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"(Re) penser la paix pour panser l’Europe. Partie 3 : Contributions de Jean-Jaurès (1859-1914)" par Jacques Hallard

vendredi 3 novembre 2017, par Hallard Jacques


ISIAS Politique Histoire
(Re) penser la paix pour panser l’Europe
Partie 3 : Contributions de Jean-Jaurès (1859-1914)
Jacques HALLARD, Ing. CNAM – Site ISIAS – 31
/10/2017.

Série (Re) penser la paix pour panser l’Europe :

Partie 1 : Etat des lieux depuis le milieu du XXème siècle. L’Union Européenne entre guerre et paix’ par Jacques Hallard, mardi 15 août 2017.

Partie 2 : Rôle de Victor Hugo pour la paix en Europe’ par Jacques Hallard, samedi 23 septembre 2017

Partie 3 : Contributions de Jean-Jaurès (1859-1914)

Jean Jaurès : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire »

PLAN : Introduction Sommaire Auteur


Introduction

Jean-Jaurès (1859-1914), politicien socialiste : un orateur humaniste de talent qui se fit remarquer par son pacifisme affirmé, son refus de l’antisémitisme et qui dénonça les collusions insupportables entre des intérêts économiques et financiers et le monde de la presse et de la politique ; il périt assassiné dramatiquement quelques semaines avant la déclaration de la Première guerre mondiale de 1914-1918. Emanant de diverses sources, sa biographie, sa chronologie et ses travaux principaux sont rapportés à la suite : ces informations et commentaires historiques sont orientés vers des lecteurs de tous âges.

Dans l’un de ses derniers discours, destiné au départ à la jeunesse et prononcé en 1914 à Lyon, quelques jours avant son assassinat, il fait bien ressortir son mépris de la guerre et traite des divers pays de l’Europe centrale et orientale, dont les pays des Balkans, de la Russe, de l’Allemagne et de la Grande Bretagne, à la veille de la « grande guerre ».

Dans son « discours à la jeunesse  », prononcé en 1903 à Albi, Jean-Jaurès développe son appel à préserver la paix en Europe particulièrement. On y note notamment cette formule hélas !, toujours actuelle : « Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ».

Lors de sa dernière prise de parole en public avant son assassinat, exprimée le 29 juillet 1914 (soit deux jours avant son assassinat), à Bruxelles, à partir de quelques notes sorties de sa poche et dont diverses versions de texte furent ensuite réunies, Jean-Jaurès aura notamment fait cette sortie toujours aussi évidente : « Quand vingt siècles de christianisme ont passé sur les peuples, quand depuis cent ans ont triomphé les principes des Droits de l’homme et du citoyen, est-il possible que des millions d’hommes puissent, sans savoir pourquoi, sans que les dirigeants le sachent, s’entre-déchirer sans se haïr ? ».

Cette dernière prise de parole de Jean-Jaurès à Bruxelles, fut marquée par de nombreuses ovations des ouvriers belges auxquels l’orateur s’adressait avec fougue et conviction pour la paix et l’action nécessaire des citoyens de tous les pays.

Tout ne fut toujours si simple pour Jean-Jaurès, en particulier lorsqu’il fut empêché en 1905, pour des raisons de politique allemande de cette époque, de prononcer le discours dit « de Berlin », qu’il avait préparé pour s’adresser aux socialistes allemands. La teneur de ce texte, finalement publié en français par le journal ‘L’humanité’ et en allemand dans le journal Vorwärts’ , représente encore bien la pensée pacifiste de Jean-Jaurès et prend encore un air d’actualité pour le temps présent : les chapitres désignés de A à M, se terminent avec ces deux titres : « Leprolétariat international, force organique de paix » et « Vers l’au-delà du capitalisme ». Une pensée d’avant-garde pour son temps !

La notion d’Internationale, (Интернационал en russe) « une méthode jaurésienne pour la paix européenne », a été développée en 2014, lors du centenaire de la mort tragique de Jean-Jaurès, à la fois par Vincent Duclert dans un document du CAIRN et par Julien Guérin de la Gauche sociale et libérale.

A propos de la guerre de 1914-1918, une séance de l’Assemblée Nationale du 18 novembre 1909, avait été consacrée à la question de la paix en Europe et de l’antagonisme anglo-allemand. Un orateur s’y exprimait ainsi : « c’est la rançon des entreprises de la force,… qui guette toutes les œuvres de guerre et de violence ; il vient un jour où les peuples se lassent ; on n’a pas tenu compte de leurs plaintes et de leurs souffrances ; on, a laissé, pour la satisfaction des besoins d’orgueil ou des convoitises capitalistes, s’accumuler les risques de guerre ; on a pressuré le travail. Mais un jour vient où il faut régler les comptes… » Prémonitoire, en quelque sorte !

D’autres contributions sont rapportées aussi rapportées, notamment celles de Vincent Duclert et de Catherine Chabrun , ainsi que l’accès à un document du journal ‘Le Parisien’ et intitulé « Jaurès le pacifiste européen, victime de la guerre qu’il voulait empêcher 29 juillet 2014 ».

Pour terminer, toute une série d’émissions sur Jean-Jaurès, qui avaient été produites par ‘France Culture’ en 2013-2014 et qui constituent une ressource remarquable, sont insérées dans ce dossier à usage pédagogique qui se termine par un document du journal ‘L’humanité’ dont Jean-Jaurès fut le fondateur.

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Sommaire

1. Tout savoir (ou presque) sur Jean-Jaurès avec Wikipédia

2. Jean Jaurès Homme politique socialiste et écrivain français 1859-1914 ‘La Toupie’

3. Jean-Jaurès – Vikidia l’encyclopédie des 8-13 ans - Photo

4. Biographie – chronologie de Jean Jaurès (1859-1914)

5. La paix nous fuira-t-elle toujours ? – ‘Discours à la jeunesse’ Albi, juillet 1903.

6. Dernier discours de Jean Jaurès à Lyon-Vaise, le 25 juillet 1914. ‘marxists.org/fr’

7. La paix et le socialisme (Jaurès, discours dit « de Berlin », 1905) – Chapitres :

A. Les diplomaties folles

B. Dans le monde capitaliste, les forces de conflit…

C. Agir dès aujourd’hui

D. Les socialistes français contre la guerre

E. Juger impartialement la France

F. Pour une paix définitive entre l’Allemagne et la France

G. L’action pacifiste en France – La France et l’alliance Franco-Russe

H. La diplomatie contre les peuples

I. La part de responsabilité de la diplomatie allemande

J. Des situations troubles et conduisant aux guerres

K. Conflits d’intérêts et conflits d’idées

L. Le prolétariat international, force organique de paix

M. Vers l’au-delà du capitalisme

8. Discours de Bruxelles, 29 juillet 1914, par Jean Jaurès. Document ‘Dormira Jamais’

9. L’Internationale, une méthode jaurésienne pour la paix européenne ? Vincent Duclert

10. Le grand Jaurès : la guerre, la paix et l’Internationale Jean-François Claudon, Julien Guérin

11. Guerre et paix - Histoire 1914-1918 - L’antagonisme anglo-allemand –

Séance de l’Assemblée Nationale du 18 novembre 1909

12. Internationalisme, patriotisme et combat pour la paix chez Jaurès par Ismaël Dupont. 

13. Jean Jaurès : les forces de Paix 11/11/2013 Par Catherine Chabrun Education et société

14. Jaurès le pacifiste européen, victime de la guerre qu’il voulait empêcher 29/07/2014

15. Une série d’émissions de France Culure sur Jean-Jaurès 2013-2014

Image associée

16. Les grands discours de la République 34/34. Le 30 juillet 1903, distribution des prix du lycée d’Albi - Jean Jaurès  :«  Le courage, cest de chercher la véritéet de la dire  »Par Patrick Apel-Muller, directeur de la rédaction de L’Humanité. 01/09/2017.

Actualités - La Fondation Jean-Jaurès cherche son point d’équilibre

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1.
Tout savoir (ou presque) sur Jean-Jaurès avec Wikipédia

Jean Jaurès est un homme politique français, né à Castres (Tarn) le 3 septembre 1859 et mort assassiné à Paris le 31 juillet 1914. Orateur et parlementaire socialiste, il s’est notamment illustré par son pacifisme et son opposition au déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Issu d’une famille de la petite bourgeoisie et brillant élève, il parviendra à l’École Normale Supérieure et à l’agrégation de philosophie, avant de commencer une carrière politique comme député républicain. Dès 1885, année où il devient le plus jeune député de France, il prend le parti des ouvriers et propose un projet de retraites ouvrières en guise de « premier pas sur la voie de ce socialisme vers quoi tout nous achemine », et il se distinguera par son soutien pour le peuple, notamment durant la grande grève des mineurs de Carmaux. Il s’opposera aux lois scélérates et dénoncera avec véhémence la collusion des intérêts économiques avec la politique et la presse. Durant l’affaire Dreyfus, il prend la défense du capitaine et pointe l’antisémitisme dont celui-ci est victime. Le 18 avril 1904, il sort le premier numéro du quotidien L’Humanité, dont il est le fondateur et le directeur.

En 1905, il est un des rédacteurs de la loi de séparation des Églises et de l’État. La même année, il participe à la création de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), dont il est l’acteur principal, unifiant ainsi le mouvement socialiste français. Ses positions réformistes lui valent toutefois l’opposition d’une partie de la gauche révolutionnaire.

Il consacre les dernières années de sa vie à empêcher, en vain, le déclenchement de la Première Guerre mondiale, et se lie aux autres partis de l’Internationale ouvrière, faisant planer la menace de grève générale au niveau européen. Ces positions pacifistes lui valent d’être assassiné par le nationaliste Raoul Villain à la veille du conflit. Cet événement entraîne paradoxalement le ralliement de la gauche à l’« Union sacrée ». En 1924, sa dépouille est transférée au Panthéon.

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2.
Jean Jaurès Homme politique socialiste et écrivain français 1859-1914 Photo - Document ‘La Toupie’

Biographie de Jean Jaurès

Fils de la bourgeoisie de province, Jean Jaurès est normalien et agrégé de philosophie. Après avoir enseigné à Albi et à Toulouse, âgé de 25 ans, il commence sa carrière politique en 1885 comme député républicain à Castres.

D’abord républicain modéré, Jean Jaurès devient socialiste après la grande grève des mines de Carmaux de 1892 quand il voit le vrai visage de la République française aux mains des capitalistes. Le marquis de Solages, président des mines, ayant démissionné de son mandat, Jean Jaurès est élu député et va le rester jusqu’à sa mort (sauf entre 1898 et 1902). Brillant orateur, il va devenir le défenseur des ouvriers en lutte et de l’unité des forces politiques et syndicales de gauche.

Avec les socialistes, il défend Alfred Dreyfus et crée le journal l’Humanité, en 1904. Jean Jaurès, leader du socialisme français, participe en 1905 à la fondation de la SFIO qui va rassembler les différents courants socialistes français. Pour lui, les socialistes doivent s’engager pour une révolution démocratique et non violente.

Après 1905, Jean Jaurès s’oppose à la politique coloniale et à la guerre. Ayant pris des positions pacifistes à l’approche des hostilités avec l’Allemagne, il devient très impopulaire chez les nationalistes qui l’accusent de trahison. Jean Jaurès meurt assassiné par le nationaliste Raoul Villain le 31 juillet 1914, 3 jours avant la déclaration de la guerre.

Principales oeuvres :

  • Histoire de la Révolution française (1898)
  • Les Preuves (Affaire Dreyfus, 1898)
  • Les Deux Méthodes (1900)
  • Histoire socialiste 1789­1900 (1901 à 1908)
  • Notre but (1904)
  • La Révolution russe (1905)
  • La Commune (1907)
  • L’Armée nouvelle (1910)
  • Conflit élargi (1912)
    Citations de Jean Jaurès

    Bibliographie :

Jaurès, la passion du journaliste (Charles Silvestre, Editions Le Temps des Cerises, Paris, 2010)

Jean Jaurès : Un philosophe humaniste et personnaliste, un socialiste réformiste et révolutionnaire (Roger Benjamin, Editions L’Harmattan, Paris, 2013)

Jaurès et le réformisme révolutionnaire (Jean-Paul Scot, Editions Seuil, Paris, 2014)

Devenir socialiste : Le cas Jaurès (Gilles Candar, Editions Le Bord de l’Eau, 33110 Lormont, 2015)

‘La Toupie’ Accueil Biographies Haut de page Contact LicenceCC

Source : http://www.toupie.org/Biographies/Jaures.htm

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3.
Jean-Jaurès – Vikidia l’encyclopédie des 8-13 ans - Photo

Jean Jaurès, né le 3 septembre 1859 à Castres dans le Tarn et mort le 31 juillet 1914 à Paris, est un homme politique français.

Jean Jaurès est professeur de philosophie au lycée d’ Albi (Tarn) puis à l’université de Toulouse.

Il devient député républicain de centre-gauche lors des élections législatives de 1885, sous la IIIe République. Il est battu aux élections législatives de 1885. En 1893, il est élu député socialiste de Carmaux une ville ouvrière du Tarn. En 1898, il prend parti pour la révision du procès du capitaine Dreyfus.

En 1902, il fonde le parti socialiste français dont il sera président jusqu’en 1905. Il œuvre pour l’unification des nombreuses tendances socialistes et il devient un des chefs du nouveau parti socialiste SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière) créé en 1905. Il fonde le quotidien L’Humanité qui sortira pour la première fois le 18 avril 1904, et qu’il dirigera jusqu’à sa mort.

Comme parlementaire, il lutte pour l’enseignement laïc, pour des lois améliorant la condition ouvrière et est violemment anti-colonialiste et profondément pacifiste. Jaurès était partisans de réformes qui progressivement ferait passer la France de la démocratie républicaine à la démocratie sociale. Il était contre l’idée marxiste de la dictature du prolétariat.

Pendant la crise de l’été 1914, il tente d’organiser le mouvement européen d’opposition au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Il est assassiné le 31 juillet 1914 à 21 h 40 par Raoul Villain, un étudiant nationaliste, exalté et instable, près du siège de l’Humanité, au café du Croissant dans le 2e arrondissement de Paris. La guerre sera déclarée trois jours plus tard.

Source : https://fr.vikidia.org/wiki/Jean_Jaur%C3%A8s

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4.
Biographie – chronologie de Jean Jaurès (1859-1914)

Biographie de Jaurès (chronologie) basée sur celle de Madeleine Rebérioux, in Jaurès : La parole et l’acte (Gallimard). Elle est complétée au fur et à mesure de l’évolution du site…

Tout ce qui y apparaît centré, et/ou souligné :
liens vers les textes et articles publiés sur ce site

Photo historique  : Jaurès en 1913, à la Chambre des députés (contre la Loi de trois ans)

Voir tous les détails sur ce site : http://www.jaures.eu/biographie-chronologie-de-jaures/

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5.
La paix nous fuira-t-elle toujours ? – ‘Discours à la jeunesse’ Albi, juillet 1903.

Document « Rallumer tous les soleils – Jaurès o la nécessité du combat »

Extrait du célèbre Discours à la jeunesse que Jaurès prononce à Albi en juillet 1903 –juste avant le passage très connu sur le courage et après la partie consacrée à la République. Jaurès y développe ici quelques considérations sur la paix (qu’on retrouvera dans le texte d’Anatole France que publieral’Humanitéla semaine de sa création, en avril 1904).

« De même, depuis vingt siècles, et de période en période, toutes les fois qu’une étoile d’unité et de paix s’est levée sur les hommes, la terre déchirée et sombre a répondu par des clameurs de guerre.

C’était d’abord l’astre impérieux de Rome conquérante qui croyait avoir absorbé tous le conflits dans le rayonnement universel de sa force. L’empire s’effondre sous le choc des barbares, et un effroyable tumulte répond à la prétention superbe de la paix romaine. Puis ce fut l’étoile chrétienne qui enveloppa la terre d’une lueur de tendresse et d’une promesse de paix. Mais atténuée et douce aux horizons galiléens, elle se leva dominatrice et âpre sur l’Europe féodale. La prétention de la papauté à apaiser le monde sous sa loi et au nom de l’unité catholique ne fit qu’ajouter aux troubles et aux conflits de l’humanité misérable. Les convulsions et les meurtres des nations du moyen-âge, les chocs sanglants des nations modernes, furent la dérisoire réplique à la grande promesse de paix chrétienne. La Révolution à son tour lève un haut signal de paix universelle par l’universelle liberté. Et voilà que de la lutte même de la Révolution contre les forces du vieux monde, se développent des guerre formidables.

Quoi donc ? La paix nous fuira-t-elle toujours ? Et la clameur des hommes, toujours forcenés et toujours déçus, continuera-t-elle à monter vers les étoiles d’or des capitales modernes incendiées par les obus, comme de l’antique palais de Priam incendié par les torches ? Non ! non ! et malgré les conseils de prudence que nous donnent ces grandioses déceptions, j’ose dire, avec des millions d’hommes, que maintenant la grande paix humaine est possible, et si nous le voulons, elle est prochaine. Des forces neuves travaillent : la démocratie, la science méthodique, l’universel prolétariat solidaire. La guerre devient plus difficile, parce qu’avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel. La guerre devient plus difficile parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un tissu plus serré tous les jours de relations, d’échanges, de conventions ; et si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d’aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif.

