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"La philosophie islamique (autour de raison et révélation) s’est enrichie par les cultures antiques (Grèce, Inde, Chine, Iran) – Apports d’Abénaside de Badajoz grammairien andalou et Ibn Al Nafis médecin, théologien arabe syrien" par Jacques Hallard

mardi 19 décembre 2023, par Hallard Jacques



ISIAS Histoire Philosophie Monde arabe Islam

La philosophie islamique (autour de raison et révélation) s’est enrichie par les cultures antiques (Grèce, Inde, Chine, Iran) – Apports d’Abénaside de Badajoz grammairien andalou et Ibn Al Nafis médecin, théologien arabe syrien

Jacques Hallard , Ingénieur CNAM, site ISIAS – 19/12/2023

https://isias.info/local/cache-vignettes/L76xH98/10000000000000b5000000e83ca855af1e8f71d2-c28ee.jpg?1672793070

’Série ‘Raison et Foi en Méditerranée’ Partie 4

Discussion philosophique entre Socrate et ses disciples – In Qui sont les motazilites, parfois appelés les « rationalistes » de l’islam ? - Un ‘webdoc’ de l’Institut du Monde Arabe – Lire dans ce dossier

De La Mecque à l’Andalousie, la musique en terres d’islam

In De La Mecque à l’Andalousie, la musique en terres d’islam - Rédigé par Samia Hathroubi | Mercredi 16 Août 2017 à 08:30 – « Une plongée dans l’Histoire montre que la musique a toujours traversé les territoires d’islam et fait rayonner ses civilisations... » - A lire dans ce dossier

Présentation du thème (travaux antérieurs pour mémoire)  :

Série ‘Raison et Foi en Méditerranée’ Partie 1 : ’Au 12ème siècle, le musulman Averroès et le juif Maïmonide traitaient de la foi et de la raison’ par Jacques Hallard

’Série ‘Raison et Foi en Méditerranée’ Partie 2 : Des grandes figures de l’Islam en quête de vérité en philosophie, en médecine et dans les sciences de leur temps, aux 9ème-10ème siècles de notre ère’ par Jacques Hallard

Autres dossiers apparentés à ce sujet :

’La religion de l’Amour : Poème d’Ibn ‘Arabî (1165-1240) et autres mystiques, philosophes et francs-maçons en Islam : Abdelkader ibn Muhieddine (1808-1883) et Rıza Tevfik Bölükbaşı (1869-1949) - Soufisme’ par Jacques Hallard

’La philosophie islamique selon les arabes médiévaux qui furent contre le dogmatisme religieux aux 11ème–14ème siècles : Avicenne (Ibn Sina), Ibn Tufayl, Averroès (Ibn Rushd), Ibn Arabi et Ibn Khaldoun’ par Jacques Hallard

’La présence de femmes musulmanes ‘savantes’, réputées et engagées est attestée depuis le IXème siècle et jusqu’à nos jours à travers le monde’ par Jacques Hallard

’Découverte de l’identité juive, de l’état d’Israël et d’une possibilité de paix au Proche-Orient en évoquant les fils d’Abraham : Ismaël et Isaac, d’après Gérard Haddad’ par Jacques Hallard

’De l’Âge d’Or de la civilisation islamique au monde musulman contemporain en Francophonie - Compléments sur la foi et la raison ’ par Jacques Hallard

’Inspiré par Frank Lalou : « Comment les pensées juive et islamique se sont interpénétrées au temps d’Averroès et de Maimonide à travers l’exemple des calligraphies hébreue et arabe... »’ par Jacques Hallard 17 décembre - ISIAS Arts Philosophie Monde juif Monde arabe

’Série ‘Raison et Foi en Méditerranée’ Partie 4 :

La philosophie islamique (autour de raison et révélation) est enrichie par les cultures antiques (grecque, indienne, chinoise, iranienne) – Apports d’Abénaside de Badajoz grammairien andalou et Ibn Al Nafis médecin, théologien arabe syrien

Plan du document : Préambule Introduction Sommaire Auteur


Préambule

Ce dossier – conçu dans un esprit didactique – débute par les quelques précisions suivantes >

Monde arabe  : cette expression désigne un ensemble de pays couvrant la péninsule arabique, l’Afrique du Nord et le Proche-Orient, ayant en commun la langue arabe… Wikipédia

https://fr-academic.com/pictures/frwiki/52/400px-Arab_League.pngAgrandir l’image

Critère politique pour définir le monde arabe : Vingt-deux pays arabes, rassemblant 20 % des Musulmans[1] sont représentés au sein de la ligue arabe (la Palestine est le 23e membre), un organisme politique dont le siège est au CaireJH2023-12-16T23:04:00J

[3].

https://fr-academic.com/pictures/frwiki/50/200px-Arabic_speaking_world.svg.pngAgrandir l’image

Critère linguistique - Extension géographique de l’arabe contemporain.

Selon ce critère, le monde arabe correspond globalement à vingt-deux États, du royaume du Maroc à l’ouest, au sultanat d’Oman à l’est. La diffusion de la langue arabe est due en majeure partie à l’expansion de l’islam à partir de l’Arabie au VIIe siècle. Cependant, le critère linguistique n’est pas suffisant pour envisager le monde arabe, certains pays où l’arabe est largement pratiqué ne sont pas, en général, considérés comme faisant partie du « monde arabe ». Ainsi, l’arabe est une des langues officielles du Tchad, de l’Érythrée ou de Palestine. De plus, certains peuples vivant dans des pays où l’arabe est la langue officielle, ont leur propre langue (Berbères, Kurdes)[1]… - Source

Monde musulman : désigne à la foi la civilisation islamique ou encore simplement l’Islam, et la zone géographique couverte par son expansion au fil de l’histoire, constituée de plusieurs périodes et influences. Wikipédia

L’islam dans le monde aujourd’hui

Agrandir la carte - L’islam dans le monde aujourd’hui. © Archives Larousse - Source

Rappel - Comment écrit-on en Occident : islam - Islam ?

Le mot « islam » avec une minuscule désigne la religion dont le prophète est Mahomet. Le terme d’ « Islam » avec une majuscule désigne la civilisation islamique dans son ensemble, « un ensemble de traits matériels, culturels et sociaux durables et identifiables ».

Philosophie, du grec ancien φιλοσοφία / philosophía, signifiant littéralement « amour du savoir » et communément « amour de la sagesse », est une démarche qui vise à une compréhension du monde et de la vie par une réflexion rationnelle et critique. Wikipédia

Philosophie islamique - L’expression de philosophie islamique désigne les travaux philosophiques effectués dans le cadre de la civilisation islamique, ce qui inclut les philosophes musulmans, mais aussi des Juifs, Chrétiens et libres-penseurs. Wikipédia

Selon Wikipédia, la théologie en islam doit répondre à des interrogations concernant la théodicée, l’eschatologie, l’anthropologie, la théologie négative et de religion comparée :

• La philosophie hellénistique de l’islam (falsafa)

• Le mutazilisme

• La théologie dialectique (kalâm pour l’asharisme)

• Le soufisme, théorie ésotérique de l’islam

• Les théologies littéralistes

Falsafa (فلسفة) - En toute rigueur, la falsafa (فلسفة) n’est pas synonyme de philosophie en général, mais désigne de façon précise les philosophes du Moyen Âge musulman : dont Al-Kindi (Alkindus), Al-Fârâbî (Alpharabius) et Ibn Sina (Avicenne) en sont les principaux représentants. Voir les conférences à l’Institut du Monde Arabe

Mutazilisme, ou mu‘tazilisme, motazilisme, dit aussi Al-mu’tazila, est une importante école de théologie musulmane qui se développe à partir du IIᵉ siècle de l’Hégire/VIII siècle après J.-C. Wikipédia

Le mutazilisme désigne une des premières écoles de théologie islamique apparue dès le VIIIe siècle de l’ère chrétienne. Le but était d’allier la raison à la foi, c’est-à-dire d’aborder la Révélation à la lumière de la réflexion (fikr) et du discernement (furqân).

Le Kalām (arabe : كلام, ’ilm al-kalām, « discussion, dialectique ») signifie dans son premier aspect une des sciences religieuses de l’islam faisant référence à la recherche de principes théologiques à travers la dialectique et l’argumentation rationnelle1. Elle est parfois confondue avec l’idée de théologie islamique ou théologie musulmane, c’est-à-dire l’utilisation du discours rationnel à propos des choses divines. Inspirée par la philosophie grecque, dont elle tient cependant à se distinguer, cette démarche est pratiquée par les mutakallimins et est reconnue par certaines écoles se réclamant du sunnisme (surtout le mutazilisme et l’acharisme)…Wikipédia

Le soufisme (en arabe : ٱلتَّصَوُّف, at-taawwuf) désigne les pratiques ésotériques et mystiques de l’Islam1 visant la « purification de l’âme » en vue de se « rapprocher » de Dieu. Il s’agit d’une voie d’élévation spirituelle, un chemin initiatique de transformation intérieure, qui transcende le formalisme des intégristes et autres tenants d’un islam rigoriste. Il se veut le « cœur » de l’islam2. Il est généralement pratiqué par le biais d’une initiation au sein d’une tariqa, terme qui désigne, par extension, une confrérie rassemblant les fidèles autour d’un maître spirituel3. Le soufisme trouve ses fondements dans la révélation coranique et dans l’exemple de Mahomet4. On peut donc dire qu’il est présent, depuis les origines de la révélation prophétique de l’islam, dans les branches sunnite et chiite, bien qu’il ait pris des formes différentes dans les deux cas... - Wikipédia

Lecture suggérée : La Philosophie islamique. Des commencements à nos jours, Ulrich Rudolph  : collection Bibliothèque d’histoire de la philosophie, Paris, Vrin, 2014, 172 p., 12€ - Jean-Marc Goglin | 19 Mai 2015 | Histoire du fait religieux – « les problématiques philosophiques se transfèrent et se repensent… l’ouvrage est à conseiller à tous ceux qui cherchent à mieux comprendre la pensée islamique et qui découvriront qu’il existe ce que certains appellent un « islam des Lumières ». L’auteur termine d’ailleurs sur une ouverture : le philosophe, s’il est marginalisé à certaines périodes, peut jouer un rôle essentiel dans la vie culturelle et politique pour défendre l’universalité de la raison… » - Source : https://clio-cr.clionautes.org/la-philosophie-islamique-des-commencements-a-nos-jours.html

À propos d’Abénaside ou Abenasid de Badajoz, ou Abū Muḥammad ʿAbd Allāḥ ibn Muḥammad ibn al-Sīd al-Baṭalyawsī [1] (1052-1127), également orthographié Ibn Assīd[ 2] ou Abenasid [3] : il était un grammairien et philosophe andalou. Il est le premier philosophe islamique d’Occident dont les œuvres ont survécu [4]. Wikipédia en anglais

À propos d’Ibn Al Nafis - Ala-al-din abu Al-Hassan Ali ibn Abi-Hazm al-Qarshi al-Dimashqi, plus connu sous le nom Ibn Al Nafis, né près de Damas vers 1210 et mort au Caire en 1288, est un médecin et théologien arabe syrien qui exerça et enseigna dans les hôpitaux de Damas et du Caire au XIIIᵉ siècle. Wikipédia Date/Lieu de naissance : 1213, Damas, Syrie Date de décès : 17 décembre 1288, Le Caire, Égypte - Livres : Al-Shamil fi al-Tibb, Kitab al-Mukhtar fi al-Aghdhiya, PLUS - Influences : Avicenne, Mahomet, Rhazès, Claude Galien, PLUS - Nom dans la langue maternelle : أبو الحسن علاء الدين علي بن أبي الحزم الخالدي المخزومي القَرشي الدمشقي

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Introduction

Ce dossier propose tout d’abord un clin d’œil humoristique dans quelques religions : « Religions, parlez-moi d’humour » !

Puis une succession de documents sélectionnés qui portent sur :

* Un débat sur la philosophie dans le monde arabo-musulman au Moyen Âge (Vidéo de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon)

* Un regard sur une critique de l’islam (un enregistrement ‘France Culture’ de 53 minutes), suivi d’un premier questionnement : « Existe-t-il une philosophie islamique ? » - (un autre enregistrement ‘France Culture’ de 56 minutes), puis une seconde remarque : « Ce que la philosophie vient faire dans l’islam », et encore une autre contribution : « Philosopher en contextes islamiques » (Enregistrement ‘France Culture’ de 53 minutes provenant du podcast ‘Questions d’islam’)

* Ensuite, un long article de source iranienne par Arefeh Hedjazi donne un « Aperçu sur l’histoire de la philosophie islamique », d’une part, et une vidéo d’Hervé Pasqua Université Côte d’Azur (CRHI) porte sur « Les Philosophes Musulmans au Moyen Âge », d’autre part …

* Un ‘webdoc’ de l’Institut du Monde Arabe nous indique « Qui sont les motazilites, parfois appelés les « rationalistes » de l’islam »

* Un long développement très documenté – incontournable ! - : « La Philosophie islamique » d’après Wikipédia

Ce dossier propose en outre deux contributions sur des personnages peu connus :

  • Abénaside ou Abenasid de Badajoz ou Ibn Assīd ou Ibn al-Sīd al-Baṭalyawsī (1052 – 1127) : grammairien et philosophe andalou qui fut le premier philosophe islamique d’Occident dont les œuvres ont survécu selon Wikipédia en anglais
  • Ibnou an-Nafis, un grand savant musulman oublié qui commence par une longue contribution médicale…- En fait, {{}}Ala-al-din abu Al-Hassan Ali ibn Abi-Hazm al-Qarshi al-Dimashqi, plus connu sous le nom Ibn Al Nafis, né près de Damas vers 1210 et mort au Caire en 1288, fut un très prolifique médecin et théologien arabe de Syrie.
    Ce dossier est complété par 3 annexes
  • Une analyse critique comparative : « Comptes-rendus - Talal Asad, Wendy Brown, Judith Butler, Saba Mahmood, « La critique est-elle laïque ? Blasphème, offense et liberté d’expression », Lyon, PUL, 2016, 188p. - Mohamed Amer-Meziane
  • Le programme des Conférences de l’Institut du Monde Arabe - Saison 2023-2024, abordant notamment la notion de Falsafa : un « Ensemble des courants philosophiques médiévaux (IXe - XIIe siècle) de la civilisation islamique héritiers et continuateurs de la philosophie grecque de l’Antiquité… »
  • Enfin est ajouté une annexe qui se rapporte à la musique : « De La Mecque à l’Andalousie, la musique en terres d’islam » …
    Les documents choisis sont indiqués avec leurs accès dans la rubrique suivante : Sommaire

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Sommaire

Annexe - Falsafa - Les RDV de la philosophie arabe – Conférences de l’Institut du Monde Arabe - Saison 2023-2024

Annexe - De La Mecque à l’Andalousie, la musique en terres d’islam - Rédigé par Samia Hathroubi

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  • Religions, parlez-moi d’humour – Par Marie-Lucile Kubacki - Publié le 02/08/2012 à 09h23, mis à jour le 02/08/2012 à 15h22 – Document ‘lavie.fr’
    [Remarque de Jacques Hallard – Ce titre fait un clin d’œil et une allusion à une fameuse chanson française : [Lucienne Boyer - Parlez-Moi D’Amour [1930]]->https://www.youtube.com/watch?v=rIAQWr34De0]

Les religions manquent-elles d’humour ? Existe-t-il un humour musulman, juif, chrétien, ou boud­dhiste ? Des spécialistes de chacune de ces grandes traditions se sont (sérieusement) penchés sur la question.

Illustration tirée de Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les cathos sans jamais oser le demander de Guézou, Presses de la Renaissance

Illustration tirée de ‘Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les cathos sans jamais oser le demander’ de Guézou, Presses de la Renaissance • © GUÉZOU

Même si chacun a en réserve des blagues sur le paradis ou des histoires juives, la religion est plus souvent présentée sous un visage austère que souriant. L’idée selon laquelle les religions se méfient du rire est notamment à l’origine du roman d’Umberto Eco, le Nom de la rose, où un moine bénédictin assassine ses semblables pour les empêcher de diffuser un texte d’Aristote sur le rire. L’humour, parce qu’il comporte une part d’irrévérencieux, flirte parfois avec le sacrilège, ce qui explique que toutes les traditions spirituelles se soient penchées sur la question avec plus ou moins de crispations et de peurs.

Pourtant, le christianisme, l’islam, le judaïsme et le boud­dhisme recèlent des trésors d’humour. Des jeux de l’esprit et du cœur qui nous parlent du sens de la vie et de ce que la foi a de plus intime. Les grands spirituels sont nombreux à avoir fait sourire la foi. Mais ce sourire des religions reste méconnu. Des Marx Brothers à La vérité si je mens, en passant par les films de Woody Allen, tout le monde connaît l’humour juif, par exemple. Moins connues sont ses origines et sa place de premier plan dans la tra­dition religieuse. Et qu’en est-il des autres traditions ?

« Les juifs prennent l’humour très au sérieux »

Philippe Haddad, rabbin aux Ulis (91).

« Dans l’humour juif actuel, il faut distinguer l’humour ash­kénaze, occidental, celui de Woody Allen, et l’humour séfarade, d’Afrique du Nord, à la Gad Elmaleh ou Richard Anconina dans La vérité si je mens. Il est possible que l’humour juif soit né en réaction à l’antisémitisme, aux pogroms, comme un antidote au désespoir. Mais il se nourrit des textes fondateurs. Si, dans l’Ancien Testament, le mot humour n’existe pas tel quel, il y a déjà la notion de rire. Rien que le nom d’Isaac, un des trois patriarches d’Israël, signifie “celui qui rira”. Avec la naissance d’Isaac, c’est le rire qui naît. Pourtant, Isaac est sérieux, il est prêt à donner sa vie pour Dieu, à se laisser ligoter pour être sacrifié. Dans la tradition juive, on interprète ce paradoxe d’un personnage nommé “il rira” et qui pousse l’intransigeance jusqu’à être prêt à donner sa vie pour Dieu en disant que le rire serait l’antidote du sacrifice de l’homme au nom de Dieu... et, donc, l’antidote du fanatisme religieux. Dans le Talmud, on raconte qu’un rabbin, au début du IIe siècle, discutait avec d’autres rabbins de la pureté d’un four. Lui disait qu’il était pur, et les autres affirmaient le contraire. Il dit : “Si j’ai raison, que le caroubier qui se trouve dans le jardin se déplace !” Et il se déplaça. Mais les autres restaient stoïques et ils répondirent : “On n’apporte pas des preuves des caroubiers qui se déplacent.” Il détourna un fleuve, fit des miracles et finit par demander à Dieu qui avait raison. Mais Dieu lui donna tort. Alors, il le fit taire en disant : “Tu nous as donné la Torah, c’est donc à nous d’établir le règlement.” Plus tard, un autre rabbin rencontra le prophète Élie et lui demanda comment réagit Dieu dans les cieux. Élie répondit : “Dieu a ri en disant que ses enfants l’ont vaincu.” Quand les sages discutent, quand il y a de l’intelligence, Dieu rit. C’est une manière de dire que l’humour doit désamorcer le fanatisme ou l’idolâtrie. Il est l’espace nécessaire entre Dieu et l’homme. Ainsi, comme le demande le Talmud, les rabbins ­commencent presque toujours leur discours à la synagogue par une histoire juive. Les juifs prennent l’humour très au sérieux. »

 « Sarah, tu étais avec moi quand il y a eu le pogrom de Varsovie ?
– Oui, oui, mon chéri, j’étais avec toi.
– Tu étais avec moi quand il y a eu le pogrom à Kiev ?
– Oui, oui, j’étais avec toi.
– Et quand il y a eu le pogrom de Lodz ?
– Ah mais tu sais mon chéri, je suis toujours avec toi !
– Sarah, Sarah, je crois que tu me portes la poisse ! »

« Les musulmans épinglent les hommes de religion »

Pierre Lory, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, chaire de mystique musulmane.

« L’islam donne de lui-même une image grave et parfois sévère qui, à première vue, s’accommode mal avec l’humour. Cette image est en partie justifiée, car la tradition lettrée insiste sur le principe de sérieux qui doit animer la vie religieuse : nous n’avons pas créé ce monde “en jouant”, dit Dieu dans le Coran (XXI, 16 ; XLIV, 38), qui attaque les mondains, ceux qui prennent les avertissements des prophètes à la légère. Est-ce que Muhammad a ri ? Il y a eu débat sur la question, la même qui s’est posée au Moyen Âge pour les chrétiens au sujet de Jésus. Les réponses divergent : selon certaines traditions, il n’a fait que sourire, de telle sorte qu’on “ne voyait jamais ses gencives”, selon d’autres, il était “le plus rieur des hommes”. Même si, par exemple, il est mal vu de s’esclaffer dans la tradition bédouine, l’islam ne dénonce pas le rire de détente. En revanche, il condamne fermement la moquerie. Le rire est donc maîtrisé, canalisé. À de très rares exceptions, un musulman ne fera jamais d’humour sur Dieu, ni sur le Coran, absolument sacré, car il est la parole de Dieu, ni sur Muhammad. Par contre, il existe un humour assez féroce qui épingle les “hommes de religion”, ceux qui enseignent des interdits qu’eux-mêmes transgressent. Un vers attribué à l’érudit persan Omar Khayyam énonce ainsi : “Mieux vaut Te parler dans l’intimité au fond du cabaret que venir sans Toi prier au pied d’un minaret.” Mais la veine humoristique la plus affirmée dans l’islam vient du soufisme et elle s’articule autour de la figure du fou sage, du ravi en Dieu. Le fou sage a perdu ses capacités rationnelles au profit d’une raison supérieure qui lui permet de saisir des vérités divines. Souvent, il est considéré comme un saint, avec la particularité de pouvoir s’exprimer en dehors de la Loi, grâce à l’excuse de sa folie, ce qui en fait un provocateur. Il peut même faire des remontrances à son Créateur. Une histoire raconte, par exemple, le trait d’esprit d’un soufi à qui on demandait s’il connaissait Dieu. Celui-ci répondit “oui”... En effet, cela faisait tant d’années qu’Il le faisait souffrir de mille manières, par la faim, la nudité, la honte ! »

Mulla était gravement malade et tout son entourage pensait qu’il allait mourir. Sa femme portait le deuil et se lamentait. Lui, restait imperturbable. « Mulla, demanda l’un de ses disciples, comment se fait-il que tu te montres si calme face à la mort ? – C’est très simple, répondit Mulla. Je me dis que vous avez l’air tellement misérable que, lorsque l’ange de la mort entrera dans la pièce, il se trompera probablement de victime... »

« Chez les bouddhistes, l’humour est une forme de lâcher-prise »

Fabrice Midal, philosophe, fondateur de l’École occidentale de méditation.

« Dans le boud­dhisme, le sens de l’humour est une forme de résistance à l’institutionnalisation de la religion. Drugpa Kunley, l’une des figures les plus connues du monde tibétain, était un provocateur constant : il ne cessait de se moquer de l’institution. Un jour, il va dans un monastère où des moines confessent les attitudes qui ne sont pas dans la perspective de la voie. Un moment après, dans la cour, il saute sur des petits cailloux, par-dessus les grosses pierres. Quelqu’un lui demande : “Que faites-vous ?” Il répond : “Je fais comme vous, une grande histoire des petites fautes que j’ai faites et je fais semblant de ne pas regarder les grandes.” Par l’humour, il dénonce l’hypocrisie de la situation et permet de prendre de la hauteur. L’humour est très lié à la notion de vacuité. Ainsi, les bouddhistes n’adorent pas le Bouddha. Dans l’un des grands courants boud­dhistes, on répète tous les matins “Il n’y a pas de Bouddha”, et puisque le Bouddha n’est pas, il peut y avoir le Bouddha... Ils ne veulent pas rigidifier leur pensée et perdre la possi­bilité de voir les deux points de vue ensemble : c’est ça l’humour bouddhique de fond, ne pas croire en la dualité : d’un côté, le bien et, de l’autre, le mal. Cette pensée est déjà en rapport avec un certain sens de l’humour, elle est liée au fait que vous reconnaissez que la vérité vous échappe. Le sens de l’humour a beaucoup à voir avec le fait que vous n’ayez pas le dernier mot, que vous ne décidiez pas de la réalité. Ce lâcher-prise est au cœur de la méditation telle qu’elle se pratique dans le boud­dhisme et qui vise non pas à se détendre ou à devenir plus cool, comme on le croit souvent dans le monde occidental, mais à prendre conscience du fait qu’on ne peut pas tout dominer, tout maîtriser. La pratique de la méditation a beaucoup favorisé un sens de l’humour, et ce sont les courants boud­dhistes qui l’ont déployée, comme le tibétain et le zen, qui ont le plus ­développé le sens de l’humour. »

Deux moines zen s’apprêtent à traverser une rivière quand une jeune femme leur demande de l’aide, effrayée par le courant. L’un des deux la prend sur ses épaules et la porte de l’autre côté. Une heure plus tard, l’autre moine, qui n’a pas dit un mot, se met en colère : « Notre règle interdit de toucher une femme ! – Ah oui, se souvient le premier, en riant. Tu as raison. Mais, moi, je l’ai portée cinq minutes, tandis que, toi, tu la portes depuis une heure. »

Retrouvez l’intégralité de notre dossier dans l’édition du 2 août

Se connecterS’abonner - Source : https://www.lavie.fr/christianisme/religions-parlez-moi-drsquohumour-34609.php

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  • Débat - La philosophie dans le monde arabo-musulman au Moyen Âge 05 – Vidéo - Réalisation : 11 mars 2009 - Mise en ligne : 11 mars 2009 - Ecole Normale Supérieure de Lyon– Enregistrement d’une durée de 44:57
    Descriptif : Session La philosophie dans le monde arabo-musulman au Moyen Âge

Colloque L’Islam et l’Occident à l’époque médiévale. Transmission et diffusion des savoirs. (11, 12, 13 mars 2009)

Dans son livre l’ Obtention du bonheur, al-Fârâbî (Xe siècle) présente la philosophie qui est d’après lui ’la science suprême’ et ’la science la plus ancienne’ comme le produit des Chaldéens (peuples d’Irak) transmis aux Egyptiens, puis aux Grecs, ensuite aux Syriaques, enfin aux Arabes. Cette présentation insiste sur la pérégrination des savoirs antiques dans différentes ères géographiques et linguistiques et sur leur appropriation par la culture arabo-musulmane à un moment donné de l’histoire. Certains affirment, toutefois, que la « falsafa ne coïncide pas totalement avec notre ’philosophie’ » (Rémi Brague, Au moyen du Moyen Âge, p. 238), et pensent que le travail des philosophes arabes serait dépourvu de ce qui caractérise celui des Grecs : la recherche libre du savoir.

D’autres estiment que l’ère géographique dominée par la culture arabo-musulmane pendant le Moyen Âge serait restée faiblement hellénisée, donc étrangère aux dynamiques intellectuelles et scientifiques qui ont animé leurs prédécesseurs grecs. Al-Fârâbî était-il donc en droit de revendiquer l’appropriation des savoirs antiques ? Par ailleurs, les connaissances produites en terre d’islam en fait de sciences et de philosophies ont-elles été foncièrement différentes de ce qui est né en Grèce et de qui sera élaboré en Occident au Moyen Âge et plus tard ? Les spécialistes de la philosophie arabe du Moyen Âge sont invités à débattre de la nature et de l’ampleur des productions scientifiques et philosophiques qui ont eu lieu en terre d’islam à cette époque.

