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"A tout âge, nos formes de mémoire ne sont pas infaillibles : leur malléabilité peut modifier une version initiale, engendrer de faux souvenirs, être source de manipulations, de distorsions et d’implications inattendues" par Jacques Hallard

dimanche 31 décembre 2023, par Hallard Jacques


ISIAS Mémoire Psychologie Neurosciences Criminologie

A tout âge, nos formes de mémoire ne sont pas infaillibles : leur malléabilité peut modifier une version initiale, engendrer de faux souvenirs, être source de manipulations, de distorsions et d’implications inattendues

Jacques Hallard , Ingénieur CNAM, site ISIAS – 29/12/2023

Plan du document : Préambule Introduction Sommaire Auteur

Français, vous avez la mémoire courte ! - Lavandou Tribune

Publié par Olivier Becht sur 24 Avril 2020, 06:33am - Source


Préambule

Tout d’abord quelques repères de définitions pour cet article à visée didactique…

Mémoire - En psychologie, la mémoire est la faculté de l’esprit d’enregistrer, conserver et rappeler les expériences passées. Son investigation est réalisée par différentes disciplines : psychologie cognitive, neuropsychologie, et psychanalyse. Wikipédia

Les neurosciences sont les études scientifiques du système nerveux, tant du point de vue de sa structure que de son fonctionnement, depuis l’échelle moléculaire jusqu’au niveau des organes, comme le cerveau, voire de l’organisme tout entier - Le champ de la recherche en neurosciences est un champ transdisciplinaire : la biologie, la chimie, les mathématiques, la bio-informatique ainsi que la neuropsychologie sont utilisées en neurosciences. L’arsenal conceptuel et méthodologique des neurosciences va de pair avec une diversité d’approches dans l’étude des aspects moléculaires, cellulaires, développementaux, neuroanatomiques, neurophysiologiques, cognitifs, génétiques, évolutionnaires, computationnels ou neurologiques du système nerveux… - Wikipédia

Neurosciences et neuropsychologie cognitives se concentrent sur de possibles liens causaux entre les structures et les fonctions cérébrales. Perception, langage, motivation, raisonnement, émotions, créativité, mémoire, attention, conscience sont à l’origine des comportements de humains…

Criminologie - Il s’agit d’une étude scientifique de la nature, des causes, du développement et du contrôle criminel, à la fois d’un point de vue individuel et social, selon diverses approches (sociologique, psychologique, économique et juridique)… Wikipédia

Un faux souvenir est un phénomène psychologique qui se produit lorsqu’une personne se remémore un événement qui n’a pas eu lieu. Wikipédia

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En Introduction

Le témoignage émouvant de Boris Cyrulnik constitue une belle entrée sur ce sujet des faux souvenirs … - Boris Cyrulnik, né le 26 juillet 1937 à Bordeaux, est un auteur de livres grand public traitant de psychologie et de récits de vie, ainsi qu’une personnalité médiatique française… Wikipédia

Un document pratique propose une approche individuelle et personnalisée des différentes formes de la mémoire, tandis que Wikipédia donne un déroulé des aspects variés de la mémoire dans les sciences humaines …

Un travail sur les neurosciences expose comment « La suggestion et l’imagination créent des souvenirs d’événements qui ne se sont jamais produits »…

Une vidéo donne un autre exemple en psychologie appliquée avec une expérience démonstrative de manipulation intentionnelle et de création de faux souvenirs …

Enfin, une passionnante exploration des mécanismes qui forgent les contenus de notre mémoire - publiée par l’Observatoire B2V des Mémoires -, expose comment naissent les faux souvenirs et des distorsions qui altèrent la mémorisation d’évènements passés…

« L’Observatoire B2V des Mémoires - Un laboratoire sociétal centré sur la mémoire - Né en avril 2013 dans le cadre de l’Action Sociale du Groupe B2V, l’Observatoire B2V des Mémoires est un laboratoire qui participe à l’étude et à la mise en valeur des connaissances sur le fonctionnement de la mémoire. Il a pour objectif d’approfondir la compréhension de la mémoire sous toutes ses formes. Il traite notamment de la mémoire individuelle, de la mémoire numérique, de la mémoire collective ainsi que de la mémoire d’entreprise tel un ’patrimoine immatériel’ influant sur de nombreux vecteurs humains, environnementaux et économiques - De l’entretien de la mémoire à l’augmentation de ses capacités, en passant par la prévention des troubles mnésiques, son approche multiple permet d’accroître l’étendue des recherches et des découvertes.… » -Source

En criminologie, au sujet de l’expression d’une mémoire lors d’audiences et de témoignages, il convient de considérer et d’admettre que « les témoins peuvent tous mentir à leur insu » !

Les documents sélectionnés pour ce dossier sont indiqués avec leurs accès dans le sommaire ci-après.

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Sommaire

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§§§


  • Pour entrer en matière, une Vidéo 8:35 avec Boris Cyrulnik : les faux souvenirs - La Grande Librairie - France Télévisions est une chaîne publique française. Wikipedia - 17 mars 2022
    Le 10 janvier 1944, il est ’sauvé’ par Madame Blanchet. En effet, alors âgés de six ans et demi, le jeune garçon est arrêté à Bordeaux pour être déporté à Auschwitz. Il réussit alors à s’échapper et à se cacher sous le corps de cette dame, en train de mourir d’hémorragie. Le neuropsychiatre raconte la différence entre son souvenir de cet évènement et la réalité des faits. Retrouvez l’intégralité de l’interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-gra...

https://yt3.ggpht.com/ytc/AIf8zZQJYBewYpDXqIuYLT2AywDDkBKKKdub2HxsP63ugA=s88-c-k-c0x00ffffff-no-rj

La Grande Librairie

Source : https://www.youtube.com/watch?v=X95d0JysWRQ

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La mémoire rassemble les connaissances, les souvenirs et les savoir-faire. L’école utilise, alimente et renforce la mémoire. Elle est un préalable indispensable à la réflexion et à la projection dans le futur. Il est possible de distinguer deux formes de mémoire principales : la mémoire à court terme (mémoire de travail) et la mémoire à long terme. La mémoire à long terme regroupe l’ensemble des mémoires explicites, c’est-à-dire celle que l’on évoque consciemment (épisodiques et sémantiques) et implicites, celles que l’on évoque inconsciemment (procédurales et perceptives).

Mieux les connaitre, c’est, encore une fois, se donner les moyens de les rendre plus performantes et de comprendre lesquelles sont à travailler. Comprendre c’est pouvoir cibler, et donc aider.

1 – la mémoire de travail

C’est la mémoire du présent, celle qui permet de retenir les informations nécessaires à la réalisation d’une tâche.

Ex :

  • Retenir la phrase dictée par l’enseignant pour pouvoir l’écrire.
  • Ecouter et prendre des notes.
    Elle peut utiliser les connaissances stockées dans la mémoire à long terme :
  • Retenir deux nombres énoncés pour les multiplier (tables).
    2- la mémoire sémantique

C’est la mémoire des connaissances acquises : sur soi, sur le monde. Elle concerne le sens des mots, les savoirs sur les objets, sur les lieux ou les personnes…

Nous utilisons la mémoire sémantique lorsque nous essayons de nous rappeler : C’est celle que l’on a « sur le bout de la langue » …

  • Quel est le nom du président italien ?
  • Combien y a-t-il de jours dans l’année ?
  • A quelle famille d’animal appartient la chauve-souris ?
    3- La mémoire épisodique

C’est la mémoire des évènements personnellement vécus. Celle qui nous permet de nous situer dans le temps et dans l’espace et de nous projeter dans le futur :

  • Je raconte mes vacances passées en Finlande. Je ne suis donc plus en Finlande et je ne suis plus en vacances. Je le serai bientôt.
    Cette mémoire se constitue entre 3 et 5 ans. Elle est très liée à la mémoire sémantique (mettre des mots sur ce que l’on a vécu et enregistrer ses expériences comme des connaissances).

4- la mémoire procédurale

C’est la mémoire des automatismes : marcher, courir, faire du vélo, écrire, faire de la musique. Sans avoir à réapprendre à chaque fois.

C’est donc la mémoire de l’implicite, ces processus sont effectués de manière inconsciente.

C’est en s’entrainant, en automatisant que les savoirs faire deviennent inconscient.

Par ex :

  • A force de jouer du piano, j’automatise deux compétences : je ne déchiffre plus les notes et ne cherche plus les touches.
    5- la mémoire perceptive

C’est la mémoire des 5 sens : permet de retenir des images, des bruits, des sensations sans s’en rendre compte.

Exemple :

La mémoire à long terme

https://www.dys-positif.fr/wp-content/uploads/2019/10/memoire-à-long-terme-1024x718.png

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Les formes et fonctions de la mémoire en sciences.

La mémoire désigne à la fois la capacité d’un individu ou d’un groupe humain de se souvenir de faits passés et se souvenir de lui-même.

Histoire

Dans la mythologie grecque, entre autres d’après Hésiode, Mnémosyne est la déesse de la Mémoire.

Aristote, auteur du premier traité sur la mémoire (De la Mémoire et de la réminiscence), considère que le cœur est le siège de l’intelligence, du courage et de la mémoire1, d’où l’expression « savoir par cœur » qui semble apparaître pour la première fois chez Rabelais au XVIe siècle2.

La première méthode de mémoire, l’Art de mémoire (appelée aussi méthode des lieux) est inventée par le poète Simonide de Céos au VIe siècle av. J.-C., selon le récit quelque peu légendaire de Cicéron dans De oratore. Cette méthode est utilisée depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle qui voit le développement de la mnémotechnique et aux praticiens modernes ou aux hypermnésiques, tel Solomon Cherechevski3.

En 1553, le médecin italien Guglielmo Gratarolo publie le premier traité de médecine sur la mémoire, De Memoria Reparanda, Augenda, Conservanda4.

La science de la mémoire débute surtout avec la neurologie et la publication notamment de Sergei Korsakoff à la fin du XIXe siècle sur plusieurs observations de ses patients alcooliques (buveurs de vodka) atteints d’une amnésie particulière, le syndrome de Korsakoff, puis avec le développement des neurosciences cognitives5. Au milieu du XXe siècle, à la suite des avancées technologiques en cybernétique et informatique, se formalise le concept de l’architecture modulaire de la mémoire (mémoire sémantique, lexicale ; mémoire à court ou long terme, etc.)6.

Mémoire en psychologie - Articles détaillés : Mémoire (psychologie) et Mémoire (psychanalyse).