Enfin, le commun idéal qui exalte et unit les prolétaires de tous les pays les rend plus réfractaires tous les jours à l’ivresse guerrière, aux haines et aux rivalités de nations et de races. Oui, comme l’histoire a donné le dernier mot à la République si souvent bafouée et piétinée, elle donnera le dernier mot à la paix, si souvent raillée par les hommes et les choses, si souvent piétinée par la fureur des événements et des passions. Je ne vous dis pas : c’est une certitude toute faite. Il n’y a pas de certitude toute faite en histoire. Je sais combien sont nombreux encore aux jointures des nations les points malades d’où peut naître soudain une passagère inflammation générale. Mais je sais aussi qu’il y a vers la paix des tendances si fortes, si profondes, si essentielles, qu’il dépend de vous, par une volonté consciente délibérée, infatigable, de systématiser ces tendances et de réaliser enfin le paradoxe de la grande paix humaine, comme vos pères ont réalisé le paradoxe de la grande liberté républicaine. Oeuvre difficile, mais non plus oeuvre impossible.

Apaisement des préjugés et des haines, alliances et fédérations toujours plus vastes, conventions internationales d’ordre économique et social, arbitrage international et désarmement simultané, union des hommes dans le travail et dans la lumière : ce sera, jeunes gens, le plus haut effort et la plus haute gloire de la génération qui se lève. Non, je ne vous propose pas un rêve décevant ; je ne vous propose pas non plus un rêve affaiblissant. Que nul de vous ne croie que dans la période encore difficile et incertaine qui précédera l’accord définitif des nations, nous voulons remettre au hasard de nos espérances la moindre parcelle de la sécurité, de la dignité, de la fierté de la France.

Contre toute menace et toute humiliation, il faudrait la défendre ; elle est deux fois sacrée pour nous, parce qu’elle est la France, et parce qu’elle est humaine. Même l’accord des nations dans la paix définitive n’effacera pas les patries, qui garderont leur profonde originalité historique, leur fonction propre dans l’oeuvre commune de l’humanité réconciliée. Et si nous ne voulons pas attendre, pour fermer le livre de la guerre, que la force ait redressé toutes les iniquités commises par la force, si nous ne concevons pas les réparations comme des revanches, nous savons bien que l’Europe, pénétrée enfin de la vertu de la démocratie et de l’esprit de paix, saura trouver les formules de conciliation qui libéreront tous les vaincus des servitudes et des douleur qui s’attachent à la conquête.

Mais d’abord, mais avant tout, il faut rompre le cercle de fatalité, le cercle de fer, le cercle de haine où les revendications mêmes justes provoquent des représailles qui se flattent de l’être, où la guerre tourne après la guerre en un mouvement sans issue et sans fin où le droit et la violence, sous la même livrée sanglante, ne se discerneront presque plus l’un de l’autre, et où l’humanité déchirée pleure de la victoire de la justice presque autant que sa défaite.

Surtout, qu’on ne nous accuse point d’abaisser ou d’énerver les courages. L’humanité est maudite si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement. Le courage, aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la nuée de la guerre, nuée terrible, mais dormante, dont on peut toujours se flatter qu’elle éclatera sur d’autres. Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage est l’exaltation de l’homme, et ceci en est l’abdication.

[...]

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Source : http://www.jaures.eu/ressources/de_jaures/la-paix-nous-fuira-t-elle-toujours-albi-1903/

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6.
Dernier discours de Jean Jaurès à Lyon-Vaise, le 25 juillet 1914. Document ‘marxists.org/fr’. D’après « Le Mouvement ouvrier pendant la guerre » de A. Rosmer

[D’après Wikipédia, « Alfred Rosmer, de son vrai nom Alfred Griot, né en 1877 près de New York et mort en 1964 à Créteil, est un syndicaliste qui s’illustra à La Vie ouvrière (VO), un des fondateurs de la Troisième Internationale, membre du bureau politique du parti communiste-SFIC (futur PCF) entre 1922 et 1924, proche de Trotski à partir de son exclusion en 1924, historien du mouvement ouvrier… » Article complet sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Rosmer ].

Citoyens,

Je veux vous dire ce soir que jamais nous n’avons été, que jamais depuis quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l’heure où j’ai la responsabilité de vous adresser la parole. Ah ! citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique dont nous avons eu la nouvelle il y a une demie heure, entre l’Autriche et la Serbie, signifie nécessairement qu’une guerre entre l’Autriche et la Serbie va éclater et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et l’Autriche le conflit s’étendra nécessairement au reste de l’Europe, mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes à l’heure actuelle, des chances terribles et contre lesquelles il faudra que les prolétaires de l’Europe tentent les efforts de solidarité suprême qu’ils pourront tenter.

Citoyens, la note que l’Autriche a adressée à la Serbie est pleine de menaces et si l’Autriche envahit le territoire slave, si les Germains, sSi la race germanique d’Autriche fait violence à ces Serbes qui sont une partie du monde slave et pour lesquels les slaves de Russie éprouvent une sympathie profonde, il y a à craindre et à prévoir que la Russie entrera dans le conflit, et si la Russie intervient pour défendre la Serbie, l’Autriche ayant devant elle deux adversaires, la Serbie et la Russie, invoquera le traité d’alliance qui l’unit à l’Allemagne et l’Allemagne fait savoir qu’elle se solidarisera avec l’Autriche. Et si le conflit ne restait pas entre l’Autriche et la Serbie, si la Russie s’en mêlait, l’Autriche verrait l’Allemagne prendre place sur les champs de bataille à ses côtés. Mais alors, ce n’est plus seulement le traité d’alliance entre l’Autriche et l’Allemagne qui entre en jeu, c’est le traité secret mais dont on connaît les clauses essentielles, qui lie la Russie et la France et la Russie dira à la France :

J’ai contre moi deux adversaires, l’Allemagne et l’Autriche, j’ai le droit d’invoquer le traité qui nous lie, il faut que la France vienne prendre place à mes côtés.’ A l’heure actuelle, nous sommes peut-être à la veille du jour où l’Autriche va se jeter sur les Serbes et alors l’Autriche et l’Allemagne se jetant sur les Serbes et les Russes, c’est l’Europe en feu, c’est le monde en feu.

Dans une heure aussi grave, aussi pleine de périls pour nous tous, pour toutes les patries, je ne veux pas m’attarder à chercher longuement les responsabilités. Nous avons les nôtres, Moutet l’a dit et j’atteste devant l’Histoire que nous les avions prévues, que nous les avions annoncées ; lorsque nous avons dit que pénétrer par la force, par les armes au Maroc, c’était ouvrir l’ère des ambitions, des convoitises et des conflits, on nous a dénoncés comme de mauvais Français et c’est nous qui avions le souci de la France.

Voilà, hélas ! notre part de responsabilités, et elle se précise, si vous voulez bien songer que c’est la question de la Bosnie-Herzégovine qui est l’occasion de la lutte entre l’Autriche et la Serbie et que nous, Français, quand l’Autriche annexait la Bosnie-Herzégovine, nous n’avions pas le droit ni le moyen de lui opposer la moindre remontrance, parce que nous étions engagés au Maroc et que nous avions besoin de nous faire pardonner notre propre péché en pardonnant les péchés des autres.

Et alors notre ministre des Affaires étrangères disait à l’Autriche :

Nous vous passons la Bosnie-Herzégovine, à condition que vous nous passiez le Maroc’ et nous promenions nos offres de pénitence de puissance en puissance, de nation en nation, et nous disions à l’Italie. ’Tu peux aller en Tripolitaine, puisque je suis au Maroc, tu peux voler à l’autre bout de la rue, puisque moi j’ai volé à l’extrémité.’

Chaque peuple paraît à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main et maintenant voilà l’incendie. Eh bien ! citoyens, nous avons notre part de responsabilité, mais elle ne cache pas la responsabilité des autres et nous avons le droit et le devoir de dénoncer, d’une part, la sournoiserie et la brutalité de la diplomatie allemande, et, d’autre part, la duplicité de la diplomatie russe. Les Russes qui vont peut-être prendre parti pour les Serbes contre l’Autriche et qui vont dire ’Mon cœur de grand peuple slave ne supporte pas qu’on fasse violence au petit peuple slave de Serbie. ’Oui, mais qui est-ce qui a frappé la Serbie au cœur ? Quand la Russie est intervenue dans les Balkans, en 1877, et quand elle a créé une Bulgarie, soi-disant indépendante, avec la pensée de mettre la main sur elle, elle a dit à l’Autriche ’Laisse-moi faire et je te confierai l’administration de la Bosnie-Herzégovine. ’L’administration, vous comprenez ce que cela veut dire, entre diplomates, et du jour où l’Autriche-Hongrie a reçu l’ordre d’administrer la Bosnie-Herzégovine, elle n’a eu qu’une pensée, c’est de l’administrer au mieux de ses intérêts.’

Dans l’entrevue que le ministre des Affaires étrangères russe a eu avec le ministre des Affaires étrangères de l’Autriche, la Russie a dit à l’Autriche : ’Je t’autoriserai à annexer la Bosnie-Herzégovine à condition que tu me permettes d’établir un débouché sur la mer Noire, à proximité de Constantinople.’ M. d’Ærenthal a fait un signe que la Russie a interprété comme un oui, et elle a autorisé l’Autriche à prendre la Bosnie-Herzégovine, puis quand la Bosnie-Herzégovine est entrée dans les poches de l’Autriche, elle a dit à l’Autriche : ’C’est mon tour pour la mer Noire.’ - ’Quoi ? Qu’est-ce que je vous ai dit ? Rien du tout !’, et depuis c’est la brouille avec la Russie et l’Autriche, entre M. Iswolsky, ministre des Affaires étrangères de la Russie, et M. d’Ærenthal, ministre des Affaires étrangères de l’Autriche ; mais la Russie avait été la complice de l’Autriche pour livrer les Slaves de Bosnie-Herzégovine à l’Autriche-Hongrie et pour blesser au cœur les Slaves de Serbie.

C’est ce qui l’engage dans les voies où elle est maintenant.

Si depuis trente ans, si depuis que l’Autriche a l’administration de la Bosnie-Herzégovine, elle avait fait du bien à ces peuples, il n’y aurait pas aujourd’hui de difficultés en Europe ; mais la cléricale Autriche tyrannisait la Bosnie-Herzégovine ; elle a voulu la convertir par force au catholicisme ; en la persécutant dans ses croyances, elle a soulevé le mécontentement de ces peuples.

La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l’Autriche ont contribué à créer l’état de choses horrible où nous sommes. L’Europe se débat comme dans un cauchemar.

Eh bien ! Citoyens, dans l’obscurité qui nous environne, dans l’incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j’espère encore malgré tout qu’en raison même de l’énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute, les gouvernements se ressaisiront et que nous n’aurons pas à frémir d’horreur à la pensée du cataclysme qu’entraînerait aujourd’hui pour les hommes une guerre européenne.

Vous avez vu la guerre des Balkans ; une armée presque entière a succombé soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d’hôpitaux, une armée est partie à un chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse dans la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou dans les lits d’hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent mille.

Songez à ce que serait le désastre pour l’Europe : ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d’hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie ! Et voilà pourquoi, quand la nuée de l’orage est déjà sur nous, voilà pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé. Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis et en attendant, s’il nous reste quelque chose, s’il nous reste quelques heures, nous redoublerons d’efforts pour prévenir la catastrophe. Déjà, dans le Vorwaerts, nos camarades socialistes d’Allemagne s’élèvent avec indignation contre la note de l’Autriche et je crois que notre bureau socialiste international est convoqué.

Quoi qu’il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et, de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar.

J’aurais honte de moi-même, citoyens, s’il y avait parmi vous un seul qui puisse croire que je cherche à tourner au profit d’une victoire électorale, si précieuse qu’elle puisse être, le drame des événements. Mais j’ai le droit de vous dire que c’est notre devoir à nous, à vous tous, de ne pas négliger une seule occasion de montrer que vous êtes avec ce parti socialiste international qui représente à cette heure, sous l’orage, la seule promesse d’une possibilité de paix ou d’un rétablissement de la paix.

On peut également se reporter au document PDF : « 25 Juillet 1914 : à Vaise, l’ultime discours de Jaurès contre la guerre, cinq jours avant son assassinat » - A consulter sur le site suivant : http://www.humanite.fr/sites/default/files/legacy/doc1jeanjaures.pdf

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7.
La paix et le socialisme (Jaurès, discours dit « de Berlin », 1905)

Jaurès devait se rendre à Berlin, le 9 juillet 1905, pour s’exprimer lors d’un meeting organisé par les socialistes allemands. Le 7 juillet, le chancelier allemand interdisait à Jaurès d’entrer en Allemagne. Son discours ne fut donc pas prononcé mais publié, le 9 juillet, en allemand dans le Vorwärts et en français dans l’Humanité (le 9 juillet).

A.
Les diplomaties folles

Citoyens, je suis heureux d’être ici, comme délégué du groupe socialiste du Parlement français, pour affirmer avec vous la solidarité, l’unité du prolétariat français et du prolétariat allemand, leur commune et ferme volonté d’assurer la paix, de conquérir la paix par l’organisation et l’émancipation de tous les travailleurs.

Je me réjouis aussi qu’en ce moment même il y ait une détente dans les relations gouvernementales de la France et de l’Allemagne, et que le conflit marocain soit en voie de solution. Jusqu’à quel point ce conflit a-t-il menacé la paix ? Et les deux peuples ont-ils vraiment couru le risque monstrueux d’être jetés l’un sur l’autre ? On ne peut le dire avec précision : car une des beautés de la diplomatie, c’est qu’on ne peut jamais savoir avec certitude à quel point elle met en péril les peuples qu’elle a mission de sauver ! Le chancelier de l’Empire allemand a dit à un grand journal français qu’il était heureux qu’on fût sorti enfin d’une situation qui avait été « tendue et périlleuse ». Ce sont là des paroles graves. Des sceptiques insinuent, il est vrai, qu’il y a eu comme un bluff des deux gouvernements, qui a été pris trop au sérieux par les peuples. Les diplomaties cherchaient, dit-on, à se tâter ; elles essayaient l’une sur l’autre la puissance magnétique de leurs attitudes et de leurs regards.

Je ne sais s’il y a eu, dans le conflit, cette part de jeu et de parade. Ce serait, en tout cas, un jeu plein de péril. Quand deux mécaniciens lancent leur trains l’un contre l’autre sur la même voie et qu’on ne sait rien d’ailleurs de leurs intentions, on a beau dire qu’ils ne veulent qu’éprouver réciproquement la solidité de leurs nerfs, nul ne peut savoir comment les choses tourneront. Il se peut qu’un des mécaniciens au moins perde la tête. Il se peut qu’entraînés par la parade, ils lancent si bien leurs machines qu’ils ne puissent plus les arrêter à temps, et que la collision se produise. Si c’est un jeu, les voyageurs aimeraient mieux autre chose. Cette fois, le heurt a pu être évité ; les deux mécaniciens se font des politesses ; on s’apprête même à orner de fleurs les locomotives et à les atteler toutes deux à l’interminable train de la Conférence internationale. C’est bien ; mais cette alerte redoutable, survenue subitement en pleine tranquillité, en pleine sécurité, rappelle aux peuples et aux prolétaires combien la paix est fragile et précaire dans la société d’aujourd’hui, avec les gouvernements d’aujourd’hui. Elle rappelle à toute la classe ouvrière d’Europe, à toute la classe ouvrière du monde son devoir d’union internationale, de vigilance internationale.

Il ne faut pas que le prolétariat international soit un mot magnifique et vain. Il ne faut pas qu’il soit une force intermittente et superficielle, se manifestant à intervalles par ses congrès internationaux ou par les circulaires du Bureau socialiste international. Il faut qu’il soit une force constante, toujours avertie, toujours éveillée, toujours en état de contrôler les événements à leur naissance, de surveiller dans leur germe les premiers conflits qui, en se développant, pourraient produire la guerre.

B.
Dans le monde capitaliste, les forces de conflit…

Et il n’y a dans ces paroles, croyez-le bien, aucune fanfaronnade socialiste. Nous ne sommes pas réunis pour échanger des illusions. Nous savons très bien, les uns et les autres, qu’il y a dans le monde capitaliste des forces formidables de conflit, d’anarchie violente, d’antagonismes exaspérés que le prolétariat universel, au degré insuffisant d’organisation et de puissance politique où il est parvenu, ne peut se flatter encore de maîtriser avec certitude.

La concurrence économique de peuple à peuple et d’individu à individu, l’appétit du gain, le besoin d’ouvrir à tout prix, même à coups de canon, des débouchés nouveaux pour dégager la production capitaliste, encombrée et comme étouffée sous son propre désordre, tout cela entretient l’humanité d’aujourd’hui à l’état de guerre permanente et latente ; ce qu’on appelle la guerre n’est que l’explosion de ce feu souterrain qui circule dans toutes les veines de la planète et qui est la fièvre chronique et profonde de toute vie. Il faut bien chercher des clientèles lointaines, des clientèles exotiques et serviles, puisque tout le système, en retirant aux ouvriers une large part du produit de leur travail, restreint la libre consommation nationale.