Equipe technique - Directeur de la production : Christophe Porlier, Responsable des moyens techniques : Francis Ouedraogo, Réalisation : Service commun audiovisuel et multimédia Cadre : Mathias Chassagneux, Carine Doléac Son : Xavier Comméat, Encodage-Montage-Diffusion Web : Jean-Claude Troncard

Intervenants :

Gutas Dimitri Arabisant et helléniste. - Professeur de langue et littérature arabes, Université de Yale, New Haven, Conn. (en 1998). - Diplômé (Ph.D.) en études arabo-islamiques, Université de Yale (en 1975). - Professeur à l’Université de Crète, Réthymnon (en 1988)
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جبّار ٲحمدMathématicien. Maître-assistant à l’Université de Paris Sud-Orsay, Département de mathématiques (en 1987) Écrit en arabe et en français
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Janssens Jules L.- Écrit aussi en anglais Professeur de philosophie. En poste au Centre De Wulf-Mansion, Institut de philosophie, Université catholique de Louvain, Belgique (en 1991). Auteur d’une bibliographie annotée d’Avicenne

Disciplines : Histoire ancienne et médiévale Philosophie ancienne et médiévale

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Source : https://www.canal-u.tv/chaines/ens-de-lyon/l-islam-et-l-occident-a-l-epoque-medievale-transmission-et-diffusion-des-4

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  • La critique de l’islam - Dimanche 05 avril 2020 – Enregistrement ‘France Culture’ de 53 minutes - Provenant du podcast Questions d’islam

    Mahomet et Abou Bakr As-Siddiq* dans la grotte. Miniature turque datant du 17e siècle. Dresde, Bibliothèque nationale de SaxeAgrandir l’image - Mahomet et Abou Bakr As-Siddiq* dans la grotte. Miniature turque datant du 17e siècle. Dresde, Bibliothèque nationale de Saxe

On entend souvent, au gré des différents épisodes où l’élément islamique est impliqué, qu’il n’est pas possible de critiquer l’islam. Et pourtant...

Avec Houari Touati Directeur d’études à l’EHESS (Paris) et directeur de Studia Islamica

Et cette idée a tendance à être corroborée par le comportement ignominieux des fanatiques qui, sous prétexte de défendre leur religion, agissent d’une manière qui la dessert assurément. Et pourtant, non seulement on peut critiquer l’islam, mais sa théologie le recommande et c’est ce qui s’est passé à l’ère classique. En effet du milieu du IXe siècle jusqu’à la fin du XIIIe siècle une tradition de critique rationaliste a prévalu dans les contextes islamiques et notamment sous la dynastie abbasside.

Faïence abbaside, Irak, (IXème siècle)Agrandir l’image - Faïence abbaside, Irak, (IXème siècle) - CC BY-SA 3.0 - Wikipédia

C’est ce que Houari Touati, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales, viendra développer à force d’arguments puisés dans l’histoire. Il expliquera aussi les raisons de la régression tragique quant à la frilosité devant la critique académique et les moyens de recouvrer la hardiesse intellectuelle pour sortir de la crise que connait la pensée théologique islamique.

Musique

Ganim’s Asia Minors pour Daddy Lolo - Malika pour Ya ya twist - Jalil Bennis et Les Golden Hands pour Mirza (reprise de la chanson de Nino Ferrer).

Prise de son Cédric Chatelus

* Abou Bakr As-Siddiq (ou Abubecer) était un compagnon de Mahomet. Il est élu calife (8 juin 632 – 23 août 634) à la mort de ce dernier.

Sciences et Savoirs Société Religions – Spiritualité Islam Traditions – Coutumes Le Coran

L’équipe - Ghaleb Bencheikh Production - Philippe Baudouin Réalisation - Sylvia Favre-Steyaert Collaboration

Source : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/questions-d-islam/la-critique-de-l-islam-6550958

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  • Existe-t-il une philosophie islamique ? - Dimanche 20 novembre 2016 - Omar Merzoug – Enregistrement ‘France Culture’ de 56 minutes - Provenant du podcast Questions d’islam

    Omar Merzoug{{}}Agrandir l’image - Omar Merzoug

Le philosophe Omar Merzoug, auteur d’un ouvrage sur le sujet, sera l’invité de Ghaleb Bencheikh

Entretien avec Omar Merzoug Philosophe et journaliste

La philosophie islamique n’est pas suffisamment connue, ni d’ailleurs enseignée en France dans le cursus universitaire, hors études orientales.

Pourtant, comme le dit l’invité, le philosophe Omar Merzoug, les Mutazilites, al Farabi, Avicenne, Averroès, ont interrogé le monde et cette puissance de la pensée méconnue surprend de nos jours après tant de siècles. Son ouvrage ’Existe-t-il une philosophie islamique ?’ met en relief, en partant de citations coraniques, les mérites de la philosophie islamique, interrogeant plus particulièrement certains auteurs et a contrario, ses opposants, clercs professionnels gestionnaires du sacré.

Averroès (Ibn Rochd de Cordoue). ’Triomphe de Saint Thomas’ (détail de la fresque) dans la Chapelle des Espagnols, Santa Maria Novella, Florence (1365-1368)Agrandir l’image - Averroès (Ibn Rochd de Cordoue). ’Triomphe de Saint Thomas’ (détail de la fresque) dans la Chapelle des Espagnols, Santa Maria Novella, Florence (1365-1368) - Andrea di Bonaiuto

Docteur en philosophie (Sorbonne Paris-IV), Omar Merzoug enseigne la philosophie et la civilisation islamiques à l’Institut Al-Ghazali de la Grande Mosquée de Paris. Il est par ailleurs professeur de sociologie à l’Ecole Française des Attaché(e)s de Presse (EFAP). Traducteur d’Arabe et journaliste, il collabore au Quotidien d’Oran et à Algérie News pour lesquels il chronique l’actualité culturelle française.

La Mosquée de Paris Agrandir l’image - La Mosquée de Paris - Gérard Ducher (Néfermaât)

Ont été cités : Etienne Gilson - Émile Bréhier - Al-Kindi - Avicenne - Averroès - Aboû Nouwâs - Rhazès - Al-Fârâbî - Héraclite - Moïse Maïmonide - Al-Ghazâlî - Ibn Khaldoun- Henri Bergson - Plotin - Luther -Ismaélisme - Hanbalisme - Mutazilisme - Al-Ma’mūn - Mir Damad - Shahab al-Din Sohrawardi.

Ibn Sina (Avicenne) sur une miniature perseAgrandir l’image - Ibn Sina (Avicenne) sur une miniature perse - Inconnu

Musique extraite de La yarana par Mawara. Voir et écouter des extraits.

Pochette de l’album ’La yarana’Agrandir l’image -

Pochette de l’album ’La yarana’ - Mawaran

Sciences et Savoirs Société Philosophie Religions – Spiritualité Islam

L’équipe - Ghaleb Bencheikh Production - Sylvia Favre-Steyaert Collaboration - Franck Lilin Réalisation

Source : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/questions-d-islam/existe-t-il-une-philosophie-islamique-4269970

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  • Ce que la philosophie vient faire dans l’islam Lahouari Addi > Nadia Agsous > 03 février 2021 - Document ‘orientxxi.info’
    Dans La crise du discours religieux musulman. Le nécessaire passage de Platon à Kant, le sociologue Lahouari Addi analyse le discours religieux musulman au prisme des représentations culturelles. La « crise de l’islam » est pour lui une crise de la culture musulmane, qui a exclu la philosophie de son champ d’étude dès le 12e siècle, enfermant le croyant dans ce qu’il nomme un « sacré livresque ». italiano

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http://orientxxi.info/local/cache-responsive/cache-360/7ca36ee25fde5dbc81a68a6864ea4091.jpg?1698170382Image agrandie- Al-Mu’tazila V6 - Zeruch/Deviantart

Lahouari Addi (LA), La crise du discours religieux musulman. Le nécessaire passage de Platon à Kant, Presses universitaires de Louvain, 2019 ; Alger, éditions Frantz Fanon, 2020. Les notes sont de la rédaction.

Nadia Agsous (NA). Vous soutenez l’idée que le discours religieux musulman est en crise. De quelle nature est cette crise ? Quels sont les facteurs qui en sont à l’origine ?

Lahouari Addi Ce que j’entends par discours religieux, c’est la théologie et les représentations culturelles dominantes qu’elle irrigue et qui font office de savoir auprès des gens sur la société, l’histoire, la politique, l’économie, etc. Ce discours, qui avait sa cohérence dans la société traditionnelle, est en crise parce qu’il n’aide pas à percevoir les dynamiques qui structurent la réalité historique. C’est un savoir qui favorise l’utopie et mène parfois à l’intolérance.

L’origine de la crise remonte à l’expulsion de la philosophie de la culture musulmane, vers le 12e siècle. Le contact avec l’Europe ne l’a pas provoquée, il l’a révélée. La philosophie permet non seulement d’imposer un minimum de rigueur dans l’interprétation des textes sacrés, mais elle favorise aussi l’émergence d’un savoir profane autonome de l’autorité religieuse. En comparaison avec l’Europe, où l’averroïsme1 avait trouvé refuge, la philosophie s’est développée tout en favorisant la connaissance scientifique de l’homme et de la société. Cette évolution n’a pas eu lieu dans les sociétés musulmanes, alors que les potentialités existaient. Ce problème ne concerne que les sciences humaines, car la théologie musulmane a accepté facilement les sciences de la nature comme la physique ou la chimie.

Passer de Platon à Kant

N. A. Vous appelez à passer de Platon à Emmanuel Kant. Comment la philosophie de Platon a-t-elle influencé et imprégné la pensée religieuse musulmane ?

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L. A. Platon a fourni aux théologiens du monothéisme, y compris aux musulmans, une argumentation rationnelle sur la pertinence de la révélation divine. La métaphysique de Platon est conforme à l’eschatologie2 biblique. La théologie musulmane a été encore plus fidèle au système de Platon dans la mesure où le Coran fait une séparation nette entre les mondes sensible et intelligible, à la différence du christianisme qui établit un lien humain entre le monde terrestre et le monde divin par l’intermédiaire de Jésus, fils de Dieu. Or, aujourd’hui la métaphysique de Platon ne permet pas de comprendre la réalité historique.

La foi est aussi un fait social

N. A. Vous écrivez : « Laisser la religion aux seuls oulémas, c’est couper celle-ci de son environnement historique et de son fondement culturel et anthropologique. (…) Il faut faire accepter à l’opinion que la croyance est aussi un fait social analysé par la sociologie, l’histoire, la philosophie ». Quel impact ces trois disciplines des sciences sociales exercent-elles sur la pensée et la croyance religieuses ?

L. A. Lorsque la Nahda (Renaissance), et principalement Mohamed Abdou3 ont essayé d’impulser les sciences sociales, les autorités religieuses d’Al-Azhar s’y sont opposées. Pour les théologiens musulmans, la réflexion sur l’homme et sur la société relève de la théologie, et donc de leur monopole. C’est ce qui explique le retard du monde musulman en sciences sociales. Il n’y a pas de philosophe, d’anthropologue ou même d’historien reconnu au niveau international ; ou s’il en existe, ils enseignent dans les universités occidentales. Cette aridité intellectuelle s’explique par l’absence de la philosophie.

Avec la disparition de cette discipline, même la théologie avait perdu le niveau intellectuel qu’elle avait avec le théologien et philosophe Al-Achari (874-936) et le philosophe perse Al-Ghazali (1058-1111). Bien sûr, Al-Farabi (philosophe musulman, 872-950), Ibn Roshd (philosophe, théologien, juriste et médecin, 1126-1198) sont des penseurs médiévaux, mais leur philosophie contenait en elle-même les germes de son dépassement. C’est ce qui s’est passé en Europe où « la philosophie naturelle » a donné naissance à l’histoire, la science politique, la sociologie... Ces sciences humaines se sont emparées plus tard de la religion comme objet d’étude.

Le vécu religieux est un fait social qui échappe au domaine de la théologie. Un Émile Durkheim ou un Max Weber a plus de compétence pour parler des rapports entre le sacré et l’homme qu’un théologien. Les sciences humaines font refluer la théologie vers son domaine propre : le commentaire des textes sacrés. Concernant l’islam, l’étude de la religion et du Coran est venue des orientalistes européens avec leurs qualités épistémologiques et leurs défauts idéologiques, dont ceux mis en lumière par Edward Said.

La raison ou la révélation

N. A. Vous affirmez que dans les sociétés musulmanes, la théologie a étouffé la philosophie. Par quel processus cette discipline a-t-elle été écartée ? Quelles en sont les conséquences ?

L. A. Le processus a duré plusieurs siècles et a été marqué par des luttes sévères entre mu’tazila4 et philosophes d’un côté, et théologiens orthodoxes de l’autre. L’enjeu était la dialectique raison/révélation : fallait-il expliquer le Coran par la raison ou bien le lire à la lettre ? Un compromis avait été élaboré par Al-Achari, mais avec Al-Ghazali, et surtout Ibn Taymiyya (théologien et jurisconsulte musulman, 1263-1328), il a été affaibli et la philosophie délégitimée canoniquement. Les conséquences ont été terribles sur le plan culturel et scientifique. Les sciences profanes, y compris les mathématiques, ont décliné. La philosophie s’est réfugiée dans le soufisme et est devenue une méditation métaphysique et spirituelle au lieu d’être au fondement de la connaissance de l’homme et de ses rapports avec l’histoire.

Séparer le religieux du politique ?

N. A. De votre point de vue, l’approche de la recherche universitaire relative à l’islam est celle de la science politique et des relations internationales. Quels sont les motifs, les enjeux et les travers de cette orientation ?

L. A. L’islam ne peut pas être étudié de la même manière en France et au Maghreb. Les questionnements ne sont pas les mêmes. En Occident, l’islam est approché par certains universitaires sous l’angle de la menace contre la cohésion sociale et la paix dans le monde. Pour d’autres universitaires occidentaux, il n’est pas un danger. Dans un cas comme dans l’autre, le débat est du ressort de la science politique et des relations internationales. Les spécialistes de l’islam qu’étaient Louis Massignon, Roger Arnaldez, Jacques Berque ou Henri Corbin étaient par le passé des arabisants avec une formation d’historiens, d’anthropologues, de philosophes… La nouvelle génération est dominée par des politistes qui approchent l’islam en tant qu’acteur de la conflictualité mondiale.

Dans les pays musulmans, l’étude de l’islam ne relève pas de cette approche ; elle est plutôt motivée par d’autres questionnements, notamment la potentialité des sociétés musulmanes à se séculariser, à séparer le religieux du politique et à vivre la foi dans le respect de la liberté de conscience. Les sciences sociales, avec les différentes orientations théoriques qui les traversent, répondent à une demande cognitive qui provient de la société du chercheur. Souvent, celui-ci n’en est pas conscient.

N. A. Votre approche se démarque des études qui traitent de l’islam, puisque vous l’appréhendez par le prisme de la philosophie, de la sociologie religieuse et de l’anthropologie. Quel est l’intérêt d’adopter ce biais pour analyser la crise du discours religieux dans les sociétés musulmanes ?

L. A. Avec la mondialisation et les flux transnationaux qu’elle favorise, les relations internationales prennent le dessus sur la sociologie et l’anthropologie, dont relève le fait religieux. Si on veut analyser le vécu religieux dans les sociétés musulmanes, il faut s’inspirer des cadres méthodologiques d’Émile Durkheim, de Max Weber, de Clifford Geertz… Ces auteurs nous ont appris que les dynamiques religieuses se situent dans des cadres historiques et culturels propres aux sociétés.

« Marcher avec les pieds et non avec la tête »

N. A. Kant est au centre de votre ouvrage. Quel est l’apport de sa philosophie sur la pensée religieuse musulmane ?

L. A. La philosophie morale de Kant a sorti la théologie chrétienne de l’enfance. Elle lui a fait perdre l’illusion de réaliser sur terre la perfection morale de l’homme en utilisant la peur du châtiment divin. Kant a attiré l’attention sur ce qu’il a appelé « l’anthropologie pratique » qui dévoile ce que sont le bien et le mal en rapport avec la nature humaine. Kant estime que le dogmatisme des théologiens les empêche de réfléchir sur la dialectique du bien et du mal qui est résumée dans différentes paraboles bibliques, notamment celle du péché originel. Pour se libérer des conséquences de ce péché, Kant recommande au croyant de prendre conscience de sa liberté dans le choix de faire le bien. Friedrich Nietzsche a écrit que Kant a rétabli la compréhension des valeurs bibliques. Ce n’est pas faux.

Ce débat, cette rencontre avec Kant, les musulmans ne l’ont pas eue. Le théologien musulman lit encore le Coran comme un enfant ; il croit qu’au cœur de la problématique du sacré, il y a Dieu, alors qu’il y a l’homme et sa quête de la transcendance. La philosophie de Kant approche l’idée de Dieu à partir de l’homme ; la théologie dogmatique approche l’homme à partir de l’idée de Dieu. Kant dit aux théologiens : il faut marcher avec les pieds et non avec la tête.

La sécularisation passe aussi par les femmes

N. A. Vous soutenez l’idée qu’un modèle musulman de sécularisation est en cours dans les sociétés musulmanes. Quels sont les éléments qui étayent votre thèse ? Comment ce phénomène se manifeste-il ?

L. A. La sécularisation des sociétés musulmanes est plus avancée que ne le disent les discours. Prenons la question de la femme. Pour le fiqh (droit religieux médiéval), la présence de jeunes femmes dans les universités à côté de jeunes hommes est illicite, interdite. Or les étudiantes représentent la moitié des effectifs des universités. Dans les administrations, l’éducation, les services hospitaliers…, les femmes sont fortement présentes. Bien sûr, il y a des résistances ou des accommodements comme le voile, mais même les islamistes ne s’opposent pas à ce qu’une femme soit médecin.

La psychologie sociale aussi a changé, comme l’atteste au Maghreb le déclin du phénomène social massif de la sainteté. L’individualisme s’est renforcé, favorisé par la vie urbaine et le salariat. Même si dans le discours, la symbolique religieuse est présente, les motivations individualistes sont plus fortes que le devoir religieux qu’imposait la société traditionnelle dans le passé.

Par ailleurs, les systèmes politiques des pays musulmans, à l’exception des monarchies, ne reposent pas sur le principe de la légitimité religieuse, même quand la Constitution proclame que l’islam est religion d’État. Cette disposition, problématique dans les pays musulmans où il y a des minorités non musulmanes, est plus une concession verbale qu’une affirmation du caractère religieux de l’Etat. Certains diront qu’elle légalise l’application de la charia (« la voie », loi islamique), confondue avec le fiqh5. Mais ce dernier est inapplicable. L’idée de passeport qui empêcherait un musulman de s’établir dans un autre pays que le sien est impensable dans le fiqh. Autre exemple, dans le fiqh, le musulman qui ne fait pas la prière est passible de la peine de mort. Il n’y a aucun pays musulman qui applique cet article, même pas l’Arabie saoudite. Le droit en vigueur dans la majorité des pays musulmans est une synthèse du fiqh et des normes juridiques européennes.

Un conservatisme non violent

N. A. Pensez-vous que le féminisme islamique est un mouvement qui s’inscrit dans la dynamique de sécularisation de la pensée musulmane ?

L. A. Avec l’apparition des femmes dans l’espace public, il fallait s’attendre à l’émergence d’un courant idéologique qui se réclame tout autant de la modernité que de l’islam. Le féminisme islamique conteste l’interprétation traditionnelle des oulémas accusés d’avoir une lecture misogyne du Coran. Une autre lecture du Coran favorable à l’égalité hommes-femmes est-elle possible ? Les féministes répondent par l’affirmative. Elles ont raison dans la mesure où toute croyance religieuse est portée par des représentations culturelles. Or, les oulémas ont une interprétation médiévale de la religion. Dans les pays musulmans, la théologie n’a pas changé depuis le 12e siècle. La tentative de réforme de Mohamed Abdou au 19e siècle a échoué. Il y a aujourd’hui des signes qui indiquent que cette réforme est politiquement et idéologiquement possible.

N. A. « L’islamisme est une idéologie religieuse mobilisatrice qui accompagne les changements profonds dans la perception sociale du sacré », écrivez-vous. Cette idéologie est généralement connue pour être conservatrice. Comment contribue-t-elle à promouvoir des changements chez les musulmans et dans la société ?

L. A. L’islamisme a pour objectif proclamé de rattraper le retard sur l’Occident en appliquant le Coran et ce qui est appelé la charia. Ceci veut dire qu’il y a une volonté de changement, une aspiration à un bien-être. Mais l’islamisme veut la modernité avec l’idée que la souveraineté appartient à Dieu, ce qui est une contradiction. Parler au nom des masses sans songer à institutionnaliser le caractère humain de la représentation politique est une contradiction qui libère une dynamique de dépassement de l’islamisme. Depuis la fin des années 1990, le discours islamiste est moins mobilisateur, en particulier dans les universités. Beaucoup d’islamistes ont cherché la modération, allant jusqu’à refuser l’appellation « islamiste », lui préférant celle de « démocrates musulmans ».

Aujourd’hui, dans le monde arabe, les principaux obstacles à l’État de droit et à la démocratie, ce sont les monarchies et les régimes militaires. Ceci ne signifie pas que les islamistes militent pour la démocratie électorale sans arrière-pensée. En tout cas, ce qui est nouveau dans le discours, c’est qu’ils ne sont plus contre la démocratie et l’alternance électorale. Il me semble que la tendance majoritaire de l’islamisme a renoncé à la violence pour devenir un courant conservateur avec lequel il faut compter dans le champ politique en cas d’élections libres.

Lahouari Addi- Professeur émérite de sociologie à Sciences Po Lyon ; chercheur au laboratoire interdisciplinaire Triangle (UMR 5206). Il est l’auteur… (suite)

Nadia Agsous- Journaliste.

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  • Philosopher en contextes islamiques - Dimanche 27 août 2023 (première diffusion le dimanche 7 mai 2023) – Enregistrement ‘France Culture’ de 53 minutes - Provenant du podcast Questions d’islam

    Mohamed Iqbal (1873-1938) - Amrita Sher-Gil — Reproduced in Tony Halliday, ed. (1992) Insight Guides : Pakistan. Published by Apa Publications (HK)Image agrandie - Mohamed Iqbal (1873-1938) - Amrita Sher-Gil — Reproduced in Tony Halliday, ed. (1992) Insight Guides : Pakistan. Published by Apa Publications (HK)

Y-a-t-il une ou des philosophies à proprement parler islamiques et comment penser les identités religieuses dans un monde ouvert et en perpétuel mouvement ?

Avec Souleymane Bachir Diagne Philosophe, professeur de philosophie française et africaine à l’Université de Columbia, directeur de l’Institut d’Études africaines

S’adonner à la réflexion philosophique dans les contextes islamiques aussi bien à travers l’histoire que de nos jours est un sujet de débats actuels. Le professeur Souleymane Bachir Diagne viendra l’évoquer à travers notamment la philosophie de Mohamed Iqbal (1877-1938), dont l’ambition était de « repenser le système total de l’Islam sans rompre complètement avec le passé ».

Souleymane Bachir Diagne lors du festival Et maintenant ? 2022Image agrandie - Souleymane Bachir Diagne lors du festival Et maintenant ? 2022 © Radio France - C. Abramowitz

Souleymane Bachir Diagne, professeur de philosophie française et africaines à l’Université de Columbia, directeur de l’Institut d’Etudes africaines, est notamment l’auteur de Comment philosopher en islam (Editions Philippe Rey, 2013), Philosopher en islam et en christianisme (avec Philippe Capelle-Dumont, Editions du Cerf, 2016) et le préfacier de La reconstruction de la pensée religieuse en islam de Mohamed Iqbal (Gallimard, 2020)

Sciences et Savoirs Société Religions – Spiritualité Islam

L’équipe - Ghaleb Bencheikh Production - François Caunac Réalisation - Thierry Beauchamp Collaboration

Épisodes précédents et documents apparentés :

Identitarisme chez les jeunes musulmans30 avril • 53 min

La doctrine acharite23 avril • 53 min

La géopolitique de l’Islam 16 avril • 53 min

L’islamologie en Europe 09 avril • 53 min

La sainteté en islam52 min restantes

La jeunesse musulmane Questions d’islam 10 déc. • 53 min

Rohingyas / Institutions culturelles / quelles réponses psychiatriques pour les radicalisés ?Les Matins 5 déc. • 2h 30

Qui est Armand Rajabpour-Miyandoab, interpellé après l’attaque au couteau à Paris ?

Journal de 7 h 4 déc. • 14 min

Les traductions du Coran Questions d’islam 3 déc. • 53 min

L’islam rationnel Questions d’islam 26 nov. • 53 min

L’Institut français d’islamologie (IFI) Questions d’islam 19 nov. • 53 min

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Source : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/questions-d-islam/philosopher-en-contextes-islamiques-9051474

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  • Aperçu sur l’histoire de la philosophie islamique – Long article de source iranienne par Arefeh Hedjazi - Document ‘teheran.ir’
    La philosophie islamique commence bien évidemment avec l’islam et s’inspire notamment des enseignements coraniques. Le Coran, pourtant, n’est pas un livre philosophique.

Cependant, avec le développement et l’expansion de l’islam dans des pays possédant déjà des traditions philosophiques bien ancrées, puis avec l’important mouvement de traductions et de découvertes des sagesses antiques des pays conquis, cette nouvelle foi a inspiré une philosophie nouvelle, qui étudiait les grandes questions posées par le Coran dans l’optique d’une théosophie islamique.

Diverses traditions philosophiques, de la philosophie grecque aux philosophies indiennes, chinoises en passant par la philosophie antique iranienne, sont venues dès le départ enrichir la philosophie islamique naissante.

D’autre part, l’islam s’est très vite divisé en multiples courants de pensées, aux tendances et aux argumentations théologiques différentes, pour que nous ne puissions guère parler aujourd’hui d’une seule et unique philosophie islamique.

Le mouvement de traductions après l’islam

Peu après la conquête musulmane, un mouvement de traduction des ouvrages scientifiques, philosophiques et littéraires des civilisations conquises ou d’autres civilisations comme la civilisation grecque commença à partir du califat omeyyade (661-750) pour atteindre son apogée durant le califat abbasside. Ce mouvement de traduction commença à la fin du VIIe siècle, continua durant tout le VIIIe siècle pour atteindre son apogée au IXe siècle.

Les premières traductions comprenaient essentiellement les livres scientifiques, mais avec le développement de ce mouvement, en particulier à partir du califat de l’abbasside Abou Dja’far Mansour Davanighi, les domaines de la traduction se diversifièrent : on passa très vite de la traduction des ouvrages de sciences pratiques telles que la médecine, le calcul ou l’alchimie à la traduction des ouvrages de sciences théoriques telles que la physique, la philosophie, la métaphysique et la théologie. Parmi ces traductions, les plus lues étaient les ouvrages médicaux et philosophiques.

Ebn Nadim écrit : « Les musulmans connaissaient les philosophies présocratiques, les sophistes, les sceptiques, les stoïques et les épicuriens. Ils connaissaient également l’atomisme de Démocrite. Et ةpicure influença la théologie et le courant asharite de la même manière que la dimension matérialiste du stoïcisme influença la pensée mutazilite. »

Ces traductions eurent une grande influence sur le développement d’une philosophie islamique indépendante, et la révolution scientifique qu’elles provoquèrent fut encore plus importante que celle que connut l’Europe au Moyen Age. Ces sciences imprégnèrent toutes les dimensions du savoir islamique et le firent sortir du cadre d’une foi simple, car elles obligèrent les musulmans à redéfinir tout ce qu’ils avaient accepté par la foi et à l’appréhender intellectuellement. Cette appréhension intellectuelle du savoir par les musulmans leur permit ainsi de fonder les piliers d’un savoir moderne et original, enrichi par l’apport des civilisations antiques.

