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"C’est l’approvisionnement du monde en eau qui est menacé" par le Dr Mae-Wan Ho

Traduction et compléments de Jacques Hallard

mardi 30 octobre 2012, par Ho Dr Mae-Wan

ISIS EAU
C’est l’approvisionnement du monde en eau qui est menacé
World Water Supply in Jeopardy
L’essentiel des ressources naturelles en eau est en train de s’épuiser : les ressources se dégradent à un rythme insoutenable et elles sont menacées par le réchauffement planétaire et le changement climatique d’origine anthropique ; mais la crise qui se dessine est encore évitable. Dr Mae-Wan Ho

Rapport de l’ISIS en date du 24/09/2012
Une version entièrement illustrée et référencée de cet article intitulé World Water Supply in Jeopardy est disponible pour les membres de l’ISIS sur le site suivant http://www.i-sis.org.uk/World_Water_Supply_in_Jeopardy.php. Elle est par ailleurs disponible en téléchargement ici
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De l’eau, de l’eau partout, mais pas assez d’eau pour boire

La crainte du manque d’eau est sur le point de concerner tout le monde, sauf si nous parvenons à corriger nos mauvaises pratiques et nos usages actuels de l’eau. Il y a en effet beaucoup d’eau sur notre planète, mais moins de 1% de celle-ci est de qualité convenable pour que les êtres vivants puissent en vivre (voir encadré 1).

Encadré 1
L’eau douce est strictement limitée

Une eau abondante existe sur notre planète, mais 97,5% est constituée d’eau salée dans les océans, tandis que l’eau douce - dont toute vie terrestre, y compris l’espèce humaine dépend - ne représente que 2,5 %, et seulement une petite proportion de cette eau douce est disponible pour les êtres humains et les autres formes de vie terrestre. Environ 68,7% de l’eau douce est incluse dans les glaciers et 0,8% dans le pergélisol, ce qui laisse 30,1% des eaux souterraines accessibles par des puits et des forages de pompage, le reste étant constitué par une disponibilité de 0,4 % d’eau de surface et d’eau atmosphérique. Concernant l’eau disponible, l’eau douce des lacs représente 67,5 %, l’humidité du sol 12,0 %, la vapeur d’eau dans l’atmosphère 9,5 %, les zones humides 8,5 %, les rivières 1,5 % et la végétation 1,0 % (figure 1) [1].