Considérée comme l’une des principales facultés de l’esprit humain, la mémoire a fait l’objet des toutes premières investigations scientifiques. Les progrès dans la compréhension des mécanismes de la mémoire tiennent d’une part à l’étude de cas exceptionnels (patients amnésiques ou au contraire doués d’une capacité mnésique exceptionnelle, dite mémoire éidétique) et d’autre part, à l’application des méthodes de la psychologie expérimentale. Depuis le début du XXe siècle, de nombreux modèles ont été proposés pour rendre compte des observations expérimentales. Et à partir de la deuxième moitié du siècle, les neurosciences cognitives ont fourni de nouveaux éléments concernant les bases biologiques de la mémoire chez l’être humain qu’il partage avec les autres animaux.

Mémoire en biologie

Il est important de préciser que les biologistes n’ont pas encore fait consensus sur le fonctionnement biologique de la mémoire, aussi cette partie présente trois hypothèses plausibles sur le sujet.

Selon certains chercheurs, la potentialisation à long terme déterminerait certaines des dimensions de la mémoire. Dans des synapses de l’hippocampe, la transmission s’améliore (potentialisation) pendant des heures ou des semaines après une brève période de stimulations à haute fréquence. Ainsi après un certain laps de temps, des influx nerveux provenant de potentialisations antérieures surviendraient et formeraient, ainsi, les souvenirs, donc la mémoire7,8...

Selon une seconde théorie, les souvenirs seraient produits par des réseaux réverbérants : un influx nerveux stimulerait un premier neurone, qui en stimulerait un deuxième, qui en stimulerait un troisième et ainsi de suite. Les ramifications des deuxièmes et troisièmes neurones font synapse (connexion) avec le premier, de sorte que l’influx nerveux circule à répétition dans le réseau. Ainsi, tel un cycle, l’influx nerveux se poursuivrait et serait responsable de cette mémorisation. Une fois émis, le signal pourrait durer de quelques secondes à plusieurs heures selon la disposition des neurones dans ledit réseau. C’est ainsi qu’une pensée pourrait persister dans l’encéphale, même après la disparition du stimulus initial. Autrement dit, la durée de rétention d’une pensée correspondrait à la durée de réverbération (Comparaison avec amphithéâtre)7,8.

Finalement, l’information pourrait suivre ce trajet : lorsqu’une perception sensorielle se formerait dans le cortex sensitif (pariétal), les neurones corticaux distribueraient les influx dans deux réseaux parallèles destinés à l’hippocampe et au corps amygdaloïde, qui ont chacun des connexions avec le diencéphale (thalamus et hypothalamus), le télencéphale ventral et le cortex préfrontal. Le télencéphale ventral fermerait ensuite la boucle de la mémoire en renvoyant les influx aux aires sensitives qui avaient initialement formé la perception. On pense que cette rétroaction transforme la perception en un souvenir relativement durable. Ainsi, des connexions neuronales s’établiraient entre les régions corticales où aurait lieu la mémoire à long terme au moyen d’un appel conférence et ce jusqu’à ce que les données puissent être consolidées. Le souvenir récent resurgira à l’occasion d’une stimulation des mêmes neurones corticaux7,8.

Mémoire en philosophie

René Descartes

René Descartes s’est intéressé très tôt aux moyens d’accès à la connaissance, dans les Règles pour la direction de l’esprit (1629), règles qu’il emploiera dans la suite de sa carrière philosophique.

Il mentionne les relations de la mémoire avec l’intuition et la déduction dans la règle troisième :

« la déduction n’a pas besoin d’une évidence présente comme l’intuition, mais […] elle emprunte en quelque sorte toute sa certitude de la mémoire. »

La règle septième insiste sur la fonction de la mémoire dans l’énumération :

« Aussi j’en parcourrai la suite de manière que l’imagination à la fois en voie une [grandeur] et passe à une autre, jusqu’à ce que je puisse aller de la première à la dernière avec une telle rapidité que, presque sans le secours de la mémoire, je saisisse l’ensemble d’un coup d’œil. »

La règle huitième mentionne les avantages ou les inconvénients que les facultés de mémoire (ainsi que d’autres) peuvent apporter dans la méthode scientifique :

« Et d’abord nous remarquerons qu’en nous l’intelligence seule est capable de connaître, mais qu’elle peut être ou empêchée ou aidée par trois autres facultés, c’est à savoir, l’imagination, les sens, et la ’mémoire’. Il faut donc voir successivement en quoi ces facultés peuvent nous nuire pour l’éviter, ou nous servir pour en profiter. »

La règle douzième indique les moyens qu’emploie l’intelligence :

« Enfin il faut se servir de toutes les ressources de l’intelligence, de l’imagination, des sens, de la mémoire, pour avoir une intuition distincte des propositions simples, pour comparer convenablement ce qu’on cherche avec ce qu’on connoît, et pour trouver les choses qui doivent être ainsi comparées entre elles ; en un mot on ne doit négliger aucun des moyens dont l’homme est pourvu. »

Bergson

Bergson (1851-1941) aborde la mémoire dans Matière et mémoire (1896), à travers le problème de la dualité corps-esprit.

Maurice Halbwachs

Maurice Halbwachs (1877-1945) explique que le « processus de localisation d’un souvenir dans le passé (…) ne consiste pas du tout à plonger dans la masse de nos souvenirs comme dans un sac, pour en retirer des souvenirs de plus en plus rapprochés entre lesquels prendra place le souvenir à localiser. » L’utilisation de points de repères permet de faciliter l’expression de tel ou tel souvenir, sans pour autant que celui-ci soit en lien direct avec le référent. « Les points de repère sont des états de conscience qui, par leur intensité, luttent mieux que les autres contre l’oubli, ou par leur complexité, sont de nature à susciter beaucoup de rapports, à augmenter les chances de reviviscence. » Les principaux points d’appui, qu’ils participent à l’histoire personnelle ou nationale, s’avèrent nécessaires au bon fonctionnement psychique des individus. Théodule Ribot dit que : « Si, pour atteindre un souvenir lointain, il nous fallait suivre la série entière des termes qui nous en séparent, la mémoire serait impossible à cause de la longueur de l’opération. » La mémoire collective est l’ensemble des faits du passé qui peuvent avoir pour effet de structurer l’identité d’un groupe. P. Nora dit : « (…) il y a autant de mémoire que de groupes : elle est, par nature, multiple et démultipliée, collective, plurielle et individualisée. » La cohésion au sein d’un groupe peut alors être assurée par le partage de la mémoire, elle peut inspirer les actions présentes. Les évènements définissent à chaque fois les actions individuelles dans divers groupes. Cette localisation du souvenir en utilisant les points de repère de notre mémoire se fait car nous sommes des êtres sociaux. Les souvenirs relatifs aux groupes sociaux avec lesquels nous sommes en liens plus étroits et durables conservent la vivacité des souvenirs présents. Le phénomène de la mémoire semble n’exister qu’aux travers des relations sociales qui rassemblent et organisent les souvenirs. La localisation se produit par la présence d’une zone commune d’intérêt à laquelle se rapporte le souvenir. Halbwachs, offrant une relecture de la morphologie sociale de Durkheim, avance que la vie sociale repose sur un substrat matériel, le rapport à ce substrat matériel n’existant que sous forme socialisée. C’est de l’existence sociale que découle la logique sociale qui rend compte de la nécessité d’une forme de vie sociale. La mémoire met ainsi à jour les référents sociaux que sont le langage, l’espace et le temps qui peuvent situer et délimiter les pratiques sociales. Les familles reproduisent « des règles et des coutumes qui ne dépendant pas de nous, et qui existaient avant nous, qui fixent notre place. ». La famille structure la mémoire commune par les rôles des uns et des autres. Seule la « communauté » familiale peut engendrer cette transmission des origines qui constitue aujourd’hui une partie de son identité. La reproduction des règles et coutumes qui ne dépendent pas de chacun à titre individuel mais du groupe famille fixe la place de chacun. Pour Halbwachs : « On retient les évènements collectivement constitués qui le portent dans le flux d’une vie à la fois dans le sentiment de parenté et dans les occupations communes. »

Dans ses travaux sur la psychologie des classes sociales, Maurice Halbwachs interroge la place assignée à chacun dans l’ensemble de la société. Il démontre que c’est bien dans la vie extra professionnelle que s’élaborent les mémoires collectives. « Chaque catégorie sociale détermine la conduite des membres qu’elle comprend, elle leur impose des motifs d’action bien définis. » Chaque individu inscrit dans une communauté se fait une idée de ce qui est nécessaire à sa perpétuation. Cela l’amène donc à faire une interprétation de la dite-société. Ainsi, dans chaque groupe, on « trouve la représentation du groupe lui-même et de ce qui lui convient. » Halbwachs dit que la mémoire collective est constituée de souvenirs conformant à une interprétation des conditions de vie du groupe. Halbwachs considère que de façon plus ou moins consciente, chacun a des conceptions de ce qui doit être le rôle de tous au sein d’une famille. Les individus héritent d’une « conception générale de la famille », de ce que doit être une famille. L’application de ces normes implicites ne dépend pas des sentiments d’affection que chacun éprouve pour son entourage. Mais « l’expression de ses sentiments ne s’en règle pas moins sur la structure de la famille pour que le groupe conserve son autorité et sa cohésion. » La famille permet de structurer la mémoire des enfants par les rôles de chacun dans les évènements communs. La mémoire peut aussi être un vecteur de transmission de l’habitus.

Bourdieu définit l’habitus comme « un système de dispositions durables acquis par l’individu au cours du processus de socialisation. » Cela est confirmé par Bourdieu car les représentations sont construites sur une réalité objective induisant de nouveaux comportements adaptés à l’environnement. « L’habitus qui, à chaque moment, structure en fonction des structures produites par les expériences antérieures les expériences nouvelles qui affectent ses structures dans les limites définies par leur pouvoir de sélection, réalise une intégration unique, dominée par les premières expériences (…). »

Paul Ricœur

La mémoire pose trois problèmes pour Paul Ricœur. En premier lieu, se pose la question de sa formulation, celle d’une représentation de ce qui a été et donc obligatoirement subjective. La mémoire donne la trace présente de ce qui est absent puisque passé. Cela pose alors le problème de la frontière entre le réel et l’imaginaire car le rapport avec l’antériorité amène la question de ses représentations. En opposition à cela, l’histoire vise une certaine objectivité, elle n’est pas soumise à un regard particulier. Ensuite, dans ce même énoncé, apparaît aussi le regard porté aujourd’hui sur l’évènement narré. Bergson fixe cette problématique sur la reconnaissance et la survivance des images. Ainsi, il y a « une adéquation de l’image présente à la chose absente dont la mémoire a gardé la trace. » Donc, la mémoire ne peut se savoir qu’en sélectionnant ce qui doit être oublié. La mémoire inclut un mode de lecture du fait raconté. Enfin, cette même lecture sera perçue par autrui en fonction de la personnalité de l’énonciateur. La mémoire appartient à un individu. De ce fait, elle a aussi une désignation propre au sujet. La mémoire individuelle est ce par quoi l’individu constitue sa propre identité. Nous ajouterons à cela que la mémoire ne se soucie pas obligatoirement de l’enchaînement temporel des images. L’échelle du temps est en revanche pertinente pour l’histoire ; elle tient compte des durées et des normes. Dans son ouvrage Les cadres sociaux de la mémoire, Maurice Halbwachs définit la mémoire individuelle à partir de ses dimensions sociales : « Si nous examinons de quelle façon nous nous souvenons, nous reconnaîtrions que le plus grand nombre de nos souvenirs nous reviennent lorsque nos parents, amis, ou d’autres hommes nous les rappellent. » Il apparaît que c’est dans cette situation que nous mettons les personnes sollicitées pour faire leur récit de vie. Nombre de souvenirs n’émergent que parce la situation les sollicite.

