chemin du Malpas 13940 Mollégès France
Courriel : jacques.hallard921@orange.fr
Fichier : ISIS Eau Pollutions Illicit Drugs in Drinking Water French version.3 allégée.