L’eau est utilisée dans les différents secteurs des activités humaines ; et l’agriculture est, de loin, la plus grosse utilisatrice d’eau.
L’eau douce est une ressource renouvelable : elle constitue un cycle à travers les terres, les océans et l’atmosphère (figure 3) [2]. Malheureusement, elle est consommée plus vite qu’elle ne peut être renouvelée.
Figure 3 - Cycle de l’eau sur la planète Terre
L’épuisement des eaux souterraines se manifeste rapidement et s’accélère
L’eau souterraine est le plus grand réservoir d’eau douce, et environ 2 milliards de personnes en dépendent pour l’agriculture et leur vie quotidienne [1]. Ces réservoirs souterrains alimentent également les ruisseaux, les terres humides et les écosystèmes. Il se produit des affaissements des terrains et des infiltrations d’eau salée dans les réserves d’eau douce. L’épuisement des eaux souterraines est devenu un grave problème depuis de nombreuses années, car l’eau est utilisée plus vite qu’elle ne peut être rechargée par les précipitations.
Une étude publiée en 2010 a révélé que le taux d’épuisement a plus que doublé depuis 1960 [3]. D’après le cycle de l’eau, il y a tellement d’eau en cours d’épuisement dans l’écosystème terrestre, du simple fait du ruissellement, de l’évaporation et des précipitations, qu’une quantité importante est déversée dans les océans et que cette eau compte annuellement pour environ 25% de l’élévation du niveau de la mer à travers la planète.
L’auteur principal de l’étude, Marc Bierkens de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas, a déclaré dans le journal ScienceDaily [4] : « Si vous laissez croître les populations en étendant les superficies des zones irriguées, en utilisant les eaux souterraines qui ne sont pas en train de se recharger, alors vous allez foncer dans le mur à un certain moment et vous aurez les famines et les troubles sociaux qui vont avec ».
L’étude a estimé la vitesse à laquelle l’eau souterraine est retirée et rechargée au moyen d’un modèle alimenté avec les informations d’une base de données des eaux souterraines mondiales. Le modèle est basé sur une couche d’eau souterraine comprise entre deux couches de sol superposées ; le tout est exposé dans la partie supérieure aux précipitations, à l’évaporation et à d’autres effets. Les données sont composées des enregistrements portant sur les précipitations, les températures et l’évaporation sur une période de 44 ans (de 1958 à 2001).
L’application de l’analyse à travers le monde dans des régions allant des zones arides à celles qui bénéficient de l’humidité comme les prairies humides, l’équipe de recherche a confirmé que les stocks d’eau souterraine sont en diminution, et que le taux de diminuation a plus que doublé entre 1960 et 2000, passant de 126 à 283 m3 par an.
Du fait que la quantité totale des eaux souterraines dans le monde est inconnue, il est difficile de dire à quelle vitesse l’offre mondiale devrait disparaître complètement. Mais si l’eau était déplacée aussi rapidement que dans les Grands Lacs [en Amérique du Nord], ceux-ci pourraient être à sec dans 80 ans.
Il est clair que toute réduction de la disponibilité des eaux souterraines pourrait avoir des effets profonds, en particulier pour une population humaine croissante sur la planète.
L’évaluation des ressources a montré les taux les plus élevés d’épuisement en eau dans quelques-uns des plus importantes régions agricoles du monde, y compris le nord-ouest de l’Inde, la Chine du nord, le nord-est du Pakistan, la vallée centrale de Californie et le Midwest sur le territoire des États-Unis.
« Le taux d’épuisement en eau a augmenté presque linéairement à partir des années 1960 et jusqu’aux années 1990 », a déclaré Marc Bierkens. « Mais on observe alors par la suite une forte augmentation qui est liée à l’augmentation des nouvelles économies naissantes et aux effectifs des populations ; principalement en Inde et en Chine ».
Comme les eaux souterraines sont de plus en plus exploitées [pour satisfaire les demandes en eau], les nappes phréatiques peuvent finir par être tellement abaissées qu’un paysan ordinaire ne pourra plus y accéder du tout, a dit Marc Bierkens. Certains pays seront amenés à faire appel à des technologies coûteuses pour obtenir de l’eau douce pour la production alimentaire, telles que le dessalement de l’eau de mer, ou la recharge artificielle des eaux souterraines, mais beaucoup n’auront pas la possibilité de retenir cette option.
L’utilisation des eaux souterraines ajoute environ 0,8 millimètres par an à l’élévation du niveau moyen de la mer, ce qui représente annuellement environ un quart des 3,1 millimètres de l’élévation totale, soit encore autant que la contribution résultant de la fonte des glaciers et des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique.