Ainsi, la tradition philosophique musulmane n’est finalement ni une tradition hellénistique, ni une tradition de pensée asiatique. Elle sut trouver ses propres repères, en utilisant des enseignements islamiques enrichis par ceux des civilisations antiques pour d’abord poser des questions nouvelles et originales, puis tenter d’y répondre dans l’optique d’une philosophie propre à l’islam se différenciant nettement de la théologie.

La naissance de la philosophie islamique

La philosophie islamique s’est très tôt divisée en deux tendances principales – mais non exclusives l’une de l’autre : celle de pensée péripatéticienne [1] arabe inspirée d’Aristote, dont le dernier grand nom fut Averroès, et l’illuminisme néoplatonicien notamment avec l’école de l’ishrâq. Cependant, très tôt, les penseurs musulmans ont commencé à accorder une grande place à l’ascèse et à la purification intérieure comme accompagnement de la pensée purement spéculative, ce qui a conduit à parler davantage de théosophie (hikma) que de pure philosophie. Beaucoup d’historiens, cantonnant cette tradition de pensée à sa dimension hellénisante, ont considéré jusqu’à il y a quelques décennies que la philosophie islamique avait pris avec Averroès.

En réalité, la pensée islamique a bel et bien continué et s’est enrichie en Iran pour s’exprimer sous la forme d’une théosophie élargissant les frontières du raisonnement philosophique, en prenant en compte la dimension imaginale et intérieure de la pensée, pour pleinement à réconcilier la raison et la prophétie (nobovvat).

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L500xH445/1294-1-f230c.jpg?1686644247Image agrandie - Averroès répondant à ses détracteurs dans une mosquée

Cela dit, la traduction de certains dialogues de Platon et surtout des œuvres d’Aristote eut un rôle essentiel dans la constitution de la philosophie islamique notamment chez deux grands penseurs à l’origine de la philosophie islamique, c’est-à-dire Abou Youssef Ya’ghoub Al- Kindi et Abou Nasr Fârâbi.

Al-Kindi

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH420/1294-2-2f13f.jpg?1686644247Image agrandie - Al-Kindi

Abou Youssef Ya’qoub Kindi (801-866), connu sous le nom de « Philosophe arabe », est considéré comme le père de la philosophie islamique. Même s’il n’a pas été capable comme Fârâbi, son successeur, de bâtir un système philosophique homogène, il est tout de même le premier à avoir théorisé de nombreuses questions auxquelles la philosophie islamique tenta de répondre après lui.

En philosophie, Al-Kindi était proche de l’école athénienne néo-platonicienne, plutôt que de l’école d’Alexandrie qu’adopta plus tard Fârâbi. Il était également influencé par les idées pythagoriciennes, mais demeura avant tout péripatéticien. Il n’en réfuta pas moins quelques points l’aristotélisme, comme la théorie de l’éternité du monde.

Il y a dans la pensée de Kindi une profonde relation entre la philosophie et la religion qu’on perçoit moins chez Fârâbi et Avicenne. Al-Kindi croyait en deux formes de connaissances : la connaissance humaine, dont la plus haute forme est la philosophie, et la connaissance divine, supérieure à celle de l’homme, en cela que la forme de savoir qu’elle implique sera toujours hors de l’atteinte de l’homme. Ainsi, il faut que les vérités qui font l’objet d’une révélation divine et qui sont intellectuellement et rationnellement hors des frontières de la connaissance humaine - telles que les questions de la création du monde à partir du néant ou la résurrection physique des hommes après la mort - soient acceptées telles quelles. Pour Al-Kindi, la philosophie et la science sont donc soumises à la « révélation » (vahy).

Fârâbi

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH412/1294-3-d0b21.jpg?1686644247Image agrandie - Fârâbi

Si Al-Kindi est le premier philosophe musulman, c’est pourtant avec Abou Nasr Mohammad Fârâbi (870-950) que la philosophie islamique commence véritablement. Surnommé « Magister secundus », il fut le véritable fondateur de la philosophie hellénisante islamique. C’est dans son œuvre que de nombreuses questions et problématiques philosophiques à propos de l’existence (vojoud), l’existant nécessaire (vâjib al-vojoud), la quiddité (mâhiyat), les notions d’éternel et de temporel (qadim, hâdith), l’intellect (’aql), etc. furent systématisées pour la première fois. Important commentateur d’Aristote et de Platon, il fut lui-même un chef d’école et on considère qu’il eut la même importance dans la philosophie islamique que Plotin dans la philosophie occidentale.

Comme beaucoup de philosophes postérieurs grecs, il cherchait à réconcilier les pensées aristotéliciennes et platoniciennes en s’inspirant notamment de l’interprétation de la philosophie aristotélicienne par les commentateurs grecs postérieurs. Il s’inspirait également de la pensée d’Aristote dans le domaine de la logique, de la connaissance de l’âme, de la métaphysique et de l’éthique, même si on retrouvait de nombreux motifs platoniciens dans sa pensée et plus particulièrement dans sa métaphysique.

Fârâbi est également le premier à avoir systématisé la question du rôle de la faculté imaginative (khayâl) et de la philosophie de la prophétie (nobovvat). Acceptée telle quelle, la prophétie est nécessaire à la perfection de l’homme, mais en tant qu’elle prend place dans la faculté imaginative de l’homme, elle aide aussi à enrichir son intellect. Pour Fârâbi, la prophétie, en ce sens, n’est ni la possession de l’homme par les forces du monde de l’invisible et des êtres immatériels, ni un état mystique. Le sujet de la révélation divine est un homme parfait, ayant atteint les hautes sphères de la pensée qui sont situées au même niveau que les hautes sphères de la prophétie embrassant les mêmes réalités. La pensée de Fârâbi est une alliance originale et nouvelle de la philosophie aristotélicienne et néo-platonicienne avec une coloration islamique et en particulier, chiite duodécimaine.

Avicenne

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH423/1294-4-7dde6.jpg?1686644247Image agrandie - Avicenne

Avicenne apparut à une époque où les bases d’une philosophie islamique avaient déjà été posées. Il est le premier philosophe musulman à avoir bâti un système philosophique cohérent qui a dominé la philosophie islamique durant des siècles, malgré les attaques de Ghazzâli ou de Fakhr-e Râzi. Cette domination tenait d’une part à l’aspect achevé du système philosophique avicennien et d’autre part, au génie et aux analyses précises et subtiles d’Avicenne concernant la pensée philosophique grecque et islamique. Il fut un brillant héritier qui non seulement intégra la pensée grecque dans l’édifice de la philosophie islamique, mais eut aussi une grande influence dans la scolastique médiévale où sa Métaphysique eut un rôle déterminant dans la pensée d’Albert le Grand ou de Thomas d’Aquin. La caractéristique essentielle de la pensée d’Avicenne réside dans la précision et la méticulosité avec lesquelles il sépare et définit les concepts. Cette caractéristique rend parfois difficile la compréhension du système avicennien, tout en donnant une grande précision à ses argumentations, mais c’est aussi sur cette base qu’Avicenne put bâtir un système de pensée aussi cohérent.

La métaphysique avicennienne

Pour Avicenne, la métaphysique est l’explication rationnelle de tout. Il divise ainsi la science en deux groupes de sciences théoriques et pratiques : pour lui, la science théorique est la science dont le sujet est séparé de nous alors que la science pratique s’applique à nous. Il considère trois sciences comme sciences pratiques : l’art de gouverner, l’économie et la psychologie, et reconnaît comme telles trois sciences théoriques : la physique, les mathématiques et la métaphysique.

Le sujet de la métaphysique est l’être en tant qu’être, qui recouvre tout ce qui existe – c’est à dire comprend autant les êtres matériels qu’immatériels. Pour mieux le définir, Avicenne a comparé le sujet de la métaphysique avec le sujet des autres sciences théoriques. Pour lui, la physique n’est pas la connaissance de l’être en tant qu’être, mais de l’être en tant que matière en mouvement ou immobile. Quand à la science mathématique, elle traite selon lui de l’être en tant que quantité séparée de la matière. Dans ces deux sciences, l’être est étudié de façon limitée, c’est-à-dire ’en tant que’ matière ou quantité, et non de matière absolue. Dans ces deux sciences, l’ ’être’ est considéré comme une chose évidente et n’est pas étudié en tant que tel. Ainsi, c’est uniquement dans la métaphysique que l’être est étudié dans sa totalité, qu’il soit matériel ou immatériel, quantité ou qualité… la seule condition étant d’ « être ». Selon Avicenne, le concept de l’être est le plus évident. Cette notion d’évidence du concept de l’être sera reprise par des philosophes tels que Thomas d’Aquin puis plus tard, par Heidegger. Outre l’influence indéniable d’Aristote sur sa pensée, Avicenne s’est également inspiré des travaux de Fârâbi. Il est également le premier à faire la distinction entre l’être et l’essence, ce qui n’avait pas été le cas en métaphysique grecque où cette distinction n’avait pas été faite sous cette forme. La philosophie avicennienne est une forme de pensée aristotélicienne renouvelée et complétée, qui est devenue en soi une pensée indépendante et cohérente.

La pensée péripatéticienne islamique après Avicenne

Après Avicenne, la philosophie péripatéticienne islamique eut à affronter un adversaire important : le théologien ash’arite [2] Ghazzâli, qui utilisa les armes de la philosophie pour remettre sa place et son rôle en question. Sous l’effet des attaques de Ghazzâli, la philosophie et la spéculation intellectuelle et rationnelle perdirent la place centrale qu’elles occupaient dans la société savante de l’époque et il fallut les efforts incessants de nouveaux penseurs tels qu’Averroès ou Nassireddin Toussi pour que la philosophie puisse être quelque peu réhabilitée.

Ghazzâli

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH407/1294-5-5b18d.jpg?1686644247Image agrandie - Ghazzâli

Ghazzâli est le plus grand critique musulman de la philosophie. Théologien ash’arite, il a commencé par étudier la philosophie, qu’il maîtrisait très bien, mais était arrivé à la conclusion que la philosophie et la spéculation rationnelle ne menaient pas à Dieu, mais bien à des égarements dangereux. Après avoir vécu le doute et l’avoir dépassé par un passage au soufisme, il décida de consacrer les instruments de la pensée spéculative à la théologie pour justement attaquer la philosophie. Il lança son attaque contre la philosophie péripatéticienne d’abord dans son ouvrage Maqâsid al-Falâsifa, qui est sans doute l’un des meilleures manuels de philosophie péripatéticienne dans le monde musulman, puis, dans son fameux Tahâfot al-Falâsifa, il attaqua directement cette partie de la philosophie qu’il croyait contradictoire à l’enseignement islamique. Sa critique, menée avec les instruments de l’argumentation spéculative, eut une grande influence sur la radicalisation du discours antiphilosophique de l’époque.

Avec Ghazzâli, la philosophie péripatéticienne islamique perdit sa place d’honneur dans les territoires est du monde musulman et c’est uniquement à l’ouest du monde musulman, en Espagne et au Maghreb que durant un siècle de plus, des philosophes tels que Ibn Bâjja, Ibn Tofayl et surtout Averroès continuèrent cette tradition en l’enrichissant.

Averroès tenta de neutraliser l’effet dévastateur de la critique de Ghazzâli dans son ouvrage Tahâfot al-Tahâfot mais sa parole, qui eut un fort impact en Europe, ne fut guère commentée dans le monde musulman. Ainsi, à l’époque où la philosophie péripatéticienne vivait ses derniers grands jours dans le monde musulman, elle rentrait de nouveau en Occident par la voix d’Averroès l’andalou.

La théosophie islamique

Avec l’affaiblissement relatif de la pensée péripatéticienne, une nouvelle école philosophique illuministe (ishrâqi) située dans la mouvance néo-platonicienne vit le jour. Les penseurs péripatéticiens musulmans avaient d’ores et déjà pris en compte cette dimension de la connaissance se manifestant sous la forme d’une « illumination » intérieure, ainsi que la nécessité d’une purification de l’âme préalable à tout questionnement philosophique. De Fârâbi jusqu’à Avicenne, la plupart des penseurs musulmans avaient réservé une place à cette dimension ’imaginale’ sans pour autant en faire un système philosophique. Mais plus particulièrement à partir des attaques de Ghazzâli et son argument le plus solide basé sur le fait que la raison ne suffit pas pour atteindre la Vérité, la « théosophie », c’est-à-dire une philosophie élargie à la dimension intérieure de l’âme, se développa en tant que voie philosophique.

L’école de l’ishrâq ou la théosophie de la lumière

Certains historiens considèrent à tort l’affaiblissement de la philosophie péripatéticienne musulmane comme la fin de la philosophie islamique, qui aurait vu son dernier représentant en la personne d’Averroès. En réalité, l’affaiblissement de la philosophie péripatéticienne coïncide avec le renforcement d’une pensée philosophique originale, la théosophie de l’« ishrâq ». Avec son fondateur Shahâbeddin Sohrawardi, surnommé le « Sheikh de l’ishrâq », la théosophie de l’ishrâq ouvrit de nouveaux horizons à la pensée islamique.

Qu’est-ce que l’ishrâq ?

Le mot « ishrâq » signifie illuminer. Dans le langage théosophique, « ishrâq » signifie « dévoilement intuitif » ou l’« illumination de l’âme par les Intelligences ». Dans la théosophie de l’ishrâq, cette « illumination » et ce « dévoilement intuitif » des vérités du monde ne sont possibles que dans le cadre d’une purification intérieure constante de son âme. Il ne s’agit pourtant pas d’une doctrine mystique, mais bien d’une école philosophique, utilisant l’argumentation spéculative et le raisonnement discursif.

Dans l’introduction de son important ouvrage Hikmât al-Ishrâq (la Sagesse de la Lumière) Sohrawardi écrit : « Avant ce livre, j’ai déjà rédigé d’autres ouvrages selon la méthode des péripatéticiens et j’ai résumé leur règles. Mais ce livre est d’un autre genre. L’ordonnance et le contenu de cet ouvrage m’ont été inspirés, non par la voie de la raison et de l’intellect, mais par une autre voie, et ce n’est qu’ensuite que j’ai cherché à argumenter. »

La méthode philosophique de l’ishrâq

Le philosophe ishrâqi applique une méthode mystique-argumentative, c’est-à-dire une méthode autant basée sur la purification de l’âme, l’ascèse, l’illumination et la révélation intérieure, que sur l’argumentation et la spéculation purement rationnelles. Sohrawardi disait que sa philosophie s’adressait aux adeptes de la sagesse spéculative mais aussi aux tenants de la sagesse née d’une expérience directe, vécue et sapientiale. Et la condition de compréhension de cette pensée est l’illumination divine du cœur du philosophe. A la fin de son livre, Sohrawardi écrit : « Ne donnez ce livre qu’à ses adeptes, c’est-à-dire ceux qui ont bien connu la voie péripatéticienne et qui cherchent la lumière divine. Avant d’étudier ce livre, il faut suivre quarante jours d’ascèse... »

Les sources de la théosophie de la lumière (hikmat al-ishrâq)

 La philosophie péripatéticienne islamique : Sohrawardi était un maître de la philosophie péripatéticienne et il le demeura jusqu’à la fin de sa courte vie, puisqu’il ne cessa jamais d’utiliser l’apport de cette philosophie pour enrichir sa propre école de pensée. Il reconnaissait l’argumentation et la spéculation comme base et introduction à la philosophie de la lumière. Sa critique de la philosophie péripatéticienne portait plutôt sur le désintérêt de cette école quant à l’importance de l’illumination du cœur et de la compréhension intuitive ; il lui reprochait également sa foi aveugle dans la seule raison.

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH381/1294-6-cb56e.jpg?1686644247Image agrandie - Buste de Sohrawardi, par Jalâl Rahmati

 La sagesse antique iranienne : Sohrawardi s’intéressait vivement à la théosophie antique iranienne qu’il tenta de ressusciter dans sa pensée. C’est pour cela qu’il a utilisé et codifié les concepts de cette pensée, qu’il a alliés aux concepts théologiques du zoroastrisme.

 La philosophie et la pensée grecques : Sohrawardi connaissait et tenait en estime les philosophes grecs d’inspiration spirituelle. Il considérait Hermès comme le père des théosophes, Platon comme ’le maître de la sagesse’ et Empédocle et Pythagore comme des sages légendaires.

 La mystique islamique : la relation entre la philosophie de l’ishrâq et la mystique islamique est si forte qu’on peut dire que cette philosophie a pour but de déboucher sur une certaine forme de mystique. Avec cette différence qu’en mystique, seul le cheminement intérieur sans l’apport de la raison compte, alors que dans cette pensée, le raisonnement discursif et l’argumentation logique ont une importance fondamentale.

 Le Coran et les sources du droit islamique : en plus d’un endroit, Sohrawardi s’inspire de certains versets coraniques et enseignements islamiques.

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH402/1294-7-e7213.jpg?1686644247Image agrandie - Ibn Arabi

L’impact de la théosophie de l’ishrâq fut très important dans le monde musulman et donna une nouvelle dimension à la pensée islamique, d’autant plus que cette pensée commençait à être enrichie avec l’apport de la mystique. Ainsi, alors que l’islam occidental transmettait le péripatétisme au monde chrétien, une génération après Sohrawardi, une nouvelle personnalité naquit dans les territoires musulmans de l’ouest, qui imprima sa marque dans la mystique en particulier, mais aussi dans la philosophie islamique. Il s’agissait d’Ibn Arabi. L’auteur du Al-Fotouhât al-Makkiah et du Fossous al-Hikam est le théoricien de la mystique théorique (erfân-e nazari) en islam, qui influença profondément, qu’ils l’acceptent ou qu’ils s’y opposent, tous les grands mystiques musulmans. De plus, ses positionnements sur des questions philosophiques telles que l’unicité de l’être (vahdat al-vojoud), l’union de l’intellect et de l’intelligé (ittihâd al-aqil va al-ma’qoul), l’homme parfait (al-insân al-kâmil), etc., eurent également une influence notable en philosophie islamique. Sa pensée influença la philosophie islamique du XIIIe au XVe siècle, en particulier en Iran, où la confession chiite, qui devint religion d’État à la même époque, avait toujours accordé une grande place à la pensée spéculative.

Khâdjeh Nassireddin Toussi

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH442/1294-8-1455e.jpg?1686644247Image agrandie - Khâdjeh Nassireddin Toussi

Au XIVe siècle, la philosophie péripatéticienne fut quelque peu réhabilitée grâce aux efforts de Khâdjeh Nassireddin Toussi. Comme Avicenne, ce fut un savant encyclopédique qui sut s’illustrer dans la plupart des sciences de son temps. En philosophie, il répondit aux questions et critiques soulevées par l’adversaire des philosophes, Fakhr-e Râzi, un penseur critiquant sévèrement la philosophie à l’instar de Ghazzâli. L’ouvrage principal de Toussi, dans son apologie de la rationalité était également un important commentaire de la pensée avicennienne, ce qui eut pour résultat de remettre à jour une philosophie péripatéticienne arabe qui avait perdu sa place depuis quelques siècles. L’autre contribution de Toussi au renouvellement de la philosophie islamique fut d’éduquer toute une génération de disciples qui conduisirent la pensée islamique à sa troisième grande école, celle du Hekmat-e Mote’âliyeh de Mollâ Sadrâ.

Le rapprochement de la philosophie et de la mystique aux XIIIe et XIVe siècles

Entre le XIIIe et le XIVe siècle, l’histoire de la philosophie islamique est peu ou prou confuse et les recherches en la matière encore insuffisantes. Ce qui est certain est que durant cette période, les trois mouvances de la pensée péripatéticienne, de la pensée ishrâqi et de la mystique se rapprochèrent. Le chiisme dominant de l’époque permit à ses trois formes de pensée islamique de s’allier pour donner naissance à un nouveau courant philosophique qui atteignit son apogée durant l’ère safavide. Des savants, des penseurs et des philosophes tels que Ghotboddin Râzi, Ghiâsseddin Mansour Dashtaki, Assireddin Abhari - l’auteur du fameux Al-Hidâya qui, commenté par Meybodi et Mollâ Sadrâ, est l’un des manuels important de philosophie péripatéticienne -, Mir Seyyed Sharif Jorjani ou Jalâleddin Dawâni, continuèrent l’enseignement péripatéticien tout en y ajoutant de nouveaux éléments mystiques ou ishrâqi. La mystique de l’école d’Ibn Arabi fut commentée par des penseurs tels que Seyyed Heydar Amoli, Ibn Abi Jomhour, ou Ibn Torkeh Esfahâni, qui l’intégrèrent à la pensée chiite. Ainsi, l’ère pré-safavide constitua les prémisses d’une renaissance de la théosophie à l’époque safavide.

Le développement de la philosophie avec l’officialisation du chiisme au XVe siècle

L’école d’Ispahan

Au XVe siècle, avec l’officialisation du chiisme et le développement des infrastructures sociales et économiques, ainsi que la sécurisation de la vie, résultats d’une réelle stabilité politique, une ère faste s’ouvrit pour le développement des sciences rationnelles et la théosophie atteignit un nouveau seuil. Le premier grand penseur de cette époque est Mir Mohammad Bâgher Dâmâd qui allia la philosophie et la religion et qui écrivit des ouvrages tels que le Qabassât va taqdissât ou Al-Sirât al-Mostaqim va al-Ofoq al-Mobin. Il donna une teinte ishrâqi à la philosophie avicennienne et la développa en tenant compte des enseignements et de la pensée proprement chiite, en reformulant dans une nouvelle optique certaines questions de la philosophie islamique. On peut citer également son contemporain philosophe, Mir Abolghâssem Fendereski, qui voyagea en Inde et commenta la pensée hindoue, ou le Sheikh Bahâeddin Ameli, philosophe, poète, mathématicien, et mystique contemporain de Shâh Abbâs 1er.

La théosophie de Mollâ Sadrâ

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH369/1294-9-b93c1.jpg?1686644247Image agrandie - Mollâ Sadrâ

Le plus grand théosophe musulman de cette époque et de l’avis de beaucoup, de toute la théosophie islamique, Sadreddin Shirâzi ou ’Mollâ Sadrâ’ vit le jour à la même époque. Né en 1560, il mourut sous le règne de Shâh Abbâs le Second en 1640 après avoir enseigné la philosophie pendant plus de trente ans. Il laissa plus de quarante ouvrages de philosophie. Certains de ses ouvrages présentent sa propre pensée, d’autres sont des commentaires et certains débattent d’autres branches des sciences rationnelles.

Au niveau de sa propre pensée, son livre le plus important est le Al-Asfâr al-Arba’a (Les quatre voyages), considéré comme le plus grand livre de philosophie islamique, qu’on ne peut aborder qu’après avoir acquis une connaissance approfondie de l’ensemble des courants de la philosophie islamique. Ses autres livres philosophiques tels que Al-Mabdâ’ va al-Ma’âd, Al-Mashâ’ir wa al-Hikmat al-’Arshia, Al-Shawâhid al-Roboubiyya, ses commentaires sur le Hikmat al-Ishrâq de Sohrawardi, son commentaire du Hidâya, ou ses annotations sur les Ilahiyât du Shifâ’ d’Avicenne sont tous d’importants chefs-d’œuvre philosophiques. La pensée de Mollâ Sadrâ a eu également une forte influence sur la théologie chiite.

L’apogée de la théosophie islamique avec la théosophie transcendantale (hikmat mota’âliyyah) de Mollâ Sadrâ

Avec Mollâ Sadrâ, neuf siècles de pensée islamique atteignirent leur apogée et les méthodes et assertions de la philosophie argumentative ainsi que la dimension « imaginale » de la connaissance et la mystique furent alliées dans un système philosophique intégral et logique. Mollâ Sadrâ fonda l’ensemble de sa théosophie sur le principe de l’authenticité de l’être (isâlat al-wojoud), duquel il déduit d’autres aspects de sa pensée tels que l’unicité de l’être (wahdat al-wojoud) ainsi que sa dimension graduée (tashkik), le mouvement transsubtantiel (al-harikat al-jowhariyya), l’union de l’intellect et de l’objet intelligé (ittihâd al-’aqil wa al-ma’qoul), etc… Il intégra à sa philosophie des concepts et les raisonnements des écoles philosophiques précédentes tout en leur donnant une toute autre portée.

L’effort de Mollâ Sadrâ résidait avant tout dans la réconciliation totale de la religion, en particulier du chiisme, de la philosophie et de la mystique, et il réussit finalement, après neuf siècles, à achever un effort commencé avec Al-Kindi en montrant comment la méthode argumentative et spéculative alliée à la méthode intuitive et ishrâqi c’est-à-dire à la dimension « révélée » du savoir, peut conduire à une même vérité.

La puissance et la solidité du système philosophique de Mollâ Sadrâ étaient telles qu’après sa mort, les philosophes qui prirent sa suite élaborèrent tous leurs réflexions en partant des bases qu’il avait posées. Ses élèves, tels que Mollâ Mohsen Feyz ou Abdorrâzâgh Lahiji, ont continué d’enseigner sa théosophie jusqu’au XVIIe siècle, époque où la relève fut prise par des penseurs tels que Ghâzi Saïd Ghommi ou Mowlânâ Mohammad Sâdegh Ardestâni.

La théosophie islamique aux XVIIe et XVIIIe siècles

Au XVIIe siècle, avec l’apparition, dans la théologie chiite, de l’école shaykhie et la forte critique de Sheykh Ahmad Ahsâ’i de la philosophie de Mollâ Sadrâ et de son élève Mollâ Mohsen Feyz, l’enseignement philosophique connut de nouveaux quelques tourments, mais à l’époque qâdjâre, elle put de nouveau prendre un essor avec des penseurs tels que Mollâ Esmâil Khâjoui, Aghâ Mohammad Bid Abadi, Mollâ Ali Nouri, Mollâ Esmâ’il Esfahâni, Mollâ Aghây Ghazvini ou encore Mohammad Ja’far Langaroudi qui rédigèrent de précieux ouvrages philosophiques. Avec Mollâ Hâdi Sabzevâri, grand penseur du XIXe siècle, la théosophie sadrienne connut un vrai renouvellement.

Dès le XVIIe siècle, la philosophie sadrienne se répandit également en Inde où Mollâ Sadrâ demeure commenté et enseigné jusqu’à aujourd’hui. Parmi les penseurs de l’époque qâdjâre qui ont enseigné la théosophie de Mollâ Sadrâ, on peut également citer Mohammad Rezâ Ghomshe’i, Mollâ Abdollâh Zanouzi ou Mirzâ Mehdi Ashtiâni. L’enseignement de la théosophie de Mollâ Sadrâ ne s’est jamais interrompu, malgré les oppositions qu’il a dû affronter au cours des époques, et est encore bien vivant aujourd’hui. La pensée de Mollâ Sadrâ a également contribué à renouveller l’enseignement des différents courants de la philosophie islamique traditionnelle.