Pierre Nora

Pour Pierre Nora, « parce qu’elle est affective et magique, la mémoire ne s’accommode que des détails qui la confortent ; elle se nourrit de souvenirs flous, télescopant, globaux ou flottants, particuliers ou symboliques, sensible à tous les transports, écrans, censures ou projections ».

Edmond Jabès

Edmond Jabès se questionne : « La durée est-elle forgée par le souvenir ou par la mémoire ? Nous savons que c’est nous seuls qui fabriquons nos souvenirs ; mais il y a une mémoire plus ancienne que les souvenirs, et qui est liée au langage, à la musique, au son, au bruit, au silence : une mémoire qu’un geste, une parole, un cri, une douleur ou une joie, une image, un événement peuvent réveiller. Mémoire de tous les temps qui sommeille en nous et qui est au cœur de la création »9.

Mémoire en anthropologie

L’étude de la façon dont les groupes humains conservent et se transmettent les souvenirs (réels ou mythiques) relatifs à leur culture fait l’objet d’un important travail en anthropologie. Dans L’état social de la France, Jean-François Chantaraud présente la mémoire collective comme l’une des quatre dimensions constitutives de l’identité collective.[pertinence contestée]

Mémoire en histoire

Articles détaillés : Lieu de mémoire, Mémoire collective et Histoire de la mémoire.

À l’opposition entre une histoire visant l’objectivité et une mémoire subjective dominée par l’affect et résultant d’une reconstruction personnelle ou collective du passé, se superposent depuis la fin des années 1980 les travaux d’un courant historiographique qui érige la mémoire en objet d’étude historique10. L’intensité de la mémoire dans le débat public ouvre de nouveaux champs d’étude à l’histoire.

Les territoires (pays, provinces, régions historiques, régions naturelles) ont une mémoire, largement construite et même inventée par les érudits locaux et les historiens des XIXe et XXe siècles. C’est le cas de pays traditionnels comme le Vendômois, la Gâtine tourangelle, la Brenne dans les provinces ligériennes. Le territoire auquel s’attache une forte identité historique peut devenir un enjeu de mémoire comme l’ont montré les travaux sur les guerres de Vendée et l’espace vendéen11.

Le concept de lieu de mémoire, qu’il s’agisse d’un lieu physique (monument) réinvesti par un processus de commémoration ou d’un lieu institutionnel (symboles républicains par exemple), a été forgé dès 1984 par l’ouvrage Les lieux de mémoire de Pierre Nora. Le livre ouvre la voie à une série de travaux d’historiens qui prennent pour objet d’étude la mémoire collective, mais aussi la concurrence des mémoires particulières12. Cette mise en concurrence des mémoires et des victimes se traduit, in concreto, tant par les initiatives du législateur en ce domaine (reconnaissance de la Traite négrière outre-Atlantique comme crime contre l’humanité par la loi ’Taubira’ du 21 mai 2001, la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien ou encore la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ou la Loi sur la mémoire historique espagnole de 2007) que par des actions judiciaires ad hoc (cf. notamment les procès de Klaus Barbie, Paul Touvier, Maurice Papon)13. La publication en 1987 de l’ouvrage d’Henry Rousso Le syndrome de Vichy, analysant la postérité du souvenir de l’Occupation dans la société française sur plusieurs décennies, pose les bases méthodologiques d’une histoire de la mémoire14.

Article complet avec Notes et références sur ce site : https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9moire_%28sciences_humaines%29

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Photo by Laura Fuhrman on Unsplash

L’épisode d’aujourd’hui s’intéresse à un phénomène particulier, mais plus fréquent qu’on ne le croit : les faux souvenirs. Nous allons voir aujourd’hui comment les différentes étapes de la mémorisation peuvent donner lieu à ces drôles de « bug » qu’on appelle « faux souvenirs ».

Les différents types de faux souvenirs

Les faux souvenirs ont fait l’objet d’un intérêt particulier à partir des années 1970 (septante) dans le domaine juridique, quand il est apparu qu’il était malheureusement très facile de modifier la mémoire de témoins avec l’utilisation de suggestions implicites (c’est-à-dire des formules de phrases dont le fond ou la forme induisent la réponse attendue : « Tu étais bien avec lui cette nuit-là, non ? »), et ce d’autant plus si le témoin est un enfant. On retrouve alors des témoignages d’enfants ou d’adultes erronés, non pas parce qu’ils ou elles ont menti, mais parce qu’on a induit ce qui était attendu dans les questions posées aux témoins et aux victimes.

Un autre type de faux souvenir peut être l’implantation totale en mémoire d’un événement qui n’est jamais arrivé. De nombreuses recherches ont montré qu’il était possible de créer de toute pièce le souvenir d’un événement chez un individu, à l’aide de photomontages et d’un récit familial. Cela a été fait avec le souvenir d’un vol en montgolfière durant l’enfance (qui n’avait en fait jamais eu lieu). Plus fort encore, les individus en question ne se contentaient pas d’accepter le souvenir, ils allaient même jusqu’à ajouter des détails au récit, dont ils pensaient se souvenir.

Enfin, il existe également des petits faux souvenirs plus anodins, des simples variations de détails qui font qu’on se dispute avec l’ami qui partage notre souvenir parce que : si si, on est persuadé qu’on avait ce cartable ridicule le jour de la rentrée à 12 ans et que notre ami se souvient très bien que : non, on avait déjà ce sac à dos noir avant. Ça, c’est tout simplement parce qu’on reconstruit le souvenir chaque fois qu’on s’en rappelle, et qu’à force, plus le temps passe, plus la reconstruction est parasitée, mais aussi modifiée, voire complètement embellie parfois !

Alors comme ça, la mémoire n’est pas infaillible ?

Le mécanisme de la mémorisation se découpe en trois étapes : l’encodage qui correspond à l’enregistrement en mémoire des informations perçues, le stockage qui permet de graver ces informations en mémoire, et la récupération qui permet de mobiliser à nouveau les informations stockées, pour faire « revivre » le souvenir. Si notre mémoire était comme un disque dur, il nous suffirait donc de lire les données stockées dessus et le souvenir serait récupéré, tel quel, sans la moindre modification. Mais, notre mémoire stocke les souvenirs à travers un mécanisme bien plus complexe et malléable !

Par exemple, pour stocker le souvenir de votre dîner romantique de la veille, votre mémoire va créer tout un tas de connexions dans votre cerveau. Chaque connexion formée correspond à un des éléments du souvenir : grossièrement, il y a une connexion pour le goût du gratin, une connexion pour la couleur des yeux de votre partenaire, une connexion pour ce baiser en fin de soirée, etc. Ces connexions sont elles-mêmes reliées, vous indiquant que tous ces éléments font partie du même souvenir. Et quand, trois semaines plus tard, vous sollicitez votre mémoire pour « revivre » ce souvenir, vous démarrez en sollicitant la première connexion, qui est en général le contexte spatio-temporel. Admettons que c’était chez vous, la première semaine de janvier. De là, les autres connexions s’activent, vous revivez les sensations, les émotions, vous revoyez la couleur des yeux de votre ami.e… SAUF QUE, misère, ce n’est pas le goût d’un gratin qui vous revient, mais celui d’une délicieuse quiche lorraine. Puis, vous ne vous rendez pas compte de l’erreur, vous êtes persuadé.e d’avoir dégusté une quiche lors de ce dîner et vous modifiez votre souvenir pour le transformer… en faux souvenir.

Les mécanismes des faux souvenirs

Alors comment se fait-il que la connexion « gratin » ait été remplacée par une connexion « quiche lorraine » au moment où vous récupériez ce souvenir ? Les chercheurs et chercheuses en psychologie cognitive ont mené de nombreuses études à ce sujet, donnant lieu à plusieurs théories. Pour résumer, on peut trouver des mécanismes entraînant l’apparition de faux souvenirs aux trois étapes de la mémorisation (les trois étapes évoquées juste avant). Tout d’abord à l’encodage, la distinctivité des éléments mémorisés va les rendre plus ou moins faciles à retrouver avec exactitude. La distinctivité c’est ce qui va, en quelques sortes, faire « sortir du lot » l’information que vous encodez. Par exemple, quand vous fermez la porte à clef en partant de chez vous comme tous les matins, c’est une information peu distinctive et vous serez plus à même de faire un faux souvenir à propos de cet événement qu’à propos de la fois où vous avez pris l’avion pour la première fois.

Ensuite, lors du stockage, nous l’avons vu, des connexions se forment et s’interconnectent entre elles. Mais le cerveau adore faire des liens à tout va pour enrichir toutes les connexions. Donc quand vous stockez votre dîner en amoureux, il va aussi faire des liens avec les souvenirs similaires : les autres repas que vous avez fait, les autres moments en amoureux ou en amoureuses que vous avez passé, etc. C’est ce qu’on appelle la propagation d’activation. Cela ne donne heureusement pas toujours lieu à des faux souvenirs. La plupart du temps, nous sommes capables d’écarter ces activations de souvenirs voisins, de ne pas les confondre avec le souvenir qui nous intéresse… mais on ne sait jamais.

Puis survient le troisième mécanisme des faux souvenirs, il s’agit du déficit de contrôle de source lors de la récupération (un peu barbare hein ?). Le contrôle de source vous permet normalement de distinguer les informations externes (que vous avez entendues, vues, dites), des informations internes (que vous avez pensées, rêvées). Si on revient à notre dîner, admettons qu’au moment de stocker le goût du gratin, votre cerveau ait activé par propagation en interne le goût de la quiche (soit le fait de penser à la quiche). Puis qu’au moment de récupérer le souvenir, le contrôle de source attribue par erreur une source externe à cette connexion « quiche », ce qui veut dire qu’il vous dira que vous avez mangé cette quiche alors qu’en fait vous y aviez seulement pensé. Vous vous retrouvez alors persuadé d’avoir réellement mangé une quiche ce soir-là.