Les fleuves du monde sont en train de se dégrader

Dans la même année, une étude publiée dans la revue Nature a fourni une documentation sur la forte dégradation des cours d’eau du monde [5, 6]. Les rivières sont la principale source d’approvisionnement en eau renouvelable pour les êtres humains et pour les écosystèmes d’eau douce dans les bassins versants des rivières et de leurs affluents.
L’étude, dirigée par Charles Vörösmarty, un ingénieur civil de la City University de New York, a révélé que même les pays riches sont parmi les zones les plus sollicitées et qu’elles sont menacées dans leur biodiversité. L’équipe a effectué une évaluation informatisée afin de quantifier les menaces connues pour la sécurité de l’approvisionnement en eau et de la biodiversité d’eau douce dans les systèmes fluviaux de la planète. Ils ont produit une série de cartes montrant l’effet cumulatif de multiples menaces. Une carte donne une illustration des zones où la sécurité de l’eau est déjà menacée pour les humains, ainsi que la gravité des menaces.
Un autre carte couvre les mêmes zones et les menaces concernant la biodiversité, et une troisième carte a combiné les résultats des deux enquêtes (figure 4).
Figure 4 - Carte de l’état des bassins hydrographiques de la Terre en termes de menaces pour la sécurité de l’approvisionement en eau pour les humains et pour la biodiversité naturelle
Comme on le voit, les régions du monde où l’agriculture est intensive et le peuplement humain est dense, comme le sud de l’Asie et le sud-est asiatique, le nord et l’est de l’Afrique, et même certaines parties de l’Europe, présentent certains des plus hauts niveaux de menaces à la fois pour la sécurité de l’approvisionnement en eau et pour la biodiversité.
En outre, les impacts locaux sont transportés vers l’aval : il y a plus de 30 des 47 plus grands fleuves du monde, y compris le Nil, qui enregistrent au moins des niveaux de menace modérés à l’embouchure du fleuve. Seule une petite fraction des fleuves de la planète n’est pas affectés par les êtres humains, ainsi que dans les parties reculées de l’Amazonie, où les eaux s’écoulent à travers une forêt dense, qui montrent les plus bas niveaux de menaces.
Des recherches antérieures avaient déjà permis de constater que presque tous les bassins hydrographiques européens étaient grandement affectés par les activités humaines, en particulier par la pollution de l’eau. La directive-cadre européenne sur l’eau, qui impose aux États membres d’atteindre un bon état écologique des eaux superficielles et souterraines d’ici 2015, a besoin d’une identification cohérente et comparative des fortes pressions anthropiques, accompagnée d’une évaluation de leurs impacts.
Des chercheurs de l’University of Natural Resources and Life Sciences, l’Université des ressources naturelles et des sciences de la vie à Vienne en Autriche, ont effectué la première analyse des données à haute résolution des pressions humaines exercées sur les fleuves d’Europe. Un total de 9.330 échantillons provenant d’environ 3.100 rivières coulant dans 14 pays européens ont été analysés [7, 8].
Ces chercheurs ont identifié 15 causes d’origine humaine qui concernent la dégradation des eaux des rivières et des fleuves. Ces causes sont marquées individuellement et regroupées en 4 groupes de pression (avec un score moyen réalisé pour chaque groupe) : la qualité de l’eau (différents types de polluants), l’hydrologie (prélèvement d’eau et tout ce qui réduit ou augmente le volume de débit ou le taux), la morphologie (changement de la forme des rives,y compris les remblais artificiels et les digues), et enfin la connectivité (présence de barrières entre le segment du bassin versant en amont et le segment de la rivière en aval).
L’analyse a révélé que la qualité de l’eau est affectée dans 59% des rivières ; l’hydrologie dans 41% et la morphologie dans 38% des rivières. La connectivité est perturbée au niveau du bassin versant dans 85% des cas et dans 35% des cas au niveau de la rivière. Environ 31% de tous les sites sont touchés par une, 29% par deux, 28% par trois et 12% par quatre de toutes les formes de pression qui s’exercent ; seulement 21% des rivières ne sont pas affectées. Environ 90% des rivières s’écoulant dans des plainee sont touchées par une combinaison de ces quatre formes de pression.
Les régions les plus touchées sont les régions montagneuses du centre de l’Europe, principalement en Autriche et en Allemagne, les plaines hongroises, les hautes terres de l’Ouest (en France et en Suisse) et les plaines de l’Ouest (principalement en France). Les sites se trouvant à proximité de la source de la rivière sont généralement moins touchés que les rivières de plaine où les multiples impacts négatifs ont été plus fréquents.
L’étude prédit que les pressions anthropiques sont susceptibles de s’intensifier. L’augmentation du nombre de phénomènes météorologiques extrêmes risque d’entraîner une variation plus importante des flux des cours d’eau, et il y aura vraisemblablement une demande croissante des besoins en eau pour l’agriculture et pour la production d’énergie.