Oui, nous savons cela, et nous savons aussi que la force ouvrière n’est pas encore assez organisée, assez consciente, assez efficace, pour refouler et neutraliser ces forces mauvaises. Ou bien le prolétariat, séduit par une fausse apparence de grandeur nationale, et corrompu par une part dérisoire du butin capitaliste et colonial, ne s’oppose que mollement aux entreprises de la force. Ou bien les classes dirigeantes embrouillent si habilement la querelle née de l’antagonisme économique que les prolétaires n’en démêlent point l’origine. Ou bien, quand leur conscience est mieux avertie, ils ne disposent pas d’une action suffisante sur le mécanisme politique et gouvernemental, et leur opposition est submergée par tous les éléments flottants et inorganisés que le capitalisme met en mouvement aux heures de crise. Ou encore, les travailleurs socialistes de chaque nation, trop séparés encore les uns des autres, s’ignorant les uns les autres, désespèrent de l’utilité d’une action qui, pour être efficace, devrait être internationale [Voir aussi, à ce sujet, l’article de Jaurès sur la grève générale, en 1914 : ’Face à la guerre, la grève générale’] ; et n’étant pas sûrs d’être soutenus de l’autre côté des frontières, ils s’abandonnent tristement à la fatalité. Oui, la protestation de la classe ouvrière ne suffit pas encore à dissiper tous les orages. La voix du prolétariat universel, qui commence à s’élever pourtant vibrante et forte au-dessus des nations agitées par une éternelle rumeur d’inquiétude et de guerre, ne peut pas répéter tout ce que dit la cloche de Schiller. Elle peut bien dire : Vivos voco, mortuos plango, j’appelle les vivants, et je pleure sur les morts. Elle ne peut pas dire encore : Fulgura frango, je brise la foudre. Il nous reste encore une oeuvre immense d’éducation et d’organisation à accomplir.

Mais, malgré tout, dès maintenant, il est permis d’espérer, il est permis d’agir. Ni optimisme aveugle ni pessimisme paralysant. Il y a un commencement d’organisation ouvrière et socialiste, il y a un commencement de conscience internationale. Dès maintenant, si nous le voulons bien, nous pouvons réagir contre les fatalités de guerre que contient le régime capitaliste. Marx, quand il parle des premières lois anglaises qui ont réglementé la durée du travail, dit que c’est le premier réflexe conscient de la classe ouvrière contre l’oppression du capital. La guerre est, comme l’exploitation directe du travail ouvrier, une des formes du capitalisme, et le prolétariat peut engager une lutte systématique et efficace contre la guerre, comme il a entrepris une lutte systématique et efficace contre l’exploitation de la force ouvrière. Pas plus qu’il n’y a une loi d’airain du salaire qu’aucune action prolétarienne ne pourrait assouplir, pas plus qu’il n’y a un mètre d’airain de la journée ouvrière qu’aucune action prolétarienne ne pourrait réduire, il n’y a une loi d’airain de la guerre qu’aucune action prolétarienne ne pourrait fléchir. Le monde présent est ambigu et mêlé. Il n’y a en lui aucune fatalité, aucune certitude. Ni le prolétariat n’est assez fort pour qu’il y ait certitude de paix, ni il n’est assez faible pour qu’il y ait fatalité de guerre. Dans cette indécision des choses et cet équilibre instable des forces, l’action humaine peut beaucoup. La formidable part d’inconnu n’est pas redoutable seulement pour nous, socialistes. Elle l’est aussi pour ceux qui déchaîneraient témérairement des guerres dont nul aujourd’hui ne peut prévoir les conséquences politiques et sociales et les contre-coups intérieurs.

C.
Agir dès aujourd’hui

Donc, nous pouvons agir dès aujourd’hui, à quelque degré, sur la marche des événements, et comme nul ne peut déterminer d’avance le degré d’efficacité de notre action, nous devons donner tout notre effort comme si elle était en effet assurée du succès.

Et qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée. Nous n’avons pas, nous, socialistes, la peur de la guerre. Si elle éclate, nous saurons regarder les événements en face, pour les faire tourner de notre mieux à l’indépendance des nations, à la liberté des peuples, à l’affranchissement des prolétaires. Si nous avons horreur de la guerre, ce n’est point par une sentimentalité débile et énervée. Le révolutionnaire se résigne aux souffrances des hommes, quand elles sont la condition nécessaire d’un grand progrès humain, quand, par elles, les opprimés et les exploités se relèvent et se libèrent. Mais maintenant, mais dans l’Europe d’aujourd’hui, ce n’est pas par les voies de la guerre internationale que l’œuvre de la liberté et de justice s’accomplira et que les griefs de peuple à peuple seront redressés. Certes, depuis cent cinquante ans, bien des violences internationales ont été commises en Europe, dont les meurtrissures subsistent encore en des millions de consciences, dont les conséquences pèsent lourdement sur l’Europe et sur le monde. Mais c’est par la croissance de la démocratie et du socialisme, et par là seulement, que ces souffrances seront apaisées, que ces problèmes douloureux seront résolus. La démocratie fait du consentement des personnes humaines la règle du droit national et international. Le socialisme veut organiser la collectivité humaine mais ce n’est pas une organisation de contrainte et sous la loi générale de justice et d’harmonie qui préviendra toute tentative d’exploitation, il laissera aux nations la libre disposition d’elles-mêmes dans l’humanité, comme aux individus la libre disposition d’eux-mêmes dans la nation, Or, dans la paix, la croissance de la démocratie et du socialisme est certaine.

D.
Les socialistes français contre la guerre

D’une guerre européenne peut jaillir la révolution, et les classes dirigeantes feront bien d’y songer ; mais il en peut sortir aussi, pour une longue période, des crises de contre-révolution, de réaction furieuse, de nationalisme exaspéré, de dictature étouffante, de militarisme monstrueux, une longue chaîne de violences rétrogrades et de haines basses, de représailles et de servitudes. Et nous, nous ne voulons pas jouer à ce jeu de hasard barbare, nous ne voulons pas exposer, sur ce coup de dé sanglant, la certitude d’émancipation progressive des prolétaires, la certitude de juste autonomie que réserve à tous les peuples, à tous les fragments de peuples, au-dessus des partages et des démembrements, la pleine victoire de la démocratie socialiste européenne.

C’est pourquoi, nous, socialistes français, sans qu’aucune personne humaine puisse nous accuser d’abaisser le droit, nous répudions à fond, aujourd’hui et à jamais, et quelles que puissent être les conjectures de la fortune changeante, toute pensée de revanche militaire contre l’Allemagne, toute guerre de revanche. Car cette guerre irait contre la démocratie, elle irait contre le prolétariat, elle irait donc contre le droit des nations, qui ne sera pleinement garanti que par le prolétariat et la démocratie. Aujourd’hui, la paix de l’Europe est nécessaire au progrès humain : et la paix, la paix assurée, la paix durable, la paix confiante entre l’Allemagne et la France, qui a beaucoup fait en Europe pour le mouvement de la démocratie et l’éveil de la classe ouvrière, ne peut pas être à contresens de leur développement. C’est pourquoi, nous socialistes français, en répudiant ici devant vous toute pensée de guerre, toute revendication armée, en adjurant la France et l’Allemagne de renoncer à toute antagonisme latent, à toute suspicion réciproque, et de concerter leur action pour l’affermissement de la paix, nous croyons servir, avec l’intérêt du prolétariat international, le plus haut intérêt de notre nation comme de la vôtre.

E.
Juger impartialement la France

Je puis, sans contradiction et sans embarras, parler ici tout à la fois en socialiste international et en fils de cette France qui a, sans doute, dans sa longue histoire, commis bien des fautes, qui, de Charles VIII à Louis XI et de celui-ci à Napoléon, a trop souvent abusé de son unité nationale constituée avant les autres, pour brutaliser et offenser les nations morcelées encore et inorganisées ; qui, même sous la Révolution, a mêlé trop vite une ivresse de domination et d’orgueil au pur enthousiasme de la liberté universelle et de l’Humanité ; qui a laissé déflorer, comme dit votre poète Herwegh, par la brutalité conquérante de ses soldats, la liberté qu’elle offrait au monde comme une fiancée ; qui, s’étant portée d’abord d’un mouvement héroïque à l’extrémité de la révolution et de la démocratie, n’a pu s’y maintenir, et a subi des vicissitudes de liberté et de réaction, parfois même un horrible mélange césarien de démagogie et d’esclavage ; qui a porté dans sa politique extérieure les contradictions ou les ambiguïtés de sa politique intérieure, aidant de sa sympathie, ou même de son effort, les nationalités à naître, et les arrêtant aussitôt à moitié développement ou les contrariant d’une jalousie secrète ; qui a payé d’un morceau de son âme et de sa chair les imprudences et les incohérences de ce despotisme napoléonien, dont elle fut tout ensemble la complice et la victime ; mais qui, à travers toutes ses étourderies, tous ses enivrements et toutes ses défaillances, a donné sans compter le meilleur de son sang pour les plus grandes causes, qui, la première, a ébranlé le vieux monde féodal et absolutiste, et la première a combattu le nouvel égoïsme bourgeois ; qui met au service de l’humanité des dons admirables : une fine et profonde culture, un instinct démocratique et républicain, la clarté de l’esprit et de la volonté, la rapidité de la décision, l’élan de la sympathie, et qui, aujourd’hui, ramenée par la dureté des événements et la salutaire croissance des autres peuples à une appréciation plus exacte du rôle de tous et de chacun, reste une des grandes forces de progrès humain et de libération ouvrière, une force nécessaire et inviolable, résolue, dans la limite de son droit, à ne se laisser ni violenter ni humilier. Oui, je parle ainsi de la France, sans embarras aucun, devant vous, socialistes d’Allemagne, parce que je sais que dans votre conscience vous vous efforcez de juger impartialement votre pays, comme nous nous efforçons de juger impartialement le nôtre.

F.
Pour une paix définitive entre l’Allemagne et la France

Ce fut pour nos deux nations, il y a trente-cinq ans, une grande faillite d’idéalisme, que nous ne soyons arrivés que par le chemin de la guerre, nous à la République, vous à l’unité. Ainsi, nous paraîtrons les uns devant les autres sans prétention exclusive et arrogante, et nous ne nous souviendrons du passé que pour faire tous ensemble le serment d’abjurer tout orgueil, toute haine, toute défiance, de travailler tous ensemble, d’un même cœur, à fonder la paix définitive de l’Allemagne et de la France, pour que les deux prolétariats puissent se donner tout entiers à l’œuvre d’émancipation, pour que les deux peuples puissent se donner tout entiers à l’œuvre de civilisation. Dans cette capitale de Berlin, où nos soldats sont entrés avant que les vôtres n’entrent à Paris, nous voulons resserrer, nous voulons proclamer devant le monde le pacte d’union de la classe ouvrière française et de la classe ouvrière allemande. Nous voulons rejeter ensemble toute pensée de violence internationale, nous voulons détester et dénoncer ensemble tous ceux, quels qu’ils soient, qui chercheraient à mettre aux prises les deux nations. Nous voulons opposer la diplomatie pacifique, ouverte, loyale du prolétariat international, à la diplomatie imprudente, avide ou cauteleuse des gouvernants capitalistes et des gouvernants féodaux. Et nous vous devons compte des efforts que nous faisons dans notre pays pour déjouer les manœuvres suspectes, et prévenir les entraînements funestes, comme vous nous devez compte des efforts faits par vous dans votre propre pays contre le chauvinisme arrogant et agressif.

G.
L’action pacifiste en France – La France et l’alliance Franco-Russe

Quelle action avons-nous donc exercée dans notre pays ? Nous n’avions pas besoin de lui conseiller la paix. La France est résolument, profondément pacifique. Elle ne veut pas risquer à la légère son existence nationale. Elle ne veut pas se détourner, pour les aventures stériles de la force, de l’œuvre de libération intellectuelle qu’elle accomplit, de la réforme sociale qu’elle prépare. Elle a éliminé le césarisme, elle refoule d’un incessant effort le nationalisme et on peut dire que si la nation française était conduite à la guerre, ce serait ou par une agression du dehors, ou par l’effet indirect et imprévu de combinaisons dont elle n’aurait pas mesuré les conséquences. Et notre effort est de la mettre en garde contre les surprises d’une politique dont elle n’aurait pas calculé les effets. En soi l’alliance franco-russe n’a jamais été offensive. Ceux qui rêvaient d’en faire un instrument de combat contre l’Allemagne n’étaient qu’une minorité infime et vraiment une quantité négligeable. Marx et Engels avaient prévu que les événements de 1870 jetteraient un jour la France dans l’alliance russe. Mais cette alliance n’avait pour l’ensemble du peuple français qu’une valeur défensive, elle n’était à ses yeux qu’un moyen d’équilibre et de sécurité. Si elle avait gardé nettement ce caractère, si elle n’avait pas été dénaturée et abaissée par nos classes dirigeantes, nous n’aurions pas eu, malgré la différence des institutions, des objections décisives à y opposer, car le premier droit et le premier devoir d’une nation est de vivre : la Double Alliance et la Triple Alliance pouvaient se servir mutuellement de contrepoids. Mais à l’heure même où l’alliance franco-russe commençait à se préciser, la réaction politique et sociale arrivait au pouvoir en France. De 1890 à 1900 c’est elle qui prévalait : une grande partie de la bourgeoisie républicaine, effrayée par les progrès du socialisme et de l’organisation ouvrière, se rejetait vers les anciens partis et concluait avec eux, sous l’inspiration du cléricalisme, un pacte de résistance.

Le premier soin des réacteurs fut de tirer à eux l’alliance franco-russe, de lui donner la marque de leur politique. Ils proclamèrent à l’envi que la France républicaine ne garderait l’amitié de la Russie tsariste que si les républicains étaient très sages, très modérés, très conservateurs. Et pour serrer ce lien, pour en faire un nœud d’étranglement, pour ôter au pays toute liberté d’esprit et toute faculté critique, ils grossirent de parti pris les périls que la France aurait à courir sans l’alliance, les services et la nécessité de celle-ci.

Ainsi, ils donnèrent à la France, dans un pacte qui n’aurait pu valoir que comme une égale et mutuelle garantie de paix, une situation subalterne et humiliée. De là deux conséquences funestes, l’une intérieure, l’autre extérieure. Au dedans, le tsarisme, exploité par nos gouvernants contre la tradition révolutionnaire de la France, aggravait le poids de la réaction française d’une partie au moins du poids de la servitude russe. Au dehors, la France perdait tout contrôle de l’alliance ; c’est la Russie seule qui en fixait le sens. C’est la Russie seule qui en déterminait la direction ; elle put transformer un pacte de mutuelle garantie en un pacte d’aventure dont la France devait payer les frais et dont la Russie du tsar devait recueillir le bénéfice présumé. Ainsi, la France républicaine devint en Extrême-Orient la servante des ambitions et des imprudences de la Russie. Cette funeste application de l’alliance faussa dès lors tous les événements européens, toutes les relations européennes. L’entente de la Russie, de l’Allemagne et de la France, qui aurait été excellente et admirable si elle avait eu pour objet le maintien de la paix, devenait dangereuse et détestable lorsqu’elle se tournait contre le Japon, lorsque, par le traité de Simonosaki, elle servait en Extrême-Orient les calculs et les convoitises russes.

Là encore, la France ne voulait pas la guerre, mais ayant été mise par les réacteurs sous la tutelle de la Russie, n’étant plus pour celle-ci qu’une alliée en sous-ordre, la France préparait inconsciemment les conflits qui devaient éclater plus tard : elle fomentait à son insu des aventures où elle risquait un jour d’être entraînée, et la même politique réactionnaire qui compromettait la liberté mettait la paix en péril. La politique française était attachée et suspendue à la politique russe comme une nacelle à un ballon. Et ce ballon énorme, tout gonflé d’orgueil autocratique, pouvait emporter au loin, dans les espaces et les aventures d’Extrême-Orient, la politique de la France. Que ce ballon se dégonfle, que son enveloppe fragile et gâtée se déchire : c’est tout le destin de la France qui se précipite d’une chute formidable.

Voilà le péril que les socialistes français ont sans cesse dénoncé à la nation, trop longtemps dupée par des manœuvres de réaction. Et si la France s’est ressaisie avant les suprêmes imprudences, si elle ne s’est pas laissé entraîner dans le conflit d’Extrême-Orient, si elle ne s’est pas livrée sans réserve au dérèglement de la politique tsariste, si elle n’a pas permis que la neutralité fût violée au profit des escadres russes à ce point de scandale qui aurait rendu impossible le maintien de la paix, c’est pour une part à la prévoyance du parti socialiste qu’elle en est redevable. Aujourd’hui, et jusqu’à nouvel ordre, cette alliance ne vaut plus, ni comme garantie ni comme danger. Elle est pratiquement comme si elle n’était pas.

Un jour sans doute prochain, quand la nation russe, sauvée du désespoir, de la servitude et de l’oppression par l’héroïque effort des socialistes et des libéraux, aura conquis le contrôle et la direction du gouvernement, cette Russie nouvelle, cette Russie du peuple sera pour toutes les nations de l’Europe une garantie, elle ne sera pour aucune une menace et un danger. Elle aura besoin de la paix avec tous pour refaire sa vie, pour développer ses ressources intérieures. Elle ne servira pas les uns contre les autres. De tous les peuples de l’Allemagne comme de la France, la sympathie des démocrates, des libéraux, des socialistes, va vers cette Russie de la liberté et de la loi ; elle sera donc un lien de plus entre toutes les forces de la démocratie européenne.

Mais pendant qu’évoluait ainsi le drame de l’alliance franco-russe ouvert comme une promesse de paix, continué par la réaction en une manœuvre équivoque, et qui s’abîme maintenant dans une catastrophe où la France aurait pu sombrer comme la Russie, un autre drame se nouait, dont la dernière péripétie a mis brusquement face à face la France et l’Allemagne.

Depuis 1898 ou 1900, depuis la grande crise de l’affaire Dreyfus, la France échappait peu à peu à la réaction. Et à une politique intérieure nouvelle correspondait en quelque mesure une politique extérieure nouvelle.

