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"Longévité : une hérédité non génétique" par le Dr Eva Sirinathsinghji

Traduction et compléments de Jacques Hallard

dimanche 19 août 2012, par Sirinathsinghji Eva

ISIS Génétique Epigénétique
Longévité : une hérédité non génétique
Non-genetic Inheritance of Longevity
Rapport de l’ISIS en date du 05/08/2012
Une longévité accrue est transmise de génération en génération chez les vers par des changements de nature épigénétique, sans aucune modification des génomes. Dr Eva Sirinathsinghji

Une version entièrement référencée et illustrée de ce rapport intitulé Non-genetic Inheritance of Longevity est affiché et accessible par les membres de l’ISIS sur le site http://www.i-sis.org.uk/Nongenetic_inheritance_of_longevity.php ; elle est par ailleurs disponible en téléchargement ici
S’il vous plaît, diffusez largement et rediffusez, mais veuillez donner l’URL de l’original et conserver tous les liens vers des articles sur notre site ISIS

De nouvelles recherches nous permettent de constater que l’augmentation de la durée de la vie peut être héritée d’une manière non-génétique. L’étude [1] publiée par les chercheurs américains Brunet Anne et ses collègues de l’Université de Stanford, à Palo Alto, en Californie, et de l’Université de Harvard, à Boston, dans le Massachusetts, aux Etats-Unis, ajoute encore des éléments de preuve concernant l’hérédité épigénétique qui sape de plus en plus l’idée conventionnelle selon lesquelle les gènes déterminent l’expression des caractères chez les êtres vivants.
L’hérédité épigénétique est habituellement décrite comme l’hérédité d’un caractère qui n’implique aucun changement dans la séquence d’ADN elle-même. Ces modifications épigénétiques peuvent se produire à travers divers mécanismes, y compris la modification chimique de l’ADN, de l’ARN ou des protéines (le plus couramment, des protéines histones qui interagissent avec l’ADN et qui déterminent l’organisation structurale de l’ADN).
Plus récemment, d’autres mécanismes de modifications épigénétiques ont été de plus largement reconnus. Les exemples comprennent l’édition de l’ARN, dans laquelle les bases de séquences d’ARN sont systématiquement modifiées, et un épissage alternatif de l’ARN pour créer différentes protéines, ainsi que l’interférence ARN, qui détermine quels messages de l’’ARN sont clivés ou bloqués avant d’être traduits en protéines (voir [2] Epigenetic Inheritance “What Genes Remember”, SiS 41) *.
* Version en français "Hérédité épigénétique “What Genes Remember” " De quoi les gènes se souviennent-ils ? " par le Dr. Mae-Wan Ho. Traduction et compléments de Jacques Hallard. Accessible par http://isias.transition89.lautre.net/spip.php?article116
Il est clair que les choses sont beaucoup plus compliquées et plus dynamiques que la vieille idée selon laquelle l’ADN dans le génome est fixe et détermine tous les caractères de l’organisme par une série d’instructions linéaires.
De nombreuses protéines ont été impliquées dans le contrôle de la durée de vie. Parmi elles se trouvent celles qui modifient la chromatine, une combinaison de l’ADN enroulé autour de protéines histones [3-5]. La suppression de certains gènes qui modifient la chromatine peut conduire à une plus grande longévité.
Le nouveau travail relaté [1] montre que la « mémoire » de ces suppressions peut être répercutée sur les descendants et accroître leur durée de vie, sans qu’ils aient hérité de la mutation qui est responsable de la réelle augmentation de la longévité. C’est la première preuve de l’hérédité épigénétique d’un caractère complexe comme la longévité.
En utilisant le ver Caenorhabditis elegans comme modèle animal, les chercheurs ont supprimé tous les gènes associés à un complexe protéique appelé COMPASS, qui réglemente un type spécifique de modification des protéines histones, la triméthylation de la lysine 4 de l’histone3 (H3K4me3).
En général, les modifications des histones servent de marqueur chimique qui influe sur le mode d’emballage de l’ADN, et le composé H3K4me3 totalement méthylé est spécifiquement associé à une connexion avec les gènes de "mise en marche".
La modification de la structure de la chromatine est un déterminant important de l’expression génétique, car la chromatine compactée est une barrière physique pour la machinerie transcriptionnelle.
La suppression des gènes wdr-5, ash-2 et set-2, qui sont des composants du complexe protéique COMPASS, a conduit à réduire les niveaux du composé H3K4me3, ainsi qu’à un changement dans l’activité des gènes, et à une augmentation correspondante de 20-30% de la durée de vie chez les vers étudiés.
Fondamentalement, l’accouplement de ces vers mutants qui vivent plus longtemps que les vers normaux (dénommés de type sauvage), a donné lieu à des descendants de la troisième, et même de la quatrième génération qui ne sont plus porteurs du gène de la délétion (mutant), mais qui ont néanmoins encore hérité du caractère de grande longévité. Ce n’est qu’après cinq générations successives après la création des vers ‘knock-out’ (ou de quatre générations dans le cas des mutations ash-2) que les vers sont revenus à une longévité (longueur de la durée de vie) normale .
Comme on le voit, les vers de type sauvage (+ / +) présentant une courte durée de vie ont deux copies du gène complexe COMPASS fonctionnel qui assure la médiation concernant l’organisation de l’ADN et le nombre de gènes qui sont activés.
Les vers mutants, générés par les chercheurs, possèdent deux copies du gène mutant (- / -), et ils sont dépourvus du complexe de protéines COMPASS : il en résulte qu’ils vivent plus longtemps.
Lorsque des vers de type sauvage sont accouplés avec des vers mutants, leur progéniture (génération F1) est hétérozygote (+ / -) pour la mutation en question : ils sont donc porteurs d’un seul exemplaire du complexe COMPASS, mais vivent toujours plus longtemps.
Lorsque des individus hétérozygotes F1 sont accouplés avec vers de type sauvage, leur progéniture (génération F2) est complètement de type sauvage pour la mutation (+ / +) ; ils vivent encore plus longtemps bien que ces individus ne soient plus porteurs de la mutation. Le phénotype de longévité accentuée persiste chez les individus des générations F3 et F4. Cependant, à partir de la génération F5, le phénotype de grande longévité a été perdu et les vers sont revenus à l’état antérieur normal avec une courte durée de vie.
Ainsi, bien que les vers génétiquement de type sauvage ne soient pas porteurs de la mutation capable de les faire vivre plus longtemps, ils ont hérité d’une « mémoire » de la mutation à travers le marquage épigénétique des histones qui était suffisant pour augmenter leur durée de vie.
Auparavant, on pensait que la plupart, sinon tous les changements épigénétiques seraient effacés dans les cellules germinales, empêchant ainsi l’héritage de modifications chimiques et des caractères acquis accumulés au cours d’une durée de vie individuelle..
Ce constat, parmi d’autres, suggère qu’une re-programmation complète des modifications épigénétiques ne se produit pas, et que quelques modifications passent de la lignée germinale vers la descendance. Du point de vue évolutif, la possibilité d’hériter des caractères appris ou acquis à partir d’ancêtres pourrait être bénéfique, ce qui augmente les chances de survie des descendants qui rencontrent des expériences de vie semblables à celles de leurs parents.
La suppression d’un autre gène caout-2 associé à la déméthylation de la lysine 4 de l’histone 3 a supprimé les effets des mutations, ce qui suggère que les résultats n’étaient pas dus à d’autres mutations non apparentées qui peuvent survenir dans le processus expérimental.