La sécurité mondiale de l’eau et la sécurité nationale

Un rapport préparé par l’Intelligence Community Assessment (ICA) pour le Département d’État américain a abordé la question suivante : comment les problèmes de l’eau vont-ils impacter les intérêts en matière de sécurité nationale des États-Unis et les questions transfrontalières au cours des 30 prochaines années ?
La version non classifiée du rapport publié en février 2012 [1], a révélé qu’elle était axée sur un certain nombre d’Etats "d’importance stratégique pour les Etats-Unis" dans un ensemble sélectionné de bassins fluviaux, qui ont été évalués pour la capacité de gestion de l’eau, du point de vue politique et de l’environnement, avec une notation selon 3 classes : « modéré », « limité », ou carrément « inadéquat » (voir le tableau 1 ci-après).
Le rapport conclut que d’ici à 2040, la disponibilité de l’eau douce ne pourra pas suivre la demande, à moins qu’une gestion plus efficace des ressources en eau ne soit mise en place. Les problèmes liés à l’eau - pénurie, pollution, inondations - nuiront à la capacité des pays clés pour produire de la nourriture et pour fournir de l’énergie, ce qui pose un risque pour la production alimentaire mondiale et peut constituer une entrave à la croissance économique. À la suite de pressions démographiques et du développement économique, l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud auront à faire face à des défis majeurs avec le problème de l’eau.
Bien que les problèmes de l’eau par eux-mêmes ne soient pas susceptibles d’entraîner une défaillance au niveau des états, cela peut se produire par l’agitation sociale lorsqu’elle combinée avec la pauvreté, les tensions sociales, la dégradation de l’environnement, la gouvernance inefficace et la faiblesse des institutions politiques.
Au cours des dix prochaines années, l’épuisement des eaux souterraines représente, dans certaines zones agricoles, un risque pour les marchés alimentaires nationaux et même mondiaux.

A partir de maintenant et jusqu’en 2040, une gestion améliorée de l’eau donnera les meilleures solutions, comme par exemple, par des allocations de prix et le commerce basé sur l’eau virtuelle, ainsi que des investissements liés à l’eau dans des secteurs tels que l’agriculture, l’alimentation et le traitement des eaux ‘usées’.
L’agriculture utilise environ 70% de l’offre mondiale d’eau douce : le plus grand potentiel pour limiter la pénurie d’eau sera un ensemble de technologies qui permettront de réduire la consommation d’eau dans les activités agricoles.
Les pénuries d’eau résultent d’une demande accrue, d’une diminution des approvisionnements et de la mauvaise gestion des ressources
Le rapport de l’ICA [1] prédit que d’ici les 30 prochaines années, la demande mondiale d’eau douce augmentera et dépassera l’offre, sauf si une gestion efficace de l’eau est mise en place. Les besoins annuels en eau de la planète atteindront 6.900 milliards de m3 en 2030, soit 40% au-dessus des niveaux actuels.
Selon le rapport 2007 du Groupe d’experts intergouvernemental sur les changements climatiques (GIEC) des Nations Unies, il y aura des pénuries d’eau dans de nombreuses régions du monde, en particulier dans les zones semi-arides et arides telles que sur le pourtour de la Méditerranée, dans l’ouest des États-Unis, en Afrique du Sud, au nord-est du Brésil, dans le sud et l’est de l’Australie.
L’agriculture compte pour environ 3.100 milliards de m3, soit un peu moins de 70% de la consommation d’eau mondiale actuelle, et si les pratiques actuelles et l’efficacité présente continuent, ce nombre passera à 4.500 milliards de m3, soit 65% de tous les prélèvements d’eau d’ici à 2030. La pression de la production alimentaire, due à une forte augmentation de la population, est encore exacerbée par la mise en cultures de plantes destinées à produire des biocarburants (encadré 2).