H.
La diplomatie contre les peuples

Les gouvernants continuaient à proclamer l’alliance franco-russe. Ils continuaient a la pratiquer dans l’esprit d’humilité et de dépendance que lui avait décidément communiqué la réaction. Mais ils élargissaient, presque malgré eux, le cercle des relations de la France. Et cette fois, c’est avec des peuples libres, c’est avec cette Italie moderne dont la monarchie a dû accepter le concours de la révolution, c’est avec l’Angleterre qu’ils formaient des ententes ou des amitiés. Tous les socialistes, tous les républicains français se réjouissaient de ce renouvellement, de cet élargissement de la politique extérieure de la France. Dans la réconciliation avec l’Italie, dans le rapprochement avec l’Angleterre, ils saluaient une garantie nouvelle pour la paix, pour le développement de l’esprit de liberté en Europe. Il leur plaisait que la politique extérieure de la France ne fut point marquée par l’empreinte exclusive de l’alliance russe.

Ils se laissaient aller à l’espérance qu’entre la Double Alliance et la Triple Alliance s’établiraient des contacts, des communications, et qu’ainsi une sorte de concert européen assurerait la paix générale et le droit de tous les peuples. C’était là, je vous l’affirme, la pensée presque unanime des Français. Ils ne songeaient pas à tourner contre l’Allemagne ces ententes multipliées, à l’envelopper et à la cerner par tout un système d’alliances convergentes et dirigées contre elle. Pourtant, là était le péril. Là pouvait être, pour une diplomatie imprévoyante et infatuée, la tentation. Qui sait si, dans le secret de ses combinaisons orgueilleuses et vaines, elle ne chercherait point à systématiser ces alliances ou ces traités et à isoler artificiellement l’Allemagne ? Je ne sais pas si ce plan, d’ailleurs chimérique et absurde, a été formé. Je ne sais pas si notre diplomatie a jamais regardé en face ce dessein et les conséquences extrêmes auxquelles il conduisait nécessairement.

Mais c’était déjà trop que quelques indices, quelques attitudes, permissent de le supposer. C’était déjà trop, pour la paix de l’Europe et pour la tranquille évolution des démocraties, que l’Allemagne put prétendre avec quelque apparence que la diplomatie française essayait de l’envelopper. Je revendique comme un titre d’honneur pour les socialistes français d’avoir pressenti le danger, de l’avoir signalé dès la première heure, dès que la nouvelle diplomatie française commençait à dessiner sa courbe. Et nous avons voulu qu’aucune équivoque ne subsistât, qu’aucune ombre ne demeurât. Dès les premières réunions, dès les premières manifestations où participèrent à Paris des délégués italiens et anglais, nous déclarâmes avec insistance que les ententes n’avaient rien d’exclusif et d’agressif, qu’elles devraient peu à peu s’étendre à toute l’Europe. Quand, au mois de novembre dernier, est venu devant la Chambre l’accord franco-anglais, j’ai, pour ma part, très fortement insisté en ce sens : « Prenez garde, disais-je, que l’accord anglo-français puisse être interprété par une partie de l’opinion européenne comme une coalition des jingoes (nde : synonyme de « chauvin ») anglais et des nationalistes français. Dites bien qu’il n’y a dans cet accord aucune pointe cachée contre l’Allemagne. » Et une fois de plus, je démontrais la nécessité pour la France, dans l’intérêt de la France elle-même et de la civilisation, de compléter par une entente loyale et durable avec l’Allemagne tout le système d’alliances ou d’amitiés sur lequel elle fonde sa politique. Mais je vous le déclare encore une fois : si l’opinion française n’a pas été assez sensible dès le premier jour aux avertissements du parti socialiste, ce n’est pas qu’elle donnât à l’accord franco-anglais une signification exclusive ou agressive ; ce n’est pas qu’elle eut formé en secret contre l’Allemagne un mauvais dessein. Non, c’est qu’elle ne s’est pas rendu d’emblée un compte suffisant des intérêts que l’Allemagne pouvait avoir au Maroc.

Dès qu’elle en a été avertie, elle a tenu à dégager sa pensée de toutes les équivoques dont une diplomatie insuffisamment contrôlée l’avait enveloppée. Elle a déclaré bien haut que, ni dans aucune autre question, elle n’entendait se prêter contre l’Allemagne, contre ses Intérêts, contre sa politique à des desseins d’hostilité. Je le répète, c’est là la vraie pensée de la France. En l’exprimant, elle ne cède à aucune pression extérieure : elle affirme pour le monde ce qui est dans sa conscience et de sa volonté. El laissez-moi vous le dire : s’il a apparu dans cette crise que même sous le régime parlementaire, même sous le régime républicain, le gouvernement des affaires extérieures échappait trop souvent au contrôle immédiat de la nation, il a apparu aussi que les institutions de liberté étaient une garantie pour la paix, que la responsabilité des ministres devant la volonté nationale et devant le Parlement était un frein à bien des imprudences, un correctif à bien des fautes.

I.
La part de responsabilité de la diplomatie allemande

Mais si notre diplomatie a sa part, sa lourde part de responsabilité dans la crise qui a mis un moment en émoi les deux peuples, votre diplomatie aussi a ses responsabilités. Sa faute la plus grave, c’est de n’avoir pas averti à temps et assez nettement l’opinion française du prix qu’elle attachait aux intérêts de l’Allemagne au Maroc et des inquiétudes que l’accord franco-anglais lui inspirait a cet égard. Il y a bien eu des réserves faites dès le début par votre chancelier, et mon ami le citoyen Vaillant les rappelait à la tribune pour bien marquer la responsabilités de notre diplomatie ; mais comme ces réserves étaient incertaines et quel contraste avec le coup de tonnerre qui a suivi ! Si le souci de ménager les transitions caractérise l’art classique, il n’y a rien eu de moins classique que la conduite de toute la diplomatie allemande en cette affaire : c’est un air de flûte qui a fini en ouragan. Il est vrai que votre diplomatie dispose de moyens éclatants dont la diplomatie d’une république ne peut pas fournir l’équivalent. Mais si l’on veut vraiment maintenir et assurer la paix, si l’on veut permettre à un grand peuple voisin, qui a été meurtri par le destin, mais qui a gardé toute sa fierté, de contracter avec l’Allemagne une entente honorable, il vaut mieux peut-être résoudre les difficultés par des procédés moins heurtés.

Mais ce qui a profondément blessé la conscience française, ce qui a révolté tous les Français, des socialistes aux conservateurs, c’est la prétention émise par quelques journaux et par quelques docteurs de faire de la France une sorte d’otage, s’il survenait un conflit entre l’Allemagne et l’Angleterre. Ce qui serait intolérable, c’est qu’on attendit de notre pays qu’il rompît avec l’Angleterre, qu’il dénonçât le pacte de bon accord qu’il a conclu avec elle, pas plus que nous ne voulons d’un accord avec l’Angleterre qui serait dirigé contre l’Allemagne, nous ne voulons acheter le rapprochement avec l’Allemagne par une rupture avec l’Angleterre. Il nous paraît possible de vivre en harmonie avec les deux pays, dans un esprit de modération et d’équité. Si on attendait de nous, directement ou indirectement, une répudiation de l’amitié franco-anglaise, nous serions irréductibles ; et si on prétendait nous entraîner malgré nous dans une action hostile à l’Angleterre, nous résisterions jusqu’au dernier souffle. Car, d’abord, une nation qui ne peut pas disposer librement de son amitié est une nation esclave ; et, pour la nation serve comme pour l’individu serf, la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Et puis, l’entente de la France et de l’Angleterre est une victoire de la civilisation et une garantie pour la paix. Que les deux peuples longtemps divisés aient su dissiper les malentendus, dominer les défiances, c’est un effort de sagesse et de raison, et un salutaire exemple. A cet accord rétabli entre la France et l’Angleterre, nous tenons d’autant plus, nous socialistes, qu’il a été préparé par les travailleurs anglais et les travailleurs français. Au lendemain même des incidents qui avaient failli mettre aux prises l’Angleterre et la France, ce sont les délégués des Trade-Unions anglaises qui sont venus à Paris, à la Bourse du Travail, proclamer les premiers la nécessité d’un rapprochement. Quand donc nous défendons l’entente franco-anglaise, et contre ceux qui veulent en dénaturer le sens en lui donnant une interprétation agressive, et contre ceux qui voudraient la briser pour entraîner la France dans l’orbite d’une autre politique, nous défendons un fragment de l’œuvre internationale de la classe ouvrière.

Déjà cette entente de la France et de l’Angleterre a servi la paix du monde en localisant le conflit de la Russie et du Japon. Elle la servira encore en contribuant à améliorer les rapports de l’Allemagne et de l’Angleterre. La France ne prétend pas au rôle présomptueux et redoutable d’arbitre. Et si la téméraire expansion de leur politique mondiale devait mettre aux prises l’Angleterre et l’Allemagne, la France ne suffirait certainement pas à prévenir le conflit. Elle y peut aider cependant en ne le compliquant pas.

J.
Des situations troubles et conduisant aux guerres

Les situations les plus dangereuses sont les situations troubles. Ce qui a rendu brusquement la question marocaine redoutable, c’est qu’elle était un mélange confus de conflits multiples ; c’est que la rivalité économique de l’Angleterre et de l’Allemagne s’y compliquait obscurément des griefs ou des défiances de l’Allemagne et de la France. Dégager ces situations confuses, filtrer ce mélange trouble, c’est préparer le règlement pacifique des difficultés, car chacune des causes de conflit, une fois isolée et précisée, est plus facile à résoudre.

Quand donc la France proclame qu’elle n’a d’autre souci que celui de la paix, qu’elle ne veut s’associer en aucun cas à une politique d’hostilité de l’Angleterre contre l’Allemagne, ou de l’Allemagne contre l’Angleterre, quand elle affirme qu’elle veut maintenir loyalement son entente amicale avec l’Angleterre, sans jamais la laisser dégénérer en une coalition violente ou sournoise contre l’Allemagne, elle dissipe, autant qu’il dépend d’elle, les conclusions et les équivoques d’où la guerre, un jour, pourrait sortir.

C’est au prolétariat international, avertissant et aiguillonnant la conscience universelle, à exercer dans le sens de paix l’action décisive. Tout conflit qui mettrait aux prises l’Allemagne, l’Angleterre, la France, ou deux seulement de ces peuples, serait un désastre pour l’humanité. Ils sont tous les trois des forces nécessaires de la civilisation : liberté politique et parlementaire, liberté individuelle, liberté religieuse, démocratie, science, philosophie, socialisme : quelle est la conquête du genre humain, conquête d’hier ou conquête de demain, qui ne serait pas menacée par la rivalité sanglante de ces trois peuples ? Quelle est la partie du patrimoine humain qui ne serait pas compromise, je ne dis pas par la disparition, mais par la diminution d’une seule de ces grandes forces ? En vérité, ces peuples ont un meilleur emploi à faire de leur génie que de déchaîner sur le monde des forces de haine et de destruction. La lutte de l’Allemagne et de l’Angleterre se disputant par le canon le marché universel ferait revivre toutes les douleurs, toutes les tragédies de l’époque napoléonienne. Qui donc prendrait la responsabilité de ce cataclysme ? Et ce cauchemar ne peut-il être dissipé ?

Quand s’engagea, il y a plus d’un siècle, la lutte formidable de l’Angleterre et de la France révolutionnaire devenue bientôt la France napoléonienne, des forces si diverses et si confuses conspiraient à la guerre qu’il était sans doute au-dessus de l’esprit humain de la conjurer. Ce n’était pas seulement une rivalité d’intérêts économiques et coloniaux qui mettait aux prises les deux peuples ; leur conflit s’agrandissait et s’aggravait de toutes les forces de dissension qui travaillaient l’univers. La France défendait contre le vieux monde sa liberté révolutionnaire : l’Angleterre défendait contre la démocratie absolue le privilège politique de ses classes dirigeantes. Il y avait sans cesse, pour reprendre un mot de Saint-Just, plusieurs orages dans le même horizon ; ou plutôt la guerre de l’Angleterre et de la France était comme l’orage central et dominant, alimenté par toutes les nuées qu’amenaient tous les souffles, grossi par tous les orages de l’humanité bouleversée. Et contre cet universel déchaînement de la tempête, il n’y avait aucune force organique de paix.

La Révolution avait d’abord, en ses premiers jours d’innocence et d’espérance, rêvé la paix universelle et perpétuelle. Mais bientôt, par un terrible paradoxe, elle-même était devenue la guerre ; c’est par la guerre seulement qu’elle parvint à se débarrasser de l’obscure trahison royale en la rendant sensible à tous les yeux ; et ce n’est pas seulement pour se défendre contre l’agression du vieux monde, c’est pour se délivrer de ses propres incertitudes que la Révolution avait déchaîné le combat. Etant devenue elle-même une nuée de guerre, comment aurait-elle pu éteindre les éclairs qui jaillissaient de toutes parts ?

K.
Conflits d’intérêts et conflits d’idées

Aujourd’hui, au contraire, quelle que soit la violence de la concurrence économique, quel que soit le péril des compétitions coloniales, ce conflit n’est pas aggravé entre les peuples par un conflit politique et social. Toutes les grandes nationalités sont constituées : et, malgré les différences secondaires de régime, elles participent toutes à la même évolution générale. Il n’y a pas un peuple qui représente contre un autre un système politique et social. Partout, selon un rythme différent mais dans une direction identique, la démocratie s’organise, le prolétariat se meut. Heurtez aujourd’hui l’une contre l’autre l’Allemagne, la France, l’Angleterre, il vous sera impossible de dire quelle est l’idée qui est engagée dans le conflit. Or, ce n’est pas manquer au matérialisme historique, c’est l’interpréter au contraire dans son vrai sens que de dire que les conflits des intérêts économiques, pour atteindre toute leur ampleur et se déchaîner dans toute leur violence, ont besoin de se déguiser pour eux-mêmes et pour le monde en conflits d’idées. Maintenant ce déguisement est impossible. Ceux qui chercheraient à mettre aux prises l’Angleterre et l’Allemagne seraient obligés de s’avouer à eux-mêmes et à l’humanité tout entière que la seule âpreté de la concurrence capitaliste suscite et légitime le conflit. Or, le capitalisme, quelles que soient son audace et son impudence, n’aime pas à être surpris de la sorte à l’état de nudité ; et il a si souvent couvert ses méfaits de prétextes honnêtes, qu’il ne reste plus de feuilles au figuier.

L.
Le prolétariat international, force organique de paix

D’ailleurs, pour surveiller toutes les manœuvres, pour les dénoncer et les déjouer, il y a un prolétariat international qui est une force organique de paix. Il n’a pas jailli, comme la démocratie révolutionnaire de 1792, d’un foyer national dominant les autres foyers nationaux. Il s’est formé dans tous les pays à la fois selon la mesure du développement économique. Son destin n’est pas lié, même momentanément, au destin de tel ou tel peuple : il se confond avec toute l’évolution de toute l’humanité, et le crime suprême, l’attentat suprême, qui puisse être commis contre lui, c’est de jeter les unes contre les autres les diverses fractions nationales de la grande patrie internationale. Peut-être n’y a-t-il plus au monde un seul gouvernement, si solide soit-il, peut-être n’y a-t-il plus une seule classe dirigeante, si avisée soit-elle, qui puisse risquer impunément de soumettre à cette épreuve la conscience du prolétariat universel.

Celui-ci veut garder toute sa force, toute son énergie pour lutter contre l’injustice sociale, contre la misère, contre l’ignorance, contre l’oppression et l’exploitation du capital. Il veut résorber dans la grande paix de la propriété sociale, de la propriété commune, la guerre des classes, et dans l’harmonie de la production socialiste cette anarchie capitaliste qui est aujourd’hui le principe le plus actif et comme le ferment des guerres internationales. Il est la force vivante, et il veut créer de la vie, une vie toujours plus haute et plus joyeuse ; il ne veut plus que la race humaine soit vouée aux œuvres de mort. C’est là, citoyens, le sens de notre réunion d’aujourd’hui. C’est le sens de tous les efforts du prolétariat sur tous les points du globe. Les alarmes et les crises que nous traversons vont surexciter partout l’action de la classe ouvrière. Partout elle redoublera d’efforts pour grouper et fédérer ses énergies, pour fortifier et étendre ses syndicats, pour accroître et unifier son action politique, pour multiplier ses congrès internationaux corporatifs et socialistes, pour nouer maille à maille le réseau de solidarité et de paix, le filet prolétarien dont, peu à peu, elle enveloppe le monde.

Partout elle luttera avec une passion accrue, pour conquérir le pouvoir politique, pour élargir et assouplir à son profit la démocratie, pour transformer les armées de métier et de castes en milices populaires, protégeant seulement l’indépendance des nations, en attendant le désarmement simultané de toutes les nations.

Dans cette œuvre patiente, incessante, la classe ouvrière internationale sera soutenue par un magnifique idéal de Révolution. Au bout de ses efforts, c’est l’entière possession du pouvoir politique, c’est l’entière rénovation du système social qu’elle entrevoit, et ses efforts ne valent pour elle, ses minutieuses conquêtes quotidiennes n’ont de prix à ses yeux que parce qu’ils préparent à l’entière libération du travail et de la race humaine.