Le mécanisme d’action

Dans le noyau des cellules eucaryotes, l’ADN est organisé et compacté sous la forme de la chromatine qui est enroulée autour de protéines appelées histones. La modification des histones altère la structure de la chromatine et le bon enroulement de l’ADN autour des histones, ce qui rend les gènes plus ou moins accessibles à la machinerie de transcription qui est responsable de l’expression des gènes. Ces modifications peuvent aussi déconstruire la liaison de la machinerie transcriptionnelle à l’ADN et même stopper tout à fait la transcription. En outre, H3K4me3 est associée à des gènes actifs pour la transcription et les gènes ne pas rendus « silencieux » ou éteints.
Lorsque les chercheurs ont diminué les niveaux de H3K4me3 en supprimant tout des gènes responsables de l’ajout des groupes méthyle, une longévité accrue a été observée, éventuellement en changeant l’expression des gènes qui assurent la médiation de la durée de vie.
Des expériences ont été effectuées avec les puces à ADN qui mesurent simultanément l’expression génétique de nombreux gènes ou de la totalité des gènes, et donnent ainsi un profil génétique global de l’expression génétique. Ces expériences ont confirmé que ces mutations ont effectivement conduit à des changements dans l’expression des gènes à l’échelle du génome entier.
Encore plus intéressant, c’est que les changements dans l’expression des gènes observée chez les ancêtres mutants, était semblable à celle des descendants génétiquement normaux qui vivent plus longtemps. Certains des gènes touchés ont déjà été impliqués dans la longévité, dans le développement et dans la croissance.
Ce qui n’est toujours pas compris et qui reste sans réponse, c’est de savoir si c’est H3K4me3 qui est le marqueur ou des événements qui se produisent en aval, qui sont le repère héritable de la longévité. L’étude a montré que les niveaux globaux réduits de H3K4me3 trouvés chez les ancêtres mutants n’ont pas été transmis. Il est toutefois possible que les changements de chromatine à des loci génétiques spécifiques n’ont pas été complètement réinitialisés entre les générations.
Mais, d’un autre côté, des gènes mal exprimés pour les ARN ou les protéines d’aval, qui sont impliqués dans la longévité, pourraient aussi être transmis par l’intermédiaire des nouveaux ovocytes vers la génération suivante.

Pour conclure

Cette étude met en évidence l’importance des facteurs environnementaux dans l’hérédité des caractères complexes. Notre interaction avec le monde extérieur pourrait avoir des effets qui se manifestent bien au-delà de notre durée de vie présente.

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Définitions et compléments

Longévité : une hérédité non génétique

Traduction, définitions et compléments :

Jacques Hallard, Ing. CNAM, consultant indépendant.
Relecture et corrections : Christiane Hallard-Lauffenburger, professeur des écoles
honoraire.
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Courriel : jacques.hallard921@orange.fr
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