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L348xH415/1294-10-152ac.jpg?1686644247Image agrandie - Mollâ Hâdi Sabzevâri

La théosophie islamique contemporaine et ses maîtres

Le plus grand maître contemporain de la théosophie de Mollâ Sadrâ mais aussi de la philosophie de la lumière de Sohrawardi demeure Allâmeh Seyyed Mohammad Hossein Tabâtabâ’i, l’auteur du magistral commentaire du Coran Al-Mizân. Parmi ses ouvrages, on peut citer les Bidâyat al-Hikma et Nihâyat al-Hikma, qui sont utilisés comme manuels de philosophie de nos jours. Il est également l’auteur de nombreux ouvrages et commentaires sur les différents courants de la pensée islamique, sur la jurisprudence, la mystique, les hadiths…

Parmi d’autres maîtres ou commentateurs de la théosophie de Mollâ Sadrâ, on peut également citer Seyyed Mohammad Kâzem Assâr, Abolhassan Rafi’i Ghazvini ou Seyyed Jalâleddin Ashtiâni qui fut sans doute l’auteur contemporain le plus prolixe en matière de théosophie sadrienne.

Les enseignements académiques de la Lumière

Après l’inauguration des premières universités iraniennes, la philosophie islamique sortit du cadre de l’enseignement traditionnel et est aujourd’hui étudiée et enseignée par des penseurs également en contact avec la philosophie occidentale. Parmi eux, on peut citer Seyyed Hossein Nasr ou Mirzâ Mehdi Hâeri Yazdi, dont la connaissance approfondie de la philosophie occidentale lui a permis des prises de positions sans précédent en la matière. A la même époque, Allâmeh Tabâtabâ’i ou Shahid Mortezâ Motahhari, bien que formés à l’école religieuse traditionnelle (hawza), s’étaient également distingués par l’importance qu’ils accordaient à l’étude de la philosophie occidentale dans le cadre d’une démarche critique et comparative avec la philosophie islamique.

La philosophie islamique contemporaine

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH399/1294-11-6e891.jpg?1686644247Image agrandie - Allâmeh Seyyed Mohammad Hossein Tabâtabâ’i

Il existe plusieurs courants dans la philosophie islamique contemporaine dont on peut relever les caractéristiques suivantes :

 La nécessité de formuler une pensée islamique répondant aux exigences du monde moderne, qui se démarque de la pensée occidentale dans la mesure où cette pensée ne correspond pas aux fondements philosophiques et culturels de l’islam traditionnel.

 A partir du XIXe siècle, les philosophes islamiques ont tenté d’élaborer une nouvelle définition de la pensée islamique. Certains, comme Hassan Hanafi ou Ali Mazrou’i tentèrent même de donner une importance mondiale à cette nouvelle philosophie pour en faire un instrument d’unification de la communauté musulmane.

 En Iran en particulier, l’influence de la théosophie de Sohrawardi et de Mollâ Sadrâ demeure extrêmement forte. On peut par exemple la voir dans les œuvres de Henry Corbin ou de Seyyed Hossein Nasr, ou même dans la gnose de l’imam Khomeyni.

 Très tôt, des penseurs musulmans ont commencé à intégrer les apports de la philosophie occidentale – entrainant souvent maintes contradictions et remettant en cause certains fondements de la philosophie islamique. En Iran, c’est par exemple le cas d’Abdol Karim Soroush, qui contribua néanmoins à présenter certains aspects de la pensée occidentale contemporaine aux Iraniens.

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH408/1294-12-8e652.jpg?1686644247Image agrandie - Shahid Mortezâ Motahhari

Les réactions de la pensée islamique moderne face à l’Occident

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH375/1294-13-b9385.jpg?1686644247Image agrandie - Jamâladdin al-Afghâni

A partir de la fin du XIXe siècle, le monde musulman vit la naissance d’un mouvement qui avait pour but l’étude des causes ayant provoqué le déclin et la décadence relative des sciences et de la rationalité dans le monde islamique, au moment même où la pensée et la technique occidentales prenaient un sérieux essor.

La prise de conscience de ce problème eut pour résultat la constitution du Nehzat-e Renaissance (Mouvement pour la renaissance) qui commença en 1850 en Syrie et se poursuivit, en particulier en Egypte, jusqu’en 1914.

Les tenants de ce mouvement voulaient bénéficier de l’apport scientifique et technologique de l’Occident sans que cela remette en cause les bases de leur culture, et en même temps définir une nouvelle identité islamique demeurant fondée sur les bases traditionnelles.

Le but principal de ce mouvement et de ses nombreux avatars était de ressusciter une culture islamique moribonde dans un monde dominé par l’Occident. Jamâladdin al-Afghâni ou Mohammad Abduh répondirent à cette question avec l’argument de la rationalité essentielle en l’islam. Pour eux, le modernisme et la modernisation ne remettaient pas en cause les fondations de l’islam, puisqu’il était par essence rationnel. Dans la même mouvance, Mostafâ Abdorazzâgh allait jusqu’à penser pouvoir concilier la philosophie islamique traditionnelle et la pensée moderne occidentale. Ce dernier défendait l’interrelation profonde entre la Révélation et le raisonnement spéculatif, ainsi que l’adaptation naturelle des sciences islamiques – même traditionnelles – avec la rationalité.

D’autres penseurs tels que Mohammad Abed Al-Jabri estimaient que seules la déconstruction de l’identité islamo-arabe et l’étude des causes de sa décadence pourraient conduire à la modernisation de la culture islamique. Pour Al-Jabri en particulier, cette déconstruction passait par l’idée utopique de l’abandon de la langue arabe en tant que vecteur d’une pensée arabe qui, selon lui, s’était figée dans l’expression de la tradition.

Un autre penseur musulman, Foâd Zakkaria, estima que la décadence du monde musulman était le résultat de sa négligence envers son héritage scientifique et rationnel et son incapacité à porter un regard historique sur son passé. Zaki Najib Mahmud, lui, souligna le rôle de la philosophie pour conduire l’homme du connu vers l’inconnu et pensait que la religion était un obstacle.

Hassan Hanafi, autre penseur musulman, théorisa une forme de phénoménologie selon lui capable de permettre une nouvelle définition du tawhid – l’Unicité divine - qui comprenne en soi l’égalité et l’unité de tous les hommes. Il estimait aussi que l’Occident, ayant désormais entamé un processus de décadence, avait besoin du sang neuf d’un Orient modernisé.

Le penseur pakistanais Fazlur Rahmân, importante figure de la philosophie politique islamique, estimait quant à lui que le conservatisme islamique était contraire à l’essence de l’islam. On peut également citer les travaux des musulmans américains comme Malcom X. Ces derniers, généralement afro-américains, tentèrent d’exprimer un multiculturalisme antiraciste et pacifiste à travers la pensée islamique. Ils mirent en parallèle l’idée du jihad monothéiste avec la nécessité d’établir une société plus juste, et en même temps globale et multiculturelle.

Dans une optique plus spirituelle et universitaire et concernant plus spécifiquement la philosophie « iranienne », on peut également citer le travail de Henry Corbin dans la compilation et la présentation au public occidental de la philosophie islamique iranienne après Avicenne. Son introduction de la pensée de Sohrawardi et de Mollâ Sadrâ en Occident a ainsi conduit à une révision de l’histoire de la philosophie islamique selon les chercheurs occidentaux, qui selon eux avait pris fin avec Averroès. Corbin souligna également la richesse et la centralité de l’apport iranien à la pensée philosophique et gnostique en terre d’islam.

Les nouveaux courants

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH379/1294-14-571de.jpg?1686644247Image agrandie - Mohammad Abed Al-Jabri

Un nouveau domaine aujourd’hui en pleine expansion est celui de l’histoire de la philosophie islamique, des écoles philosophiques qui l’ont enrichie et du degré exact de leur influence mutuelle. On commence également à étudier la genèse et l’évolution des textes philosophiques originaux disponibles pour voir comment les questions philosophiques étaient posées durant les premiers siècles de l’islam. D’autre part, beaucoup de penseurs contemporains musulmans adoptèrent des positions leur permettant de porter un regard nouveau sur tel ou tel point de philosophie islamique. D’autres comme Mohammad Aziz Lahbabi utilisa, lui, la philosophie hégélienne pour argumenter sur l’تtre dans une optique totalement nouvelle en philosophie islamique. Enfin, certains penseurs mêlent la pensée occidentale et islamique, soit dans un esprit de réconciliation, pour atteindre à une nouvelle vision, soit, au contraire, pour souligner les contradictions culturelles inhérentes à ces deux pensées.

Pour finir, même si beaucoup de penseurs musulmans sont opposés à la mystique et à la gnose (‘irfân), il n’en demeure pas moins certain qu’elle peut offrir un très bon cadre pour poser des questions de philosophie islamique dans une optique contemporaine.

La tradition gnostique comprend un enseignement complet et argumenté ainsi qu’un système de pensée rationnel qui pourrait servir de voie nouvelle à explorer, notamment dans une optique comparative.

A l’époque actuelle, la philosophie islamique n’a aucunement perdu de sa vitalité et est devenue l’arène de nouvelles questions et de recherches liées à l’époque actuelle qui n’ont pas cessé de l’enrichir.

On peut donc affirmer que la philosophie islamique, malgré les importantes transformations et critiques qu’elle a subies, demeure une pensée bien vivante.

http://www.teheran.ir/local/cache-vignettes/L313xH390/1294-15-4aeb0.jpg?1686644247Image agrandie - Henry Corbin

Bibliographie

- Corbin, Henry, Histoire de la philosophie islamique, Paris, Gallimard, Folio essais, 2002.

- Corbin, Henry, En islam iranien, aspects spirituels et philosophiques. Tome II : Sohrawardî et les platoniciens de Perse, Paris, Gallimard, Tel, 1991.

- Al-Fakhouri, Hana, Al-Jarr, Khalil, Târikh-e falsafeh dar jahân eslâmi, trad. persane d’Abdol-Mohammad Ayati, Téhéran, ed. Zamân, 1976.

- Nasr, Seyyed Hossein, Ma’refat-e jâvedân - majmou’e maghâlât (Connaissance éternelle – recueil d’article), comp. réalisée par Seyyed Hassan Hosseini, Téhéran, ed. Mehr Nioushâ, 2007.

- Sharif, Miân Mohammad, Târikh-e falsafeh dar eslâmtrad. pers. sous la direction de Nasrollâh Pourjavâdi, Téhéran, ed. Nashr-e dâneshgâhi, 1986.

- Moghniyeh, Mohammad-Javâd, Masâel-e falsafe-ye eslâmi, trad. pers. de Mohammad Rezâ Jowzi, Téhéran, ed. Bonyâd, 1991.

www.hawzah.net

www.tahoor.com

Notes :

[1] L’adjectif péripatéticien désigne tout ce qui est relatif à la pensée et à la philosophie d’Aristote.

[2] L’ash’arisme est un courant de pensée théologique fondé par Abol-Hassan Ali Ibn Ismâ’il al-Ash’ari au début du Xe siècle. Il s’oppose notamment au mo’tazilisme répandu à l’époque, qui donnait une importance centrale au rationalisme et à l’intellect dans l’appréhension des questions religieuses. L’ash’arisme critique le caractère abstrait de leurs spéculations et, sans complètement rejeter l’usage de la raison dans le domaine théologique, rejette le fait qu’elle puisse être un critère absolu à l’aune de laquelle toutes les vérités religieuses puissent être exposées rationnellement. Elle souligne de nouveau l’importance de la foi face à la raison et s’oppose plus particulièrement aux philosophes.

La Revue de Téhéran

Source : http://www.teheran.ir/spip.php?article1294#gsc.tab=0

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Source : https://www.youtube.com/watch?v=B2dQhVSESC8

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Le motazilisme est un mouvement religieux fondé au début du VIIIe siècle par Wasil ibn Ata. À cette époque, qui voit se mettre en place les principaux courants de l’islam, les débats théologiques sont nombreux, et influencent le pouvoir politique. Marqués par la philosophie antique, les motazilites sont souvent considérés comme rationalistes, car ils estiment que l’homme peut, en dehors de toute révélation divine, accéder à la connaissance.

Une doctrine basée sur cinq grands principes

Les motazilites fondent leurs croyances sur cinq principes :
1) L’affirmation de l’unité de Dieu, conçu comme une entité hors du temps et hors de l’espace. De ce fait, le Coran est pour eux un livre « créé », son essence n’étant pas divine, puisqu’il est apparu à un moment précis.
2) La justice divine, selon laquelle Dieu ne veut et ne fait que ce qui est bien. De ce principe découle l’idée que l’homme n’est pas prédestiné (car il peut faire le mal), mais dispose d’un libre-arbitre.
3) La promesse et la menace, c’est-à-dire le fait qu’au jour du jugement, Dieu récompensera les bons et punira ceux qui lui ont désobéi.
4) Le degré intermédiaire, qui postule que si un musulman commet un péché important, il ne doit ni être considéré comme un croyant, ni comme un mécréant, mais plutôt comme un pécheur devant se repentir pour redevenir croyant.
5) Ordonner le bien et blâmer le blâmable, en s’engageant dans l’action politique, voire en se rebellant contre l’autorité et l’État, si ses actes sont injustes.

Existe-t-il encore des motazilites ?
Le motazilisme a connu un apogée aux débuts du IXe siècle, sous les califes abbassides, avant d’être rejeté au profit de mouvements plus proches de la tradition. Malgré un bref renouveau au Xe siècle, le mouvement tombe par la suite dans l’oubli pour plusieurs siècles, mais il est remis au goût du jour au début du XXe siècle par des penseurs réformistes. C’est notamment le cas de Ahmad Amin, un intellectuel égyptien qui, en 1936, dans sa grande Histoire de la culture islamique, explique : « À mon avis, la mort du motazilisme a été le plus grand malheur qui a frappé les musulmans ; ils ont commis un crime envers eux-mêmes ». On voit de nos jours émerger des courants « néo-motazilites », en réaction aux doctrines rigoristes.
Antoine Le Bail

Pour aller plus loin :

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La mosquée du Sultan Ahmet à Istanbul.

Représentation arabe médiévale d’Aristote

Représentation arabe médiévale d’Aristote.

L’expression de philosophie islamique1 désigne les travaux philosophiques effectués dans le cadre de la civilisation islamique (arabe, persane ou mongole[réf. nécessaire]), ce qui inclut les philosophes musulmans, mais aussi des Juifs, Chrétiens et libres-penseurs. En un sens plus restreint, cette expression regroupe commodément l’ensemble du travail philosophique effectué par des penseurs de confession musulmane. À noter que la philosophie au Moyen Âge inclut la physique, la logique, l’éthique et la philosophie politique qui sont des « sciences profanes » et non sacrées. Ces sciences visent la connaissance du monde et de l’esprit humain par des moyens rationnels et non révélés. Les philosophes s’occupent aussi de questions théologiques en se servant des outils de la logique et de la métaphysique grecques, ce qui leur sera reproché par les traditionalistes et les littéralistes religieux. La philosophie est cependant pratiquée dans un cadre religieux la plupart du temps. Il existe aussi des libres-penseurs comme Ibn al-Rawandi et Rhazès.

Débat sur la définition et l’extension de l’expression

L’expression « philosophie islamique » peut aussi être utilisée pour désigner la philosophie inspirée de textes islamiques présentant la conception de l’islam et sa vision[réf. souhaitée].

Pour Henry Corbin2, la philosophie islamique désigne l’œuvre de penseurs d’une communauté religieuse caractérisée par l’expression coranique Ahl Al-Kitâb : peuple du Livre. On trouve dans ce vocabulaire philosophique le mot haqîqat dans le sens de révélations divines donnant la vérité, l’essence, et de ce fait le sens spirituel. Cette conception est voisine de l’herméneutique de la Bible ou du Coran. Il ne s’y trouve cependant pas de magistère du dogme, de pères fondateurs, ni d’autorités pontificales, mais on peut y invoquer quelque inspiration prophétique, ou encore une herméneutique spirituelle dans certaines limites admises.

Henry Corbin insiste dans l’avant-propos de son livre sur le fait que philosophie islamique n’est pas à confondre avec philosophie arabe. Le concept « arabe » de l’usage courant ne coïncide pas non plus avec le concept religieux « islam », ni avec les limites de son univers. La désignation « arabe » ne vient pas davantage de l’usage de cette langue, car cela exclurait de célèbres penseurs iraniens ayant tous écrit en persan jusqu’aux contemporains utilisant tantôt en persan tantôt l’arabe littéraire. L’auteur compare cette situation à celles d’auteurs (Descartes, Spinoza, Kant, etc) ayant choisi d’écrire des traités en latin sans être pour autant philosophes latins ni romains.

Notion de la philosophie en islam

Le mot le plus proche qui est utilisé dans les textes islamiques principaux (le Coran et la Sunna) désignant la philosophie est « sagesse » (hikma). C’est pourquoi beaucoup de philosophes musulmans utilisent le mot « sagesse » comme synonyme du mot « philosophie » (falsafa), qui pénétra la pensée islamique comme arabisation du mot grec philosophia. Un philosophe est un faylasûf, au pluriel falâsifa3. Dans la civilisation islamique, le mot « philosophie » reste attaché aux notions de la philosophie antique (gréco-romaine). C’est en effet à partir des textes grecs traduits en syriaque et en arabe que les musulmans découvrent la philosophie, chronologiquement antérieure à l’islam.

Il faut relier à ces termes le kalâm, qui est une forme dialectique de théologie (fondée sur la discussion rationnelle) et le fiqh, c’est-à-dire le droit. Les recherches du kalâm et du fiqh peuvent être étroitement liées à celles des philosophes, lesquels étudient les sciences profanes comme la logique ou la physique.

Le soufisme entra en conflit avec les savants du kalâm et les philosophes pour préciser la signification du mot sagesse cité dans le Hadith et souvent les soufis utilisaient le titre « savant » pour les plus importants de leurs personnalités, comme le savant Al Tarmazi.

Origines et limites de la philosophie islamique

Les sources de la philosophie islamique proviennent de l’islam en lui-même (Coran et Sunna) ainsi que de la philosophie gréco-romaine, iranienne pré-islamique et indienne. Les Grecs : Platon, Aristote, Alexandre d’Aphrodise, les néoplatoniciens4, mais aussi le cynisme5, et l’atomisme que l’on retrouve dans le Kalâm6. Les Romains : la médecine de Claude Galien, mentionnée par Ali Benmakhlouf, spécialiste de philosophie islamique et d’Averroès7. L’Inde et l’Iran pré-islamique : le zoroastrisme notamment.

C’est en cherchant à affiner la doctrine de l’islam et à interpréter correctement les hadith, tout en extrapolant sur les questions religieuses qui n’avaient pas été explicitement tranchées dans le Coran qu’avec la méthode de l’idjtihâd s’ouvrent les premiers débats philosophiques et théologiques en Islam, notamment entre les partisans du libre arbitre ou Qadar (de l’arabe : qadara, qui a le pouvoir), et les djabarites (de djabr force), partisans du fatalisme.

La théologie en islam doit répondre à des interrogations concernant la théodicée, l’eschatologie, l’anthropologie, la théologie négative et de religion comparée.

  • La philosophie hellénistique de l’islam (falsafa)
  • Le mutazilisme
  • La théologie dialectique (kalâm pour l’asharisme)
  • Le soufisme, théorie ésotérique de l’islam
  • Les théologies littéralistes
    La conscience religieuse de l’islam est un pacte éternel de fidélité (et non pas fondée sur un fait de l’histoire). « Ne suis-je pas votre Seigneur ? »8 est l’interrogation divine posée aux Esprits des humains préexistant au monde terrestre.

Le philosophe Nâsir-e Khosraw (Ve/XIe s.), une des grandes figures de l’Ismaélisme iranien, énonçait que « l’aspect exotérique de l’Idée (mamthûl) qui devient religion positive (mithâl) est en perpétuelle fluctuation avec les cycles et périodes du monde. C’est une énergie divine qui n’est pas en devenir ». Elle ne peut être dictée par des dogmes, par un Magistère. Mais elle requiert des Guides, des Initiateurs. La pensée philosophique en Islam se meut par un double mouvement vertical de progression depuis l’origine (mabda’) et de retour à l’origine (ma’âd). Il s’agit de l’espace et non du temps9.

Le Kalâm Cette section ne cite pas suffisamment ses sources (mars 2017). 

Article détaillé : Kalâm.

Si on considérait que la définition de la philosophie est que cette dernière est une tentative de construire un concept et une vision totalisante de l’Univers et la Vie, alors les débuts de ces travaux dans la civilisation islamique ont commencé comme un mouvement dans les débuts de l’islam, il commença par le kalâm, et atteignit son sommet au IXe siècle quand les musulmans ont connu la philosophie grecque ancienne, ce qui conduisit à la génération d’une assemblée de philosophes musulmans qui différaient des savants du kalâm.

Le kalâm se basait premièrement sur les textes légitimes comme le Coran et la Sunna et sur des façons logiques linguistiques pour construire un argument afin de faire face à ceux qui essayaient d’attaquer les vérités de l’Islam, alors que les philosophes mousha’in, et ce sont les philosophes musulmans qui ont adopté la philosophie grecque, avaient pour première référence le concept d’Aristote ou celui de Platon qu’ils considéraient harmonieux avec les textes et l’esprit de l’Islam. Et d’après leurs tentatives d’utiliser la logique pour analyser ce qu’ils considéraient des lois universelles invariables issues de la volonté de Dieu, ils font d’abord les premières tentatives conciliatoire dans le concept du Créateur entre la notion Islamique de « Allah » (nom de Dieu) et la notion philosophique grecque du premier principe ou la première pensée.

Le kalām s’est construit dans le conflit entre deux grands courants, les mutazilites et les acharites10. Ces derniers, pour des raisons historiques, l’ont emporté, de sorte que le mutazilisme a presque disparu11. Mais l’acharisme a emprunté à ses adversaires certains concepts et problèmes, et surtout l’art de la dialectique12 - le souci de justifier rationnellement ses positions, au lieu de se contenter de recourir à l’argument d’autorité. Cette exigence a conduit les théologiens acharites à évoluer, introduisant progressivement les méthodes rationnelles des philosophes (en particulier la syllogistique d’Aristote) dans la théologie. Jusqu’à ce que, parfois, la frontière entre kalām et falsafa devienne ténue, comme cela a été reproché à Fakhr ad-Din ar-Razi13,14.

La falsafa

En toute rigueur, la falsafa (فلسفة) n’est pas synonyme de philosophie en général, mais désigne de façon précise les philosophes du Moyen Âge musulman : Al-Kindi (Alkindus), Al-Fârâbî (Alpharabius) et Ibn Sina (Avicenne) en sont les principaux représentants. Ils se caractérisent par leur effort pour articuler la Révélation et la raison, l’enseignement du Coran et celui des Grecs (surtout Aristote, Platon et les néoplatoniciens)15. On peut définir les falasifa (équivalent du grec philosophos) comme les philosophes musulmans hellénisants16.

Cette section ne cite pas suffisamment ses sources (mars 2017). 

La philosophie islamique se développe de l’étape d’étude des thèmes qui ne se prouvent que par le reportage et le culte à l’étape dont l’épreuve est limitée aux preuves logiques, mais le point commun au cours de cet étendu historique était de connaître Dieu et de prouver la présence du Créateur [pas clair]. Ce mouvement philosophique atteint un tournant très important avec Ibn Rouchd qui invoqua le principe de la liberté et la domination de la raison d’après l’observation et l’expérience.

Le premier philosophe arabe à apparaître était Al-Kindi qui a le titre du premier professeur arabe, après fut Al-Ghazâlî qui adopta beaucoup d’idées d’Aristote au sujet de l’intellect efficace, présenta le monde et le concept de la langue naturelle. Al-Fârâbî fonda une école intellectuelle dont : al-‘Āmirī, Alsajstani et Altawhidi. Al-Ghazâlî est l’un des premiers à réconcilier la logique et les sciences islamiques, quand il cherche à démontrer que les méthodes de la logique grecque peuvent être neutres et séparées des concepts métaphysiques grecs. Il détaille l’explication de la logique et il l’utilise dans la science du fiqh, mais par contre, il attaqua les visions philosophiques des philosophes musulmans mousha’in dans le livre L’Incohérence des philosophes17 (Tahâfut al-falâsifa) ; plus tard, Ibn Rochd de Cordoue (connu sous le nom d’Averroès en Occident), dans son livre L’Incohérence de l’Incohérence (Tahâfut at-tahâfut)17, répond à ses attaques.

« Ahl al hadîth »

De là, quelques-uns refusaient toujours de discuter des recherches portant sur des sujets divins et la nature du Créateur et la Créature, et préfèrent se contenter de ce qui est écrit dans le Coran et la Sunna. Ce mouvement connu sous le nom de « Ahl al Hadîth », et à qui se rapportent la plupart de ceux qui ont travaillé dans le « fiqh » islamique se doutait toujours de l’importance de la logique de la philosophie. Et il existe encore des mouvements islamiques qui croient qu’il « n’existe pas de philosophes musulmans et que cette expression est incorrecte, l’Islam a ses savants qui suivent le Coran et la Sunna, tandis que celui qui travaille dans la philosophie est un hérésiarque dupeur [réf. nécessaire] ».

Dans une étape tardive de la civilisation islamique, apparaît un mouvement critique de la philosophie, dont le plus important des chefs est Ibn Taymiyya qui est considéré comme opposant à la philosophie et appartenant au mouvement de « Ahl Hadith » refusant tout travail philosophique, mais ce qu’il dit des modes (procédés) de la logique grecque et sa tentative de le lier aux concepts métaphysiques (contrairement à ce que Al Ghazali voulait clarifier) dans son livre « Répondre aux Logiques » qui a été considéré par certains des essayistes arabes contemporains comme étant une critique de la philosophie grecque, bien plus qu’une simple critique pour elle, sa critique est bâtie sur une recherche profonde des procédés de la logique et la philosophie et une tentative de construire une nouvelle philosophie, cette dernière fut une préface du transfert de la réalité du (kully) jusqu’à sa nomination.[incompréhensible]

Les grands mouvements à travers l’histoire

Période classique du Kalâm

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Article détaillé : Kalâm.

La Madhhab motazilite est née d’une opposition aux vues traditionnelles des musulmans partisans du califat. Puis, s’intéressant aux attaques que subissait l’islam de la part des non-musulmans, ces motazilistes devinrent rapidement obsédés par le débat avec les autres théologies et courants de pensée à l’intérieur de l’Islam lui-même.

Très rapidement, encouragée par le calife Al-Mamun qui fit du motazilisme la doctrine officielle en 827 et créera la Maison de la sagesse en 832, la philosophie grecque fut introduite dans les milieux intellectuels persans et arabes. L’École péripatétique commença à avoir des représentants parmi eux : ce fut le cas d’Al-Kindi, d’Al-Fârâbî, d’Ibn Sina (Avicenne), et d’Ibn Rushd (Averroès).

Ceux qui cherchaient par une démonstration philosophique à conforter et démontrer le bien-fondé de leur foi religieuse ont été recrutés par Hunayn ibn Ishaq, un arabe chrétien qui dirigea la maison de la sagesse dans les 870. Ils ont collecté, traduit et synthétisé tout ce que le génie des cultures grecque, indienne, iranienne avait pu produire avant d’entreprendre les commentaires sur ces œuvres et de former les bases de la philosophie musulmane des IXe et Xe siècles. Ceux qui utiliseront cette méthodologie dite Ilm-al-Kalâm basée sur la dialectique grecque seront appelés mutakalamin.

En réponse au motazilisme, Abu al-Hasan al-Ash’ari, initialement un motaziliste lui-même, développa le Kalâm et fonda l’école de pensée asharite qui s’appuyait sur cette méthodologie. Ainsi le kalâm et la falsafa influenceront plusieurs madhhabs. Les Karaïtes, une branche du judaïsme, s’inspirent aussi peu à peu de la forme dialectique de la kalâm pour s’opposer à leurs adversaires. Ces philosophes se font appeler les Mas’udi18. Leurs arguments et raisonnement influenceront en retour les vues musulmanes.