Le prolétariat universel sent en lui la double force révolutionnaire de la nature, la force d’éruption et la force d’érosion de la lave qui soulève et de la vague qui use ! En Russie, aujourd’hui, c’est la lave ; ailleurs, c’est le flot ; tantôt, c’est l’éboulement, tantôt c’est l’effritement. Et toutes ces actions partielles, toutes ces conquêtes partielles, se communiquent de peuple à peuple ; toutes ces commotions nationales se propagent ; qui dira le retentissement et les contre-coups possibles de la révolution russe où la classe ouvrière aura eu une si large part ? Quelle force de libération générale pourra émaner un jour de la France républicaine affranchie des castes du passé et de la tutelle d’Eglise, si elle parvient (comme je l’espère), à rallier au socialisme ouvrier ses millions de paysans démocrates, tons les jours plus libres d’esprit ? Et quelle conséquence aura pour l’équilibre du monde et pour l’affranchissement du travail l’avènement politique de cette démocratie socialiste allemande qui, par sa croissance continue, à peine marquée de dépressions passagères, ressemble, en effet, à une force naturelle d’une lente et irrésistible poussée ? C’est ainsi que nous mettons en commun les efforts et les espérances. C’est ainsi que s’établit une vie internationale ouvrière et socialiste, capable de réagir sur le désordre des antagonismes nationaux : si bien qu’enfin, notre volonté de justice sociale donnera un corps au rêve d’universelle paix qui a visité sans cesse comme une ironie atroce ou comme un réconfort illusoire toutes les mêlées d’égorgement, de haine et de meurtre où l’humanité des races, des castes, des classes, depuis des milliers de siècles, a ensanglanté son âme et ses mains.

M. 
Vers l’au-delà du capitalisme

Et qui donc au monde, dans tous les partis et toutes les classes, peut opposer un idéal à notre idéal ? Se trouvera-t-il quelqu’un, se trouvera-t-il un parti, une classe, pour assumer la responsabilité définitive du régime d’insécurité, d’iniquité et de barbarie où les peuples s’attardent ? Quelqu’un osera-t-il soutenir que c’est là le terme de l’évolution humaine ? Ceux-là mêmes qui détestent le plus violemment le socialisme et qui le méprisent le plus sont obligés, si seulement ils pensent, de chercher au-delà du régime d’aujourd’hui. C’est votre Nietzsche qui a le plus accablé la morale envieuse, jalouse et basse du socialisme, morale d’amoindrissement et d’abêtissement, morale d’esclaves faisant suite à la morale d’esclaves de la démocratie, à la morale d’esclaves du christianisme. C’est lui qui a le plus raillé l’attendrissement débile, le bouddhisme assoupissant que l’égalité certaine et la paix certaine inoculeraient aux hommes. Il n’a pas vu que sur la base d’une organisation sociale de solidarité et de justice toutes les activités individuelles pourraient faire leur œuvre. Il n’a pas vu que dans le monde humain apaisé et harmonisé par la loi fondamentale de la propriété socialiste, d’innombrables combinaisons s’offriraient aux initiatives et aux affinités électives des individus.

Le monde apaisé sera plus riche de diversités et de couleurs que le monde tumultueux et brutal. C’est la guerre qui est uniformité, monotonie, refoulement : « L’arc de la paix » avec toutes ses nuances est plus varié que le violent contraste de la nuée sombre et de l’éclair dans le déchaînement de l’orage. Quand Nietzsche fait appel pour diversifier le monde et pour relever l’homme à une aristocratie nouvelle, il oublie de se demander sur quelle base économique s’appuierait, dans le monde transformé, cette aristocratie de privilège et de proie. Mais enfin ce n’est pas dans l’enceinte de nationalités exclusives et jalouses qu’il prévoit le large développement des individualités humaines. Il affirme sans cesse que l’homme nouveau doit être avant tout « un bon Européen », que l’Europe va vers l’unité, et qu’il faut qu’elle y aille. Mais comment Nietzsche lui-même pourrait-il nier que c’est l’action du prolétariat socialiste qui est dès maintenant, et qui sera de plus en plus la force décisive d’unification de l’Europe et du monde ? Ainsi cette partie même de l’élite intellectuelle qui combat le socialisme est obligée, quoi qu’elle en ait, de lui rendre témoignage. Il n’est pas facile de dominer le socialisme, de le dépasser. Toute pensée qui s’élève et qui cherche vers l’avenir rencontre un des souffles, un des courants de la pensée socialiste.

Et ceux-là aussi qui ont proclamé que la guerre est la nécessaire et sévère éducatrice des hommes voient leur idéal se dérober. Car les générations s’écoulent dans l’attente inquiète de la guerre sans en recevoir la rude discipline. Les vastes collisions deviennent trop rares, malgré tout, et trop incertaines pour avoir une vertu. Le militarisme n’est guère plus, durant de longues périodes, qu’une bureaucratie énorme dont les facultés techniques subsistent peut-être encore, mais dont le ressort moral se dissout dans l’équivoque d’une fausse guerre et d’une fausse paix. Les hommes sont pliés sous le fardeau de la paix armée, et ils ne savent pas si ce qu’ils portent sur leurs épaules, c’est la guerre ou le cadavre de la guerre. La haute probabilité du péril prochain, la certitude du sacrifice imminent, la fréquente familiarité de la mort joyeusement acceptée ne renouvellent plus dans le militarisme administratif les sources de la vie morale. La somnolente barbarie de la paix armée est comme un marais dormant, où plonge l’illusoire reflet de nuées ardentes. Quand donc le socialisme international s’organise pour assurer la paix entre les peuples par la suppression du privilège capitaliste et par l’émancipation du travail, ce n’est pas seulement contre l’injustice et la violence qu’il s’efforce ; mais il lutte aussi contre les ambiguïtés et les contradictions qui faussent à la longue la vie morale des peuples. Pour cette grande œuvre de révolution sociale et morale, le prolétariat allemand et le prolétariat français peuvent beaucoup par leur union, par leur action commune. Notre devoir est haut et clair : toujours propager l’idée, toujours espérer, toujours lutter jusqu’à la définitive victoire de la démocratie socialiste internationale, créatrice de justice et de paix.

Fac simile « L’Humanité Journal Socialiste Quotidien « Directeur Politique Jean-Jauès

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Source : http://www.jaures.eu/ressources/de_jaures/la-paix-et-le-socialisme-jaures-discours-dit-de-berlin-1905/

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8.
Discours de Bruxelles, 29 juillet 1914, par Jean Jaurès. Document ‘Dormira Jamais’

Préambule - ’ Tout est prêt. Les pires conditions matérielles sont excellentes. Les bois sont blancs ou noirs. On ne dormira jamais.’ André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924.

On lit parfois que le dernier discours de Jean Jaurès a été prononcé à Lyon-Vaise, le 25 juillet 1914. Le texte en est souvent reproduit, par exemple sur le site de l’Assemblée Nationale. Mais quelques jours plus tard cependant, le leader socialiste a quitté de nouveau Paris à l’invitation du Conseil général du Parti ouvrier belge. Au Cirque Royal de Bruxelles, au soir du 29 juillet 1914, il improvise un discours à partir de quelques notes.

Ce discours n’a pas été sténographié, mais plusieurs compte-rendu en ont été donnés, dont certains reproduisent de larges extraits. Il a été évoqué ensuite, de manière plutôt fantaisiste, par Roger Martin du Gard dans son célèbre chapitre des Thibault consacré à « L’Été 1914. ». Contrairement à ce qu’avance le romancier, il n’y eut pas de débordements ce soir-là et tout se déroula dans le calme. Après son intervention, la dernière de la soirée, Jean Jaurès regagna seul le quartier de la Gare du Midi. Il avait pris une chambre à « l’Hôtel de l’Espérance ». 

Réalisée par Jean Stengers, cette reconstitution du discours a été publiée dans les Actes du colloque Jaurès et la nation (Association des publications de la faculté des Lettres et sciences humaines de Toulouse, 1965). Dans cet ouvrage, ce document est précédé d’un article du même Jean Stengers intitulé « Le dernier discours de Jaurès », où j’ai puisé les informations données dans cette introduction. Les sources de Jean Stengers sont les comptes-rendus publiés dans Le Peuple et L’Indépendance Belge le 30 juillet 1914, celui paru dans Le Soir le 31 juillet, ainsi que des passages isolés parus dans différents quotidiens les mêmes jours.

Jaurès est accueilli par de longues acclamations On crie : « Vive Jaurès ! » « Viva la France ! » « Vive la République ! »

Citoyens, je dirai à mes compatriotes, à mes camarades du parti en France, avec quelle émotion j’ai entendu, moi qui suis dénoncé comme un sans-patrie, avec quelle émotion j’ai entendu acclamer ici, avec le nom de la France, le souvenir de la grande Révolution. (Applaudissements)

Nous ne sommes pas ici cependant pour nous abandonner à ces émotions mais pour mettre en commun, contre le monstrueux péril de la guerre, toutes nos forces de volonté et de raison.

On dirait que les diplomaties ont juré d’affoler les peuples. Hier, vers 4 heures, dans les couloirs de la Chambre, vint une rumeur disant que la guerre allait éclater. La rumeur était fausse, mais elle sortait du fond des inquiétudes unanimes ! Aujourd’hui, tandis que nous siégeons au B.S.I.(1), une autre dépêche plus rassurante est arrivée. On nous dit qu’on peut espérer qu’il n’y aurait pas de choc, que l’Autriche avait promis de ne pas annexer la Serbie (Rires), et que moyennant cette promesse, la Russie pourrait attendre.

On négocie ; il paraît qu’on se contentera de prendre à la Serbie un peu de son sang, et non un peu de chair (Rires) ; nous avons donc un peu de répit pour assurer la paix. Mais à quelle épreuve soumet-on l’Europe ! À quelles épreuves les maîtres soumettent les nerfs, la conscience et la raison des hommes !

Quand vingt siècles de christianisme ont passé sur les peuples, quand depuis cent ans ont triomphé les principes des Droits de l’homme, est-il possible que des millions d’hommes puissent, sans savoir pourquoi, sans que les dirigeants le sachent, s’entre-déchirer sans se haïr ?

Il me semble, lorsque je vois passer dans nos cités des couples heureux, il me semble voir à côté de l’homme dont le cœur bat, à côté de la femme animée d’un grand amour maternel, la Mort marche, prête à devenir visible ! (Longs applaudissements).

Ce qui me navre le plus, c’est l’inintelligence de la diplomatie. (Applaudissements) Regardez les diplomates de l’Autriche-Hongrie, ils viennent d’accomplir un chef d’œuvre : ils ont obscurci toutes les responsabilités autres que la leur. Quelles qu’aient été les folies des autres dirigeants, au Maroc, en Tripolitaine, dans les Balkans, par la brutalité de sa note, avec son mélange de violence et de jésuitisme, la coterie militaire et cléricale de Vienne semble avoir voulu passer au premier plan. (Applaudissements)

Et l’Allemagne du Kaiser, comment pourra-t-elle justifier son attitude de ces derniers jours ? Si elle a connu la note austro-hongroise, elle est inexcusable d’avoir pardonné pareille démarche. Et si l’Allemagne officielle n’a pas connu la note autrichienne, que devient la prétendue sagesse gouvernementale (Rires) Quoi ! vous avez un contrat qui vous lie et qui vous entraîne à la guerre, et vous ne savez pas ce qui va vous y entraîner ! Si c’est la politique des majestés, je me demande si l’anarchie des peuples peut aller plus loin. (Rires et applaudissements)

Si l’on pouvait lire dans le cœur des gouvernants, on ne pourrait y voir si vraiment ils sont contents de ce qu’ils ont fait. Ils voudraient être grands ; ils mènent les peuples au bord de l’abîme ; mais, au dernier moment, ils hésitent. Ah ! le cheval d’Attila qui galopait jadis la tête haute et frappait le sol d’un pied résolu, ah ! il est farouche encore, mais il trébuche (Acclamations). Cette hésitation des dirigeants, il faut que nous la mettions à profit pour organiser la paix.

Nous, socialistes français, notre devoir est simple. Nous n’avons pas à imposer à notre gouvernement une politique de paix. Il la pratique. Moi qui n’ai jamais hésité à assumer sur ma tête la haine de nos chauvins, par ma volonté obstinée, et qui ne faillira jamais, de rapprochement franco-allemand (Acclamations), moi qui ai conquis le droit, en dénonçant ses fautes, de porter témoignage à mon pays, j’ai le droit de dire devant le monde que le gouvernement français veut la paix et travaille au maintien de la paix. (Ovation. Cris : « Vive la France ! »)

Le gouvernement français est le meilleur allié de la paix de cet admirable gouvernement anglais qui a pris l’initiative de la médiation. Et il donne à la Russie des conseils de prudence et de patience. Quant à nous, c’est à notre devoir d’insister pour qu’il parle avec force à la Russie de façon qu’elle s’abstienne. Mais si, par malheur, la Russie n’en tenait pas compte, notre devoir est de dire : « Nous ne connaissons qu’un traité : celui qui nous lie à la race humaine ! Nous ne connaissons pas les traités secrets ! » (Ovation)

Voilà notre devoir et, en l’exprimant, nous nous sommes trouvés d’accord avec les camarades d’Allemagne qui demandent à leur gouvernement de faire que l’Autriche modère ses actes. Et il se peut que la dépêche dont je vous parlais tantôt provienne en partie de cette volonté des prolétaires allemands. Fût-on le maître aveugle, on ne peut aller contre la volonté de quatre millions de consciences éclairées. (Acclamations)

Voilà ce qui nous permet de dire qu’il y a déjà une diplomatie socialiste, qui s’avère au grand jour et qui s’exerce non pour brouiller les hommes mais pour les grouper en vue des œuvres de paix et de justice. (Applaudissements)

Aussi, citoyens, tout à l’heure, dans la séance du Bureau Socialiste International, nous avons eu la grande joie de recevoir le récit détaillé des manifestations socialistes par lesquelles 100 000 travailleurs berlinois, malgré les bourgeois chauvins, malgré les étudiants aux balafres prophétiques, malgré la police, ont affirmé leur volonté pacifique.

Là-bas, malgré le poids qui pèse sur eux et qui donne plus de mérite à leurs efforts, ils ont fait preuve de courage en accumulant sur leur tête, chaque année, des mois et des années de prison, et vous me permettrez de leur rendre hommage, et de rendre hommage surtout à la femme vaillante, Rosa Luxemburg (Bravos), qui fait passer dans le cœur du prolétariat allemand la flamme de sa pensée. Mais jamais les socialistes allemands n’auront rendu à la cause de l’humanité un service semblable à celui qu’ils lui ont rendu hier. Et quel service ils nous ont rendu à nous, socialistes français !

Nous avons entendu nos chauvins dire maintes fois : « Ah ! comme nous serions tranquilles si nous pouvions avoir en France des socialistes à la mode allemande, modérés et calmes, et envoyer à l’Allemagne les socialistes à la mode française ! » Eh bien ! hier, les socialistes à la mode française furent à Berlin (Rires) et au nombre de cent mille manifestèrent. Nous enverrons des socialistes français en Allemagne, où on les réclame, et les Allemands nous enverront les leurs, puisque les chauvins français les réclament. (Applaudissements)

Voulez-vous que je vous dise la différence entre la classe ouvrière et la classe bourgeoise ? C’est que la classe ouvrière hait la guerre collectivement, mais ne la craint pas individuellement, tandis que les capitalistes, collectivement, célèbrent la guerre, mais la craignent individuellement. (Acclamations) C’est pourquoi, quand les bourgeois chauvins ont rendu l’orage menaçant, ils prennent peur et demandent si les socialistes ne vont pas agir pour l’empêcher. (Rires et applaudissements)

Mais pour les maîtres absolus, le terrain est miné. Si dans l’entraînement mécanique et dans l’ivresse des premiers combats, ils réussissent à entraîner les masses, à mesure que les horreurs de la guerre se développeraient, à mesure que le typhus achèverait l’oeuvre des obus, à mesure que la mort et la misère frapperaient, les hommes dégrisés se tourneraient vers les dirigeants allemands, français, russes, italiens, et leur demanderaient : quelle raison nous donnez-vous de tous ces cadavres ? Et alors, la Révolution déchaînée leur dirait : « Va-t-en, et demande pardon à Dieu et aux hommes ! » (Acclamations)

Mais si la crise se dissipe, si l’orage ne crève pas sur nous, alors j’espère que les peuples n’oublieront pas et qu’ils diront : il faut empêcher que le spectre ne sorte de son tombeau tous les six mois pour nous épouvanter. (Acclamations prolongées)

Hommes humains de tous les pays, voilà l’œuvre de paix et de justice que nous devons accomplir !

Le prolétariat prend conscience de sa sublime mission. Et le 9 août, des millions et des millions de prolétaires, par l’organe de leurs délégués, viendront affirmer à Paris l’universelle volonté de paix de tous les peuples.

Longues ovations. Toute la salle, debout, acclame Jaurès.

La seule photographie conservée, semble-t-il, de la manifestation du 29 juillet 1914. Au premier rang de la loge de l’orchestre, on devine les orateurs.