Grâce à cet épisode, peut-être que vous considérerez les choses différemment la prochaine fois que vous vous rappellerez d’un souvenir d’enfance, ou que vous aurez un conflit avec votre grand frère sur les vacances au bord de la mer quand vous étiez enfants, était-ce en Normandie ou en Bretagne déjà ?

Et si nous finissions avec un petit bonus amusant ? Allez ! Est-ce que vous saviez que nous pouvons aussi faire des faux souvenirs par inférence, en nous basant sur les connaissances générales que nous avons sur le monde ? Non ? Et bien c’est ce que deux chercheurs ont montré en 1997 en faisant mémoriser des phrases à des participants et participantes. Pour la phrase « la rock star était contrariée par la quantité d’alcool servie à la soirée », les personnes interrogées se souvenaient avoir entendu que la rockstar était déçue qu’il n’y ait pas assez d’alcool à la soirée (alors que la phrase ne stipule pas cela). A l’inverse, quand on remplaçait la rockstar par une nonne dans la phrase, les participants et participantes étaient persuadé.es que la phrase apprise était « la nonne était contrariée par l’excès d’alcool servi à la soirée ». Fun non ? Surtout si on réalise qu’en fait… tout ça, c’est notre quotidien et ça nous arrive en permanence.

Merci d’avoir écouté cette capsule de 100g de savoirs, réalisée par Canelle Garnierdoctorante de l’Université de Nantes. Nous vous retrouvons très vite pour de nouveaux épisodes fascinants !

Références :

Bartlett, F. C. (1932). Remembering : A study in experimental and social psychology. Cambridge : Cambridge University Press.

Dodson, C.S. & Schacter, D.L. (2001). “If I had said it I would have remembered it” : Reducing false memories with a distinctiveness heuristic. Psychonomic Bulletin & Review, 8(1), 155-161. (pdf)

Hunt, R. R., & Einstein, G. O. (1981). Relational and item-specific information in memory. Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, 20(5), 497-514. https://doi.org/10.1016/S0022-5371(81)90138-9

Johnson, M.K., Hashtroudi, S. & Lindsay, D.S. (1993). Source Monitoring. Psychological Bulletin, 114(1), 3-28.

Loftus, E.F. (2005). Planting misinformation in the human mind : A 30-year investigation of the malleability of memory. Learning and Memory, 12, 361–366. (pdf)

Roediger, H.L., McDermott, K.B. (1995). Creating False Memories : Remembering Words Not Presented in Lists. Journal of Experimental Psychology : Learning, Memory, and Cognition, 21(4), 803-814 (pdf)

Schacter, D.L., Israel, L. & Racine, C. (1999). Suppressing False Recognition in Younger and Older Adults : The Distinctiveness Heuristic. Journal of Memory and language, 40, 1- 24. https://doi.org/10.1006/jmla.1998.2611

Steffens, M. C., & Mecklenbräuker, S. (2007). False memories. Zeitschrift für Psychologie/Journal of Psychology215(1), 12-24. (pdf)

Source : https://milgram.ulb.be/100g/episodes-100g/les-faux-souvenirs-ou-quand-la-memoire-nous-joue-des-tours/

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Les faux souvenirs sont souvent composés par la combinaison de souvenirs réels et de suggestions des tiers. Le souvenir d’une promenade agréable au bord de la mer avec un père et un grand-père, par exemple, peut être transformé en un souvenir angoissé si un membre de la famille raconte qu’un drame s’est produit lors de cette promenade. Les faux souvenirs peuvent également être engendrés lorsqu’une personne est encouragée à imaginer qu’elle a vécu des événements spécifiques, sans se soucier de leur réalité. Photographie : avec l’autorisation de Josefa Jaklitsch. Dessin : Bryan Christie

En 1986, Nadean Cool, aide-soignante dans le Wisconsin, consulte un psychiatre parce qu’elle ne parvient pas à faire face à un traumatisme vécu par sa fille. Au cours du traitement, le thérapeute utilise l’hypnose et d’autres techniques de suggestion pour savoir si N. Cool n’aurait pas elle-même été maltraitée et si elle n’en aurait pas refoulé le souvenir. Après quelques séances, N. Cool est convaincue qu’elle a effectivement été utilisée par une secte satanique qui lui aurait fait manger des bébés, l’aurait violée, lui aurait fait avoir des rapports sexuels avec des animaux et l’aurait forcée à regarder le meurtre de son ami âgé de huit ans. Le psychiatre finit par lui faire croire qu’elle a plus de 120 personnalités – enfants, adultes, anges et même un canard – en raison des abus sexuels et de la violence dont, enfant, elle a été victime. Le psychiatre pratique plusieurs séances d’exorcisme, dont une qui dure cinq heures et comprend une aspersion d’eau bénite et des hurlements destinés à faire sortir Satan de son corps.

Lorsque N. Cool comprend finalement qu’on lui instille de faux souvenirs, elle poursuit le psychiatre en justice. En mars 1997, après cinq semaines de procès, l’affaire se règle à l’amiable par une indemnité de 12 millions de francs versés par le psychiatre.

N. Cool n’est pas la seule à qui une thérapie douteuse a donné de faux souvenirs. Dans le Missouri, en 1992, un confesseur aida Beth Rutherford, une jeune femme de 22 ans, à se souvenir qu’entre 7 et 14 ans elle avait été régulièrement violée par son père pasteur, quelquefois aidé par sa mère, qui la tenait. Encouragée par le prêtre, B. Rutherford se souvint qu’elle avait été enceinte deux fois de son père, qui l’avait forcée à avorter seule, à l’aide d’un portemanteau. Lorsque ces accusations furent rendues publiques, son père dut abandonner son ministère, mais des examens médicaux révélèrent que la jeune femme était encore vierge et n’avait jamais été enceinte. En 1996, elle poursuivit le prêtre, qui fut condamné à une peine de six millions de francs.

Un an auparavant, deux tribunaux avaient condamné un psychiatre du Minnesota pour avoir induit de faux souvenirs chez deux de ses patientes, au cours de traitements par hypnose et par administration d’une drogue : les deux femmes avaient fini par « se souvenir » de sévices qui leur auraient été infligés par des membres de leur famille.

Ainsi, dans les quatre cas considérés, les patientes ont cru se souvenir de mauvais traitements subis durant leur enfance, mais elles ont pu ultérieurement montrer que ces souvenirs étaient erronés. Comment établir l’authenticité de souvenirs de maltraitance infantile ? Sans corroboration, la différence entre les vrais et les faux souvenirs est difficile. Aujourd’hui, la fausseté n’est établie que lorsque les faits contredisent les souvenirs, par exemple lorsqu’un examen médical réfute une remémoration, fût-elle explicite et détaillée, de viol et d’avortement.

La désinformation

Pourrait-on trouver d’autres moyens de distinguer les vrais souvenirs des faux ? Et pourquoi des personnes en viennent-elles à imaginer de faux souvenirs aussi élaborés ? Plusieurs équipes de psychologie expérimentale explorent ces phénomènes et montrent comment on parvient à inculquer de faux souvenirs.

Mes recherches sur les distorsions de la mémoire remontent au début des années 1970, lorsque j’ai commencé à étudier les effets de la désinformation. Ces études montrent que, lorsque que l’on donne à des témoins d’un événement des informations nouvelles et erronées concernant ce dernier, leurs souvenirs sont souvent transformés. Dans une expérience, nous faisions assister des sujets volontaires à un faux accident automobile, à un carrefour où se trouvait un panneau « stop ». Puis on suggérait à la moitié des sujets que le signal était en fait un panneau « cédez le passage ». Lorsque l’on demandait ensuite de quel panneau les sujets des deux groupes se souvenaient, on observait que ceux qui avaient subi la suggestion se souvenaient plutôt d’un « cédez le passage » ; en revanche, ceux qui n’avaient pas subi de désinformation se souvenaient mieux du panneau.

Par plusieurs centaines d’expériences sur plus de 20 000 personnes, nous avons exploré comment l’exposition à de fausses informations altère la mémoire. Nous avons ainsi fait souvenir de la présence d’une étable dans une scène bucolique qui ne contenait pourtant aucun bâtiment, de la présence de verre brisé et de magnétophones dans des scènes visionnées où ces éléments étaient absents, de la blancheur d’un véhicule, qui était bleu, sur la scène d’un crime… L’ensemble de ces travaux montre que la désinformation peut modifier les souvenirs d’un individu de manière prévisible et, parfois, spectaculaire.

L’information erronée peut s’immiscer dans nos souvenirs lorsque nous parlons à d’autres personnes, lorsque nous sommes interrogés de manière évocatrice, ou lorsqu’un reportage nous montre un événement que nous avons nous-mêmes vécu. Après plus de 20 ans de recherches sur la puissance de la désinformation, nous connaissons mieux les conditions qui rendent les personnes susceptibles à la suggestion. Nous avons notamment montré que les souvenirs les plus anciens sont le plus facilement manipulables.

Les faux souvenirs d’enfance

Peut-on transmettre le souvenir d’un événement qui ne s’est jamais produit ? Pour étudier cette éventualité, nous avons cherché un protocole expérimental qui ne traumatiserait les sujets, ni au cours de la création du faux souvenir, ni lors de la révélation de la supercherie. Cependant, pour nous rapprocher des circonstances où l’on avait observé la résurgence de souvenirs refoulés, nous devions communiquer le souvenir d’un événement qui, s’il s’était réellement produit, aurait été angoissant.

Avec Jacqueline Pickrell, nous avons décidé de communiquer le souvenir d’un égarement dans un centre commercial ou dans un grand magasin vers l’âge de cinq ans. Nous demandions à nos sujets, 24 volontaires âgés de 18 à 53 ans, d’essayer de se souvenir d’événements qui nous avaient été rapportés par un de leurs parents, un membre plus âgé de la fratrie, ou un autre membre de la famille proche. Nous avions préparé pour chaque participant un cahier contenant quatre histoires longues d’un paragraphe : trois histoires rapportaient des faits réellement produits, et la quatrième était inventée. Plus précisément, nous avions construit l’événement fictif à partir d’informations sur une sortie en courses plausible, fournies par un membre de la famille qui garantissait en outre que le sujet volontaire ne s’était pas perdu vers l’âge de cinq ans au cours de cette sortie. L’histoire d’égarement dans le centre commercial mentionnait notamment que le sujet s’était perdu longtemps, qu’il avait pleuré, qu’une vieille dame était intervenue pour le réconforter et, finalement, que la famille l’avait retrouvé.