Sous le califat des Abbassides, un certain nombre de penseurs et de scientifiques, et parmi eux de nombreux musulmans considérés comme « hérétiques » ou des non-musulmans, jouèrent un rôle dans la transmission à l’Occident des savoirs grec, indien, et d’autres sagesses préislamiques, mésopotamienne et iranienne. Trois penseurs spéculatifs, les deux Persans Al-Fârâbî19 et Avicenne, et l’Arabe al-Kindi, combinèrent l’aristotélisme et le néoplatonisme avec d’autres courants dans l’Islam. Ils furent considérés par beaucoup comme déviants par rapport à l’orthodoxie religieuse, et certains les jugèrent même comme des philosophes non-musulmans.

Les ismaéliens ne sont pas à l’écart de l’influence de la philosophie néoplatonicienne et plusieurs penseurs collaborent pour produire à Bassora une encyclopédie : la Ikhwan al-Safa.

XIIe siècle et falsafa

Le XIIe siècle voit l’apothéose de la philosophie pure et le déclin du Kalâm, plus tard. Cette exaltation de la philosophie doit être attribuée, pour une large part au persan Al-Ghazâlî et au juif Juda Halevi. En émettant des critiques, ils ont produit par réaction un courant favorable à la philosophie par une mise en cause des concepts et en rendant leurs théories plus logiques et plus claires[réf. nécessaire]. Avempace et Averroès ont produit des œuvres importantes de la philosophie. Averroès clôt le débat par son œuvre d’une certaine audace. La fureur des orthodoxes est en effet telle que le débat n’est plus possible. Ces derniers s’en prennent sans distinction à tous les philosophes et font brûler les livres. Avec la mort d’Averroès, l’école de pensée péripatétique arabe a décliné tandis que la perte de l’Espagne au profit des chrétiens permettra au débat de se poursuivre en Occident, par l’intermédiaire des Juifs, et plus particulièrement de Moïse Maïmonide.

En Orient, la philosophie péripatétique s’est poursuivie à la cour des empereurs ottomans, en Iran ou en Inde comme avec les philosophes méconnus comme Chah Waliullah et Ahmad Sirhindi. Des écoles se sont fondées telle que celle de Ibn Arabi, Sohrawardi et Molla Sadra Shirazi et sont toujours actives. De plus, la logique a continué à être enseignée dans les séminaires religieux jusqu’à aujourd’hui. Il est de tradition de séparer les écoles philosophiques concernées par les croyances chiites et celles qui ne le sont pas.[réf. nécessaire]

Du XIIe au XIXe

À partir du XIIe siècle, la pensée philosophique musulmane va se disperser dans des mouvements souvent empreints de beaucoup de mysticisme et de moins en moins d’esprit critique rationnel.[réf. nécessaire]

Par ailleurs, l’analyse et l’exégèse des textes est désormais figé par la « majorité » (concrètement « les pouvoirs politiques en place »).

Parmi les petits mouvements connus notamment en Perse, on peut citer :

  • la Philosophie illuminative (Sohrawardi)
  • la théosophie transcendante ou al-hikmat al-muta’li (حكمت متعالي)également issue de Perse
    Par la suite, il n’y a plus réellement eu de réflexion profonde sur l’Islam si ce n’est des divergences dans les Madhhab, le développement du Tasawwouf et l’essor de certaines Tariqa[réf. nécessaire].

De la Nahda à nos jours

La hikmah continue à être enseignée. La Nahda ou Renaissance voit se développer de nouvelles réflexions philosophiques, théologiques et politiques dans le monde islamique. Allama Muhammad Iqbal est un grand penseur du sous-continent indien qui a réformé et a revigoré la philosophie islamique au début du XXe siècle.

Article détaillé : Philosophie islamique contemporaine.

Philosophes islamiques - Article détaillé : Philosophes de l’islam.

Un faylasuf est un philosophe arabe, héritier de la philosophie grecque dans le contexte particulier de l’islam (falsafa). Les mutakalamin sont les partisans de la Kalâm.

Les principaux philosophes islamiques sont :

Penseur non concerné par les croyances chiites

Penseur directement concerné par les croyances chiites

  • Philosophes :
  • Théosophes :
  • Opposant à la philosophie :
  • Histoire de la philosophie :
  • Penseurs Gnostique et Soufiste :

D’autres penseurs contemporains sont également connus :

 Falsafa, arabe : الفلسفة الإسلامية.

  Histoire de la philosophie islamique, Gallimard, 1997, 523 pages, p. 21-22 (ISBN 2-07-032353-6)

  Dominique Urvoy, « Falsafa : ses aspects humanistes » [archive], Encyclopédie de l’humanisme méditerranéen, printemps 2014.

  Ian Richard Netton, « Neoplatonism in Islamic philosophy » [archive], sur Muslim Philosophy, 1998.

  Adeline Baldacchino et Michel Onfray, présentation de Diogène, Fragments inédits, Paris, Autrement, 2014.

  Inès Safi, « Atomisme, Kalâm et Tawhîd », surIslam & Science, le 5 novembre 2014 [archive].

  Ali Benmakhlouf, « Qu’est-ce que la philosophie islamique ? » [archive], Sciences humaines, Grands Dossiers – Hors-série n°4, nov./déc. 2015-jan. 2016.

  Coran 7:171.

  Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Paris, Gallimard, 1997, 523 pages, p. 24-25 (ISBN 2-07-032353-6)

  Hervé Bleuchot, « Chapitre II. Formation des principaux rites du droit musulman : 2e-3e/viii-ixe siècles », dans Droit musulman : Tome 1 : Histoire. Tome 2 : Fondements, culte, droit public et mixte, Presses universitaires d’Aix-Marseille, coll. « Droit et religions », 15 avril 2015 (ISBN 978-2-8218-5332-4, lire en ligne [archive]), p. 75–123

  Louis Gardet, M. M. Anawati et Georges C. Anawati, Introduction à la théologie musulmane : essai de théologie comparée, J. Vrin, 1948 (lire en ligne [archive])

  Mohyddin Yahiya. La pensée classique arabe. 3, L’aurore du kalam. 4, Le kalâmd’Al-Ash’Ari. 5, L’asharisme après al-Ash’ari. (en ligne [archive])

  Louis Gardet, M. M. Anawati et Georges C. Anawati, , J. Vrin, 1948 (lire en ligne [archive]), p. 75-76

  Ar-Rāzī. Traité sur les noms divins. Notice biographique par Maurice Gloton, p. 24 (en ligne)

  Roger Arnaldez, « L’œuvre de Fakhr al-Dīn al-Rāzi, commentateur du Coran et philosophe », Cahiers de Civilisation Médiévale, vol. 3, no 11,‎ 1960, p. 310 (DOI 10.3406/ccmed.1960.1153, lire en ligne [archive], consulté le 17 octobre 2021)

  Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique, Gallimard, 1964, p. 216

  Corbin 2017, p. 259.

  « Notes et Extraits des Manuscrits de la Bibliothèque Royale », viii. 349-351.

Muhsin Mahdi, La Fondation de la philosophie politique en Islam. La cité vertueuse d’Alfarabi, Paris, Champs-Flammarion, 2000.

Département:Philosophie islamique,

Source :https://fr.wikipedia.org/wiki/Philosophie_islamique

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    Abénaside ou Abenasid de Badajoz ou Ibn Assīd ou Ibn al-Sīd al-Baalyawsī (1052 – 1127) : grammairien et philosophe andalou – Traduction de Jacques Hallard - From Wikipedia, the free encyclopedia
    Grammairien - Abū Muḥammad ʿAbd Allāḥ ibn Muḥammad ibn al-Sīd al-Baṭalyawsī, également orthographié Ibn Assīd ou Abenasid, était un grammairien et philosophe andalou. Il est le premier philosophe islamique d’Occident dont les œuvres ont survécu. Wikipédia (anglais)

Abū MuḥammadAbabd Allāḥ ibn Muḥammad ibn al-Sīd al-Baṭalyawsī [1] (1052 – 1127), également orthographié Ibn Assīd [2] ou Abénaside [3], était un grammairien et philosophe andalou. Il est le premier philosophe islamique d’Occident dont les œuvres ont survécu. [4]

Ibn al-Sīd est né en 1052 (année 444 de l’Hégire) à Badajoz (arabe Baṭalyaws) à la cour d’al-MuaffAffar, le souverain afṭaside de Badajoz. [4] [5] Il a reçu une éducation littéraire et grammaticale.[4] Son professeur était Abū l-ḤasanAlalī ibn Aḥmad ibn Ḥamdūn al-muqrī al al-Baṭalyawsī, appelé Ibn al-Laṭīniyya, décédé en 1073.[6] [7] Lorsque Badajoz tomba aux mains des Almoravides en 1094 [8], Ibn al-Sīd se rendit à Teruel sur le territoire des Banū Razīn. Là, il a occupé le poste de kātib (secrétaire) du souverain, Abū MarwānAbabd al-Malik. Après être tombé en disgrâce, il s’enfuit à Tolède, puis à Saragosse et enfin à Valence. [4] [5] À Saragosse, quelque temps avant 1110, il rencontra le jeune philosophe Ibn Bājja, dont il débattit du rôle de la logique dans la grammaire. [2] [4] Il est resté à Saragosse pendant une dizaine d’années. [2] À Valence, il a enseigné Ibn Bachkuwāl. Il mourut vers la fin du mois de juillet 1127 (521 de l’Hégire) à Valence. [5]

Ibn al-Sīd a écrit une vingtaine d’ouvrages sur la grammaire, la philologie et la philosophie arabes. [5] Il a écrit un fahrasa (un aperçu de ses professeurs et des travaux qu’il a étudiés sous eux) et des commentaires sur l’Adab al-Kitāb d’Ibn Qutayba, le muwaṭṭaʾ de Mālik et le Saqṭ al-Zand d’al-MaarrArrī. Ce dernier a généré une forte réponse d’Ibn al-Arabī et un compteur d’Ibn al-Sīd intitulé al-Intiṣār mim-manadadala alan al-Istibṣār. [5]

Le commentaire sur Ibn Qutayba était intitulé Improvisation (al-IqtiāĀb). Il a également écrit sur les différences théologiques au sein de l’Islam dans Le Jugement équitable sur les Causes à l’origine des divergences dans la Communauté (al-Inṣāf fī al-asbāb al-mūjiba li-khtilāf al-umma).

Ses œuvres philosophiques les plus importantes sont le Livre des Questions (Kitāb al-MasāilIl) et le Livre des Cercles (Kitāb al-ḤadāiqQ). Ce dernier a été traduit en hébreu à deux reprises (y compris par Samuel ibn Tibbon) et est devenu influent dans les cercles juifs. Bahiya ibn Paquda et Isaac Abravanel l’ont utilisé. Parmi les musulmans, il était connu d’Ibn Ṭufayl et d’Ibn SabīĪn. [4]

Ibn al-Sīd fut l’un des premiers philosophes à chercher explicitement à réconcilier la religion islamique avec les ’sciences des anciens’. Dans le Livre des questions, il soutient que la philosophie et la religion sont deux moyens différents dans la poursuite du même but, la vérité. La religion établit les mêmes vérités par la persuasion et l’imagination que la philosophie par la démonstration. C’est parce que certains humains n’ont pas une compréhension suffisante pour saisir les vérités par démonstration. La démonstration de la religion se trouve finalement dans les miracles. La religion reste une condition préalable nécessaire à la philosophie car la poursuite de la vérité dépend de vertus qui ne peuvent venir que de la religion. Dans ce raisonnement, Ibn al-Sīd s’appuie fortement sur al-Fārābī.[4]

Dans le Livre des cercles, Ibn al-Sīd a introduit la métaphysique émanationniste à al-Andalus. Dérivé en fin de compte du néoplatonisme et de l’Encyclopédie néopythagorienne des Frères de la Pureté, en partie à travers al-Fārābī, le système métaphysique du Livre des Cercles est complexe et éclectique.

Ibn al-Sīd dit que ce système remonte à Socrate, Platon et Aristote. L’Intellect Agent éclaire l’intellect humain et la perfection de l’être humain se réalise en retournant à sa source par l’étude, dans l’ordre croissant, des mathématiques, de la physique, de la métaphysique et de la théologie. Ensuite, l’union avec l’Intellect Agent est atteinte. Le cinquième chapitre traite de la question de la théologie négative, le septième et dernier chapitre de l’immortalité de l’âme. Ce dernier a été incorporé textuellement dans les Questions siciliennes du XIIIème siècle. [4]

Remarques

Arabic : أَبُو مُحَمَّدٍ عَبْدُ اللَّهِ بْنُ مُحَمَّدِ بْنِ السَّيِّدِ الْبَطَلْيَوْسِيُّ‎

Beech 2008, p. 152.

Peña Martín 2007, p. 425.

Geoffroy 2011.

Lévi-Provençal 1960.

Rebollo Ávalos 1997, p. 270.

Serrano Ruano 2002, p. 82.

Messier 2020, p. 115.

Bibliographie

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    Ibnou an-Nafis, le grand savant musulman oublié - ParDr Mohamed Chtatou10 juin 2023 à 10 h 21 min – Longue contribution médicale de ‘oumma.com’
    La théorie de la circulation pulmonaire a mis plus de 2000 ans à voir le jour, telle que nous la connaissons aujourd’hui. Au fil du temps, différentes personnes se sont vu attribuer des crédits. 
    i Certains disent qu’elle a été donnée à Galen (130–199) ; d’autres disent que c’est Michael Servetus (1511–1553) ; d’autres encore disent que c’est Realdus Columbus (1516–1559) qui en a fait la découverte ; d’autres encore ont donné le crédit à Ibnou an-Nafis, et enfin on a donné le crédit à William Harvey (1578–1657).

Mais après la redécouverte du manuscrit n° 62243 d’Ibnou an-Nafis intitulé Sharh Tashrîh al-Qânûn, ou “Commentaire sur l’anatomie du Canon d’Avicenne” en 1924 
iien Europe, il est apparu clairement qu’Ibnou an-Nafis avait décrit la circulation pulmonaire presque 300 ans avant Harvey, et les historiens comme Aldo Mieli, Max Mayrhoff, Edward Coppola etc. affirment clairement qu’Ibnou an-Nafis est le véritable découvreur de la circulation pulmonaire et qu’il faut lui attribuer le mérite de la découverte de la circulation pulmonaire. 
iii

Qui est Ibnou an-Nafis ?

Ibnou an-Nafis (1213-1288) était un médecin arabe qui a apporté plusieurs contributions importantes aux premières connaissances sur la circulation pulmonaire. Il a été le premier à remettre en question l’affirmation de l’école de Galien selon laquelle le sang pouvait passer à travers le septum interventriculaire du cœur, et il pensait que tout le sang qui atteignait le ventricule gauche passait par le poumon. Il a également affirmé qu’il devait y avoir de petites communications ou pores (manâfidh en arabe) entre l’artère et la veine pulmonaires, une prédiction qui a précédé de 400 ans la découverte des capillaires pulmonaires par Marcello Malpighi.

Ibnou an-Nafis est un autre éminent physiologiste de l’époque, Avicenne (vers 980-1037), ils appartiennent à la longue période qui sépare l’école de Galien, extrêmement influente au IIe siècle, de la Renaissance scientifique européenne au XVIe siècle. Il s’agit d’une époque à laquelle les physiologistes accordent souvent peu d’attention, mais qui est connue de certains historiens comme l’âge d’or islamique. 
iv

Son nom complet était cAlâ’ ad-Din Abu al-Hassan cAli Ibn Abi-Hazm al-Qarshi ad-Dimashqi (en Arabe : علاء الدين أبو الحسن عليّ بن أبي حزم القرشي الدمشقي), et il n’est donc pas surprenant qu’il soit communément appelé Ibnou an-Nafis. 
v Il est né à Damas (ou tout près) en 1213 et y a fait ses études de médecine à l’hôpital du Collège médical (Bimaristan an-Noori). À l’âge de 23 ans, il s’installe au Caire où il travaille d’abord à l’hôpital an-Nassri, puis à l’hôpital al-Mansouri, où il devient médecin en chef.

Il n’a que 29 ans lorsqu’il publie son œuvre la plus importante, le Commentaire sur l’Anatomie dans le Canon d’Avicenne, qui comprend ses vues révolutionnaires sur la circulation pulmonaire et le cœur. 
vi Il a également travaillé sur un énorme manuel, The Comprehensive Book of Medicine. Ce livre n’a jamais été achevé, mais il s’agissait de la plus grande encyclopédie médicale de l’époque et il est toujours consulté par les spécialistes. 
vii

Ibnou an-Nafis était un musulman sunnite orthodoxe, il a beaucoup écrit dans des domaines autres que la médecine, notamment le droit, la théologie, la philosophie, la sociologie et l’astronomie. Il est également l’auteur de l’un des premiers romans arabes traduits sous le titre Theologus Autodidactus. Il s’agit d’une histoire de science-fiction sur un enfant élevé sur une île déserte isolée qui finit par entrer en contact avec le monde extérieur.

En 1236, Ibnou an-Nafis s’installe au Caire, en Égypte. Il travaille à l’hôpital an-Nassri, puis à l’hôpital al-Mansouri, où il devient le “chef des médecins” En 1242, alors âgé d’environ 29 ans, il publie son œuvre la plus célèbre, le Commentaire sur l’Anatomie dans le Canon d’Avicenne, qui contient de nombreuses découvertes anatomiques, notamment sur les circulations pulmonaire et coronaire. Peu après, il a commencé à travailler sur le Livre complet de la médecine, dont il avait déjà publié 43 volumes en 641 de l’hégire (1243-1244 de l’ère chrétienne), alors qu’il avait environ 31 ans.

En plus d’être médecin, Ibnou an-Nafis donnait des cours de fiqh (jurisprudence) à l’école al-Masrûriyya du Caire. L’inclusion de son nom dans le Tabaqât as-Skâfi’yyin ar-Rubrâ (“Grandes classes de savants shâfici“) de Tãj al-Din al-Subki (m. 1370) indique son éminence en droit religieux. Il a écrit son Kitb ash-Shâmil fi as-Sinâca at-Tibbiyya (“Livre complet sur l’art de la médecine“) alors qu’il avait une trentaine d’années. On dit qu’il s’agissait de 300 volumes de notes, dont il n’a publié que quatre-vingts.

On pensait que cette œuvre volumineuse était perdue jusqu’en 1952, date à laquelle un volume important mais fragmentaire a été catalogué parmi les manuscrits islamiques de la bibliothèque universitaire de Cambridge. Beaucoup plus tôt, la Bodleian Library avait catalogué quatre manuscrits de cette œuvre, sans en identifier l’auteur. En 1960, trois manuscrits autographes (MS Z276) ont été trouvés à la Lane Medical Library de l’université de Stanford, dont l’un est désigné par l’auteur comme le trente-troisième mujallad (volume). Les deux autres manuscrits sont ses quarante-deuxième et quarante-troisième volumes, ce dernier étant daté de 641/1243-1244. Un autre manuscrit du même livre existe à al-Mathaf al-cIrâqî, Bagdad ; et az- Zirikli mentionne un manuscrit à Damas (qui ne fait pas partie de la collection Zâhiriyya) sans préciser de bibliothèque particulière.

Ibnou an-Nafis a grandi à une époque de troubles politiques en Syrie et en Égypte, pendant les Croisades et les invasions mongoles. Après le sac de Bagdad en 1258, la Syrie a été temporairement occupée par l’Empire mongol en 1259, qui a ensuite été repoussé par le sultan égyptien Baibars à la bataille d’Ain Jalut en 1260. Comme d’autres musulmans traditionalistes de son époque, Ibnou an-Nafis pensait que ces invasions étaient peut-être une punition divine contre les musulmans qui s’écartaient de la Sunnah. Entre 1260 et 1277, il est devenu le médecin personnel du sultan Baibars.

En conséquence, les falâsifah (philosophes), dont certains avaient des idées incompatibles avec la Sunnah, sont devenus la cible des critiques d’un certain nombre de musulmans traditionalistes. D’autre part, Ibnou an-Nafis, qui était lui-même un traditionaliste, a tenté de concilier la raison et la révélation dans certaines de ses œuvres afin de montrer qu’il existe une harmonie entre la religion et la philosophie.

En tant que traditionaliste, Ibnou an-Nafis n’appréciait pas non plus l’usage abusif du vin en tant qu’automédication, tout en citant des raisons médicales et religieuses à son encontre, affirmant que “je ne rencontrerai pas Dieu, le Très-Haut, avec du vin en moi“. Son image d’érudit religieux respectueux de Dieu et de la Sunnah, de philosophe rationnel intelligent et de médecin accompli a eu une impression positive tant sur les traditionalistes que sur les rationalistes. Le fait que l’étudiant d’Ibnou an-Nafis était Abu Hayyan Al Gharnati, un Imam et Hafiz célèbre à l’époque, a également séduit les traditionalistes comme ad-Dhahabi.

Ibnou an-Nafis est mort le 17 décembre 1288 de l’ère chrétienne (11 Dhu al-Qicdah 687 AH), et a fait don à titre posthume de sa maison, de sa bibliothèque et de sa clinique à l’hôpital Mansouri.

La science islamique du VIIIe au XVIe siècle

Les personnes qui s’intéressent à l’histoire de la physiologie ont tendance à se déplacer rapidement sur les 1300 ans qui séparent l’épanouissement de l’école gréco-romaine de Galien au deuxième siècle des débuts de la Renaissance européenne. L’une des raisons en est l’extraordinaire influence que l’enseignement de Galien a exercée pendant plus de 1400 ans. Par exemple, lorsque William Harvey 
viii était à l’université de Cambridge à la fin des années 1500, une partie de son enseignement comprenait les écrits de Galien. E

n fait, certains des enseignements de Galien, par exemple sur les saignées, étaient encore suivis au XVIIIe siècle. Cependant, avec l’épanouissement de la Renaissance scientifique en Europe aux XVe et XVIe siècles, les enseignements de Galien ont été de plus en plus remis en question par des savants tels que Michael Servetus, Realdus Colombus, Juan Valverde (1525-1587), Andreas Vesalius, et enfin William Harvey. La tentation est donc grande d’ignorer les quelque 1300 ans qui se sont écoulés depuis.

D’un autre côté, certains historiens des sciences qualifient la période allant du XIIIe au XVIe siècle d’âge d’or islamique. Cette terminologie est inexacte, mais elle est un raccourci pour désigner l’activité scientifique qui s’est déroulée dans une vaste région d’Europe et d’Asie allant de la péninsule ibérique et de l’Afrique du Nord, à l’ouest, à la vallée de l’Indus, à l’est, et de l’Arabie du Sud, au sud, à la mer Caspienne, au nord.

Certains chercheurs préfèrent l’expression “science arabe” car la plupart des documents étaient rédigés en arabe, qui était la lingua franca de la région. Cependant, tous les scientifiques n’étaient pas arabes ; en effet, certains des plus éminents, comme Avicenne (980-1037), étaient persans. En outre, si la plupart des savants étaient musulmans, ce n’était pas le cas de tous. 
ix

Un certain nombre d’institutions savantes importantes se sont développées au cours de cette période. Parmi les centres les plus importants, citons Bagdad, Damas et Le Caire. Ces institutions comprenaient des groupes d’érudits dans des écoles qui ressemblaient à de nouvelles universités en ce sens qu’elles étaient constituées de collections d’universitaires et d’enseignants partageant les mêmes idées. Il y avait également des hôpitaux universitaires, des bibliothèques et des observatoires.

Par exemple, Damas, où Ibnou an-Nafis a été formé, s’enorgueillit de l’hôpital Nasiri au XIIe siècle, qui a attiré de nombreux médecins universitaires, dont ad-Dakhwar, qui a amassé une grande bibliothèque de textes médicaux. Selon une autorité, l’université d’al-Qaraouine à Fès, au Maroc, peut prétendre être la plus ancienne université du monde, ayant été fondée en 859. Le Caire possédait l’université al-Azhar, qui a vu le jour au Xe siècle et proposait des diplômes universitaires.

L’une des caractéristiques de ces institutions était l’émergence de polymathes, c’est-à-dire de savants qui travaillaient dans un grand nombre de domaines différents. Cependant, Ibnou an-Nafis a écrit dans un éventail déconcertant de domaines, dont la physiologie, la médecine, l’ophtalmologie, l’embryologie, la psychologie, la philosophie, le droit et la théologie.

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L’un des écrits les plus importants d’Ibnou an-Nafis est son Commentaire sur l’anatomie dans le canon d’Avicenne (Sharh Tashrîh al-Qânûn Ibn Sina). Avicenne est généralement désigné par son nom latin plutôt que par Ibn Sina. Il était l’un des plus illustres savants de l’époque, bien qu’il ait précédé Ibnou an-Nafis de quelque 200 ans. Avicenne est né en Perse, dans la province de Boukhara, qui fait aujourd’hui partie de l’Ouzbékistan, et est souvent considéré comme le père de la médecine moderne. 
x

Ses enseignements ont perduré dans de nombreuses universités islamiques et européennes jusqu’au début du XIXe siècle. Il s’est particulièrement intéressé à la pharmacologie clinique, à la physiologie expérimentale, aux maladies infectieuses et aux essais cliniques, mais a également apporté des contributions à la physique. Ses manuels les plus célèbres sont Le Canon de la médecine et Le Livre de la guérison. En raison de problèmes politiques, il a été contraint de déménager fréquemment à l’âge adulte, mais a passé la majeure partie de sa vie dans ce qui est aujourd’hui l’Iran moderne. Avicenne était peut-être le plus éminent érudit de l’âge d’or islamique.

La circulation pulmonaire

À l’époque d’Ibnou an-Nafis, les enseignements de Galien et de son école étaient en vigueur depuis un millier d’années. Avicenne a beaucoup étudié les écrits de Galien et les a quelque peu embellis. 
xiSelon Galien, les aliments présents dans l’intestin subissaient une “concoction” et étaient transportés jusqu’au foie où le sang était formé et imprégné d’un “esprit naturel“. Le sang s’écoulait ensuite vers le ventricule droit où une partie pénétrait dans les poumons via l’artère pulmonaire pour les nourrir, mais le reste du sang atteignait le ventricule gauche par des “pores invisibles” dans le septum interventriculaire. 
xii

L’existence de ces “pores” a été une énigme pour les anatomistes pendant plus d’un millier d’années, mais ils étaient une caractéristique nécessaire du schéma de Galien car on ne se rendait pas compte qu’une grande quantité de sang circulait des poumons vers le cœur. 
xiii Dans le ventricule gauche, le sang était mélangé au “pneuma” de l’air inhalé, et le résultat était la formation de “l’esprit vital“, qui était distribué dans tout le corps par le sang artériel. 
xiv Une partie atteint le cerveau où il reçoit l’”esprit animal“, qui est ensuite distribué par les nerfs, considérés comme creux. La formation de l’”esprit vital” dans le ventricule gauche entraînait la production de déchets fuligineux (suie) qui retournaient au poumon par la veine pulmonaire et étaient ensuite expirés avec la respiration. 
xv

Tout d’abord Ibnou an-Nafis, a affirmé catégoriquement que le septum interventriculaire entre les ventricules droit et gauche n’était pas poreux, et ne pouvait pas permettre au sang de le traverser comme cela était critique dans le modèle de Galien. Voici la traduction anglaise faite par Meyerhof 
xvi de la section du livre d’Ibnou an-Nafis identifiée comme fol. 46 r :

“… but there is no passage between these two cavities [right and left ventricles] ; for the substance of the heart is solid in this region and has neither a visible passage, as was thought by some persons, nor an invisible one which could have permitted the transmission of blood, as was alleged by Galen. The pores of the heart there are closed and its substance is thick.”