Pour aller plus loin :

  • L’assassinat de Jean Jaurès, par Henri Guilbeaux. Un souvenir du climat des jours de l’entrée en guerre, à rapprocher des souvenirs de Gabriel Chevallier.
  • Discours de Bâle (24 novembre 1912), par Jean Jaurès.
  • Discours de Bruxelles (29 juillet 1914), par Jean Jaurès. Tentative de reconstitution par Jean Stengers du dernier discours de Jean Jaurès, deux jours avant sa mort.
  • Aux peuples assassinés, par Romain Rolland. Un des textes publiés dans la revue Demain d’Henri Guilbeaux.
  • Tu vas te battre (poème), par Marcel Martinet. Texte écrit aux premiers jours de la Grande Guerre.
  • Tout n’est peut-être pas perdu suivi de Les morts (poèmes), par René Arcos. Par le futur cofondateur de la revue Europe.
  • Dans la tranchée (poème), par Noël Garnier.
  • Le Noyé (poème), par Lucien Jacques.
  • Éloignement (poème), par Marcel Sauvage.
  • Malédiction (poème), par Henri Guilbeaux. Un texte prophétique sur les bombardements aériens, qui laisse entendre en 1917, qu’en matière de guerre industrielle, le pire est encore à venir.
  • Au grand nombre (poème), par Pierre Jean Jouve. Un poème de jeunesse d’un auteur qui marquera ensuite une rupture totale avec la première partie de son œuvre.
  • Chant d’un fantassin suivi de Élégie à Henri Doucet (poèmes), par Charles Vildrac. Un des piliers de l’expérience de l’Abbaye de Créteil, fervent pacifiste.
  • L’illumination (poème), par Luc Durtain. Un très grand poète oublié, l’ensemble du recueil, consultable en ligne, vaudrait d’être réédité.
  • Requiem pour les morts de l’Europe (poème), par Yvan Goll. Poète franco-allemand -né en fait dans l’Alsace-Lorraine occupée- qui adopte d’emblée une position pacifiste. Inventeur du « surréalisme » dont la paternité lui sera disputé par André Breton qui le juge trop classique, il meurt dans l’oubli. Il peut être considéré comme un des rares poètes expressionnistes écrivant en français.
  • Frans Masereel, par Luc Durtain. Sur le graveur et peintre flamand dont l’œuvre est indissociable de l’engagement pacifiste.
  • Discours de Pierre Brizon le 24 juin 1916. Premier discours de rupture avec l’Union sacrée, trois députés socialistes votant pour la première fois contre les crédits de guerre.
  • L’alerte, récit d’avant-guerre, par René Arcos. Une nouvelle d’une grande force satirique, par le cofondateur de la revue Europe.
  • L’Adieu à la patrie (poème), par Luc Durtain. À mes yeux, peut-être, le plus beau poème qu’on ait pu écrire sur cette guerre.
  • La première victime de la guerre, par Gabriel Chevallier (extrait du roman La Peur). Première victime, ou premier héros ?
  • Le Mal 1914 -1917 (extraits), par René Arcos.
     Source : http://dormirajamais.org/jaures-1/

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9.
L’Internationale, une méthode jaurésienne pour la paix européenne ?

Par Vincent Duclert - Document CAIRN. Acheter

Premières lignes

L’Internationale est une notion autant mobilisée par Jaurès que par les historiens du socialisme, comme Georges Haupt. Pour l’un et l’autre, le principe international n’est pas seulement une étape vers la société sans classes et le règne de l’humanité, mais un principe concret d’action et de réflexion qui peut mener à dépasser, même fortement, la doctrine socialiste. L’Internationale est bien une méthode...

Plan de l’article

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10.
Le grand Jaurès : la guerre, la paix et l’Internationale Par Julien Guérin 25/06/2014 – Voir Jean-François Claudon, Julien Guérin – Document ‘Démocratie et Socialisme’ Accueil Histoire et théorie 2014, année Jaurès - Mercredi 25 juin 2014

À l’occasion du centenaire de la mort de Jean Jaurès, la revue Démocratie & Socialisme a commencé la publication d’une série d’articles sur le martyr de juillet 1914. Nous reproduisons ici l’article paru dans la revue D&S de mai 2014.

L’heure du centenaire approche à grands pas. Le 31 juillet 1914, le premier leader du socialisme français unifié succomba sous les coups de la barbarie impérialiste qui allait pouvoir s’en donner à cœur joie pendant plus de quatre ans, en jetant les peuples d’Europe les uns contre les autres. Pour assouvir certes la soif de carnage de quelques sabreurs et autres marchands de canons cyniques, mais aussi l’appétit d’actionnaires « humanistes » en quête de nouvelles ressources et de nouveaux débouchés. On ne peut célébrer notre « bon maître », pour reprendre la formule de Jacques Brel, sans évoquer son combat pathétique contre cette guerre qu’il pressentit, qu’il conjura avec force, mais qu’il ne put éviter.

Pour une armée populaire

Très tôt, Jaurès s’intéresse aux questions liées à la défense nationale. Ses travaux d’historien portent la marque de ces problématiques. Dans son Histoire socialiste de la Révolution française, Jaurès évoque avec force une France républicaine aux prises avec la coalition des monarchies étrangères tentant d’éteindre le feu révolutionnaire en passe de se propager à toute l’Europe. Dans sa fresque historique, Jaurès évoque la légitimité de la guerre populaire contre les puissances monarchiques. À propos de la levée en masse décidée en août 1793 par le Comité de salut public, il écrit : « cette révolution grandiose et bienfaisante, il faut la sauver. Et puisque le monde est conjuré contre elle, il faut qu’elle-même devienne un monde par le soulèvement de toutes ses forces […]. La France se donnait toute entière, elle jetait dans la guerre pour la liberté toute sa fortune, toute son âme. Comme elle méritait de vaincre pour l’humanité » !

On décèle dans ces lignes les prémisses de ce que sera L’Armée nouvelle et son originale synthèse entre patriotisme et internationalisme. Dans cet ouvrage paru en 1911, Jaurès réfléchit aux moyens de mettre en place une armée populaire ayant vocation à se substituer à l’armée de classe encadrée par des officiers réactionnaires. Le service militaire est alors en France de deux ans, mais tous les citoyens sont, pour onze années, mobilisables en cas de conflit. Dans son ouvrage, le tribun socialiste récuse ce modèle et détaille son point de vue dans un projet de loi en dix-huit articles. Les officiers seraient désormais formés à l’université avec les autres étudiants et une bonne part de l’encadrement passerait entre les mains des civils échappant ainsi à la caste militaire, tandis que l’encasernement des soldats du rang ne pourrait excéder six mois. Cette armée n’aurait aucune ambition de domination ou de conquête. Jaurès écrit : « l’armée ainsi constituée a pour objet exclusif de protéger contre toute agression l’indépendance et le sol du pays. Toute guerre est criminelle si elle n’est pas manifestement défensive ; et elle n’est manifestement et certainement défensive que si le gouvernement du pays propose au gouvernement étranger avec lequel il est en conflit de régler le conflit par un arbitrage ». Il puisse dans la levée en masse de 1793 ses références pour la construction de cette armée nouvelle seule à même de garantir l’indépendance et la paix.

On peut cependant faire, avec Rosa Luxembourg, le reproche à Jaurès de se bercer d’illusion sur la notion même de conflit à caractère défensif : « Qu’est-ce en fait qu’une guerre défensive, se demande en effet la socialiste allemande » ? Qui va prendre sur soi de décider avec certitude de n’importe quelle guerre qu’elle appartient à l’une ou à l’autre catégorie ? Et comme il est facile et simple pour la diplomatie d’un État militaire d’obliger à l’attaque un adversaire faible au moyen de toutes sortes de petites perfidies et de stratagèmes quand c’est cet État même qui désire la guerre »… Ces lignes de la révolutionnaire allemande, terriblement lucides, laissent entrevoir le jeu de tous les gouvernements des États belligérants pour entraîner leurs peuples vers la guerre en 1914. Toutefois, Jaurès ne s’en remettra jamais au seul arbitrage des gouvernements et envisage en parallèle l’indispensable action du prolétariat international pour abattre le régime capitaliste et ainsi créer les conditions d’une paix durable.

Du Maroc au Balkans montent les bruits de bottes

Jaurès n’est donc pas, contrairement aux clichés, un pacifiste refusant toute forme de conflit armé. C’est avant tout contre le nationalisme fauteur de guerre qu’il s’élève. Il refuse les logiques de domination impériale qu’imposent aux peuples le joug nationaliste. S’il ne prend pas clairement position contre la colonisation française en Afrique et en Asie, Jaurès en condamne fermement les excès en raison de son profond respect pour tous les peuples opprimés. Le 28 juin 1912, ne s’écrie-t-il pas, à la tribune de la Chambre, qu’il ne « pardonne pas à ceux qui ont écrasé cette espérance d’un progrès pacifique et humain, la civilisation africaine, sous toutes les ruses et sous toutes les brutalités de la conquête » ? Il croit dans la mission civilisatrice de la France, patrie des droits de l’Homme, mais prend progressivement conscience que le colonialisme exacerbe les rivalités économiques, encourage la compétition pour le partage des ressources et multiplie ainsi les risques de déflagration guerrière. Il s’élève à plusieurs reprises, dans les colonnes de l’Humanité ou à la Chambre, contre les spoliations de terres dont sont victimes les peuples colonisés du Maghreb et ne peut admette l’humiliation que la France inflige à ces indigènes. Il y a là, pour lui, une terrible trahison des promesses issues des Lumières et de la Révolution. Peut-être un peu naïvement, le député de Carmaux pense qu’elles pourront malgré tout se frayer un chemin jusque dans les colonies et offrir à ses peuples l’égalité des droits. La logique intrinsèque de domination, inhérente au colonialisme, semble selon lui réformable et, dans son esprit, l’heure n’est pas encore venue d’octroyer la liberté à ces jeunes nations.

Les bruits de bottes répétés et les tensions pour le contrôle effectif du Maroc donnent l’occasion à Jaurès de mener ses premiers grands combats contre le militarisme. En 1905 éclate une première crise diplomatique qui conduit le continent européen au bord du gouffre. Une lutte au couteau oppose l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France pour le contrôle du Maroc. Depuis 1901 la France aide l’administration marocaine au maintien de l’ordre, mais profite de sa présence militaire pour pousser ses pions et insidieusement coloniser le pays. Le sultan se tourne alors vers l’Allemagne de Guillaume II qui cherche à rattraper son retard et à se tailler une part dans la répartition impérialiste de l’Afrique. En mars 1905, l’Allemagne menace la France d’un conflit si celle-ci ne renonce pas à ses prétentions marocaines. Une conférence internationale, qui se tient à Algésiras en janvier 1906, permet provisoirement d’éviter le pire, mais la braise menace de se rallumer à tout instant. Ce qui survient en 1911. Face à ces rivalités coloniales, Jaurès prend de fermes positions en condamnant les prétentions françaises qui avivent les tensions et menacent la paix à tout instant. Dès 1908, il défend dans un article de l’Humanité « une politique de paix et de civilisation humaine » qui exige que la « France se dégage de la triste et dangereuse aventure marocaine ». Il sent aussi poindre de sourdes menaces pour la paix en Europe lorsqu’il tourne son regard vers les Balkans où se joue un dangereux jeu diplomatique à partir de 1911. Le conflit que s’y livrent la Serbie, la Bulgarie, la Grèce, et l’Empire Ottoman est un théâtre d’ombre où les grandes puissances risquent chaque jour davantage d’enclencher l’implacable mécanique des alliances. Plus généralement, dans un discours à la chambre, le 26 janvier 1911, Jaurès s’élève contre ce qu’Hilferding avait décrit l’an passé sous le nom de « capital financier » et ce que Lénine n’allait pas tarder à appeler « l’impérialisme », en affirmant « qu’une des conditions de la grande action de la France dans le monde, au moment où les puissances financières viennent se mêler de plus en plus à l’action politique et diplomatique, c’est que vous en soyez les maîtres et qu’elles ne soient pas les vôtres ».

La coupure de l’Europe en deux alliances rivales, la course effrénée à la colonisation et les rivalités pour l’hégémonie économique et commerciale amènent ainsi Jaurès à faire, au cours des cinq dernières années de son existence, de la lutte contre l’écueil guerrier le cœur de son action. En février 1909, il s’interroge ainsi dans un article de l’Humanité : « laisserons-nous les bandits de la diplomatie poursuivre le jeu insensé dont la guerre peut sortir ? ». Pour lui, seule l’action résolue de l’Internationale socialiste est capable de conjurer ce péril.

Jaurès ou la voix de l’Internationale

De 1896, date de la première participation de Jaurès à un congrès international, à 1905, l’idylle entre Jaurès et l’organe suprême du socialisme mondial n’était pas encore d’actualité, tant les questions proprement françaises marginalisaient les enjeux internationaux dans les préoccupations jauressiennes. En 1896, à Londres, ce fut la question de l’admission dans les rangs des congressistes des syndicalistes révolutionnaires, franchement hostiles à la tactique parlementaire prônée par Jaurès et Millerand, mais aussi par Guesde, qui empêcha tout débat de fond. En 1904, à l’issue du congrès d’Amsterdam qui exhortait les socialistes français à unifier leurs rangs sur les bases de la résolution de Dresde qui condamnait fermement le ministérialisme, Jaurès s’efforça de relativiser le rôle de l’Internationale dans le vain espoir de minimiser sa défaite face à Guesde. Il signale notamment dans les colonnes de la Dépêche, que « ce qui importe dans les congrès internationaux, ce ne sont pas précisément les chiffres des voix qui se répartissent entre les différentes motions, ce sont les indications qui résultent de l’ensemble des débats »... Reste toutefois que Jaurès se soumit, quoique de mauvaise grâce – mais pouvait-il en être autrement ? –, aux prières de l’Internationale formulées à Amsterdam. Comme l’ont remarqué de nombreux commentateurs dans le sillage de la regrettée Madeleine Rébérioux, Jaurès était très attaché à l’Internationale et force est de constater que, pour le député de Carmaux, les décisions de l’instance suprême du socialisme mondial avaient « une valeur contraignante ». Précisément les bruits de botte qui commençaient à résonner partout en Europe, avaient convaincu Jaurès, dès 1904, de la nécessité impérieuse que revêtait l’unité socialiste, tant au niveau national qu’européen. Il fallait au tribun un parti unifié pour que sa voix porte dans l’arène internationale.

Ce n’est donc qu’après s’être élevé au rang de leader du Parti socialiste unifié que Jaurès devient une des plus grandes voix de l’Internationale. Sa maîtrise de l’allemand, qui datait de ses années normaliennes, lui permit de donner une puissance particulière à ses interventions. En 1907, Jaurès vote sans état d’âme, lors du congrès de Stuttgart, la motion de synthèse appelant les salariés à lutter contre les menaces guerrières, en s’appuyant sur les élus ouvriers dans les parlements et sur le Bureau socialiste international (le BSI), organe de coordination fondé en septembre 1900 et sensé doter l’organe socialiste mondial des moyens de ses ambitions. Il accepte l’amendement déposé par Lénine, Martov et Rosa Luxembourg stipulant que la tâche des socialistes « au cas où la guerre éclaterait néanmoins », consisterait à organiser la riposte populaire pour « la faire cesser promptement » et pour « précipiter la chute de la domination capitaliste ». Même si le tempérament de Jaurès le pousse à mettre d’avantage en avant, en cas de péril, l’hypothèse d’une médiation internationale, véritable « arbitrage de la raison » imposé par les peuples aux gouvernants, il affirme très clairement à Paris, lors d’un compte-rendu des débats du congrès de Stuttgart, le 7 septembre 1907, que le la tâche des socialistes, à l’heure des périls sera « de retenir le fusil dont les gouvernements d’aventure auront armé le peuple et de s’en servir, non pas pour aller fusiller de l’autre côté de la frontière des ouvriers […], mais pour abattre révolutionnairement le gouvernement de crime ». N’en déplaisent aux faiseurs d’opinion aseptisant ses analyses pour les rendre conformes à l’idéologie dominante, Jaurès n’avait décidément rien d’un pacifiste de salon !

Le conflit dans les Balkans transforma en positionnement pratique ce qui n’était jusque là qu’une position de principe partagée officiellement par l’ensemble des partis socialistes. Cette tactique allait devoir subir l’épreuve des faits. Déjà en 1910, à Copenhague, les Allemands s’étaient opposés à la motion dite « Vaillant-Keir Hardie » qui préconisait comme « particulièrement efficace [en cas de guerre] la grève générale ouvrière ». En octobre 1912, suite à l’agression italienne en Tripolitaine, Jaurès et Vaillant proposent au BSI des manifestations communes des sections de l’Internationale, mais l’Allemand Bebel s’y oppose. La radicalisation du conflit dans les Balkans pousse Jaurès à exiger la tenue d’un congrès au plus tôt, mais il n’obtient que la réunion d’une simple conférence des partis européens. Lors de cette conférence, qui a lieu à Bâle, les 24 et 25 novembre 1912, le tribun se fend d’un de ses plus beaux discours en convoquant les mânes de Schiller : uiuos uoco, mortos plango, fulgura frango (« j’en appelle aux vivants, je pleure les morts, je brise la foudre »).

Jaurès se livre-t-il d’autant plus aux tirades pathétiques dont il a le secret qu’il sent la situation lui échapper ? On lui a souvent reproché son aveuglement face à la montée d’un courant chauvin particulièrement vivace dans la sociale-démocratie allemande. En 1913, il polémique en effet avec le socialiste alsacien Charles Andler, qui dénonce l’existence outre-Rhin d’un socialisme « teutomane, colonial et détrousseur ». Jaurès couvre de son autorité la direction du SPD et, embarrassé, finit par accuser à tort Andler d’user de citations « fausses [et] tronquées ».