Après avoir lu chaque histoire, les sujets écrivaient ce dont ils se souvenaient de l’événement décrit. Puis, au cours de deux entrevues ultérieures, nous avons expliqué aux participants que nous cherchions à analyser le nombre de détails dont ils se souvenaient, et à comparer leur mémoire à celle des membres de leur famille. Les résumés de chaque histoire ne leur étaient pas relus in extenso, mais nous donnions certaines parties afin de les aider à se souvenir. Les sujets se rappelèrent en moyenne de 49 des 72 événements vrais (68 pour cent) immédiatement après la première lecture du cahier, ainsi qu’au cours des deux entrevues suivantes. Après la lecture initiale des histoires, 7 des 24 sujets (29 pour cent) se « souvinrent », soit partiellement, soit complètement, de l’événement inventé et, dans les deux entrevues suivantes, six participants continuèrent de « se rappeler » cet événement fictif. Statistiquement, les vrais souvenirs différaient des faux : les sujets utilisaient un nombre de mots supérieur pour décrire leurs vrais souvenirs, et ils jugeaient ces derniers plus nets. Toutefois, sans disposer d’éléments de comparaison, un témoin qui aurait observé les sujets décrivant un événement n’aurait pu faire la différence.

Ce travail montre comment on communique à une personne le « souvenir » d’événements qui n’ont jamais eu lieu. Il a été poursuivi par d’autres équipes de recherche qui ont obtenu des résultats analogues. Par exemple, Ira Hyman et ses collègues de l’Université Western Washington ont demandé à des étudiants de premier cycle universitaire de se remémorer des expériences de leur enfance qui avaient été relatées aux psychologues par leurs parents. Les psychologues racontèrent aux étudiants que leur objectif était d’étudier comment différentes personnes se souviennent d’une expérience commune. Les chercheurs racontaient à chaque participant la trame des événements réels décrits par les parents et y ajoutaient un faux événement. Cet événement fictif, qui était soit une hospitalisation d’une nuit à la suite de fortes fièvres suggérant une otite, soit une fête d’anniversaire avec pizza et clown, était censé s’être produit aux environs de l’âge de cinq ans (les parents avaient confirmé que ces deux événements ne s’étaient jamais produits).

Les résultats montrèrent que les étudiants se rappelaient totalement ou partiellement 84 pour cent des vrais événements lors d’un premier entretien, et 88 pour cent lors d’un second entretien. Aucun des participants ne se rappelait le faux événement lors du premier entretien, mais 20 pour cent affirmèrent en avoir des souvenirs lors du deuxième entretien. L’un des étudiants à qui les psychologues avaient fait croire qu’il avait été hospitalisé se « souvint » même du médecin et de l’infirmière qui l’avaient traité, ainsi que de la visite de l’un de ses amis.

Au cours d’une autre étude, I. Hyman et ses collègues présentaient aux sujets diverses histoires qui leur étaient arrivées ou non ; parmi les mésaventures imaginaires, ils racontaient le renversement accidentel d’un saladier de punch sur les parents de la mariée au cours d’un mariage, ou une évacuation d’urgence d’un magasin où l’arrosage anti-incendie s’était déclenché. Puis les psychologues avaient trois entretiens avec les sujets. De nouveau, aucun participant ne se souvenait du faux événement lors du premier entretien, mais 18 pour cent se rappelaient un élément de cet événement, lors d’une deuxième rencontre, et 25 pour cent lors d’une troisième. Par exemple, un participant interrogé sur le renversement du saladier au cours du mariage déclara initialement : « Je n’en ai aucun souvenir. Je n’avais jamais entendu cette histoire. » La deuxième fois, il répondit : « La réception était à l’extérieur, et je crois que nous courions dans tous les sens. Nous avons renversé un saladier rempli de punch ou quelque chose comme ça. Il y en avait partout et, évidemment, on s’est fait gronder. »

L’inflation de l’imagination

Quelles leçons la justice ou la psychiatrie, par exemple, doivent-elles tirer de ces études ? Bien que les policiers, qui mènent les interrogatoires de suspects et de témoins, ou les psychothérapeutes aient rarement recours aux techniques de suggestion, ils proposent souvent des exercices d’imagination. Par exemple, les policiers demandent parfois aux suspects d’imaginer avoir participé à un crime, et certains psychothérapeutes encouragent leurs patients à imaginer des événements de leur enfance afin de retrouver des souvenirs enfouis.

Des enquêtes faites auprès de psychologues cliniciens révèlent que 11 pour cent d’entre eux demandent à leurs patients de « laisser courir leur imagination », et que 22 pour cent proposent de « laisser libre cours à l’imagination ». La thérapeute Wendy Maltz, auteur d’un livre sur les abus sexuels de l’enfance, conseille de dire aux patients : « Prenez le temps d’imaginer que l’on a abusé de vous sexuellement, sans vous soucier d’être précis, de prouver quoi que ce soit, ni de la vraisemblance de vos idées. Posez-vous ces questions : Quelle heure est-il ? Où êtes-vous ? À l’intérieur ou à l’extérieur ? Que se passe-t-il ? Y a-t-il une ou plusieurs personnes avec vous ? » W. Maltz continue en recommandant aux thérapeutes de poser des questions du type : « Qui auraient pu être les acteurs probables ? À quelle époque de votre vie étiez-vous le plus vulnérable aux abus sexuels ? »

Quelles conséquences peut avoir le recours à ces exercices d’imagination ? Que se passe-t-il lorsqu’une personne imagine des expériences de son enfance qui ne se sont pas produites ? Risque-t-on de croire qu’un événement s’est produit, au cours de l’enfance, quand on l’imagine ? Pour étudier ces questions, nous avons conçu une procédure en trois étapes. Nous avons d’abord demandé à des sujets d’indiquer la probabilité que 40 événements se soient produits au cours de leur enfance. Les sujets devaient évaluer cette probabilité à l’aide d’une échelle allant de « ne s’est absolument pas produit » jusqu’à « s’est produit avec certitude ». Deux semaines plus tard, nous avons demandé aux participants d’imaginer qu’ils avaient vécu huit de ces événements, dont ils avaient dit qu’ils ne s’étaient pas produits. Les sujets différents devaient imaginer des événements différents. Puis nous avons de nouveau demandé aux sujets d’évaluer la probabilité qu’ils aient vraiment vécu les 40 événements.

Un des événements de la liste, par exemple, était le suivant : « Vous êtes chez vous, en train de jouer à l’intérieur, après l’école. Vous entendez un bruit étranger à l’extérieur, vous courez à la fenêtre, trébuchez, tombez et cassez une vitre avec la main en essayant de vous rattraper. » Lors de la séance d’imagination, nous demandions aux sujets de se représenter très concrètement les situations. Par exemple, nous leur posions des questions du type : « Sur quoi avez-vous trébuché ? Qu’avez-vous ressenti ? »

Dans l’une de ces études, nous avons observé que le sentiment d’avoir réellement vécu l’événement de la vitre cassée était augmenté chez 24 pour cent des participants, mais chez seulement 12 pour cent ceux qui n’avaient pas imaginé l’incident. Cet effet d’« inflation de l’imagination » a été observé pour chacun des événements que nous avions de­mandés à nos sujets d’imaginer. Le fait d’imaginer un événement le rend plus familier, et la familiarité serait alors faussement associée aux souvenirs d’enfance. Une telle confusion – ou­blier la source d’une information – peut être particulièrement aiguë pour des expériences enfantines.

À l’Université de Washington, Lyn Goff et Henry Roediger ont complété cette étude en examinant des expériences vécues récemment afin d’établir plus directement les liens entre les actions imaginées et la construction de faux souvenirs. Au cours d’une session initiale, les psychologues demandaient à leurs sujets soit de réaliser une action simple (frapper sur la table, soulever l’agrafeuse, casser le cure-dents, croiser les doigts, rouler les yeux), soit de s’imaginer en train de la réaliser, soit d’écouter simplement la description de l’action. Au cours d’une deuxième session, on demandait aux participants d’imaginer certaines des actions qu’ils n’avaient pas réalisées lors de la première session. Enfin, au cours de la dernière session, on leur demandait de répondre à des questions concernant les actions qu’ils avaient effectivement réalisées pendant la première session. Les résultats montrèrent que, plus une personne passe de temps à imaginer une action non réalisée, plus elle juge ultérieurement que cette action a bien eu lieu.

Des souvenirs impossibles

Afin de préciser ces observations, des psychologues ont voulu étudier les techniques de création de souvenirs. Les souvenirs concernant la première année de la vie sont perdus à jamais, notamment parce que l’hippocampe, qui joue un rôle important dans les mécanismes de la mémoire, n’est alors pas assez mature pour stocker des souvenirs recouvrables à l’âge adulte. Nicholas Spanos et ses collègues de l’Université Carleton ont d’abord expliqué à des volontaires que leur bonne coordination oculaire et leurs capacités d’exploration visuelle étaient probablement dues au fait qu’ils étaient nés dans des hôpitaux où des mobiles colorés étaient suspendus au-dessus des berceaux.

Les psychologues racontaient alors aux participants qu’ils voulaient vérifier s’ils avaient effectivement vécu cette expérience. La moitié des participants étaient alors hypnotisés, et on leur demandait de se souvenir du lendemain de leur naissance. L’autre moitié du groupe participait à une procédure de « restructuration mnémonique guidée », une technique de suggestion qui utilise la régression, ainsi que des encouragements actifs pour recréer des expériences du premier âge en les imaginant.

Les analyses ultérieures montrèrent que la grande majorité des sujets sont sensibles à ces procédures de suggestion des souvenirs : dans les deux groupes, des sujets rapportèrent des souvenirs de nouveau-nés. De manière surprenante, le groupe guidé se « rappelait » mieux son enfance que le groupe hypnotisé (95 contre 70 pour cent). La fréquence des souvenirs du mobile coloré était supérieure (56 pour cent dans le groupe guidé et 46 pour cent dans le groupe hypnotisé). De nombreux participants qui ne se souvenaient pas des mobiles colorés se « remémoraient » d’autres choses, comme les médecins, les infirmières, les lumières vives, les berceaux et les masques. De surcroît, dans les deux groupes, 49 pour cent des sujets qui faisaient état de souvenirs de la période néonatale pensaient qu’il s’agissait de souvenirs réels, contre 16 pour cent qui les attribuaient simplement à leur imagination.

Ces résultats, qui confirment les travaux antérieurs, montrent que l’utilisation d’une procédure de suggestion relativement simple suffit pour conduire nombre de personnes à construire des souvenirs complexes, vivaces et détaillés. L’hypnose n’est pas indispensable.

Dans l’étude que nous avions effectuée avec J. Pickrell, de faux souvenirs se créaient lorsqu’une autre personne, généralement un membre de la famille, déclarait que l’incident avait eu lieu. Saul Kassin, de l’Université Williams, a confirmé que le faux témoignage d’un tiers engendre efficacement de faux souvenirs : une personne peut avouer une faute si un tiers dit avoir vu la personne commettre la faute.