[“… mais il n’y a pas de passage entre ces deux cavités [ventricules droit et gauche] ; car la substance du cœur est solide dans cette région et n’a ni un passage visible, comme le pensaient certaines personnes, ni un passage invisible qui aurait pu permettre la transmission du sang, comme le prétendait Galien. Les pores du cœur y sont fermés et sa substance est épaisse”.]

Cette négation énergique de la perméabilité du septum interventriculaire est également répétée ailleurs dans le commentaire. Par exemple, dans la section identifiée comme fol 65 r et v, la traduction de Meyerhof est la suivante :

There is no passage at all between these two ventricles ; if there were the blood would penetrate to the place of the spirit [left ventricle] and spoil its substance. Anatomy refutes the contentions [of former authors] ; on the contrary, the septum between the two ventricles is of thicker substance than other parts to prevent the passage of blood or spirits which might be harmful. Therefore, the contention of some persons to say that this place is porous, is erroneous ; it is based on the preconceived idea that the blood from the right ventricle had to pass through this porosity–and they are wrong !”

[” Il n’y a aucun passage entre ces deux ventricules ; s’il y en avait un, le sang pénétrerait jusqu’au lieu de l’esprit [ventricule gauche] et en gâterait la substance “. L’anatomie réfute les affirmations [des auteurs précédents] ; au contraire, la cloison entre les deux ventricules est d’une substance plus épaisse que les autres parties pour empêcher le passage du sang ou des esprits qui pourraient être nuisibles. Par conséquent, l’affirmation de certaines personnes qui disent que cet endroit est poreux, est erronée ; elle est basée sur l’idée préconçue que le sang du ventricule droit devait passer à travers cette porosité – et elles ont tort !”.]

Deuxièmement, comme il n’y a pas de communication entre les ventricules droit et gauche à travers le septum interventriculaire, il s’ensuit que la sortie du ventricule droit ne peut atteindre le ventricule gauche que par la circulation pulmonaire. Dans la section du Commentaire identifiée comme fol. 46 r, la traduction de Meyerhof se lit comme suit :

the blood after it has been refined in this cavity [right ventricle], must be transmitted to the left cavity where the [vital] spirit is generated.”

[“le sang, après avoir été raffiné dans cette cavité [ventricule droit], doit être transmis à la cavité gauche où l’esprit [vital] est généré”.]

Dans la section identifiée comme fol. 65 r et v, la traduction en question est comme suit :

For the penetration of the blood into the left ventricle is from the lung, after it has been heated within the right ventricle and risen from it, as we stated before.”

[“Car la pénétration du sang dans le ventricule gauche se fait à partir du poumon, après qu’il ait été chauffé dans le ventricule droit et qu’il en soit sorti, comme nous l’avons dit précédemment”.]

Troisièmement, dans un autre court passage, Ibnou an-Nafis affirme qu’il doit y avoir de petites communications entre l’artère pulmonaire et la veine pulmonaire. Il s’agit d’une prédiction inspirée de l’existence des capillaires pulmonaires, car ceux-ci n’ont été vus que 400 ans plus tard par Marcello Malpighi (1628-1694). Voici la traduction de la section pertinente du fol. 46 r :

And for the same reason there exists perceptible passages (or pores, manafidh) between the two [blood vessels, namely pulmonary artery and pulmonary vein.”

[“Et pour la même raison, il existe des passages perceptibles (ou pores, manafidh) entre les deux [vaisseaux sanguins, à savoir l’artère pulmonaire et la veine pulmonaire”.]

Traductions en latin

Le Sharh al-Adwiya al-Murakkaba (Commentaire sur les drogues composées) est un commentaire sur la dernière partie du Canon de la médecine d’Avicenne concernant la pharmacopée, qui a été écrit par Ibnou an-Nafis quelque temps avant qu’il ne rédige son Commentaire sur l’anatomie dans le Canon d’Avicenne en 1242. Le Commentaire sur les médicaments composés contient toutefois les critiques des doctrines de Galien sur le cœur et les vaisseaux sanguins et traite dans une certaine mesure du système circulatoire.

Cet ouvrage a ensuite été traduit en latin par Andrea Alpago de Belluno (mort en 1520), qui avait vécu en Syrie pendant une trentaine d’années avant de revenir en Italie avec une collection de livres de médecine arabe. Une version imprimée de sa traduction était disponible à Venise à partir de 1547.

L’ouvrage d’Ibnou an-Nafis sur le pouls, où il critique les théories avicenniennes et galéniques et les corrige, a également été traduit en latin par Andrea Alpago quelque temps avant 1522 et imprimé à Venise en 1547. 
xvii

On sait que le Commentaire sur l’anatomie dans le Canon d’Avicenne d’Ibnou an-Nafis, qui décrit pour la première fois les circulations pulmonaire et coronaire, était également disponible à Venise sous forme de manuscrit arabe, et on pense qu’il a pu être traduit en latin par Andrea Alpago. Avec les traductions latines de son Commentaire sur les drogues composées et de son travail sur le pouls, il a pu avoir une influence sur les descriptions de la circulation pulmonaire données par Michael Servetus (décédé en 1553), Realdo Colombo (décédé en 1559) et William Harvey (1578-1657).

A propos des traductions, Edward D. Coppola a écrit : 
xviii

“A possible way by which Ibn an-Nafis’ theory of the pulmonary circulation could have reached the West […] Andrea Alpago knew of Ibn an-Nafis, had read his exposition on the Vth canon of Avicenna, his exposition on the book of Samarcandi and was familiar with certain of Ibn an-Nafis’ ideas concerning the cardio-vascular system. […] It is possible that somewhere among the unpublished manuscripts of Andrea Alpago is to be found a rendering of Ibn an-Nafis’ description of the lesser circulation. Certainly such manuscripts are extant. […] It is possible that these and other manuscripts left by Andreas Alpago may yet come to light, and that among them we eventually may find a description of the pulmonary circulation by Ibn an-Nafis.”

[“Une voie possible par laquelle la théorie d’Ibn an-Nafis sur la circulation pulmonaire aurait pu atteindre l’Occident […] Andrea Alpago connaissait Ibn an-Nafis, avait lu son exposition sur le Vème canon d’Avicenne, son exposition sur le livre de Samarcandi et était familier avec certaines des idées d’Ibn an-Nafis concernant le système cardio-vasculaire. […] Il est possible que quelque part parmi les manuscrits non publiés d’Andrea Alpago se trouve un rendu de la description de la petite circulation d’Ibn an-Nafis. Il existe certainement de tels manuscrits. […] Il est possible que ces manuscrits et d’autres manuscrits laissés par Andreas Alpago puissent encore être mis au jour, et que parmi eux nous puissions éventuellement trouver une description de la circulation pulmonaire par Ibn an-Nafis.”]

Et Joseph Schacht a écrit : 
xix

“A possible influence of the theory of Ibn al-Nafis on the three sixteenth century authors in the light of what we now know of Andrea Alpago, cannot be ruled out any longer. […] Servetus shows a specific knowledge of the theory of Ibn al-Nafis on whom he is dependent more than his two contemporaries ; he made additions of his own, partly anatomical, partly theoretical, which recur, elaborated and partly modified, in Colombo. […] Colombo probably had direct knowledge of the theory of Ibn al-Nafis.”

[“Une éventuelle influence de la théorie d’Ibn al-Nafis sur les trois auteurs du XVIe siècle, à la lumière de ce que nous savons maintenant d’Andrea Alpago, ne peut plus être exclue. […] Servetus montre une connaissance spécifique de la théorie d’Ibn al-Nafis dont il dépend plus que ses deux contemporains ; il a fait des ajouts de son cru, en partie anatomiques, en partie théoriques, qui reviennent, élaborés et en partie modifiés, dans Colombo. […] Colombo avait probablement une connaissance directe de la théorie d’Ibn al-Nafis.”]

L’héritage

Pendant et après sa vie, l’encyclopédie médicale en 80 volumes d’Ibnou an-Nafis, The Comprehensive Book on Medicine, avait fini par remplacer The Canon of Medicine d’Avicenne (Ibn Sînâ) comme autorité médicale dans le monde islamique médiéval. À partir du XIIIe siècle, les biographes, historiens et critiques musulmans ont considéré Ibnou an-Nafis comme le plus grand médecin de l’histoire, certains le qualifiant de “deuxième Ibn Sînâ” et d’autres le considérant comme encore plus grand que tous ses prédécesseurs. Ad-Dhahabi (décédé en 1348) et al-Isnawī (décédé en 1370) le considéraient comme ” inégalé en médecine de son vivant et inégalé dans sa préparation des traitements médicinaux et des déductions médicales “, tandis que les biographes Tāj ad-Dīn as-Subkī (décédé en 1370) et Ibn Qadi Shuhba écrivaient : 
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” En ce qui concerne la médecine, il n’y a jamais eu personne sur cette terre comme [Ibn al-Nafīs]. Certains disent qu’après Ibn Sīnā, il n’y en a jamais eu un comme [Ibn al-Nafīs], tandis que d’autres disent qu’il était meilleur qu’Ibn Sīnā dans le traitement pratique.”

Un certain nombre de commentaires arabes ultérieurs du Canon de la médecine, notamment ceux de Sadid ad-Din Muhammad ibn Mascud al-Kazaruni en 1344 et d’Ali ibn Abdallah Zayn al-cArab al-Misri en 1350, comprenaient et répétaient les descriptions de la circulation pulmonaire d’Ibnou an-Nafis, ce qui suggère que la connaissance de sa découverte était assez répandue parmi les médecins musulmans du monde islamique.

Peu après que son Commentaire sur l’anatomie dans le Canon d’Avicenne ait été redécouvert à l’époque moderne, George Sarton, le “père de l’histoire des sciences”, a écrit ce qui suit sur l’importance de la découverte de la circulation pulmonaire par Ibnou an-Nafis pour l’histoire de la médecine : 
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“If the authenticity of Ibn al-Nafis’ theory is confirmed his importance will increase enormously for he must be considered one of the main forerunners of William Harvey and the greatest physiologist of the Middle Ages.”

[“Si l’authenticité de la théorie d’Ibn al-Nafis est confirmée, son importance augmentera énormément car il doit être considéré comme l’un des principaux précurseurs de William Harvey et le plus grand physiologiste du Moyen Âge.”]

Theologus Autodidactus

Ar-Risâlah al-Kâmiliyyah fi as-Sayrah an-Nabawiyyah (الرسالة الكاملية في السيرة النبوية Le traité de Kamil sur la biographie du Prophète), également connu sous le nom de Risālat Fādil ibnou Nātiq (Le livre de Fādil ibn Nātiq), est le premier roman théologique, écrit par Ibnou an-Nafis et traduit plus tard en Occident sous le titre Theologus Autodidactus
xxii Cette œuvre est l’un des premiers romans arabes, le premier roman de science-fiction, et le premier exemple d’histoire d’île déserte et de passage à l’âge adulte. Ce roman a été écrit entre 1268 et 1277 de notre ère. 
xxiii

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Section du texte arabe du Commentaire sur l’anatomie dans le Canon d’Avicenne par Ibnou an-Nafis traitant de la circulation pulmonaire. Cet extrait indique qu’il n’existe aucune connexion entre les deux cavités du cœur (ventricules droit et gauche) et que le sang ne peut pas traverser le septum (interventriculaire).

L’intrigue de ce roman est le premier exemple d’histoire d’île déserte, de passage à l’âge adulte et de science-fiction. Le protagoniste de l’histoire est Kamil, un adolescent autodidacte, enfant sauvage, généré spontanément dans une grotte et vivant reclus sur une île déserte. 
xxiv Il finit par entrer en contact avec le monde extérieur après l’arrivée de naufragés qui font naufrage et s’échouent sur l’île et qui le ramènent ensuite avec eux dans le monde civilisé. L’intrigue se transforme progressivement en une histoire de passage à l’âge adulte, puis devient le premier exemple de roman de science-fiction lorsqu’elle atteint son apogée avec une apocalypse catastrophique. 
xxv

Ibnou an-Nafis utilise l’intrigue pour exprimer plusieurs de ses propres thèmes religieux, philosophiques et scientifiques sur une grande variété de sujets, notamment la biologie, la cosmologie, l’empirisme, l’épistémologie, l’expérimentation, la futurologie, la géologie, l’eschatologie islamique, la philosophie naturelle, la philosophie de l’histoire et de la sociologie, la philosophie de la religion, la physiologie, la psychologie et la téléologie.

Ibnou an-Nafis a donc été un pionnier du roman philosophique. À travers l’histoire de Kamil, Ibnou an-Nafis a tenté d’établir que l’esprit humain est capable de déduire les vérités naturelles, philosophiques et religieuses de l’univers par le raisonnement et la pensée logique. Les “vérités” présentées dans l’histoire comprennent la nécessité de l’existence de Dieu, la vie et les enseignements des prophètes de l’islam, ainsi qu’une analyse du passé, du présent et de l’avenir, y compris les origines de l’espèce Homo Sapiens et une prédiction générale de l’avenir sur la base de l’historicisme et du déterminisme historique.

Les deux derniers chapitres de l’histoire ressemblent à une intrigue de science-fiction, où la fin du monde, le jugement dernier, la résurrection et la vie après la mort sont prédits et expliqués scientifiquement à l’aide de ses propres connaissances empiriques en biologie, astronomie, cosmologie et géologie. L’un des principaux objectifs du Theologus Autodidactus était d’expliquer les enseignements religieux islamiques en termes de science et de philosophie à l’aide d’un récit fictif, ce qui constituait une tentative de réconcilier la raison et la révélation et d’estomper la frontière entre les deux. 
xxvi

Ibnou an-Nafis décrit le livre comme une défense du “système de l’islam et des doctrines des musulmans sur les missions des prophètes, les lois religieuses, la résurrection du corps et le caractère transitoire du monde“. Il présente des arguments rationnels en faveur de la résurrection corporelle et de l’immortalité de l’âme humaine, en utilisant à la fois un raisonnement démonstratif et des éléments tirés du corpus de hadiths pour prouver son point de vue. Plus tard, les érudits islamiques ont considéré cet ouvrage comme une réponse à l’affirmation métaphysique d’Avicenne selon laquelle la résurrection corporelle ne peut être prouvée par la raison, un point de vue qui avait déjà été critiqué par al-Ghazali. 
xxvii

L’intrigue du Theologus Autodidactus se voulait une réponse à Ibn Tufail (Abubacer), qui a écrit le premier roman de fiction arabe Hayy ibn Yaqdhan (Philosophus Autodidactus
xxviii qui était lui-même une réponse à L’incohérence des philosophes d’al-Ghazali. Ibn al-Nafis a donc écrit le récit du Theologus Autodidactus comme une réfutation des arguments d’Abubacer dans le Philosophus Autodidactus. Ces deux récits avaient des protagonistes (Hayy dans Philosophus Autodidactus et Kamil dans Theologus Autodidactus) qui étaient des individus autodidactes générés spontanément dans une grotte et vivant en réclusion sur une île déserte, les deux étant les premiers exemples de récit d’île déserte.

Cependant, alors que Hayy vit seule avec des animaux sur une île déserte pour le reste de l’histoire dans Philosophus Autodidactus, l’histoire de Kamil dépasse le cadre de l’île déserte dans Theologus Autodidactus, se développant en une intrigue de passage à l’âge adulte et devenant finalement le premier exemple de roman de science-fiction. Le but derrière ce changement de structure de l’histoire dans Theologus Autodidactus était de réfuter l’argument d’Abubacer selon lequel l’autodidactisme peut conduire aux mêmes vérités religieuses que la révélation, alors qu’Ibnou an-Nafis croyait que les vérités religieuses ne peuvent être atteintes que par la révélation, qui est représentée par les interactions de Kamil avec les autres humains. 
xxix

Ash-Shâmil fi at-Tibb (Livre complet de la médecine)

Le plus volumineux de ses livres est ash-Shâmil fi at-Tibb (Livre complet de la médecine), une encyclopédie médicale qu’Ibnou an-Nafis a commencé immédiatement après avoir terminé son commentaire sur l’anatomie dans le Canon d’Avicenne en 1242. 
xxx Il avait déjà publié 43 volumes en 641 AH (1243-1244 CE). Au cours des décennies suivantes, il a rédigé des notes pour 300 volumes, mais il n’a pu en publier que 80 avant sa mort en 1288. 
xxxi Même incomplet, Le Livre complet de la médecine est l’une des plus grandes encyclopédies médicales connues de l’histoire, et il était beaucoup plus volumineux que le plus célèbre Canon de la médecine d’Avicenne. Cependant, seuls quelques volumes du Comprehensive Book on Medicine ont survécu. 
xxxii

À ce jour, 28 volumes du Livre complet de la médecine ont été retrouvés, qui sont actuellement en cours d’édition et de publication dans une série par Y. Ziedan, qui a publié deux volumes jusqu’à présent. Seuls quelques-uns des volumes consacrés à la chirurgie et à l’urologie ont fait l’objet de recherches à ce jour. 
xxxiii

Trois manuscrits sur la chirurgie, comprenant les volumes 33, 42 et 43 du Comprehensive Book on Medicine, ont été retrouvés à Damas et à la Lane Medical Library de l’Université de Stanford. L’un des trois manuscrits conservés (MS Z 276) du Livre complet de la médecine est divisé en trois talim. Le premier talim compte vingt chapitres et traite des “principes généraux et absolus de la chirurgie”, le deuxième talim traite des instruments chirurgicaux et le troisième examine tous les types d’opérations chirurgicales connus. Seuls les cinq premiers chapitres du premier talim ont été traduits en anglais et leur contenu est le suivant : 
xxxiv

  • “Sur les différentes étapes des opérations chirurgicales, et le rôle du patient dans chaque étape”.
  • “Sur le rôle du médecin au moment de la présentation, du traitement chirurgical et de la conservation.
  • “Sur une discussion détaillée du rôle du médecin au moment de la présentation”.
  • “Sur les éléments auxquels le médecin doit prêter attention au moment du traitement chirurgical.
  • “Sur la posture du patient pendant le traitement chirurgical”
    Ibnou an-Nafis affirme que pour qu’une opération chirurgicale soit réussie, il faut accorder toute son attention à trois étapes de l’opération. La première étape est la période préopératoire qu’il appelle le “moment de la présentation“, lorsque le chirurgien effectue un diagnostic de la zone affectée du corps du patient. La deuxième étape est l’opération proprement dite, qu’il appelle le “moment du traitement opératoire“, lorsque le chirurgien répare les organes affectés du patient. La troisième étape est la période post-opératoire qu’il appelle le “temps de préservation“, lorsque le patient doit prendre soin de lui-même et être pris en charge par les infirmières et les médecins jusqu’à ce qu’il se rétablisse “par la volonté de Dieu“. Pour chaque étape, il donne des descriptions détaillées sur les rôles du chirurgien, du patient et de l’infirmière, ainsi que sur la manipulation et l’entretien des instruments chirurgicaux utilisés. 
    xxxv Le Livre complet de la médecine est également le premier ouvrage traitant du décubitus d’un patient. 
    xxxvi

Certaines sections de l’ouvrage traitent également de l’urologie, notamment des problèmes de dysfonctionnement sexuel et de dysfonctionnement érectile. Ibnou an-Nafis a été l’un des premiers à prescrire des drogues testées cliniquement comme médicaments pour le traitement de ces problèmes. Ses traitements étaient principalement des médicaments oraux, bien que quelques patients aient également été traités par des moyens topiques ou transurétrales.

“Le commentaire sur l’anatomie dans le canon d’Avicenne”

Ibnou An-Nafis a écrit le livre “Le commentaire sur l’anatomie dans le canon d’Avicenne” alors qu’il avait 29 ans. Ce livre, considéré comme son plus important, comprend ses vues révolutionnaires sur la circulation pulmonaire et le cœur. 
xxxvii Ibnou an-Nafis a déclaré dans l’introduction de son commentaire que ses descriptions des organes internes étaient basées sur les connaissances des savants précédents qui pratiquaient la dissection comme Galien, mais qu’il n’incluait pas les théories erronées de ces auteurs précédents.

Le livre comporte deux parties. La première concerne les organes internes et comporte cinq chapitres sur les os (en 30 sections), les muscles (29 sections), les nerfs (en six sections), les artères (cinq sections) et les veines (cinq sections). La deuxième partie comporte 20 chapitres sur le cerveau, les yeux, les oreilles, le nez, la bouche et la langue, le pharynx, le larynx et les poumons, le cœur, la poitrine, l’œsophage et l’estomac, le foie, la vésicule biliaire, la rate, les intestins, les reins, la vessie urinaire, les testicules et les tubes séminifères, le pénis, l’utérus, et enfin sur l’accouchement d’un fœtus.

Le livre contient également des dessins de sutures crâniennes, ainsi que de la mâchoire supérieure et des muscles abdominaux. Il divise les articulations, dans la section osseuse, en trois types : articulation entre deux os, comme les os de la tête (articulation immobile dans la terminologie moderne) ; articulation entre deux cartilages comme ceux des os longs des membres ; et articulation entre os et cartilage comme celle du sternum. Il précise que Galien ne considérait pas le premier type comme une articulation. Il a décrit et nommé les os du crâne, les sutures du crâne, et les os de la mâchoire supérieure et inférieure, signalant deux os dans la mâchoire inférieure. Il ignorait donc qu’al-Baghdadi avait réfuté cette idée en 1203.

Dans la deuxième partie, sur le système musculaire, Ibnou an-Nafis a suivi les dispositions d’Ibn Sîna et a expliqué en détail ses descriptions de chaque région, a ajouté quelques commentaires, et a clarifié le sens de certaines phrases. Dans ses descriptions des nerfs crâniens, il a déclaré que la première paire (optique) se réunit au niveau du chiasma optique, et qu’Ibn Sîna a dit qu’ils se croisent, c’est-à-dire que le nerf droit va à l’œil gauche et le nerf gauche à l’œil droit. Cependant, il dit aussi que Galien pensait qu’ils ne faisaient que se rencontrer puis se séparer sans se croiser, ce qui était la théorie commune à l’époque.

En outre, il a écrit que certains anatomistes ont décrit les troisième et quatrième paires (branches du trijumeau) comme un seul nerf, mais Galien les a décrites comme deux nerfs qui se mélangent au début et se séparent ensuite. En ce qui concerne le cinquième nerf crânien (vestibulocochléaire et facial), il écrit qu’Ibn Sîna pourrait se tromper dans sa description, car il pense que chaque nerf de la cinquième paire est double et se divise en deux nerfs. Il explique ensuite la différence entre les artères et les veines pulmonaires.

Il est important de noter que dans ce livre, la circulation pulmonaire est décrite, pour la première fois, de manière très détaillée : cette circulation n’était pas décrite par Galien, et seul al-Akhawayni avait fourni quelques détails précis à son sujet. Il contredit les rapports de Galien sur la présence d’un chemin de “pores invisibles” ou d’un trou visible entre les cavités droite et gauche, et affirme que le sang se déplace vers le poumon par les vena arteriosa (artères pulmonaires). Là, il se mélange à l’air et est filtré, puis il retourne à la cavité gauche via l’arteria venosa (veine pulmonaire) (Ibnou an-Nafis, date inconnue).

Ibnou an-Nafis a également supposé que les nutriments du cœur proviennent des artères coronaires et a réfuté l’affirmation d’Ibn Sîna selon laquelle l’arteria venosa (veine pulmonaire) nourrit les poumons, car pour lui ce vaisseau transporte le sang vers le cœur et non vers les poumons. Inversement, il n’a pas contesté les descriptions erronées d’Ibn Sîna concernant l’aorte ascendante. Dans la partie concernant le système veineux, il a déclaré que Galien décrivait le cœur comme l’origine des artères, le foie comme l’origine des veines, et le cerveau et la moelle épinière comme l’origine des nerfs, alors qu’Aristote pensait que les artères et les veines provenaient du cœur. 
xxxviii Ibn Sïna avait soutenu que ces deux auteurs grecs étaient partiellement corrects, mais Ibnou an-Nafis s’est opposé aux deux et a défendu que les vaisseaux sanguins ne proviennent pas d’autres organes, mais se forment comme tout autre organe sans origine spécifique.

Dans sa description du cerveau, Ibnou an-Nafis a caractérisé les quatre ventricules cérébraux, et a rejeté la présence de cavités vides, qui sont pleines d’esprit/pneuma et qui sont supposées être responsables du pouvoir de sensation, du pouvoir d’illusion, du pouvoir de mémoire, et ainsi de suite, car il n’en a vu aucune.

Il a défini l’enveloppe du cerveau, le tentorium, la fissure cérébrale longitudinale, le système veineux cérébral et le cercle de Willis. Ses descriptions de l’œil sont similaires à celles des savants précédents, avec trois humeurs et sept couches. Cependant, il a déclaré que l’humeur glaciale (lentille) n’est pas responsable de la vision car elle est recouverte d’une couche sombre (iris), et selon lui cette couche sombre recevait la vision.

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Illustration de la circulation pulmonaire selon Ibnou an-Nafis (1210-1288)

Dans la section, sur les poumons, il a déclaré qu’ils reçoivent leurs nourritures par les vena arteriosa (artères pulmonaires), et les arteria venosa (veines pulmonaires) transportent le sang et l’air à la cavité gauche du cœur. De plus, il écrit que l’aorte descendante passe derrière le diaphragme au niveau de C12, et non à travers le diaphragme comme le fait l’œsophage, comme le propose Ibn Sîna. Il illustre le cœur et précise qu’il n’y a pas d’os à sa base, et que les seuls os de cette zone sont ceux qui forment la cage thoracique. Il complète ensuite sa description de la circulation pulmonaire et écrit : 
xxxix

“Il (Ibn Sîna) a dit qu’il (le cœur) a trois ventricules, mais ce n’est pas vrai. En effet, le cœur n’a que deux ventricules, l’un rempli de sang, du côté droit, et l’autre rempli de pneuma, du côté gauche. Il n’y a absolument aucun passage entre ces deux-là, car sinon le sang passerait à la place du pneuma et dégraderait son essence. Et (en outre) la dissection (tashrih) réfute ce qu’ils ont dit, car le septum (hâjiz) entre les deux ventricules est beaucoup plus épais qu’ailleurs”.

Pratique de la dissection

Il convient de noter que le mot arabe pour dissection (tashrîh) est utilisé pour l’anatomie en tant que description du corps humain, la pratique de la science de la dissection et le sens médico-légal de l’autopsie. 
xl Il n’y a pas de soutien ou d’opposition explicite à la dissection humaine ou animale dans le Coran (le “livre saint”), le hadith (les paroles et les traditions attribuées au prophète Mohammad) et la Sunnah (les “pratiques coutumières de la toute première communauté musulmane“). 
xli

La littérature rapporte largement que la dissection humaine était interdite par la loi de l’Islam, et il n’est pas facile de répondre sans équivoque si la dissection anatomique humaine était souvent pratiquée ou non dans la société islamique médiévale. 
xlii Cependant, la plupart des érudits musulmans semblaient considérer l’étude de l’anatomie comme un moyen d’accroître “leur foi en Dieu et d’apprécier sa sagesse“. 
xliii

Au moins quelques cas dans lesquels les savants musulmans ont fait des progrès, par rapport à la connaissance du corps humain de Galien, suggèrent qu’il y a eu quelques observations directes des structures anatomiques internes de l’homme, bien qu’il soit difficile de discerner si elles ont été faites à partir de dissections systématiques, ou à partir de pratiques telles que l’examen de personnes malades, blessées ou mortes.