Encadré 2
Les biocarburants aggravent la pénurie d’eau

La biomasse nécessaire pour produire un litre de biocarburant consomme entre 1.000 et 3.500 litres d’eau. Les projets de la Banque mondiale indiquent qu’en 2030, les terres allouées aux biocarburants vont quadrupler, principalement en Amérique du Nord et en Europe, touchant de 10% à 15% des terres arables. Dans le monde en développement, les cultures bioénergétiques atteindront 0,4% des terres arables en Afrique, 3% en Asie et 3% en Amérique latine.
La population mondiale devrait s’accroître de 1,2 milliards d’habitants entre 2009 et 2025, passant ainsi de 6,8 milliards à 8 milliards. L’urbanisation dans les pays en développement, la croissance industrielle, les besoins d’assainissement, ainsi que l’augmentation de la consommation de viande, vont tous contribuer à faire grimper la consommation d’eau.
Mais l’approvisionnement en eau diminue. En 2030, un tiers de la population mondiale vivra près des bassins d’eau où le déficit hydrique sera supérieur à 50%. Un certain nombre de pays connaissent déjà un stress hydrique élevé, lorsque les fournitures annuelles renouvelables en eau douce sont en dessous de 1.700 m3 par personne.
Il s’agit notamment de l’ouest des États-Unis, de l’Afrique du Nord, de l’Afrique australe, du Moyen-Orient, de l’Australie et dans certaines parties de l’Asie du Sud et en Chine. (La rareté en eau est spécifiée lorsque l’approvisionnement annuel est inférieur à 1. 000 m3 par personne et par an ; en comparaison, on utilise actuellement aux États-Unis 2.500 m3 par personne et par an.)
Une mauvaise gestion des eaux va aboutir à réduire davantage l’approvisionnement en eau par les facteurs suivants : la consommation non appropriée de l’eau, la déforestation et la dégradation des sols, des infrastructures pauvres dans les villes où le taux des fuites dans les réseaux de distribution est estimé entre 30 et 50%, et l’évaporation à partir des réservoirs.

Les inondations, l’élévation du niveau de la mer et la qualité de l’eau

Le GIEC indique que le risque de sécheresses et d’inondations augmentera de façon marquée dans de nombreuses régions du monde d’ici la fin du siècle, due à l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes. Au cours des prochaines décennies, l’élévation du niveau de la mer et la détérioration des tampons côtiers amplifieront les dégâts provoqués par des tempêtes sévères. L’eau potable fournie à partir des ressources en eau de surface et des aquifères souterrains va presque certainement diminuer encore, à mesure que la qualité de l’eau diminuera à partir de l’intrusion d’eau salée, du fait de l’épuisement des eaux souterraines et de l’élévation du niveau de la mer (voir ci-dessus).