Comment se forment les faux souvenirs

S. Kassin a ainsi étudié les réactions d’individus faussement accusés d’avoir endommagé un ordinateur en appuyant sur une mauvaise touche. Les participants innocents niaient d’abord l’accusation, mais, après avoir été confrontés à un complice de l’expérimentateur qui affirmait les avoir vus faire, de nombreux participants signèrent des aveux et finirent par décrire de façon détaillée… un acte qu’ils n’avaient pas commis.

Ainsi les expériences de psychologie expérimentale révèlent comment de faux souvenirs d’expériences émouvantes sont créés chez les adultes. Tout d’abord, les pressions sociales exercées sur l’individu peuvent aider l’apparition du faux souvenir ; par exemple, au cours de l’étude, les chercheurs exercent une pression sur les participants pour qu’ils retrouvent des souvenirs. Ensuite, on peut stimuler la construction du souvenir en demandant à la personne d’imaginer des événements, lorsqu’elle a des difficultés à se souvenir. Enfin, on peut les encourager à ne pas s’interroger sur la réalité de leurs constructions. Les faux souvenirs se créent facilement lorsque ces facteurs externes sont présents, dans une situation expérimentale, dans un contexte thérapeutique ou dans les activités quotidiennes.

Les faux souvenirs s’élaborent par combinaison de vrais souvenirs et de suggestions provenant d’autres personnes. Au cours du processus, les sujets sont susceptibles d’oublier la source de l’information. C’est un exemple classique de confusion de source, où le contenu et la source sont dissociés.

Les souvenirs d’enfance qui réapparaissent grâce à des suggestions ne sont pas nécessairement tous faux. Bien que le travail expérimental sur la création de faux souvenirs fasse douter de la valeur des souvenirs enfouis depuis longtemps, il ne les invalide absolument pas. En revanche, il montre que, sans corroboration, même un expert ne peut différencier les vrais souvenirs de ceux qui ont été créés par suggestion.

On ignore encore les mécanismes précis d’élaboration des faux souvenirs. Quelles sont les caractéristiques des faux souvenirs créés ? Ces faux souvenirs sont-ils durables ? Toutes les personnes sont-elles « suggérables » ou existe-t-il des prédispositions physiques ou émotionnelles ?

Les études, qui se poursuivent, conduisent déjà à mettre en garde les professionnels de la santé mentale et d’autres professions : ils doivent savoir qu’ils risquent d’influencer leurs patients et devraient limiter l’usage de l’imagination pour la résurgence de souvenirs supposés perdus.

Auteurs :

Elizabeth Loftus- Elizabeth Loftus, professeur de psychologie à l’Université de Washington, est présidente de l’Association américaine de psychologie. Voir tous ses articles

Michel Topaloff- Voir tous ses articles

Références

E. Loftus et K. Ketcham, Le syndrome des faux souvenirs, Éditions Exergue, 1997.
D. L. Schacter, À la recherche de la mémoire : le passé, l’esprit et le cerveau, De Boeck, 1999.
Nicholas P. Spanos, Faux souvenirs et désordre de la personnalité multiple, DeBoeck, 1998.
Remembering Our Past : Studies in Autobiographical Memory, sous la direction de David C. Rubin, Cambridge University Press, 1996.
Maryanne Garry, Charles G. Manning, Elizabeth F. Loftus et Steven J. Sherman, Imagination Inflation : Imaging a Childhood Event Inflates Confidence That It Occured, in Psychonomic Bulletin and Review, vol 3, n° 2, pp.208-214, juin 1996.

Dossier Pour la Science N°31

Article paru dans Dossier Pour la Science N°31 - Avril 2001https://www.pourlascience.fr/sd/bio...- Sommaire Acheter au format numérique S’abonner

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  • Exemple en vidéo - Expérience de psychologie : manipulation et création de faux souvenir - 20 août 2019 -’Article planetesante.ch : Psycho Criminologie
    Faux souvenirs : ne vous fiez pas à votre mémoire !’

’Ils nous marquent et nous construisent : les souvenirs font partie de notre histoire personnelle. Parfois, au milieu de ces pensées authentiques se cachent des faux souvenirs. A la rencontre de notre mémoire avec le Pr Armin Schnider. Vous vous en rappelez comme si c’était hier de ce souvenir d’enfance ! Et pourtant, même si cet événement semble être ancré dans votre mémoire, il n’a peut-être jamais existé.

Des faux souvenirs, nous en avons tous. Il s’agit du phénomène de la confabulation, auquel s’intéresse particulièrement le Pr Armin Schnider, médecin-chef du Service de neurorééducation aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), et professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Genève. Il est l’auteur d’un livre dédié au sujet, The Confabulating Mind*, récompensé en octobre dernier par le British Medical Association Book Awards. Pr Armin Schnider

Les souvenirs sont utiles pour vérifier le passé. Mais ils ne sont pas des photos précises. Un souvenir, c’est toujours une reconstruction qui est adaptée avec le temps. A chaque fois qu’on évoque un souvenir, on assimile le contexte du présent et on intègre de nouvelles informations. D’où l’idée que la mémoire sert avant tout à planifier son avenir, ce qui est biologiquement plus important que de se souvenir des détails du passé. Qu’est-ce que la confabulation ? Elle est définie comme la survenue de souvenirs d’événements qui n’ont jamais eu lieu. Cependant, ces cas de confabulations fantastiques sont très rares.

La majorité des faux souvenirs ont une base dans le passé. Et nous en avons tous ! Lorsqu’on fait appel à un souvenir, il est réactivé puis à nouveau enregistré. Avec le temps, on intègre des informations qui n’appartiennent pas à l’événement d’origine. Les souvenirs évoluent et une bonne partie de leur contenu n’est plus correcte. Des faux souvenirs peuvent être induits par la manière dont on pose les questions. Si à la fin d’un film, je vous demande : « A quel point était-il long ? », votre estimation sera plus longue que si je vous dis « A quel point était-il court ? ».

Cela a été testé en 1973 : les réponses à la première question étaient 30% plus élevées que dans le deuxième cas. L’information était enregistrée, et le lendemain, les premiers sujets pensaient vraiment que le film durait plus (130 minutes en moyenne), et les deuxièmes moins (100 minutes en moyenne). Ce qui montre qu’on avait réussi à influencer leurs souvenirs.

Les faux souvenirs sont donc des souvenirs transformés ? Pas uniquement. On peut induire des souvenirs totalement inventés. Dans une expérience, on a demandé à des étudiants de raconter quatre histoires de leur enfance : trois événements étaient vrais, le quatrième inventé. La consigne était alors : « Vous vous êtes perdus dans un supermarché à l’âge de 5 ans. Donnez les détails ». Tous ont affirmé ne pas s’en rappeler. Les chercheurs leur ont demandé d’imaginer la situation en détail. Deux semaines après, 25% d’entre eux ont indiqué qu’ils s’étaient perdus dans un supermarché quand ils avaient cinq ans. Ils avaient un souvenir de quelque chose qui n’a jamais eu lieu.

Les souvenirs sont-ils si manipulables ? Oui, et ça fonctionne particulièrement bien si le souvenir est d’emblée faible ou affaibli par le temps, et que la fausse information est plausible. Le cerveau n’a pas de moyen de différencier ces faux souvenirs des vrais, ce qui est assez inquiétant. La conviction d’un souvenir n’est pas une mesure fiable pour juger de son exactitude.

https://yt3.ggpht.com/Wpkfiq8c1NkndZ_7bljWGZGWrg-I9JOi4TfvrdkKZZP4PjvIqLGCL94k3u95e_CI5yloAAB-eG4=s88-c-k-c0x00ffffff-no-rj

Psycho Criminologie

Source : https://www.youtube.com/watch?v=ZBFq7UyAbCY

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  • Distorsions, faux souvenirs et manipulations de la mémoire selon l’Observatoire B2V des Mémoires 
    Pourquoi oublie-t-on certaines informations au profit d’autres ? Que sont les faux souvenirs ? On peut donc manipuler la mémoire ? La mémoire externe modifie-t-elle la mémoire de l’individu ? Notre mémoire est sélective, elle peut nous jouer des tours, voire être manipulée.

Dans une interview avec Robert Jaffard, neurobiologiste et membre du Conseil scientifique, l’Observatoire B2V des Mémoires nous emmène dans une passionnante exploration des mécanismes qui forgent les contenus de notre mémoire.

[Lectures suggérées : Robert Jaffard - Publications de cet auteur diffusées sur Cairn.info ou sur un portail partenaire – Source : https://www.cairn.info/publications-de-Robert-Jaffard—83456.htm ]

[Ecoute suggérée : Mémoire et Sommeil - Interview du Professeur Robert Jaffard - Observatoire B2V des Mémoires- 24 juin 2015 – Source : https://www.youtube.com/watch?v=sSNp2eNTWOM ]

Suite de l’article en cours >

Pourquoi oublie-t-on certaines informations au profit d’autres ?

Notre mémoire est sélective. Comme l’écrivait Théodule Ribot (1882) « une condition de la santé et de la vie de notre mémoire : c’est l’oubli ». La raison principale est la suivante : sans oubli, notre mémoire serait saturée d’informations et de détails inutiles. Ces derniers pourraient alors créer des interférences et conduire surtout à l’incapacité de hiérarchiser et d’organiser l’essentiel de nos savoirs, les rendant moins efficients lors de nos prises de décisions. Le tri entre les informations conservées et oubliées dépend bien sûr de l’attention que nous leur portons lors de l’encodage. Cette attention est liée, par exemple, au degré de nouveauté de ces informations ou à leur importance réelle ou supposée à venir. Par exemple, l’état émotionnel qui précède, accompagne ou suit l’encodage d’informations – même neutres – constitue un élément déterminant dans leur conservation via une amplification de leur consolidation. Cette consolidation sélective sera, de plus, accentuée pendant le sommeil qui suivra.

Par ailleurs, il existe un oubli plus « actif » qui permet d’inhiber, voire d’éliminer lors de leur rappel, des informations devenues erronées, non prioritaires ou même gênantes pour notre propre image ou nos croyances.

Que sont les faux souvenirs ?

La mémoire n’étant ni une copie fidèle – ni permanente – de la réalité passée mais une synthèse changeante - une reconstruction - de ce passé, elle ne peut être que sujette à des distorsions, à des « erreurs » (Frederic Barlett, 1932). Ainsi, un faux souvenir (distorsion ou erreur mnésique) est la remémoration d’un événement qui, en totalité ou en partie n’a jamais eu lieu, mais donc le sujet se « souvient » avec certitude. Ces erreurs mnésiques peuvent être générées de façon purement interne par le système cognitif du sujet (son imagination) et/ou par des facteurs externes (la pression sociale).

Les faux souvenirs ont trois origines : l’imagination, les associations et la désinformation rétroactive.