Sans chercher à occulter la part d’illusion que recelait sa croyance dans le respect scrupuleux par les sections nationales des motions votées lors des congrès internationaux – Lénine lui-même n’allait-il pas croire à un faux de l’état-major allemand à l’annonce du vote des crédits de guerre par le SPD ? –, nous préférons retenir les éléments qui prouvent la grande lucidité de Jaurès à l’heure des périls. Dès juillet 1905, dans l’Humanité, il avait pronostiqué que la guerre européenne « refoulerait le socialisme et la classe ouvrière submergée dans le flot des passions chauvines ou [...] porterait révolutionnairement au pouvoir une minorité audacieuse qui brusquerait la marche des événements ». Dans son avant-dernier éditorial pour la Dépêche, en date du 30 juillet 1914 – la veille de son assassinat –, il assurait avec amertume que le socialisme international « même s’il ne réussit pas d’emblée à briser le concert belliqueux, [...] l’affaiblira et [...] préparera les éléments d’une Europe nouvelle, un peu moins sauvage ». Si ses épigones ont raison de voir en Jaurès un véritable « géant », c’est sans conteste dans ces mois précédant la boucherie qu’il en eut bel et bien la stature.

- Source : http://www.democratie-socialisme.org/spip.php?article3227

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11.
Guerre et paix - Histoire 1914-1918 - L’antagonisme anglo-allemand – Séance de l’Assemblée Nationale du 18 novembre 1909 sous la Présidence d’Henri Brisson.

« Messieurs, il y a un fait qui frappe tous les yeux, c’est que ce qui domine aujourd’hui les budgets de l’Europe, on peut dire ce qui les accable, c’est le fardeau croissant des dépenses militaires qu’entraîne la paix armée. Je sais bien que les budgets ont à faire face en même temps à un commencement de dépenses sociales, mais il est clair qu’aujourd’hui ce sont surtout les dépenses militaires qui pèsent sur eux.

C’est l’aggravation de ces dépenses qui a pour une large part déterminé le déficit, médiocrement comblé par des mesures récentes du budget allemand.

Voilà longtemps que l’Allemagne n’a pas voté de grandes lois sociales nouvelles et cependant c’est à un déficit de 500 millions qu’elle avait été récemment conduite par la surenchère européenne des dépenses militaires et des dépenses navales.

L’accroissement de cet ordre de dépenses a été pour beaucoup aussi - pour plus de la moitié - dans le déficit de 500 millions du budget anglais et, aujourd’hui, en ce qui nous concerne, quand M. le ministre des Finances s’applique à justifier, avec la commission, les 200 millions d’impôts nouveaux qu’il nous propose, il constate qu’ils ont pour objet de faire face à un accroissement de 140 millions, je crois, dans l’ensemble des dépenses militaires de l’armée continentale ou de l’armée navale.

Messieurs, le premier problème, le problème essentiel qui se pose devant nous, problème européen, mais aussi problème budgétaire, c’est de savoir si nous sommes en face d’une situation définitive et d’un mal irréductible.

L’autre jour, l’honorable M. Théodore Reinach appelait de ses voeux l’heure où une détente européenne permettrait la limitation des armements. Je crois que nous pouvons et que nous devons analyser les causes essentielles du malaise qui perpétue sur l’Europe les difficultés financières avec lesquelles nous nous débattons, et je crois qu’après les avoir précisées, nous pouvons demander à la France pour sa part, dans la mesure de son rôle qui est resté grand, de contribuer à corriger le mal dont nous souffrons nous-mêmes.

Quelle est donc la cause la plus directe de cette tension par le déficit, par le malaise, par de croissantes difficultés ? Cette cause directe c’est, selon moi, et je le crois aussi, selon vous, le conflit, tantôt sourd, tantôt aigu, toujours profond et redoutable, de l’Allemagne et de l’Angleterre.

C’est ce conflit qui pèse sur nous tous, c’est lui qui aggrave ou qui suscite tous les autres conflits. Même les difficultés survenues entre la France et l’Allemagne au sujet du Maroc ne sont guère qu’un épisode et une manifestation superficielle de la profonde rivalité anglo-allemande, et M. le ministre des Affaires étrangères ne me démentirait pas si je disais que toutes les difficultés balkaniques seraient plus aisément résolues si, derrière les agitations, les complications de la péninsule des Balkans, il n’y avait pas l’Angleterre et l’Allemagne jouant chacune son jeu dans cet échiquier tourmenté.

Ainsi, messieurs, la première question qui se pose à nous, question vitale, question d’avenir pour l’Europe et pour la France, mais aussi question d’intérêt immédiat et de gestion financière, c’est de savoir si l’Europe est condamnée encore pour de longues générations à ce régime, si ce conflit de l’Angleterre et de l’Allemagne doit se perpétuer, imposant sur nous toutes les charges de la paix armée et aboutissant enfin à la catastrophe d’une grande guerre où tous les peuples de l’Europe risqueraient d’être entraînés, ou si, au contraire, ce conflit peut se résoudre, s’il peut être atténué d’abord, réglé ensuite par des moyens pacifiques et si la France y peut contribuer. Eh bien ! messieurs, au risque de vous paraître optimiste et imprudent dans cet optimisme, je crois que ce conflit peut être pacifiquement résolu, et je n’offenserai pas notre pays en disant que son devoir, proportionné précisément à la grandeur historique de son rôle, est de travailler autant qu’il dépend de lui à la solution amiable de ce conflit.

Si je prononce ces paroles de confiance, ce n’est pas seulement parce que des symptômes immédiats semblent annoncer entre l’Angleterre et l’Allemagne un espoir, une détente ; vous avez tous recueilli avec Le péril, pour la nation allemande, pour l’industrie allemande, gît précisément dans une des organisations qui, en temps de paix, constitue sa force. Une des forces de la production allemande, c’est que l’industrie y est étroitement associée aux banques, c’est que les banquiers commanditent, administrent indirectement, dirigent, contrôlent les industries.

C’est une raison de puissance, car cette organisation permet à l’industrie allemande, à certaines heures, dans la lutte ide la concurrence, des effets de masse, les longues prévoyances et les calculs à longue portée ; mais aussi, comme le sort de l’industrie est lié par les. banques au sort du crédit tout entier, et comme le crédit est exposé à ces oscillations dont je vous parlais, la crise d’une grande guerre pourrait ébranler jusque dans ses fondements la [puissance économique de l’Allemagne.

Les hommes d’affaires de l’Allemagne les plus Clairvoyants le savent bien. Il y a un an, il y a eu à Berlin une réunion générale des financiers qui ont constaté que la moindre guerre créerait dans les finances allemandes, dans l’économie allemande, un trouble profond.

Le danger ne serait pas moindre, il serait d’une autre sorte, mais il serait d’un égal degré pour la nation anglaise. Elle est aux prises, elle aussi, dans sa puissance largement étendue, avec des difficultés croissantes. L’Angleterre ne s’est pas bornée à prétendre à l’empire des mers, à organiser pour ses grandes flottes des ports de refuge ou de ravitaillement. Elle a occupé d’immenses territoires. Mais voici qu’en Afrique, en Asie, tous les peuples sur lesquels est levé le manche de son trident commencent à s’agiter, à se réveiller. Voici que la révolution turque a son contrecoup en Europe. Et l’autre jour, un des plus hauts diplomates de la Turquie nouvelle a paru indiquer que le sort de l’Égypte était réglé définitivement ; il y a eu au Caire, comme à Constantinople, un soulèvement significatif.

Dans l’Inde, les difficultés sont graves pour le gouvernement anglais. A la suite du mouvement japonais, un ébranlement s’est communiqué à toute l’Asie, et il y a dans l’Inde, contre la domination anglaise, un mécontentement qui se propage ,et qui se traduit (par des campagnes hostiles et par des attentats violents. Il y a des ligues qui se forment, de vastes meetings qui se tiennent, des formules de boycottage des marchandises anglaises qui sont propagées. Une grande partie des groupements hindous réclament une extension des libertés de l’Inde et à l’extrême gauche de ce mouvement, si vous le voulez, il y a des attentats révolutionnaires répétés qui rappellent, par leur fréquence, les attentats qui, il y a vingt ou vingt-cinq ans, se commettaient en Irlande. Le gouvernement anglais, est, tous les jours, plus embarrassé à les réprimer, car ils sont couverts par la complicité passive du silence universel.

Avant-hier encore, un attentat, qui devait être mortel, a été commis contre le vice-roi de l’Inde ; l’auteur de l’attentat, pour synthétiser en un symbole admirable la beauté réunie de la civilisation européenne et de la nature asiatique, avait fabriqué sa bombe en introduisant de l’acide picrique dans une noix de coco.

Messieurs, c’est un mouvement vaste, c’est un mouvement profond qui inquiète, en Angleterre, tous ceux qui réfléchissent et qui prévoient. C’est l’honneur de l’Angleterre, c’est l’honneur de son gouvernement libéral qu’à l’heure présente il ne songe pas à avoir raison de cette agitation de l’Inde, de cette inquiétude du peuple hindou s’éveillant à des espérances nouvelles d’indépendance et de liberté ; il ne songe pas à en avoir raison par les seuls moyens de la compression et de ,1a force ; il veut en avoir raison en introduisant en effet, graduellement, dans la gestion des choses de l’Inde, des garanties pour le peuple hindou lui-même, et, au lendemain de l’attentat, il y a deux jours, le vice-roi a promulgué, sans y changer un mot, le nouveau régime, longuement élaboré, pour l’Inde, qui lui accorde des garanties nouvelles, qui développe un conseil impérial du vice-roi, dans lequel les délégués des groupes hindous et des groupes mahométans sont largement représentés, où les fonctionnaires anglais n’ont que trois voix de majorité, et le même projet crée des conseils provinciaux à attributions étendues, où les délégués élus des groupements hindous ont la majorité.

Il est certain que c’est dans cette voie des libertés élargies que se trouveront l’asile et la conciliation de la liberté des peuples et des principes de la conciliation européenne. Mais il est certain aussi que si une guerre était témérairement déchaînée, ces difficultés, dont l’Angleterre peut avoir raison par la hardiesse de son esprit libéral, en période normale, en période de paix, deviendraient, quand un souffle de feu passerait sur la planète, des difficultés inextricables.

Il y a une autre raison pour que ces grands peuples ne se jettent pas et ne jettent pas le monde avec eux dans des aventures belliqueuses ; c’est qu’ils savent de plus en plus qu’en s’affaiblissant l’un l’autre, ils travailleront au profit d’un tiers.

Pendant que l’Allemagne et l’Angleterre se jalousent, se contrecarrent publiquement et sournoisement à travers le monde, voici que les États-Unis grandissent et que leur ambition mondiale s’éveille. Longtemps ils se sont bornés à exporter des matières premières, maintenant, ils les manufacturent, et ce sont des produits fabriqués, ce n’est plus seulement du coton, ce sont des tissus qui sont exportés par eux à travers le monde. Leur commerce extérieur a doublé ; il y a deux mois, le président Taft, tout le long des 14.000 ou 15.000 kilomètres de propagande qu’il a accomplis à travers l’Amérique, a insisté sur cette idée que les États-Unis devaient à tout prix s’assurer une marine marchande, et leur intervention active dans la vie économique, dans les conflits du monde se fait plus pressante tous les jours.

Anglais et Allemands s’étaient querellés en Chine pour les chemins de fer. A la longue, des combinaisons étaient intervenues entre les deux. Les Anglais avaient eu d’abord le plus gros morceau. Les Allemands étaient survenus, offrant à la Chine des conditions meilleures pour elle. Et alors une sorte de syndicat anglo-allemand, avec adjonction de Français, s’était formé. Mais à peine cette concession était-elle connue, que les États-Unis, non plus par leurs industriels, non plus par leur Chambre de commerce, mais officiellement, par leurs représentants à Pékin, ont protesté et ont dit : « Et nous ? » Et ils ont exigé dans les concessions de chemins de fer de la Chine une part nouvelle pour les États-Unis. Leur influence économique et leur ambition économique s’accroissent.

Les Anglais le savent bien ; ils savent qu’il y a bien des points où ils seraient vulnérables. 41 0/0 des provisions d’alimentation qui viennent à l’Angleterre du dehors sont fournies, savez-vous par quel pays ? Par la République Argentine. Les États-Unis se sont dit que, s’ils pouvaient mettre la main économiquement sur la République Argentine, ils auraient par là la main sur toute la vie anglaise. Et voici que le trust américain de la viande pousse des entreprises dans la République Argentine au point d’inquiéter le gouvernement anglais, les grands journaux conservateurs de l’Angleterre.

Qu’est-ce à dire, messieurs ? C’est que, si l’Angleterre et l’Allemagne se déchiraient, s’affaiblissaient, elles trouveraient le lendemain devant elles les États-Unis plus puissants, ayant profité de leur discorde même pour élargir leurs débouchés, pour jeter plus loin leurs filets sur le monde.

Il y a une troisième raison qui conseille de plus en plus à la sagesse anglaise et à la sagesse allemande le règlement pacifique de tous les conflits, c’est que de plus en plus les peuples auprès desquels se produit ce travail de la compétition européenne se refusent à être une proie ; c’est que de plus en plus la Turquie, la Chine prétendent ne plus subir, au point de vue économique, le despotisme de l’étranger.

Sous le régime hamidien, la Turquie était presque exclusivement livrée à l’Allemagne pour les travaux d’Asie Mineure, mais elle vient, par un habile système d’équilibre qui assure sa propre liberté, de concéder de larges droits à l’Angleterre dans la navigation » du Tigre et de l’Euphrate.

D’autre part, vous voyez que de plus en plus la Chine manoeuvre entre les puissances diverses, mettant en opposition, mettant en concurrence les offres des unes .et des autres, et assurant de plus en plus sa liberté sur la multiplicité même des appétits qui la guettent.

Ainsi, ceux qui, par la force, auraient prétendu, en écrasant un rival, s’assurer la primauté et le monopole des affaires dans le monde, ceux-là pourraient avoir de cruels mécomptes.

Enfin, il est impossible qu’en Allemagne et en Angleterre tous ceux qui pensent ne s’aperçoivent pas des risques de conflit que le développement forcé des armements conduisent les deux peuples à des crises politiques et sociales redoutables.

Ah ! Messieurs, c’est la rançon des entreprises de la force, c’est la Némésis, comme le disait Berthelot, qui guette toutes les oeuvres de guerre et de violence ; il vient un jour où les peuples se lassent ; on n’a pas tenu compte de leurs plaintes et de leurs souffrances ; on, a laissé, pour la satisfaction des besoins d’orgueil ou des convoitises capitalistes, s’accumuler les risques de guerre ; on a pressuré le travail. Mais un jour vient où il faut régler les comptes, où il faut combler l’abîme du déficit qui s’est creusé, et ce jour-là on est acculé à cette redoutable alternative : ou l’on demandera des sacrifices aux classes dirigeantes qui vêtaient bien bénéficier de la guerre, mais qui ne veulent pas en porter k poids, ou bien on demandera, par l’impôt, des sacrifices nouveaux au peuple déjà exploité, et alors le peuple se redresse, il réclame, il revendique, et les oeuvres de force qu’on avait préparées deviennent l’occasion de mouvements sociaux et politiques dont l’ampleur épouvante les imprudents qui croyaient ne déchaîner que des risques de guerre et qui déchaînent des risques de révolution.

Ah ! Messieurs, nous ne nous dissimulons pas le péril, et voilà pourquoi nous voulons que la France prenne position nette. Oui, en Allemagne, en Angleterre, l’immense majorité des hommes dans tous les partis veut la paix ; mais il suffit qu’il y ait dans le pays des groupes, même minorités, rêvant des aventures, pour que notre vigilance doive toujours être en éveil. Dans les choses extérieures, il suffit de l’action de minorités, violentes ou sournoises, pour déterminer par surprise les catastrophes si les peuples ne veillent pas.

Je constate (qu’à côté de l’immense majorité de la nation allemande qui, veut la paix, il y a des groupes minuscules qui ont eu l’imprudence de déclarer avec le docteur Schliemann que, si un conflit éclatait entre l’Angleterre et l’Allemagne, c’est la France qui serait prise comme otage, comme si elle pouvait être aisément prise en otage.

Ceux qui, comme mes amis et moi, veulent profondément la paix, ceux qui veulent qu’il n’y ait dans la politique française aucune arrière-pensée, aucune racine cachée de politique de revanche, ceux-là peuvent bien dire que le jour où, à la France voulant la paix, le disant au monde, ne se laissant entraîner délibérément dans aucune aventure, on dirait : « Tu seras esclave, tu serviras la politique d’un autre pays, tu seras tributaire du sol de ce pays », jaillirait une résistance incomparable dans l’histoire. Sur ce point, voilà ce que Je voulais vous dire, et j’ajoute qu’en même temps que nous sommes fondés à servir ce langage à quelques groupes de pangermanistes d’outre-Rhin, nous ne pouvons laisser, nous ne voulons laisser à aucun groupe de transporteurs et de capitalistes anglais, l’illusion : que nous nous laisserions envelopper dans un conflit délibérément préparé avec l’Allemagne.

De même que les paroles de Schliemann ont révolté votre conscience, de même, je l’avoue^je n’ai pas aimé l’article récent de la grande revue anglaise le London Century, disant que, l’Angleterre devait se hâter de préparer un grand corps d’armée expéditionnaire pour être plus sûre de nous entraîner avec elle dans les conflits de l’avenir.

Il n’appartient à personne de disposer de la France, et je dis que si nous voulons qu’entre l’Angleterre et l’Allemagne le conflit n’éclate pas, nous pouvons y aider pour notre part en avertissant bien haut tous les pays du monde que nous ne nous laisserons envelopper dans aucun conflit, dans aucune intrigue et que nous voulons rester libres de nos mouvements pour travailler à la paix du monde.