À l’époque où Ibnou an-Nafis étudiait le corps humain, la dissection était interdite, mais n’était mentionnée dans aucun texte de jurisprudence ou de tradition islamique. Cependant, de nombreux chercheurs soutiennent qu’Ibnou an-Nafis aurait eu besoin de pratiquer une dissection pour être en mesure de voir la circulation pulmonaire.

La question de savoir si Ibnou an-Nafis a participé ou non à une dissection pour parvenir à ses conclusions sur la circulation pulmonaire fait l’objet d’un débat. Bien qu’il affirme dans ses écrits qu’il n’a pas pu pratiquer la dissection en raison de ses croyances, d’autres chercheurs ont noté qu’Ibnou an-Nafis a dû soit pratiquer la dissection, soit voir un cœur humain pour parvenir à ses conclusions.

Selon un point de vue, ses connaissances sur le cœur humain pourraient provenir d’opérations chirurgicales plutôt que de la dissection. D’autres commentaires trouvés dans les écrits d’Ibnou an-Nafis, comme le fait de rejeter des observations antérieures en faisant référence à la dissection comme preuve, soutiennent cependant l’idée qu’il a pratiqué la dissection pour parvenir à ses conclusions sur le cœur humain et la circulation pulmonaire. Les commentaires contraires d’Ibnou an-Nafis et les explications alternatives laissent, cependant planer le doute sur sa possible pratique de la dissection.

La source de ces progrès anatomiques originaux réalisés par les savants musulmans pourrait être la dissection d’êtres humains ou d’animaux, la pratique de la chirurgie ou l’observation de cadavres d’humains morts accidentellement, comme dans le cas d’al-Baghdadi. Il est important de souligner que l’impact d’autres facteurs – par exemple les coutumes d’inhumation, les croyances concernant le cadavre – doit être étudié de manière plus approfondie. Sur la base des détails fournis par au moins certains érudits musulmans antérieurs à Vésale, ainsi que sur le fait qu’au moins certains d’entre eux font explicitement référence à l’importance de la dissection dans leurs œuvres (par exemple, ar-Razi, Ibn Rushd et Ibnou an-Nafis), il semble probable qu’au moins certains de ces érudits pratiquaient une certaine forme de dissection humaine.

Ibnou an-Nafis l’ophtalmologue

L’ophtalmologie était l’une des branches les plus importantes de la médecine islamique médiévale. L’oculiste ou kahhâl (کحال), un professionnel quelque peu méprisé à l’époque de Galien, était un membre honoré de la profession médicale à l’époque abbasside, occupant une place unique dans les maisons royales. Les scientifiques islamiques médiévaux (contrairement à leurs prédécesseurs classiques) considéraient qu’il était normal de combiner la théorie et la pratique, y compris la fabrication d’instruments précis, et trouvaient donc naturel d’associer l’étude de l’œil à l’application pratique de ces connaissances. Les instruments spécialisés utilisés dans leurs opérations se comptent par dizaines. Des innovations telles que la “seringue à injection”, une aiguille creuse, inventée par Ammar ibn Ali de Mossoul, qui était utilisée pour l’extraction par aspiration des cataractes molles, étaient assez courantes.

L’ophtalmologie est une branche de la médecine qui traite des problèmes de santé de l’œil. Les savants arabes et musulmans ont apporté une contribution précieuse à la médecine moderne en général et à l’ophtalmologie en particulier. 
xliv Par exemple, Ibn al-Haytham (Alhazen), un scientifique arabe et musulman, a beaucoup écrit sur l’optique et l’anatomie de l’œil. En fait, Ibn al-Haytham est considéré comme celui qui a fait les premiers pas dans la science de la vision par ses écrits et ses explications. 
xlv Un autre scientifique arabo-musulman est Ibnou an-Nafis, qui vivait à Damas et a écrit sur la médecine et les maladies des yeux.

En 1210, Ibnou an-Nafis a écrit un traité intitulé “Le livre parfait sur l’ophtalmologie“, qui traite de concepts théoriques, notamment de la physiologie et de la structure de l’œil et de la pathologie des affections oculaires. La seconde partie décrit en détail certaines des techniques permettant de guérir les affections et vient s’ajouter à l’immense sagesse transmise dans le monde islamique, puis en Europe.

Share Ce manuscrit, daté d’environ 1200 CE, est conservé à la Bibliothèque nationale du Caire. L’image de la copie est de Zereshk. L’œil selon Hunain ibn Ishaq. (Domaine public).

L’ophtalmologie est la branche de la médecine qui traite de l’anatomie, de la physiologie et des maladies de l’œil, y compris l’œil, le cerveau et les zones entourant l’œil, telles que le système lacrymal et les paupières. 
xlvi

La science de la médecine est aujourd’hui divisée en plusieurs branches, ce qui n’était pas le cas au Moyen Âge. Pour devenir praticien, il n’y avait pas de voie tracée, Il suffisait d’étudier les livres de médecine et de se former auprès d’un médecin expérimenté. Pour devenir ophtalmologue, une licence était accordée par Hakim-bashi, médecin royal du calife. Avant, il n’y avait pas de certification médicale, lorsque le calife abbasside al-Muqtadir (895-932) a demandé à Sinan Ibn Sabit d’examiner et d’approuver les médecins. Les ophtalmologistes devaient donc prouver à l’examinateur qu’ils connaissaient les principales maladies de l’œil ainsi que leurs complications complexes, et qu’ils étaient capables de préparer correctement les collyres et les onguents ophtalmiques. De plus, ils devaient affirmer sous serment qu’ils ne permettaient pas à des personnes non autorisées d’avoir accès à des instruments chirurgicaux, tels que la lancette utilisée dans les cas de pannus et de ptérygium, ou la curette utilisée dans les cas de trachome. Par rapport à un médecin, l’ophtalmologue reçoit des petits honoraires.

En 1210, Ibnou an-Nafis a écrit un traité intitulé al-Muhaddab fi al-Kuhl al-Mujarrab “Le livre parfait sur l’ophtalmologie“, qui traite de concepts théoriques, notamment de la physiologie et de la structure de l’œil et de la pathologie des affections oculaires. La seconde partie décrit en détail certaines des techniques permettant de guérir les affections et ce traité est venu s’ajouter à l’immense sagesse transmise dans le monde islamique, puis en Europe.

Ibnou an-Nafis a découvert que le muscle situé derrière le globe oculaire ne soutient pas le nerf ophtalmique, qu’il n’entre pas en contact avec lui, et que les nerfs optiques se croisent mais n’entrent pas en contact l’un avec l’autre. Il a également découvert de nombreux nouveaux traitements pour le glaucome et la faiblesse de la vision dans un œil lorsque l’autre œil est affecté par une maladie.

Conclusion

La plupart des récits sur l’histoire des sciences anatomiques passent rapidement de la période gréco-romaine à la Renaissance européenne. Ils ignorent les contributions scientifiques des savants musulmans au cours de l’âge d’or islamique (VIIIe-XIIIe siècle), qui ont comblé – du moins dans de nombreux domaines scientifiques – le fossé entre les cultures orientale et occidentale.

L’examen de la littérature montre clairement que si, à certains égards, les savants musulmans ont suivi l’anatomie de Galien, nombre d’entre eux y ont apporté des contributions originales majeures, notamment en ce qui concerne l’ostéologie, le cœur et la circulation pulmonaire, le cercle de Willis, les relations entre les uretères et la vessie, et l’œil, entre autres. Les connaissances anatomiques accumulées pendant l’âge d’or islamique, compilées par exemple par des savants musulmans comme Ibnou an-Nafis, sont nettement plus proches des connaissances actuelles que celles fournies par Galien.

D’un autre point de vue, comment les découvertes d’Ibnou an-Nafis sont-elles parvenues en Europe pendant 400 ans, mais sont restées enfouies dans des archives allemandes jusqu’en 1936 de notre ère, de sorte qu’il n’a pas reçu le crédit occidental de sa découverte, qui est revenu à William Harvey en 1628 ?

Pourquoi Ibnou an-Nafis a-t-il été victime d’une autre percée oubliée réalisée par un Arabe quatre siècles avant la “redécouverte” européenne, comparable à l’association de mots et à la thérapie par la parole d’Ibn Sîna qui ont précédé Sigmund Freud de 800 ans, à la théorie de la sélection naturelle d’al-Jâhiz qui a précédé Darwin de 1000 ans, ou aux travaux oubliés d’Ibn al-Haytham sur l’optique au début du XIe siècle qui ont permis à Copernic de découvrir l’orbite de la terre autour du soleil au XVIIe siècle ?

Ibnou an-Nafis est un médecin, scientifique et philosophe arabe né en 1213 à Damas et mort en 1288 au Caire. Il a étudié la médecine à Damas et s’est rendu en Égypte pour pratiquer la médecine où il est devenu le médecin en chef du Bimaristan Mansouri. Ibnou an-Nafis était un parfait polymathe, il a écrit dans un grand nombre de domaines, notamment la physiologie, la médecine, l’ophtalmologie, l’embryologie, la psychologie, la philosophie, le droit et la théologie.

Il est célèbre pour avoir fourni la première description de la circulation pulmonaire. Il a été le premier à remettre en question la théorie de l’école de Galien (129-207 après J.-C.) selon laquelle le sang pouvait passer du côté droit au côté gauche du cœur par de petits pores dans le septum interventriculaire. Il pensait que tout le sang qui atteignait le ventricule gauche passait par les poumons. Les travaux d’Ibnou an-Nafis sur la circulation pulmonaire sont antérieurs à ceux, bien plus tardifs, de William Harvey (1578 -1657).

Ibnou an-Nafis a beaucoup contribué à l’avancement des connaissances médicales et de la science au XIIIe siècle. Il était également impliqué dans la jurisprudence, la politique et les études anatomiques. Bien qu’ophtalmologue de formation, il est aujourd’hui surtout connu pour sa découverte de la petite circulation ou circulation pulmonaire. Son travail a été le premier à contredire les enseignements acceptés de Galien, qui existaient depuis le deuxième siècle de notre ère. Sa description comprenait l’observation que la paroi du septum n’est pas poreuse, que ce soit de manière grossière ou macroscopique, comme le croyaient les chercheurs précédents.

Par conséquent, le sang de la circulation veineuse devait être dirigé par l’artère pulmonaire (“artère veineuse”) à travers les poumons pour être “mélangé à l’air” et être drainé vers le côté gauche du cœur par la veine pulmonaire (“veine artérielle”). Cette découverte a conduit à un changement dans les observations historiques selon lesquelles la circulation pulmonaire a été découverte par des scientifiques européens au XVIe siècle et a amené beaucoup de gens à se demander si ces scientifiques avaient eu accès aux ouvrages traduits d’Ibnou an-Nafis. Ibnou an-Nafis était dévoué à son travail et à sa religion. Il a beaucoup contribué à l’ensemble des connaissances en anatomie et en médecine et a été un médecin éminent et exceptionnel.

En conclusion, on peut dire qu’il y a eu un biais historique complexe dans les récits occidentaux sur l’histoire de la biologie et de l’anatomie qui n’a pas permis de comprendre pleinement l’histoire des découvertes anatomiques. Ce manque de compréhension contribue à la propagation de stéréotypes malheureux et, surtout, ne permet pas de comprendre correctement l’histoire des connaissances anatomiques, de la biologie et de la science dans son ensemble.

Share Chronologie des érudits musulmans du VIIe au XIIIe siècle après JC. La rangée inférieure montre les années en Hijri, c’est-à-dire après le calendrier islamique

PS. Vous pouvez suivre le Professeur Mohamed Chtatou sur Twitter : @Ayurinu

Notes de fin de texte :


i Fancy, Nahyan. “Pulmonary Transit and Bodily Resurrection : The Interaction of Medicine, Philosophy and Religion in the Works of Ibn al-Nafīs (d. 1288).” Electronic Theses and Dissertations, University of Notre Dame, 2006.

Traditionnellement, les historiens des sciences ne se sont intéressés à la science islamique qu’en raison de sa relation avec la science grecque et de la manière dont elle a contribué à transporter Aristote, Ptolémée et Galien en Occident. En outre, les succès et les échecs de la science islamique ont été jugés à l’aune de la révolution scientifique. Ainsi, le contexte réel des travaux des scientifiques et des médecins islamiques a été négligé, ce qui a donné une image déformée de la science dans les sociétés islamiques. Cette thèse vise à corriger cette image en replaçant la médecine islamique dans son contexte. Ce faisant, elle fournit un nouveau cadre permettant de comprendre la relation entre la raison et la révélation dans les sociétés islamiques, et suggère de nouvelles façons de revisiter le problème du déclin de la science islamique. La thèse examine spécifiquement le corpus d’écrits d’un médecin-juriste égyptien, Ibnou an-Nafīs (m. 1288), mieux connu des historiens des sciences occidentales comme le découvreur de la circulation pulmonaire du sang.


ii Bittar, E. Edward. “A Study of Ibn Nafis (Continued)”, Bulletin of the History of Medicine 29.5, 1955, pp. 429-447.


iii Chéhadé, A. K. Ibn an-Nafis et la Découverte de la Circulation Pulmonaire. Damas, Syrie : Institut Français de Damas, 1955.


iv Iskandar, Albert Z. “Ibn al-Nafis”, Dictionary of Scientific Biography, Vol. 9, 1974, pp. 602-606.


v
أبو الحسن علاء الدين علي بن أبي الحرم القَرشي الدمشقي الملقب بابن النفيس ويعرف أحياناً بالقَرَشي بفتح القاف والراء نسبة إلى بلدة (القرَش) التي تقع بقرب دمشق. (607هـ/1213م، دمشق – 687هـ/1288 م) هو عالم وطبيب عربي مسلم، له مساهمات كثيرة في تطور الطب، ويعد مكتشف الدورة الدموية الصغرى ويعتبر من رواد علم وظائف الأعضاء في الإنسان، حيث وضع نظريات يعتمد عليها العلماء إلى الآن. عين رئيس أطباء مصر. ويعتبره كثيرون أعظم شخصية طبية في القرن السابع الهجري

وقد درس ابن النفيس أيضًا الفقه الشافعي، كما كتب العديد من الأعمال في الفلسفة، وكان مهتما بالتفسير العقلاني للوحي. وخلافًا لبعض معاصريه والسلف، اعتمد ابن النفيس على العقل في تفسير نصوص القرآن والحديث. كما درس اللغة والمنطق والأدب


vi Haddad, Sami I., & Amin A. Khairallah. “A forgotten chapter in the history of the circulation of the blood”, Annals of surgery 104.1, 1936, p. 1.


vii Bittar, E. Edward. “A study of Ibn Nafis”, Bulletin of the History of Medicine, vol. 29, no. 4, The Johns Hopkins University Press, 1955, pp. 352–68, http://www.jstor.org/stable/44443956.


viii Keynes, G. The Life of William Harvey. Oxford : Clarendon Press, 1978.


ix Ullmann, M. Islamic medicine. (Islamic Surveys II). Edinburgh : Edinburgh University Press ; 1997.


x Chtatou, Mohamed. ‘’Ibn Sînâ (Avicenne), le Prince de la médecine’’, Oumma, 10 janvier 2022. https://oumma.com/ibn-sina-avicenne-le-prince-de-la-medecine-2/


xi Loukas, Marios, et al. “Ibn Al-Nafis (1210–1288) : The First Description of the Pulmonary Circulation”, The American Surgeon, vol. 74, no. 5, May 2008, pp. 440–442, doi:10.1177/000313480807400517.


xii Al-Ghazal, S. K. ‘’Ibn al-Nafis and the Discovery of Pulmonary Circulation’’, FSTC Limited, 2007, pp. 1-7.


xiii Al-Ghazal, S. K. ‘’The Discovery of the Pulmonary Circulation – Who Should Get Credit : Ibn Al-Nafis or William Harvey’’, JISHIM 2002 ; 2, 2002, pp. 46-48.


xiv Masic, I. ‘’On Occasion of 800th Anniversary of Birth of Ibn al-Nafis – Discoverer of Cardiac and Pulmonary Circulation’’, MED ARH 2010 ; 64(5), 2010, pp. 309-313.


xv West, J. B. ‘’Ibn al-Nafis, the Pulmonary Circulation, and the Islamic Golden Age’’, J Appl Physiol 2008 ; 105, 2008, pp.1877-1880.


xvi Meyerhof, Max. “Ibn an-Nafis und seine Theorie des Lungenkreislaufs”, Quellen und Studien zur Geschichte der Naturwissen-schafen und der Medizin 1935.4, 1935, pp. 37-88.


xvii Raphaela Veit, “L’intérêt d’Andrea Alpago (m. 1521 ou 1522) pour le Shah Ismāʿīl Ier et les doctrines du šīʿisme duodécimain”, MIDÉO, 35 | 2020. http://journals.openedition.org/mideo/4866


xviii Coppola, Edward D. “The Discovery of the Pulmonary Circulation”, Bullet. Hist. Mid. 31, 1957, pp. 44-77 [67, 70-71, 74].


xix Schacht, Joseph. “Ibn Al-Nafis, Servetus and Colombo”, Al-Andalus 22, p. 319-336 [330].


xx Fancy 2006, op. cit., pp. 58 & 61-62.


xxi George Sarton (cf. Dr. Paul Ghalioungui (1982), “The West denies Ibn Al Nafis’s contribution to the discovery of the circulation”, Symposium on Ibn al-Nafis, Second International Conference on Islamic Medicine : Islamic Medical Organization, Kuwait)
(cf. The West denies Ibn Al Nafis’s contribution to the discovery of the circulation, Encyclopedia of Islamic World).


xxii Ibn Al-Nafis. Theologus Autodidactus, édité avec une introduction, une traduction et des notes par Max Meyerhof & Joseph Schacht. Oxford : Oxford University Press, 1968 (première publication en 1277).

https://islamtheologyscience.files.wordpress.com/2012/09/theologus-autodidactus-of-ibn-al-nafis.pdf

Cette œuvre, écrite entre 1268 et 1277, est l’un des premiers romans arabes et peut être considérée comme un exemple précoce de science-fiction, de passage à l’âge adulte et d’île déserte. Le protagoniste de l’histoire est Kamil, un adolescent autodidacte, enfant sauvage, généré spontanément dans une grotte et vivant reclus sur une île déserte. Il finit par entrer en contact avec le monde extérieur après l’arrivée de naufragés qui font naufrage et s’échouent sur l’île, et le ramènent ensuite avec eux dans le monde civilisé.


xxiii Mahdi, Muhsin. “Remarks on the ‘Theologus Autodidactus’ of Ibn Al-Nafīs”, Studia Islamica, no. 31, [Brill, Maisonneuve & Larose], 1970, pp. 197-209, https://doi.org/10.2307/1595073.


xxiv Mahdi, Muhsin.”The Theologus Autodidactus of Ibn at-Nafis by Max Meyerhof, Joseph Schacht”, Journal of the American Oriental Society 94 (2), 1974, pp. 232-234.


xxv Ibid.


xxvi Al-Roubi, Abu Shadi. “Ibn Al-Nafis as a philosopher”, Symposium on Ibn al-Nafis, Second International Conference on Islamic Medicine : Islamic Medical Organization, Kuwait (cf. Ibn al-Nafis As a PhilosopherEncyclopedia of Islamic World, 1982 [1])


xxvii Fancy 2006, op. cit., pp. 42 & 60.


xxviii Muhammad B. Abd Al-Malik Tufayl. Philosophus Autodidactus, Sive Epistola ABI Jaafar Ebn Tophail de Hai Ebn Yokdhan. Auckland, New Zealand : TheClassics.Us, 2013.

http://www.muslimphilosophy.com/books/hayy.pdf

Ibn Tufail a tiré le nom du conte et la plupart de ses personnages d’une œuvre antérieure d’Ibn Sina (Avicenne). Le livre d’Ibn Tufail n’est cependant ni un commentaire ni une simple reprise de l’œuvre d’Ibn Sina, mais une œuvre nouvelle et innovante à part entière. Il reflète l’une des principales préoccupations des philosophes musulmans (plus tard aussi des penseurs chrétiens), celle de réconcilier la philosophie avec la révélation. En même temps, le récit anticipe d’une certaine manière Robinson Crusoé et l’Émile de Rousseau. Il raconte l’histoire d’un enfant qui est élevé par une gazelle et qui grandit dans un isolement total des humains. En sept phases de sept ans chacune, par le seul exercice de ses facultés, Hayy franchit toutes les gradations du savoir. L’histoire de Hayy Ibn Yaqdhan est similaire à celle de Mowgli dans le Livre de la jungle de Rudyard Kipling : un bébé est abandonné sur une île tropicale déserte où il est soigné et nourri par une mère loup.

Le Philosophus Autodidactus d’Ibn Tufail a été écrit en réponse à The Incoherence of the Philosophers d’al-Ghazali. Au XIIIe siècle, Ibnou an-Nafis a écrit Ar-Risâlah al-Kâmiliyyah fi as-Sayra an-Nabawiyyah (connu sous le nom de Theologus Autodidactus en Occident) en réponse au Philosophus Autodidactus d’Ibn Tufail.

Hayy Ibn Yaqdhan a eu une influence considérable sur la littérature arabe et la littérature européenne, et il est devenu un best-seller influent dans toute l’Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècles. L’ouvrage a également eu une profonde influence sur la philosophie islamique classique et la philosophie occidentale moderne. Il est devenu l’un des livres les plus importants qui ont annoncé la révolution scientifique” et les Lumières européennes, et les pensées exprimées dans le roman se retrouvent dans différentes variations et à différents degrés dans les livres de Thomas Hobbes, John Locke, Isaac Newton et Emmanuel Kant.

Une traduction latine de l’œuvre, intitulée Philosophus Autodidactus, est parue pour la première fois en 1671, préparée par Edward Pococke le Jeune. La première traduction anglaise (par Simon Ockley) a été publiée en 1708. Ces traductions ont ensuite inspiré à Daniel Defoe l’écriture de Robinson Crusoé, qui comporte également le récit d’une île déserte et constitue le premier roman en anglais. Le roman a également inspiré le concept de “tabula rasa” développé dans l’Essai sur l’entendement humain (1690) de John Locke, qui était un élève de Pococke. Cet essai est devenu l’une des principales sources de l’empirisme dans la philosophie occidentale moderne et a influencé de nombreux philosophes des Lumières, tels que David Hume et George Berkeley. Les idées de Hayy sur le matérialisme dans le roman présentent également certaines similitudes avec le matérialisme historique de Karl Marx. Elles préfigurent également le problème de Molyneux, proposé par William Molyneux à Locke, qui l’a inclus dans le deuxième livre de An Essay Concerning Human Understanding. Parmi les autres auteurs européens influencés par le Philosophus Autodidactus, citons Gottfried Leibniz, Melchisédech Thévenot, John Wallis, Christiaan Huygens, George Keith, Robert Barclay, les Quakers, Samuel Hartlib et Voltaire.


xxix Fancy 2006, op. cit., pp. 95-102.


xxx Iskandar, Albert Z. “Ibn al-Nafis”, in Helaine Selin, Encyclopaedia of the History of Science, Technology, and Medicine in Non-Western Cultures. Dodrecht, Netherlands : Kluwer Academic Publishers, 1997.


xxxi Iskandar, Albert Z. “Ibn al-Nafis”, Dictionary of Scientific Biography9, 1974, pp. 602–606 [602-603].


xxxii Fancy, Nahyan A. G. “Pulmonary Transit and Bodily Resurrection : The Interaction of Medicine, Philosophy and Religion in the Works of Ibn al-Nafīs (d. 1288)”Electronic Theses and Dissertations (University of Notre Dame), 2006, p. 61. http://etd.nd.edu/ETD-db/theses/available/etd-11292006-152615


xxxiii Abdel-Halim, R. E. “Contributions of Ibn Al-Nafis to the progress of medicine and urology : A study and translations from his medical works”, Saudi Medical Journal 29 (1), 2008, pp. 13–22 [15].


xxxiv Iskandar, Albert Zaki. “Comprehensive Book on the Art of Medicine”, Symposium on Ibn al Nafis, Second International Conference on Islamic Medicine : Islamic Medical Organization, Kuwait, 1982. (cf. Comprehensive Book on the Art of MedicineEncyclopedia of Islamic World)


xxxv Ibid.


xxxvi Iskandar 1974, op. cit., p. 603.


xxxvii West, J. B., 2008, op. cit., 1877-1880.


xxxviii Leroi, Armand Marie. The lagoon : How Aristotle invented science. London : Bloomsbury Publishing, 2014.


xxxix Savage-Smith, E. “Attitudes toward dissection in medieval Islam”, J Hist Med Allied Sci 50, 1995, pp. 67-110, [102].


xl Ibid.


xli Ibid.


xlii Ibid.


xliii Abdel-Halim, Rabie E. & Thoraya E. Abdel-Maguid. “The functional anatomy of the uretero-vesical junction. A historical review”, Saudi medical journal 24.8, 2003, pp. 815-819.


xliv Syed, Ibrahim B. “Islamic Medicine : 1000 years ahead of its times”, Jishim 2, 2002, pp. 2-9.


xlv Gorini, R. “Al-Haytham the Man of Experience. First Steps in the Science of Vision”, JISHIM 2(4), 2003, pp. 53–55.


xlvi Savage-Smith, E. “Ibn Al-Nafis’s Perfected Book on Ophthalmology and His Treatment of Trachoma and Its Sequelae”, Journal for the History of Arabic Science, vol. 4, 1980, pp. 147–204.

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Annexe critique - Comptes-rendus - Talal Asad, Wendy Brown, Judith Butler, Saba Mahmood, « La critique est-elle laïque ? Blasphème, offense et liberté d’expression », Lyon, PUL, 2016, 188p. – Par Mohamed Amer-Meziane - - https://doi.org/10.4000/teth.817 -

Auteur : Mohamed Amer-Meziane Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

1 Cet ouvrage réunit quatre articles autour d’une même question, celle de la laïcité, de la critique, de son sens et de ses limites.

2 La culture intellectuelle européenne tient en effet la sécularité pour la condition de toute critique. On peut citer la formule de Marx, comme le fait Wendy Brown dans l’introduction de l’ouvrage : « la critique de la religion est la condition de toute critique. Toute critique serait donc séculière, areligieuse ».

  • 1 Sur ce renversement de la laïcité en France et en Europe voir mon introduction au dossier de la Rev (...)
    3 Pourtant, la conjoncture actuelle, notamment européenne, semble être celle d’une convergence entre les revendications de laïcité et l’islamophobie1.

Cette « laïcité » qui se définit par opposition à l’« islam » est désormais revendiquée par des partis d’extrême droite, notamment en France et en Hollande. La nouvelle pensée réactionnaire qui en résulte semble imperméable aux critiques traditionnelles de la gauche humaniste. Serait-ce parce que la première a dépossédé la seconde de ses valeurs en se les réappropriant ? Serait-ce parce que, même dans les rangs de cette « gauche », la critique publique des religions est encore perçue comme le fondement de tout discours « progressiste », comme la condition de toute émancipation humaine et politique ?

Lorsque la droite fait de cette liberté d’expression un bien que les sociétés libres doivent défendre face à « l’envahisseur », elle explicite parfois ce qu’une part non négligeable de la dite « gauche » pense. Tel est peut-être le sens de nombreuses revendications de la « liberté d’expression » aujourd’hui : énoncer un consensus national autour de « nos valeurs ».