  • Imaginer un événement hypothétique – et quelques fois improbable – peut être suffisant pour créer un faux souvenir autobiographique riche en détails et en émotions et même capable de moduler certains comportements.
  • Les associations qui structurent et organisent nos connaissances peuvent aussi être à l’origine d’erreurs mnésiques. Par exemple, la présentation auditive d’une liste de mots (seigle, lait, confiture…) ou visuelle d’une scène (une salle de classe) conduisent à faussement reconnaître le mot ou l’objet (respectivement pain et tableau) qui ne figuraient pourtant pas dans la présentation.
  • Enfin, il est possible d’intégrer des informations erronées à un souvenir préexistant. Par exemple, le contenu et la nature des questions posées au témoin d’un événement peuvent, par un effet de « désinformation », entraîner une distorsion durable de sa mémoire originale et donc de ses témoignages ultérieurs. Mais notre mémoire des faits passés peut également être spontanément déformée par nos attentes, nos sentiments ou nos croyances du moment.
    On peut donc manipuler la mémoire ?

Oui, mais dans certaines conditions. Dans son ouvrage Les sept péchés de la mémoire Daniel Shacter (2001) considère que l’un de ces « péchés », la suggestibilité, joue avec l’imagination un rôle majeur dans l’implantation de faux souvenirs autobiographiques. De nombreuses expériences initiées par Elizabeth Loftus (2005) ont ainsi montré que des sujets auxquels on fait le récit d’un événement inventé dont on s’efforce de les persuader qu’ils l’ont personnellement vécu acquièrent, dans de nombreux cas (jusqu’à 50 %), le « souvenir » erroné dudit événement.

Cet événement fictif est alors décrit avec force détails comme un (vrai) souvenir et peut se maintenir après que le sujet ait été informé de la supercherie. Plus récemment, il a été montré que des « fausses infos » d’évènements politiques pouvaient être transformées en (faux) souvenirs personnels, notamment lorsque ces « infos » étaient conformes aux opinions politiques de la personne.

L’efficacité de ces manipulations constitue un problème pour les thérapies qui visent à « retrouver », à l’âge adulte, des souvenirs de maltraitance survenus dans l’enfance et que l’on suppose « refoulés ».

La mémoire externe modifie-t-elle la mémoire de l’individu ?

Nous confions de plus en plus notre mémoire interne à des supports numériques qui permettent de la « soulager » et qui, en outre, sont « sécurisés » : leur contenu ne subit aucun oubli ni distorsion et reste accessible en permanence. Mais les conséquences de cette « démémoration » cérébrale ne sont probablement pas négligeables.

On peut en particulier supposer que l’absence ou la superficialité de « l’appropriation » mentale des données externalisées peut entraîner un affaiblissement de l’imagination et de la créativité, de la plasticité cérébrale et des réserves cognitives qui protègent des dysfonctionnements cérébraux. Par ailleurs, on peut être très sceptique sur l’idée – avancée par certains - que l’on pourrait « augmenter » la mémoire humaine en « branchant » de tels supports numériques directement sur le cerveau.

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Distorsions, faux souvenirs et manipulations de la mémoire

Mémoire individuelle Fonctionnement de la mémoire

Source : https://www.observatoireb2vdesmemoires.fr/comprendre/distorsions-faux-souvenirs-et-manipulations-de-la-memoire

La société OBSERVATOIRE B2V DES MEMOIRES a été créée le 10 décembre 2016, il y a 7 ans. Sa forme juridique est Fondation. Son domaine d’activité est : autres organisations fonctionnant par adhésion volontaire. Elle n’emploie pas de salariés.

Son siège social est domicilié au 4 PL DES SAISONS 92400 COURBEVOIE. Elle possède 2 établissements dont 1 est en activité.

Fiche résumé … - Source : https://annuaire-entreprises.data.gouv.fr/entreprise/observatoire-b2v-des-memoires-824807234

Selon ‘Annuaire des Entreprises’ - Ce site permet de retrouver toutes les données publiques détenues par l’administration sur une entreprise, une association ou une administration et en particulier les données contenues dans un extrait KBIS ou de l’extrait D1. Il est opéré par la Direction Interministérielle du Numérique et la Direction Générale des Entreprises.

Fichier:Logo de la République française (1999).svg — Wikipédia

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  • Criminologie – A propos de mémoire : les témoins peuvent tous mentir à leur insu - Explications de Nathalie Dongois - 21 août 2020 – Par Sabine Pirolt - Document ‘unil.ch/allezsavoir’
    Dans certaines affaires judiciaires, les déclarations des témoins sont les seuls éléments dont dispose le juge. La mémoire joue donc un rôle central. Problème : elle est malléable et vulnérable. Explications de Nathalie Dongois.

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Les humains ne sont pas des machines. Le souvenir d’un événement peut s’écarter de la réalité, aussi bien au moment où il se forme que bien plus tard. ©Jehan Khodl

C’est un récit que Nathalie Dongois, maître d’enseignement et de recherche au Centre de droit pénal de l’Université de Lausanne, aime raconter à ses étudiants. Dans le rôle principal : une trousse de toilette en néoprène rouge. Elle a « flashé » sur ce tissu adapté aux salles de bain. C’est ce banal objet qui déclenchera le faux témoignage de cette spécialiste des erreurs judiciaires. Un comble. 

Dans le cadre d’une formation pour les policiers, la chercheuse de l’UNIL participe à une expérience. On la prie de regarder une scène de crime et de témoigner. Elle se prête au jeu et décrit l’auteur qui porte un sac. On lui demande des précisions sur cet accessoire : « Il est rouge », affirme-t-elle. « En êtes-vous certaine ? », l’interroge le formateur. Elle met sa main à couper. Pas de chance… Il était vert. Nathalie Dongois, pourtant spécialiste du domaine, est tombée dans le piège. L’élément extérieur qui est venu polluer sa mémoire ? Sa trousse de toilette rouge achetée récemment. « J’ai fait un amalgame entre la matière que j’ai reconnue, soit le néoprène, et la couleur. Cela montre bien que, même en toute bonne foi, on peut être persuadé de raconter la vérité, mais dire quelque chose de faux. »

On s’en doute, le faux témoignage de Nathalie Dongois n’a pas eu beaucoup de conséquences. Ce n’est pas toujours le cas. Lors d’une procédure pénale, de nombreuses personnes sont amenées à faire des déclarations : les témoins, les victimes, les suspects ou encore des quidams susceptibles de donner des renseignements. « Les déclarations recueillies peuvent avoir une incidence très importante, car parfois, ces déclarations sont les seuls éléments sur lesquels fonder une éventuelle culpabilité. » On l’aura compris : la vulnérabilité de la mémoire peut avoir des conséquences catastrophiques. 

Mémoire vulnérable

Psychologue cognitiviste, spécialiste de la mémoire humaine, l’Américaine Elizabeth Loftus, qui enseigne à l’Université de Californie à Irvine, a étudié le cas de Steve Titus, un manager américain de 31 ans, accusé d’avoir violé une jeune fille de 17 ans. On est dans les années 80. Alors que la police présente une série de photos à la victime, cette dernière dit que celle de Steve Titus est « la plus ressemblante ». Le trentenaire a été arrêté, car il roule dans une voiture de la même couleur et ressemblant à celle du véritable violeur. Comme lui, il porte une barbe. L’enquête est bâclée et Steve Titus se retrouve devant la justice. Lors du procès, la victime affirme cette fois qu’elle est « absolument convaincue » qu’il s’agit de Steve Titus. Ce dernier clame son innocence, en vain. Il finit en prison. C’est grâce à un journaliste d’investigation du Seattle Times que la vérité éclatera et que l’auteur du crime, un violeur en série, sera retrouvé et avouera. Libéré, Steve Titus, lui, a perdu son travail. Obsédé par les dysfonctionnements de la justice, il demandera réparation et se lancera dans une procédure contre la police qui lui coûtera toutes ses économies. Sa fiancée finira par le quitter et il mourra d’une crise cardiaque, la veille du procès contre les policiers impliqués dans l’enquête. 

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Nathalie Dongois. Maître d’enseignement et de recherche au Centre de droit pénal (Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique). Nicole Chuard © UNIL

[Nathalie DongoisDocteure en droit, Professeure de droit pénal à la Faculté de droit de l’Université de Lausanne - Vaud, Suisse Coordonnées– Source : https://www.linkedin.com/in/nathalie-dongois-1162a09/?originalSubdomain=ch]

Saisir les notions à l’origine d’une loi – Allez savoir !Chronique / Droit / No 56 - Saisir les notions à l’origine d’une loi - 23 janvier 2014 - Source https://wp.unil.ch/allezsavoir/saisir-les-notions-a-lorigine-dune-loi/ ]

Comme tient à le rappeler Nathalie Dongois, « la mémoire ne fonctionne pas comme une caméra vidéo. Le souvenir d’un événement peut s’écarter de la réalité, aussi bien au moment où il se forme que bien plus tard. »

Elle explique encore que le mécanisme même de la mémorisation n’est autre qu’un processus de construction et reconstruction intellectuelle : en cherchant à se souvenir d’un événement passé, la mémoire inclurait des renseignements provenant d’autres sources, non liés à l’événement en question, pour construire l’épisode que la personne doit raconter. Un exemple ? « Imaginons que deux personnes assistent au braquage d’une pharmacie : un policier et une grand-mère qui s’est fait attaquer à un bancomat quelque temps auparavant. Ils ne raconteront pas ce qui s’est passé de la même façon. » Mais les faits sont les faits, pourrait-on s’étonner. « Les faits tels qu’ils sont perçus sont tout relatifs », rectifie Nathalie Dongois. 

Ce braquage va faire revivre à cette grand-mère ce qu’elle a enduré quelques semaines auparavant. Cet événement va réveiller quelque chose de traumatisant. « L’émotion jouera un rôle et cette dame va reconstruire sa mémoire en intégrant les éléments qui sont liés à son propre traumatisme ; elle risque de mélanger les deux situations. On peut imaginer qu’il y ait des amalgames qui se fassent à ce niveau -là. » Par contre, la violence fait partie du quotidien du policier. Sa façon de raconter les choses va donc être complètement différente : il va être plus factuel et sans émotion.

Dans ce contexte de faux souvenirs qui se créent et donnent lieu à de fausses déclarations en toute bonne foi, il s’agit, pour l’autorité qui procède à l’audition, de connaître ce qui a éventuellement pu distraire le témoin au moment de son observation. Il est également important d’avoir des informations sur son état émotionnel et physiologique ou tout autre élément susceptible d’influer sur sa capacité à se souvenir d’un événement. 

Le stress, l’amygdale et l’hippocampe

Autre biais possible qui peut venir perturber une enquête : les principes codants qui sont propres à chaque mémoire. Si certaines personnes sont capables de faire une description purement factuelle de ce qu’elles ont vu, soit de détailler la couleur des yeux ou de la peau, la longueur du pantalon ou des cheveux, d’autres, par contre, associent l’apparence à un type de personnes, ce qui peut être problématique.