Les impacts de l’insécurité concernant l’eau

Le rapport de l’ICA [1] cite dans le détail les conséquences de l’insécurité relative à l’eau.
L’instabilité politique
Historiquement, les tensions relatives à l’eau ont conduit à plus d’accords de partage de la ressource en eau entre les États que de conflits violents entre les parties concernées. Cependant, comme les pénuries d’eau vont devenir plus aigues au cours des dix prochaines années, l’eau issue des bassins versants partagés sera de plus en plus utilisée comme moyen de pression politique. Il y aura une augmentation de l’utilisation de l’eau ou des infrastructures hydrologiques comme une arme - à la fois entre les pays et au sein des Etats pour réprimer les séparatistes - ou encore comme cible d’attaques terroristes.
L’insécurité alimentaire et énergétique
Si les problèmes d’eau ne sont pas gérés de façon adéquate, la production alimentaire va être touchée, ainsi que la production d’énergie provenant de l’énergie hydroélectrique. Ces problèmes, exacerbés par la pauvreté et l’inégalité sociale, la dégradation de l’environnement et la faiblesse des institutions politiques, pourraient bien entraîner des troubles sociaux et des défaillances au niveau des États.
Agriculture et croissance économique
Comme mentionné précédemment, de nombreux pays ont déjà surexploité leurs eaux souterraines, ce qui peut aboutir à des niveaux insuffisants des produits de l’ l’agriculture. Le réduction de l’agriculture contrecarre aussi la croissance économique. Actuellement, 35% de la population active mondiale travaille dans l’agriculture, mais cette proportion est beaucoup plus élevée dans les pays en développement, où l’agriculture pourrait représenter 95% de la consommation d’eau.
Les données obtenues par les satellites de la NASA américaine (National Aeronautics and Space Administration) montrent que l’eau est en train de s’épuiser plus rapidement dans le nord de l’Inde que dans n’importe quelle autre région comparable dans le monde. Une étude de la Banque mondiale datée de 2005 a constaté que l’irrigation à partir des eaux souterraines, directement ou indirectement, ont assuré 60% de la production alimentaire de l’Inde et 15% de la production alimentaire de l’Inde dépendait d’une utilisation non soutenable des eaux souterraines. .
L’énergie et la production économique
La production économique va baisser s’il n’y a pas suffisamment d’eau propre disponible pour produire de l’électricité, pour maintenir et développer l’industrie manufacturière et permettre l’extraction des ressources (y compris l’exploitation minière). L’hydroélectricité est importante dans le monde en développement. Plus de 15 pays en développement génèrent 80% ou plus de leur électricité à partir de centrales hydroélectriques. La demande en eau pour la production d’énergie et de la transformation industrielle est en hausse.
Risque accru de maladie
La pénurie d’eau - due en partie à des infrastructures pauvres concernant l’eau et le manque d’assainissement - oblige les gens à boire de l’eau insalubre, ce qui augmente le risque de maladies d’origine hydrique telles que le choléra, la dysenterie et la fièvre typhoïde. Les projets de dérivation de l’eau comme les barrages, les réservoirs et les systèmes d’irrigation créent des eaux stagnantes ou à circulation lente qui permettent la reproduction des moustiques, des escargots, des copépodes et d’autres agents vecteurs de maladies.
En moyenne, un enfant meurt d’une maladie liée à l’eau toutes les 15 secondes, selon le rapport 2006 des Nations Unies sur le développement humain. L’eau non potable et un assainissement défectueux sont les principales causes de décès dans le monde en développement pour les enfants de moins de 5 ans. Près de la moitié de toutes les personnes dans les pays en développement souffrent d’un problème de santé lié à l’eau et à l’assainissement.
L’épidémie de choléra en Haïti, qui a fait 455.000 malades et causé la mort de 6.400 personnes (à la date du 20 Septembre 2011), a été initiée par la contamination de la rivière Artibonite lors de ses faibles débits. Pendant la saison des pluies et des typhons en 2010, le choléra s’est propagé dans tout le pays, contaminant en plus les réserves d’eau potable.
Le trachome, qui menace de cécité 400 millions de personnes et qui est fréquent chez les enfants, est une conséquence directe des environnements secs et poussiéreux, dépourvus d’assainissement, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) - un plan d’action mondial pour la réalisation des objectifs contre la pauvreté d’ici à 2015 - comprend l’accès universel à l’eau et à l’assainissement. La Banque mondiale estime que même si les pays vont élaborer des politiques et améliorer les institutions concernant l’eau, l’aide extérieure supplémentaire en devises nécessaires pour atteindre les objectifs en matière d’eau et d’assainissement d’ici à 2015, se situe entre 5 à 21 milliards de dollars US.
Cependant, l’OMS estime que des investissements de 190 milliards de dollars seront nécessaires chaque année jusqu’en 2015 pour atteindre et maintenir les objectifs concernant l’eau et l’assainissement dans toutes les zones géographiques concernées [9]. Cela est à mettre en parallèle avec le montant de 7,8 milliards de dollars qui a été consacré à l’aide mondiale en 2010.