4 Cette liberté de critiquer la religion des autres est-elle, dans un tel contexte, encore émancipatrice lorsque ses formes publiques conduisent de plus en plus souvent à faire le jeu de ces logiques nationalistes ? Les principes de la lutte contre le cléricalisme en Europe dont la caricature fait partie semblent paradoxalement devenir les moyens par lesquels la gauche laïque s’accorde avec les héritiers historiques des partis de l’ordre et de la religion. La défense du droit de blasphémer devient ainsi la défense de l’identité laïque de la nation contre les musulmans et Charlie Hebdo devient identifié à « l’esprit français ».

Ce renversement doit nous interpeller car il indique que la caricature des religions n’est pas, par définition, un geste émancipateur ni même subversif. Dès lors, la pensée critique ne doit-elle pas désormais prendre la tradition séculière de la critique des religions pour objet ? Cette tâche critique n’est-elle pas urgente lorsque les formes existantes de l’« attitude critique » telles que la caricature tendent à justifier les assignations à résidence religieuses et l’exclusion autoritaire des sujets qualifiés de « musulmans » hors de la sphère publique ? Une telle critique serait-elle encore « laïque » ? Si elle n’était pas laïque, que serait-elle ?

  • 2 Talal Asad est professeur d’anthropologie à la City University de New York. Saba Mahmood est profes (...)
    5 Telles sont les questions que les articles de Talal Asad, Wendy Brown, Judith Butler et Saba Mahmood permettent à mon sens d’éclairer2. Il faut se réjouir de la traduction de cet ouvrage, car il constitue une rencontre entre plusieurs champs de la pensée critique contemporaine qui, malgré leur importance à l’échelle internationale, demeurent encore peu connus en France : principalement l’anthropologie critique du sécularisme et de l’islam impulsée par Talal Asad et la façon dont celle-ci questionne et renouvelle les études sur le genre. Ces articles affrontent des questions qui sont les nôtres parce qu’elles questionnent le devenir de l’Europe et des musulmans européens. C’est à ce titre qu’ils doivent attirer notre attention.

6 C’est en analysant la polémique suscitée par la publication des caricatures danoises du prophète Muhammad et reprises par Charlie Hebdo en 2006 que les auteurs tentent de répondre à la question de la laïcité de la critique. Il y est question des limites de l’insulte, de l’offense et du blasphème. Les deux articles qui forment la matrice de ce débat sont ceux de Talal Asad, l’un des anthropologues les plus influents à l’échelle mondiale, et de celle qui fut son étudiante, Saba Mahmood, auteure des Politiques de la piété. L’article de Wendy Brown introduit les questions et les enjeux posés par ces auteurs et Judith Butler tente essentiellement de répondre à Asad et Mahmood en déterminant certains des enjeux de leur réflexion ; ce qui conduit aux deux courts textes de réaction d’Asad et Mahmood aux remarques de Butler par lesquelles s’achève l’ouvrage.

  • 3 Le concept clé du travail d’Asad est celui de sécularisme. Sur ce concept voir la traduction publié (...)
    7 L’article d’Asad déploie un argumentaire difficile à suivre parce qu’il est essentiellement composé de remarques dont l’objet est de provoquer un questionnement critique davantage que de donner des réponses3. Selon Asad, les caricatures s’inscrivent dans un contexte public au sein duquel les sociétés sécularisées réaffirment leur « supériorité morale » supposée en termes de démocratie et de liberté sur les autres sociétés. Ainsi, les gauches européennes peuvent bien critiquer le racisme. Il n’en demeure pas moins que nombre d’entre elles pensent encore que les musulmans pratiquants demeurent dans l’obscurité et qu’ils mènent une vie moins émancipée voire moins humaine que les individus moins religieux ou athées.

L’« affaire des caricatures », en médiatisant les points de vue des musulmans pieux qui ont protesté contre elles, a participé à confirmer un tel partage du monde entre une civilisation séculière et émancipée et un monde musulman emprisonné dans le « fanatisme » et la « barbarie » parce que non émancipé de la religion. Le droit à la critique et à la caricature a participé à la diffusion de ce partage entre l’Europe sécularisée et l’islam. Les caricatures sont considérées par un certain nombre de figures médiatiques comme une façon de protéger la civilisation européenne sécularisée de l’invasion des musulmans « barbares ». C’est ce qui explique que les partis de droite et d’extrême droite aient pu se saisir de l’affaire et défendre la liberté d’expression pour perpétuer le récit d’invasion de l’Europe par les musulmans.

8 Asad note à très juste titre que la thèse selon laquelle l’Occident séculier serait l’émanation de l’essence areligieuse du christianisme fait partie des discours publics sur l’islam qui structurent les débats européens. Ils permettent à la droite et l’extrême-droite de défendre la civilisation séculière et son libéralisme comme un héritage chrétien.

9 Il s’agit pour Asad de comprendre la nature de ces discours publics dont la « religion » est l’objet et qui sont acceptés dans l’espace sécularisé européen bien qu’ils puissent être contestés. Le discours qui affirme les racines chrétiennes de la France ou de l’Europe est l’un de ces discours autorisés dans la sphère publique. Un tel discours est-il religieux ou laïque ? Le fait de pouvoir l’énoncer explicitement n’est-il pas déjà l’attestation du caractère limité de cette tolérance ou de cette égalité religieuse dont l’Europe sécularisée se targue d’être le héraut ? De telles questions appellent une généalogie précise de la façon dont cette convergence entre christianisme et sécularisme s’est construite ; généalogie qui fait défaut dans le texte et l’œuvre d’Asad mais qui mériterait d’être examinée.

  • 4 Asad mentionne notamment l’Union internationale des savants musulmans. Le terme isa’ah renvoie à un (...)
    10 Les remarques les plus intéressantes d’Asad concernent à mon sens des questions de traduction. Asad remarque que les associations musulmanes qui ont protesté contre la publication des caricatures n’ont pas parlé de blasphème (tajdif). Les termes employés par ces associations ont été des termes essentiellement profanes : c’est, selon ces associations, une insulte (isa’ah) qui a été proférée par la publication des caricatures4.

L’article de Mahmood en tire une conclusion : si les caricatures avaient été reconnues comme des insultes à caractère discriminatoire ou raciste, elles auraient été interdites sans que cette interdiction soit considérée comme un rétablissement de l’interdiction du blasphème.

11 Asad propose ensuite d’esquisser une comparaison anthropologique entre les termes de blasphème et d’offense dans les traditions chrétiennes et islamiques. Quelles sont les origines de ce que l’on nomme « blasphème » en Occident ? Au-delà de ses racines bibliques et chrétiennes, Asad attire notre attention sur les transformations modernes du terme qui accompagnent l’émergence de l’État moderne. Le blasphème n’est pas un délit qu’il suffirait de nommer « religieux » pour le comprendre. La punition du blasphème a été pratiquée par les États qui se sont libérés de la tutelle de Rome et qui ont établi une religion d’État dans une dynamique d’autonomisation qui anticipe le processus de sécularisation.

S’en tenir à une opposition entre blasphème religieux et laïcité d’État serait donc une approche simpliste. L’accusation de blasphème aux xviiie et xixe siècles n’était pas principalement une façon de punir l’hérésie, de châtier des formes de croyance non conformes à l’orthodoxie. Cette accusation servait aussi et surtout à opérer une régulation sociale et à reproduire les hiérarchies de classe. Par exemple, ce sont les fautes de langage des ouvriers qui étaient punies en tant que « blasphème ».

12 L’auteur analyse ensuite le cas Abu Zayd en Égypte qui a été puni pour apostasie par l’État égyptien. L’argument principal d’Asad consiste à montrer que si l’État égyptien punit l’apostasie, ce n’est pas parce qu’il ne respecterait pas la liberté de croyance de ses citoyens. Ce qu’il punit, c’est l’expression publique d’opinions religieuses dans un contexte académique, dans la mesure où celui-ci est alors envisagé comme une menace potentielle à l’ordre public. L’argument du trouble à l’ordre public intervient donc comme un facteur de limitation de la liberté d’expression et de religion.

13 Selon Asad, ce type de limitation est aussi à l’œuvre dans les États laïques. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’il n’existe aucune différence entre la France et l’Égypte par exemple. L’identification de ce qui constitue effectivement une menace à l’ordre public et de cet ordre public lui-même varie considérablement selon les situations. Ce qui est islamique dans le contexte politique égyptien est précisément la façon dont l’ordre public et ce qui le menace sont définis.

L’islam définit une moralité collective et majoritaire que l’État reconnaît, ce qui n’est plus le cas du catholicisme en France depuis 1905. Seulement, la différence entre les ordres publics islamique et laïque n’est pas telle qu’ils feraient partie de deux mondes distincts et de deux formes de pouvoir radicalement opposés. Ils participent de logiques de contrôle et de coercition étatiques qui permettent de limiter la liberté religieuse selon des modalités et des degrés différents. Les différences entre les contextes laïques et islamiques concernent les façons dont l’État souverain limite la liberté religieuse et civique par la protection de la sécurité et de l’ordre publics.

14 Cette comparaison d’Asad vise à provoquer un trouble. Elle ne constitue pas un argument normatif qui appellerait une conclusion définitive. Une telle lecture permettrait aisément de disqualifier Asad d’un revers de main en le qualifiant de « relativiste » ; ce qui est une accusation morale mais pas une critique digne de ce nom.

15 Dans son article, Mahmood contribue à cette anthropologie comparée du sécularisme et de l’islam en examinant plus spécifiquement les raisons de l’incompréhension entre les laïques, européens ou non, qui défendent la liberté d’expression comme une valeur absolue et les musulmans pratiquants et pieux qui se sont sentis insultés par ces caricatures, qu’il aient protesté ou non contre leur publication. Selon l’auteure, les défenseurs de la liberté d’expression et de caricature ne sont pas neutres mais présupposent et imposent en réalité une définition normative de ce que doit être « le religieux ». Lorsqu’on dit que les musulmans européens devraient accepter la caricature de l’islam, on présuppose en réalité qu’ils doivent se conformer à un certain modèle de religiosité conçu comme le seul compatible avec la démocratie moderne et séculière. Ce modèle est, selon Mahmood, un modèle protestant qui repose sur l’intériorité de la foi qui rend possible l’émergence d’une religiosité privée et invisible.

16 Cette thèse mériterait d’être discutée sur la base d’un examen approfondi de ce que les sociétés laïques doivent au protestantisme culturel.

Il n’en demeure pas moins que Mahmood aborde ici un point crucial : la question du symbole religieux. La plupart des discours de défense des caricatures supposent que le prophète caricaturé est un symbole de l’islam, ce qui selon Mahmood est une vision erronée. La relation pieuse au prophète est une relation d’intimité qui n’a de sens qu’à l’intérieur d’un mode de vie. Le sujet pieux choisit volontairement de ne pas seulement s’appartenir à lui-même mais d’appartenir à Dieu. La piété ne se réduit donc pas à la relation à un « symbole religieux » qui serait à la fois extérieur au sujet pieux et au prophète. Pourtant, c’est bien cette extériorité qui est exigée du sujet pieux dans les sociétés sécularisées.

17 L’argument de Mahmood est discutable mais il permet à mon sens de poser une question importante : les musulmans pieux qui protestent contre les caricatures ne sont-ils pas précisément ceux qui revendiquent une intimité religieuse protégée par la sphère dite « privée » ? Dans quelle mesure la critique publique et « laïque » des religions n’est-elle pas elle-même une façon de rendre la religion publique, de la charger d’enjeux politiques ? La question mériterait d’être posée.

18 Quelles sont les conséquences politiques de ces analyses ? Est-ce seulement un appel à la tolérance et à la compréhension que lancent ces auteurs ? Tout l’intérêt de l’article de Butler est de tenter d’expliciter et de discuter les conséquences normatives, à la fois éthiques et politiques, des analyses anthropologiques d’Asad et Mahmood.

Selon Butler, Asad invite les lecteurs à une forme d’autocritique de la conscience laïque en montrant à quel point ses affects politiques et ses modèles d’émancipation sont contingents et situés et en aucun cas neutres et universels. Il s’agit donc moins de dépasser la tradition critique héritée de Marx que de la renouveler en tentant de penser la conflictualité entre les cadres normatifs d’évaluation laïques et islamiques. Selon Butler, l’anthropologie d’Asad nous force à nous situer dans l’espace-entre les cadres d’évaluation normatifs concurrents pour saisir l’intraductibilité entre les modes de vie et de pensée laïques et religieux.

19 Butler propose alors de distinguer le fait de critiquer quelque chose (« criticism »), de la Critique au sens kantien (« critique » au sens de l’analyse des conditions de possibilité de la connaissance) pour voir dans l’anthropologie d’Asad une forme d’exercice de la Critique au second sens du terme. Judith Butler s’appuie sur Foucault et définit la critique en termes d’ethos. Il existe une attitude critique qui ne se définit plus à partir d’un modèle de rationalité hérité des Lumières.

20 Asad répond à Butler en refusant de distinguer nettement entre « critique » et « Critique » et en remettant en cause l’interprétation de Foucault dont s’autorise Butler. Selon Asad, l’attitude critique héritée des Lumières est un produit de la gouvernementalité moderne. La Critique au sens philosophique de définition des conditions de possibilité de la vérité et du discours fait partie d’un dispositif de pouvoir dont il faut faire la généalogie. La généalogie qu’il propose se distingue donc de la Critique comme de la critique. La généalogie doit prendre la pensée critique elle-même pour objet et poser les questions suivantes : quels pouvoirs autorisent la Critique en tant que discours ? L’empire d’un modèle d’émancipation moderne et laïque sur le monde rend-il possible la Critique universelle des religions et des traditions du monde ? La tentation de voir dans la Critique l’envers de l’hégémonie impériale et paternaliste des droits de l’homme sur le monde est forte chez Asad.

21 Butler interpelle Saba Mahmood sur la façon dont elle tente de déterminer ce que les musulmans d’Europe sont en mesure de faire pour changer la situation européenne. Mahmood affirme que le droit n’est pas l’instrument principal de règlement des conflits. Une « intégration » économique et sociale des musulmans dans les sociétés européennes est nécessaire comme la condition d’une transformation éthique. Une solution politique à l’affaire des caricatures serait éthique dans la mesure où elle passerait par une transformation mutuelle des sensibilités, des façons de sentir et d’agir.

Selon Butler, cette distinction entre droit et politique conduit à ignorer la nécessité de la médiation par le droit pour transformer les sensibilités tout en refusant des formes de politiques infra- ou supra-juridiques. Mahmood tendrait à dépolitiser la question par l’éthique selon Butler.

22 Ce débat n’a de sens qu’à travers une sorte de discours d’anticipation. C’est ce qui le rend problématique. Comment déterminer les modalités effectives de la transformation et des prises de parole et d’écoute que cette nouvelle « éthique politique » supposerait ? En effet, les musulmans parleront-ils en tant que « musulmans » s’ils parlent ?

Ne devront-ils pas devenir, d’une façon ou d’une autre, « laïques » pour être audibles ? Comment le différend entre les cultures laïques et pieuses peut-il être à la fois rendu public et surmonté ? Ces questions ne peuvent être résolues que par les musulmans d’Europe eux-mêmes ou ceux qui sont désignés comme tels.

23 La conclusion de ces essais demeure donc ouverte. J’énoncerais ici une hypothèse conclusive qui n’est probablement pas celle des auteurs eux-mêmes. La catégorie de « blasphème » a été construite par ceux qui dominent le discours public comme la catégorie clé du débat public autour des caricatures. L’idée selon laquelle les caricatures relevaient du « blasphème » a été imposée par les médias et non par les musulmans.

C’est seulement à partir d’une telle lecture en termes de blasphème que les caricatures ont pu être défendues comme l’expression d’une liberté, d’une liberté de blasphémer dont on a parfois fait l’éloge. Si les médias et l’État avaient reconnu l’existence d’une insulte et qu’ils ne l’avaient pas rendu a priori inaudible en affirmant fallacieusement que les musulmans voulaient rétablir l’interdiction du blasphème en Europe, on n’aurait pas posé la question des caricatures en termes de laïcité.

24 Le mot de « blasphème » rend a priori inaudible ceux qui réagissent à ce qu’ils vivent comme une insulte parce qu’il dénie toute réalité au sentiment d’avoir été insulté. Il est donc possible que les sociétés et les États sécularisés contribuent à transformer la question profane de l’insulte et de l’humiliation publiques en une question « religieuse » : celle du « blasphème ». Cette transformation permet de qualifier de « religieux » et de « fanatiques » tous ceux qui ont pu protester, à tort ou à raison, contre ce qu’ils vivaient comme une insulte. Dès lors, la défense de la « liberté d’expression » a pu devenir le nom d’un refus d’écouter, d’argumenter et d’exercer une pensée réellement critique.

25 À travers ce mot de « blasphème », ce sont donc les « laïques » qui raisonnent de façon « religieuse ». La liberté d’expression n’est pas seulement sacralisée et ce n’est pas d’abord et avant tout cette sacralisation qu’il faut dénoncer. Une telle « sacralisation » de la liberté d’expression n’est qu’un effet de surface d’un processus bien plus sous terrain de disqualification : la neutralisation du vocabulaire éthique de l’insulte par le lexique religieux du blasphème. Il faut déjà avoir qualifié la réponse à une insulte comme la demande d’interdire un « blasphème » pour pouvoir la disqualifier au nom de la liberté d’expression et de la laïcité. Une approche « démocratique » de la question des caricatures consisterait non pas à reconnaître le blasphème, ce qu’aucune autorité n’a sérieusement demandé, et encore moins à l’interdire par une loi sous prétexte que les caricatures constituent effectivement une insulte dès lors qu’elles ont été vécues comme telles. Elle consisterait à répondre à la question suivante par une pratique et surtout par une écoute : si l’on ne disqualifie pas a priori ce qui est vécu comme une insulte par le mot de « blasphème », quelles attitudes éthiques et quelles conséquences politiques en résultent ?

26 L’ouvrage ne répond donc pas directement à la question qu’il pose : la critique est-elle laïque ? Cette absence de réponse fixe n’est pas la faiblesse mais bien la force de cet ouvrage. Il nous force à remettre en cause les fausses évidences qui encerclent ces questions. Il montre à quel point il est nécessaire de poursuivre l’œuvre généalogique en la dirigeant en quelque sorte contre elle-même, vers ce qui semble être l’une de ses conditions de possibilité. Il ouvre donc la voie à une généalogie rigoureuse de la critique des religions qui reste encore à écrire. Dès lors, une généalogie de la critique des religions serait-elle encore laïque ?

Notes :

1 Sur ce renversement de la laïcité en France et en Europe voir mon introduction au dossier de la Revue Multitudes intitulé « Décoloniser la laïcité ? » : Amer-Meziane Mohamed, « Introduction », Multitudes, n° 59, 2015, p. 42-44. Je propose de lire ce renversement dans la perspective des rapports entre l’histoire de la sécularisation et l’histoire impériale et coloniale sans pour autant identifier ces deux histoires.

2 Talal Asad est professeur d’anthropologie à la City University de New York. Saba Mahmood est professeur d’anthropologie à l’Université de Berkeley en Californie. Elle est l’auteure de Politiques de la piété. Le féminisme à l’épreuve du renouveau islamique, Paris, La Découverte, 2009. Judith Butler est professeur de littérature comparée à l’Université de Berkeley et Wendy Brown est professeur de sciences politiques à l’Université de Berkeley.

3 Le concept clé du travail d’Asad est celui de sécularisme. Sur ce concept voir la traduction publiée dans le numéro cité de Multitudes  : Asad Talal, « Penser le sécularisme », Multitudes, n° 59, 2015, p. 65-93. Ce concept ne peut adéquatement être traduit par celui de laïcité. Sur ce point, voir mes remarques, Amer-Meziane Mohamed, « Introduction », art. cit, p. 65, notes 1 et 2

4 Asad mentionne notamment l’Union internationale des savants musulmans. Le terme isa’ah renvoie à une multiplicité de sens dont « l’insulte, le tort, l’offense ». Voir Asad Talal, « Liberté d’expression, blasphème et critique laïque » in Asad Talal, Brown Wendy, Butler Judith et Mahmood Saba, La critique est-elle laïque ? Blasphème, offense et liberté d’expression, Lyon, PUL, 2016, p. 54.

Pour citer cet article - Référence électronique :

Mohamed Amer-Meziane, « Talal Asad, Wendy Brown, Judith Butler, Saba Mahmood, La critique est-elle laïque ? Blasphème, offense et liberté d’expression, Lyon, PUL, 2016, 188p. », Terrains/Théories [En ligne], 5 | 2016, mis en ligne le 20 décembre 2016, consulté le 16 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/teth/817 ; DOI : https://doi.org/10.4000/teth.817

Auteur : Mohamed Amer-Meziane Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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Annexe - Falsafa - Les RDV de la philosophie arabe – Conférences de l’Institut du Monde Arabe (IMA) - Saison 2023-2024

Un mardi par mois, l’IMA vous donne rendez-vous pour une exploration de la philosophie arabe, sous la houlette du philosophe Jean-Baptiste Brenet.

Les RDV de la philosophie reviennent ! La saison 2023-2024 sera consacrée aux grandes figures de la pensée arabe. Qui sont les penseurs de génie, les philosophes les plus marquants ? Quelles ont été leurs idées neuves, révolutionnaires, et qu’ont-ils à nous apprendre encore aujourd’hui ? C’est ce que nous verrons en proposant d’aborder chaque auteur sous un angle précis. Ainsi paraîtront la richesse de la philosophie arabe et sa place dans l’histoire commune de la pensée. 

Organisés et animés par Jean-Baptiste Brenet, médiéviste, professeur de philosophie arabe à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, agrégé de philosophie et docteur HDR de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. 

Entrée gratuite dans la limite des places disponibles. 

Les RDV de la philosophie 2023-2024

Nous rejoindre - IMA TOURCOING - AMIS DE L’IMA

Source : https://www.imarabe.org/fr/activites/rencontres-debats/falsafa-les-rdv-de-la-philosophie-arabe

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Annexe - De La Mecque à l’Andalousie, la musique en terres d’islam - Rédigé par Samia Hathroubi | Mercredi 16 Août 2017 à 08:30 – Document ‘saphirnews.com’

Une plongée dans l’Histoire montre que la musique a toujours traversé les territoires d’islam et fait rayonner ses civilisations.

De La Mecque à l’Andalousie, la musique en terres d’islamIllustration agrandie

Dès le début du VIIe siècle, une forme de musique définie comme musulmane apparait du Nil jusqu’à la Perse sans pour autant évincer les autres traditions folkloriques, notamment d’Afrique du Nord et d’autres groupes d’Afrique noire jusqu’en Turquie. La musique classique est caractérisée par une alliance subtile entre mélodie et rythme dans lequel la voix de l’artiste joue un rôle prédominant. Très tôt, la musique classique est le fait de la cour du calife et des classes de l’élite arabo-musulmane.

Durant la période préislamique, la musique est d’abord liée à la danse et à la poésie et est in fine une extension des joutes musicales des sociétés tribales bédouines d’alors. Ces deux arguments et traditions vont aisément amener la musique à être associée à l’alcool, à l’enivrement et autres plaisirs interdits. Pourtant, limiter la musique arabo-musulmane à ces pratiques est une amputation et une négation de l’Histoire.

À l’origine de la musique classique

Dès le début de l’ère islamique, les premiers musulmans faisaient de la musique une source de fierté. À La Mecque et à Médine, les familles puissantes rivalisaient avec leurs troupes de musique composées alors d’esclaves qu’ils affranchissaient.

Musiciens et leurs instruments de musique, miniature de Levni, XVIIIe s., palais de Topkapi.

Illustration agrandie - Musiciens et leurs instruments de musique, miniature de Levni, XVIIIe s., palais de Topkapi.

C’est dans ce milieu que la musique classique prit forme, notamment aussi par l’apport des cultures désormais conquises par les premiers musulmans. Ainsi, l’oud considéré comme l’instrument classique de cette tradition est une variante du luth de Perse.

Les trois premiers siècles de l’ère islamique avec l’avènement de la dynastie omeyyade constitue un moment clef dans son élaboration. C’est à cette époque qu’apparait Ibn Misjah décrit comme le fondateur de la musique classique. Né à La Mecque d’une famille persane, il fut théoricien, chanteur et joueur d’oud. On retrouve ses contributions dans une des plus importances sources sur la musique au Moyen Âge en terres d’islam : Kitâb al-Aghânî (Livre des chansons), rédigé par Abu Al Faraj al-Isfahânî au Xe siècle.

Aussi surprenant que cela puisse paraitre aujourd’hui, de grands philosophes tels que al- Kindî, Al Fârâbî ou encore Ibn Sina (connu en Europe sous le nom d’Avicenne) furent d’importants contributeurs à la musique classique par leurs écrits. Al Fârâbî, par exemple, rédigea Kitâb al-musîqî al-Kabîr (Grand Traité sur la musique).

La musique comme d’autres domaines des humanités ont fait l’objet de l’excellence arabe, grâce à l’apport des traités grecs connus de ces auteurs et qu’ils ont enrichis.

L’Andalousie musulmane, terre de métissage

Parallèlement aux centres de Damas et de Bagdad, un autre centre de musique se développe en Espagne dès le IXe siècle d’abord, sous les survivants de la dynastie omeyyade, puis sous les Berbères almoravides (XI-XIIe siècles) et sous les Almohades.

Les rencontres et métissages des cultures locales, berbères et de l’Orient font émerger de nouvelles formes poétiques et styles musicaux, parmi lesquels le « tarab andalousien », que l’on retrouve aujourd’hui encore au Maghreb.

L’Andalousie, dès le Xe siècle, devient un grand centre de production d’instruments dont l’influence s’étendra jusqu’en Provence et aurait largement influencé le style des troubadours français du Moyen Âge et au-delà. En effet, beaucoup des noms d’instruments sont des emprunts de la langue arabe (qithara a donné « guitare » en français).

L’intensification des contacts avec l’Occident

Le début du XIXe siècle est profondément marqué par les contacts entre la musique islamique traditionnelle et l’Occident. En Turquie, en Perse ou au Caire, des musiciens et compositeurs occidentaux sont invités à créer des conservatoires ou des troupes militaires musicales. C’est ainsi que Verdi présenta son œuvre Aïda l’année de l’inauguration de l’Opéra du Caire en 1871.

C’est notamment de ces contacts et altérations que va émerger une certaine forme de renaissance et ainsi se renforcer le centre égyptien de la musique arabe moderne, culminant avec Oum Kalthoum (m. en 1975) et Abdel Wahab (m. en 1991).

Lire aussi :
Musique et islam : vers une nouvelle offre sur le marché du religieux et de l’interculturel
Rock the Kasbah : pleins tubes à l’Institut des cultures d’islam
La musique au service des révolutions arabes

Samia Hathroubi - Ancienne professeure d’Histoire-Géographie dans le 9-3 après des études d’Histoire sur les débuts... En savoir plus sur cet auteur

Samia Hathroubi

Source : https://www.saphirnews.com/De-La-Mecque-a-l-Andalousie-la-musique-en-terres-d-islam_a24324.html

Saphirnews est un site en ligne d’information généraliste sur l’actualité des musulmans de France. Son créateur et directeur de la rédaction est Mohammed Colin. Sa rédactrice en chef est Hanan Ben Rhouma… Wikipédia

A propos : les articles étiquetés MUSIQUE et postés sur ISIAS sont à retrouver à partir de ce site : https://isias.info/spip.php?page=recherche&recherche=musique

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