Et Nathalie Dongois de citer à nouveau l’exemple d’un braquage de pharmacie. « Certains témoins interrogés diront : “C’était quelqu’un de grand, un peu mince, habillé comme ceci ou comme cela”, et n’ajouteront rien d’autre. D’autres, qui ont des principes codants différents, raconteront : “Il était grand et également très mince et avait un visage blafard, vous savez, un peu comme le sont les gens en manque, tout blanc.” La police risque donc de partir sur l’idée que le suspect est un toxicodépendant. L’enquêteur doit donc savoir qu’il existe des principes codants propres à chaque mémoire, de sorte qu’une déclaration traduit un code, lequel « colore » la déclaration relatant un événement tel qu’il a été vécu. »

De plus, certains éléments marquent plus la mémoire que d’autres. Il existe, par exemple, ce que les spécialistes appellent « l’effet de l’arme ». Les enquêteurs avaient tendance à considérer comme un gage de non–crédibilité le fait qu’un témoin puisse faire une description très précise d’une arme, tout en étant incapable de dire quoi que ce soit d’autre sur les événements auxquels il avait assisté.

Depuis, des expériences ont montré que les yeux des témoins fixaient parfois l’objet critique, par opposition au reste de la scène de crime. Ce « focus », et ses conséquences sur la capacité à se souvenir, trouve une explication au niveau cérébral. En effet, c’est lié au fonctionnement de deux parties différentes du cerveau : l’amygdale et l’hippocampe. « Lorsque le niveau de cortisol est très élevé, ce qui est le cas dans un état de stress important, l’hippocampe est pour ainsi dire “désactivé” et ne peut plus encoder les informations liées au contexte. L’amygdale va, quant à elle, coder de manière très accentuée les détails frappants, mais ceux-ci ne pourront plus être liés au contexte. Typiquement, le témoin ne sera capable de se rappeler que de la chose menaçante ».

Malléabilité de la mémoire

Si la mémoire, en cherchant à se souvenir, inclut des éléments extérieurs aux faits, elle est encore plus faillible face à la suggestion de fausses informations, comme l’enseigne Nathalie Dongois, qui aime à raconter l’expérience mise sur pied par Elizabeth Loftus. Pour son étude « Bugs Bunny », la chercheuse américaine a sélectionné des étudiants qui s’étaient tous rendus à Disneyland dans leur enfance. Regroupés dans une salle, ils ont été invités à donner leur avis sur un flyer publicitaire pour Disneyland : on y voyait un château très « disney » et le personnage de Bugs Bunny bien en évidence. Les étudiants étaient invités à répondre à quelques questions sur ce flyer spécialement créé pour l’étude, sans qu’ils n’en sachent rien : aimaient-ils la mise en page de cette publicité ? Ses couleurs ? Une semaine plus tard, des questions leur ont été posées sur leur rencontre avec Minnie, Mickey, la Petite Sirène ou Bugs Bunny, lors de leur visite à Disneyland. Puis un expérimentateur leur a raconté avoir bien aimé Bugs Bunny dans ce parc d’attraction. Là- dessus, 35% des étudiants ont dit se souvenir de leur rencontre avec ce lapin facétieux, lors de leur visite à Disneyland. Certains ont même ajouté des détails sur une poignée de main échangée ou le fait de lui avoir touché la queue. Et tous les récits paraissaient être de vrais souvenirs.

Cherchez l’erreur : Bugs Bunny est un personnage de… la Warner Bros qui n’a rien à faire avec Walt Disney. « Cette expérience montre que 35% des étudiants ont reconnu quelque chose de faux et que, plus globalement, la réactivation d’un souvenir le rend encore plus vulnérable face à la suggestion de fausses informations. » 

Comme le souligne Nathalie Dongois, la malléabilité de la mémoire renvoie à la problématique des méthodes d’interrogation trop suggestives, et, en filigrane à celle des à-priori et des biais des personnes en charge de mener les auditions. Ce sont autant d’éléments contaminants susceptibles de provoquer de faux souvenirs chez les personnes qui sont auditionnées, et donc, par conséquence, de fausses déclarations. « C’est pour cela qu’il existe des formations visant à mieux apprendre aux policiers à ne pas poser des questions de manière suggestive. »

Outre ces éventuelles « pollutions » à éviter lors des interrogatoires, Nathalie Dongois soulève la question de savoir s’il vaut mieux laisser un certain temps à la personne avant de la questionner. Elle précise que « l’être humain a besoin d’un temps pour consolider son souvenir ». Et de citer Delphine Preissmann, docteur en neurosciences, avec laquelle elle a coécrit un article sur les techniques d’audition (1). « En ce qui concerne le phénomène de consolidation de la mémoire, plusieurs études de neuro-imagerie montrent que les zones cérébrales – notamment l’hippocampe et l’amygdale – impliquées dans l’apprentissage sont réactivées spontanément durant le sommeil. On observe également cette consolidation pour la mémoire épisodique. » Nathalie Dongois, en se fondant sur différentes études faites en neurosciences, indique ensuite que « le problème vient du fait que toute réactivation du souvenir rend à nouveau ce dernier “fragile”, en ce sens qu’il redevient à chaque fois susceptible d’être modifié par des éléments extérieurs. La consolidation d’un souvenir ne serait ainsi jamais définitive. Au contraire, tout souvenir, de par sa réactivation, peut être modifié. »

Alors, faut-il laisser passer un certain temps avant de recueillir une déclaration ? Certains pourraient avancer que, si on laisse trop de temps s’écouler, il y a risque de contamination de la mémoire par des éléments extérieurs. L’académicienne est partagée quant aux conseils à donner. Elle rétorque qu’ « il convient simplement de garder à l’esprit qu’un souvenir, même consolidé après l’écoulement d’un certain temps, n’est jamais définitif et immuable ». 

Vulnérable, malléable et sous l’influence de principes codants, la mémoire n’a décidément rien d’une caméra vidéo et toute personne est susceptible de mentir à son insu.

Le travail des policiers n’est décidément pas de tout repos. L’existence de « menteurs malgré eux » représente un défi pour la justice : on les trouve non seulement chez les témoins, mais aussi chez les suspects, ce qui semble relever du non-sens. « Comment peut-on raisonnablement imaginer qu’une personne s’auto-accuse volontairement d’un forfait qu’elle n’a pas commis ? » Telle est une des questions que Nathalie Dongois aime poser à ses étudiants. 

C’est René Floriot, fameux avocat français, qui, dans son ouvrage sur les erreurs judiciaires (2) a proposé une classification en trois catégories des faux coupables volontaires : les maniaques de l’aveu spontané, les peureux et les victimes de brutalités policières. Les premiers s’accusent à tort pour attirer l’attention des médias et de l’opinion publique ou pour protéger un tiers. Les peureux, eux, sont des personnes qui ne supportent pas d’être auditionnées. Elles préfèrent donc avouer.

Nathalie Dongois explique : « Elles espèrent ainsi rentrer au plus vite chez elles. Ce sont le plus souvent des citoyens qui ont grandement confiance en la justice. Ils se disent que, même s’ils ont dit un mensonge, la vérité finira par éclater et ils seront innocentés. » Quant aux victimes de brutalités policières, elles complètent la trilogie. Elles capitulent face à l’autorité et finissent par dire ce que ceux qui les interrogent ont envie d’entendre.

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L’erreur judiciaire en matière pénale. Par Nathalie Dongois. Éditions Schulthess (2014), 254 p.

Faux coupables involontaires

Il a fallu attendre presque vingt ans pour que d’autres auteurs fassent ressortir une nouvelle catégorie de faux coupables : les faux coupables involontaires. Ces derniers avouent faussement, mais sans se rendre compte qu’ils font une déclaration erronée. « Ce sont des gens qui finissent par perdre confiance en leur mémoire et se persuadent d’être coupables. C’est dans ce genre de cas que l’on retrouve toute la malléabilité de la mémoire. » En effet, si un enquêteur auditionne un suspect de manière très suggestive et arrive à lui faire perdre pied, ce dernier finira par être persuadé qu’il est, d’une manière ou d’une autre, impliqué dans le forfait qu’on lui reproche. « De nombreuses recherches en psychologie ont montré qu’il est possible de modifier les souvenirs d’un sujet, mais également d’en créer de toute pièce en recourant à des techniques d’interrogatoire suggestif », précise Nathalie Dongois.

C’est probablement ce qui est arrivé dans l’affaire Patrick Dils, ce jeune Français qui s’était faussement accusé d’avoir tué deux enfants. « On avait un individu de 16 ans qui avait un âge mental de 8 ans et soudainement, les enquêteurs ont fait naître un doute dans l’esprit de Patrick Dils, à propos d’une question de temps, et il a complètement perdu pied. Je pense que le syndrome de perte de confiance en sa propre mémoire explique – en partie à tout le moins – le passage à l’aveu de Patrick Dils à l’époque. » Cet égarement lui a coûté cher : le jeune homme a passé quinze ans en prison.

Changer de version, gage de vérité

On s’en doute, les « maniaques de l’aveu spontané » ne courent pas les rues, et les policiers ont plus souvent affaire à des suspects « classiques », qui rechignent à avouer leurs forfaits et cherchent à se jouer des enquêteurs, que ce soit en demeurant dans le déni ou en changeant de version, de manière totale ou partielle… Toutefois, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, le fait qu’une personne varie dans sa déclaration est plutôt gage qu’elle dit la vérité.

En effet, si quelqu’un a appris par cœur un mensonge pour le raconter aux autorités, il va avoir tendance à raconter toujours la même chose, avec les mêmes termes, dans le même ordre. « Mais si vous lui demandez de raconter les choses différemment, notamment à rebours, cela risque de le perturber. On parle alors de surcharge cognitive, laquelle rend plus difficile la “reconstruction” au niveau de la déclaration. Alors que si cela relève du vécu, il y aura des imperfections, mais en général cette demande déstabilise moins la personne interrogée. »

Le fait qu’une personne change sa version s’explique par la malléabilité de la mémoire : en réactivant ses souvenirs, elle peut modifier sa version. Le risque existe qu’elle y insère de faux souvenirs.

Et Nathalie Dongois de conclure : « Cela montre bien qu’il faut vraiment relativiser les déclarations des témoins, des auteurs présumés ou des victimes. »

(1) Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique. polymedia.ch/RICPTS

(2) Les erreurs judiciaires. Par René Floriot. Flammarion (1968).

Sabine Pirolt

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Source : https://wp.unil.ch/allezsavoir/memoire-les-temoins-peuvent-tous-mentir-a-leur-insu/

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Collecte de documents et agencement, traduction, [compléments] et intégration de liens hypertextes par Jacques HALLARD, Ingénieur CNAM, consultant indépendant – 29/12/2023

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