Il faut améliorer la gestion de l’eau et les investissements

Le rapport de l’ICA conclut que le meilleur moyen d’éviter une crise de l’eau potentielle au niveau mondial d’ici à 2040, est d’améliorer la gestion de l’eau à travers les prix, la répartition et le commerce des produits à haute teneur en eau virtuelle. (L’eau virtuelle est l’eau douce utilisée ou consommée dans le développement ou la production d’un bien ou d’une marchandise).
La teneur moyenne globale en eau virtuelle du maïs, du blé et du riz (décortiqué) est respectivement de 900, 1.300 et 3. 000 m3 / tonne, alors que la teneur en eau virtuelle de la viande de poulet, de porc et de boeuf est respectivement de 3.900, 4.900 et 15.500 m3 / tonne. Dans le même temps, il devrait y avoir des investissements liés à l’eau dans des secteurs tels que l’agriculture, l’alimentation et le traitement des eaux.
Du fait que l’agriculture utilise de loin la plus grande partie de l’eau douce mondiale, le plus grand potentiel pour éviter la pénurie d’eau est un ensemble de technologies qui permet de réduire l’eau nécessaire à l’agriculture. Nous devons aussi cesser de faire croître des cultures gourmandes en eau comme les agrumes dans les zones sèches.
L’Union Européenne prend très au sérieux l’efficacité de l’eau, et elle a recommandé de nombreuses mesures, y compris l’utilisation des eaux usées des stations d’épuration et des eaux grises pour des usages agricoles. (voir [10] Using Water Sustainably, SiS 56).

Le système de riziculture intensive, l’agriculture biologique, l’agro-écologie et l’agriculture en conditions salines

Il convient en conclusion de mentionner ici les changements culturels les plus radicaux qui n’ont pas reçu une attention suffisante dans le contexte de l’utilisation durable des ressources en eau.
Il a été démontré qu’une technique de culture du riz - le ‘Système de riziculture intensive’ (SRI) (voir [11, 12] Fantastic Rice Yields Fact or Fallacy ?, Does SRI work ? SiS 23) – a permis de doubler et de tripler les rendements avec une petite fraction de la consommation d’eau traditionnelle. La technique est déjà largement adoptée dans le monde entier, avec des pratiques agro-écologiques ou de l’agriculture biologique qui empêchent la pollution de l’eau, qui améliorent la percolation de l’eau et les capacités de stockage de l’eau dans les sols, en particulier pendant les années de sécheresse.
En outre, l’agriculture biologique permet d’économiser sur les émissions de carbone et sur l’énergie, les sols mieux pourvus en matières organiques séquestrent le carbone et les produits de l’agriculture biologique sont source de santé et présentent de nombreux avantages économiques (voir notre rapport détaillé [13] ] Food futures now, organic, sustainable fossil fuel free, ISIS/TWN publication).
Une autre approche très importante est le mode d’agriculture durable en conditions salines ([14] Saline Agriculture to Feed and Fuel the World, SiS 42) ; il consiste à utiliser de l’eau de mer pour cultiver des plantes naturellement tolérantes au sel et destinées à l’alimentation et à la production de carburant ; ces plantes cultivables peuvent recycler efficacement les substances nutritives de la mer vers les zones côtières.

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Définitions et compléments

C’est l’approvisionnement du monde en eau qui est menacé

Traduction, définitions et compléments :

Jacques Hallard, Ing. CNAM, consultant indépendant.
Relecture et corrections : Christiane Hallard-Lauffenburger, professeur des écoles
honoraire.
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