Monsieur Reinach, je m’aperçois que j’avais dit que son devoir, son salut, c’était, du moins dans les cadres territoriaux de l’Europe actuelle, de garder l’originalité de sa pensée, de perpétuer, sous la domination du vainqueur, la parcelle d’âme française qu’elle avait gardée en dépôt. Et c’est ainsi, messieurs, que/dans la bourgeoisie d’Alsace, dans le peuple d’Alsace, jamais la culture de la langue française n’a été aussi répandue qu’aujourd’hui. »

Source : http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/1914-1918/hommage-a-jean-jaures/le-tribun/guerre-et-paix

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12.
Internationalisme, patriotisme et combat pour la paix chez Jaurès par Ismaël Dupont. – Document PCF Front de gauche « Le chiffon rouge Moralix ». 11 novembre 2014. Photo d’époque de Jaurès

En ce jour où l’on commémore la fin de la première guerre mondiale (sur le front de l’ouest), cent ans après son déclenchement, c’est faire justice aux un million quatre cent mille français tués dans cette guerre, aux dix millions de victimes de cette boucherie évitable, sans parler des mutilés dans leur chair et dans leur âme, des intoxiqués au gaz, des veuves et des orphelins, des villages désertés, que de rendre la parole à Jaurès, l’infatigable défenseur de la paix du début du XXe siècle, assassiné deux jours avant la déclaration de guerre par un nationaliste déséquilibré et haineux, inspiré par l’Action Française, ce bien nommé Villain qui sera acquitté et libéré dans un procès politique scandaleux en 1919. 31 juillet 1914, 21h40, le café du Croissant, en soirée : la Paix perd son chantre, son bouclier. Les armes et les généraux imbéciles et sans vergogne peuvent faire leur office criminel. Charles Silvestre raconte dans La Victoire de Jaurès, après Nicolas Offenstadt qui a dépouillé et aidé à la publication des Carnets d’Abel Ferry, sous-secrétaire d’Etat aux affaires étrangères à l’époque dans le cabinet de Viviani, que 3h auparavant, Jaurès avec des responsables socialistes rencontraient une représentation des affaires étrangères. 

La note d’Abel Ferry concernant le 31 juillet dit ceci mot à mot :

’Ce même vendredi à 9 heures du soir, on fit passer un papier à Poincaré disant que Jaurès venait d’être assassiné... Il était venu me voir avec une délégation trois heures auparavant et voici les notes que j’avais prises pendant qu’il parlait : ’Vous êtes victimes d’Islovski et d’une intrigue russe : nous allons vous dénoncer, ministres à la tête légère, dussions-nous être fusillés’.

A Lyon, le 25 juillet 1914, dans son discours de Vaise, qui témoigne de sa lucidité extrême par rapport à la nature de cette guerre européenne qui s’annonce et à ses conséquences, Jaurès a des mots vibrants d’angoisse et prophétiques et il lance un avertissement aux gouvernements bourgeois qui jouent avec la vie de millions d’hommes : 

’Chaque peuple paraît à travers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main et maintenant voilà l’incendie...

La politique coloniale de la France, la politique sournoise de la Russie et la volonté brutale de l’Autriche ont contribué à créer l’état de choses horrible où nous sommes. L’Europe se débat comme dans un cauchemar.

Et bien ! citoyens, dans l’obscurité qui nous environne, dans l’incertitude profonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux prononcer aucune parole téméraire, j’espère encore malgré tout qu’en raison même de l’énormité du désastre dont nous sommes menacés, à la dernière minute les gouvernements se ressaisiront et que nous n’aurons pas à frémir d’horreur à la pensée du désastre qu’entraînerait aujourd’hui pour les hommes une guerre européenne. Vous avez vu la guerre des Balkans, une armée presque entière a succombé, soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d’hôpitaux, une armée est partie à un chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse la terre des champs de bataille, dans les fossés des chemins ou des lits d’hôpitaux infectés par le typhus cent mille hommes sur trois cent mille.

Songez à ce que serait le désastre pour l’Europe : ce ne serait plus comme dans les Balkans, une armée de 300 000 hommes, mais quatre, cinq, six armées de 2 000 000 d’hommes. Quel désastre, quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie ! Et voilà pourquoi, quand la nuée d’orage est déjà sur nous, je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé. Citoyens, si la tempête éclatait, tous, nous socialistes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt possible du crime que les dirigeants auront commis et en attendant, s’il nous reste quelque chose, s’il nous reste quelques heures, nous redoublerons d’efforts pour prévenir la catastrophe...

Quoiqu’il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères et que tous les prolétaires, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et nous, demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs coeurs écarte l’horrible cauchemar...’

Un peu plus tôt, dans un article du 12 juin 1913 dans L’Humanité que cite l’ancien rédacteur en chef de L’Humanité Charles Silvestre, Jaurès pressent les conséquences durables du conflit européen : 

’Si chauvins de France et chauvins d’Allemagne réussissaient à jeter les deux nations l’une contre l’autre, la guerre s’accompagnerait de violences sauvages qui souilleraient pour des générations le regard et la mémoire des hommes. Elle remuerait tous les bas-fonds de l’âme humaine et une vase sanglante monterait dans les coeurs et dans les yeux’. 

On pense évidemment à la montée du nazisme et à la terrible volonté de revanche de l’Allemagne qui suit l’oppression et l’humiliation du Traité de Versailles où la France, à cause notamment de Clémenceau, a voulu écraser l’Allemagne et reconfigurer les frontières de l’Europe et du Proche-Orient avec l’Angleterre pour servir ses intérêts.  

Internationalisme, patriotisme et combat pour la paix chez Jaurès

« Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène ; un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale, beaucoup y ramène’. 

’Tant que, dans chaque nation, une classe restreinte d’hommes possédera les grands moyens de production et d’échange, tant qu’elle possédera ainsi et gouvernera les autres hommes...tant que cette classe pourra imposer aux sociétés qu’elle domine sa propre loi, qui est la concurrence illimitée... ; tant que cette classe privilégiée, pour se préserver contre tous les sursauts de la masse s’appuiera ou sur les grandes dynasties militaires ou sur certaines armées de métier... ; tant que cela sera, toujours cette guerre politique économique, et sociale des classes entre elles, des individus entre eux, dans chaque nation, suscitera les guerres armées entre les peuples » (discours de Jaurès à la Chambre des Députés, le 7 mars 1885)

Jaurès ne sera pas toujours aussi tranché pour faire du système capitaliste une force de guerre puisque, à l’été 1914, il veut croire, comme Kautsky et beaucoup d’économistes libéraux, que l’intrication des capitalismes européens, l’internationalisation du capital et l’enchevêtrement des intérêts liés aux échanges marchands peuvent donner quelques chances à une paix fondée sur les intérêts économiques des bourgeoisies européennes. Ainsi, il écrit dans L’Humanité le 20 juillet 1914 comme pour se donner des motifs rationnels d’espérer : « le capitalisme, en ce qu’il a de plus sain, de plus fécond, de plus universel, a intérêt à apaiser et prévenir les conflits ». 

Voeu pieu qui ressuscite opportunément la vieille antienne libérale de Montesquieu sur le libre-échange et le zèle commercial qui conduisent à la paix ? Nous n’irons pas jusque là. 

Car d’ordinaire, pour Jaurès, si le capitalisme met en danger la paix internationale, c’est aussi et surtout parce que les capitalistes doivent choyer l’institution militaire pour qu’elle les préserve contre les révoltes populaires.

C’est encore parce que les milieux d’affaires, dans un certain sens, ont tout intérêt à entretenir la fièvre nationaliste qui crée l’illusion d’une communauté idéale transcendant les contradictions d’intérêts entre classes, qui nourrit de rêve et remplit d’orgueil les petits et les humbles à l’énoncé des faits de gloire de l’armée de la nation, qui détourne l’attention des problèmes sociaux...

Le patriotisme peut ainsi être considéré comme une autre forme d’opium du peuple, une religion de sortie de la religion adaptée à l’âge de la démocratie qui entretient d’illusions unanimistes un peuple exploité et constitue un instrument idéologique d’exploitation au service d’une bourgeoisie qui est parallèlement de plus en plus prompte à s’allier financièrement avec ses consœurs étrangères. 

C’est le point de vue de Marx et Engels dans le Manifeste du parti communiste : « Les ouvriers n’ont pas de patrie ».

Cette formule radicale que Jaurès qualifie de « boutade » dans L’Armée Nouvelle (1910) est justifiée théoriquement et pratiquement : comme le capital n’a pas de patrie et que sa domination est mondiale, comme il n’y a aucun sens à sacraliser un territoire et l’État qui le garantit, qui n’est rien d’autre qu’un instrument de domination de classe, la stratégie révolutionnaire des représentants du monde du travail doit être coordonnée internationalement et soumettre à la critique les lubies patriotiques qui désamorcent une lutte des classes qu’il faut au contraire pousser à l’exaspération en faisant en sorte que les prolétaires se reconnaissent subjectivement comme unis par des intérêts communs de prolétaires et non de français, d’anglais ou d’allemands...

En même temps, cette affirmation reste étonnante en 1848 car l’un des ressorts puissants des mouvements révolutionnaires, de la Révolution Française au ’printemps des peuples’ de 1848, en passant par les journées de 1830 en France, la Commune, reste la fièvre patriotique du peuple. 

Cette négation comme illusion et simple instrument d’exploitation de l’idée de patrie au nom d’un internationalisme prolétarien rejoint aussi le point de vue de Gustave Hervé, futur rallié à l’union sacrée et pétainiste (à qui l’on doit le « notre patrie, c’est notre classe »), le directeur de la Guerre sociale (revue d’extrême-gauche lancée en 1906 et bientôt tirée à 50 000 exemplaires, autant que L’Humanité) et de son courant, très influent à la CGT qui a ratifié une ligne anti-patriotique au congrès d’Amiens en 1906, davantage inspiré toutefois par l’idéologie libertaire et l’anti-militarisme. La CGT, minoritaire sur cette ligne dans le syndicalisme européen, prônera ainsi jusqu’en 1914 avant que Jouhaux ne se rallie à l’Union Sacrée le jour même des obsèques de Jaurès, non la défense de la nation menaçant d’être démantelée, mais la grève générale révolutionnaire en cas de guerre.

A l’inverse de la ligne majoritaire à la CGT, comme la majorité sans doute des dirigeants socialistes, Jaurès se montre partisan d’un patriotisme civique héritier de la Révolution française et de l’idée républicaine : bénéficier de droits politiques, être éduqué et pris en charge par une nation qui met au cœur de son projet émancipateur la liberté, l’égalité, la fraternité, nous donne le devoir de la défendre quand elle est menacée. Jaurès est pour une armée nationale, une armée citoyenne, une armée de milices, avec un service militaire universel et continu, comme en Suisse. 

Ce que Jaurès ce supporte pas, c’est le militarisme, la suppression de l’état de droit et de l’esprit démocratique dans l’armée, son noyautage par une aristocratie d’argent et de tradition réactionnaire. Son but, inspiré de la révolution française et des soldats de l’an II, est de réintégrer l’armée dans la nation, de transformer le recrutement des officiers et de les placer sous le contrôle du vote des soldats, de rapprocher l’armée de la société civile en créant, sur les ruines d’une armée de métier figée dans ses habitudes hautaines hérités de l’Ancien Régime et sa différence sociale, des milices civiles effectuant régulièrement des périodes d’entraînements et de service militaire, et encore de casser les tribunaux d’exception militaires.

Jaurès est un homme des conciliations inaccoutumées qui entend concilier « le patriotisme le plus fervent et l’internationalisme le plus généreux », ce dernier consistant surtout en son sens en l’idéal d’une fédération de nations autonomes vivant en paix sous l’arbitrage d’un droit international (Jaurès a été un des promoteurs de l’idéal qui a donné naissance à la SDN en 1919 grâce au président américain Wilson notamment) et dans le refus de la realpolitik et de la politique de puissance (Jaurès réclame ainsi que le gouvernement français intervienne pour dénoncer les exactions contre les Arméniens en Turquie, malgré les intérêts du capitalisme français dans l’Empire Ottoman). 

Son patriotisme est basé sur plusieurs traditions.

La patrie à laquelle nous appartenons, ce n’est pas seulement la terre des ancêtres, mais la nation républicaine en rupture avec une histoire faite de servitudes et d’inégalités sanctifiées par la tradition et la religion.

La défense de la patrie de la Révolution et des droits de l’homme est présentée, dans L’Histoire socialiste de la révolution française notamment (que Jaurès rédige en 1898-1899 après sa défaite aux législatives à Carmaux), comme une cause à valeur universelle, un moyen de défense de la liberté. Pour Jaurès, la seule guerre que les socialistes puissent envisager de soutenir est donc une guerre défensive de sauvegarde de la République. Jaurès se démarque de l’outrance de la formule de Marx et Engels « les ouvriers n’ont pas de patrie » en affirmant qu’ « on ne peut donner un sens à la formule qu’en disant qu’elle a été écrite à une époque où partout en Europe, en Angleterre et en France comme en Allemagne, la classe ouvrière était exclue du droit de suffrage, frappée d’incapacité politique et rejetée par la bourgeoisie elle-même hors de la cité » (L’armée nouvelle, chapitre 10).

Toutefois, pour Jaurès, Marx et Engels ont eu tort de séparer l’émancipation sociale et l’idée nationale : ce que revendiquent les prolétaires au milieu des années 1850, c’est l’accès à la dignité pleine de citoyens, la reconnaissance de leur appartenance de plein droit à la nation qui ne va pas sans l’attribution de droits sociaux et un minimum d’égalité sociale sans laquelle le corps civique n’a plus aucune forme d’unité et qui est induite dans l’accès des masses laborieuses au suffrage universel.

« L’indifférence prétendue du prolétariat pour la patrie, poursuit Jaurès au chapitre 10 de L’Armée nouvelle, était le pire des contresens à une époque où partout les peuples aspiraient à la fois à l’indépendance nationale et à la liberté politique, condition de l’évolution prolétarienne ».

Il n’y a donc pas à opposer revendication civique et lutte des classes puisque le combat du peuple pour l’appartenance pleine et entière à la nation a été pour le prolétariat un moment de la prise de conscience d’intérêts de classe communs et d’une force autonome, ce que démontre notamment l’épisode sans-culotte de la Révolution française.

Jaurès considère que l’attachement à la patrie est un sentiment parfaitement légitime, quasi universel, y compris et même surtout dans les classes populaires (Jaurès reprendrait volontiers à son compte la formule d’historien Michelet : « En nationalité, c’est tout comme en géologie, la chaleur est en bas »), qui a des effets politiques puissants que Marx et Engels ont eu le tort de sous-estimer : l’ignorance ou la sous-estimation du fait identitaire ou national s’avère d’ailleurs, à l’aune des expériences historiques d’échec ou de dénaturation des projets de révolution marxiste, comme une des principales faiblesses de la pensée marxienne...

Le patriotisme est également un sentiment qui s’appuie sur une détermination réelle des habitudes de sentiment, de pensée et d’action individuelles et collectives, par l’histoire et la culture des différents peuples, lesquels continuent à vivre en chacun de nous et à créer des comportements communs et des solidarités spontanées au-delà des différences de classes. Ainsi, Jaurès écrit dans L’Armée nouvelle que la patrie tient pour ainsi dire à la « physiologie de l’homme » : 

« A l’intérieur d’un même groupement régi par les mêmes institutions, exerçant contre les gouvernements voisins une action commune, il y a forcément chez les individus, même des classes les plus opposées ou des castes les plus distantes, un fonds indivisible d’impressions, d’images, de souvenirs, d’émotions. L’âme individuelle soupçonne à peine tout ce qui entre en elle de vie sociale, par les oreilles et par les yeux, par les habitudes collectives, par la communauté du langage, du travail et des fêtes, par les tours de pensée et ces passions communs à tous les individus d’un même groupe que les influences multiples de la nature et de l’histoire, du climat, de la religion, de la guerre et de l’art ont façonné ».

Cette adhésion affective à la patrie prend d’ailleurs racine dans un terroir bien particulier, une culture régionale ou locale spécifique, et Jaurès, malgré son admiration pour la Convention, n’a jamais été de ces jacobins qui au nom de la sécheresse d’un idéal d’unification rationnelle sous la bannière d’une langue et de principes administratifs et idéologiques communs, méprisaient les identités régionales comme des archaïsmes : petit paysan dans la propriété de son père à la Fédial, près de Castres, c’est un amoureux de la culture populaire du Tarn, des lumières et des paysages de son pays, il a eu le goût du terroir et lisait d’ailleurs avec passion de la littérature occitane, langue qu’il parlait avec les paysans de la région de Carmaux. La force de l’adhésion patriotique puise d’abord, et Jaurès n’a jamais contredit Barrès qu’il estimait sur ce point, dans un amour charnel et irrationnel de la terre de l’enfance et de la culture des « anciens » qui a bercé cette enfance. C’est le patriotisme tranquille, nullement guerrier et xénophobe par nature, du paysan et de l’homme du peuple auquel se rattache aussi Jaurès, l’opposant de manière caricaturale (non sans peut-être reprendre sans le vouloir un préjugé antisémite) à l’absence de patriotisme ou au cosmopolitisme structurel du financier :

« La propriété du paysan est un morceau de sa vie : elle a porté son berceau, elle est voisine du cimetière où dorment ses aïeux, où il dormira à son tour ; et du figuier qui ombrage sa porte, il aperçoit le cyprès qui abritera son dernier sommeil. Sa propriété est un fragment de la patrie immédiate, de la patrie locale, un raccourci de la grande patrie. De l’actionnaire à sa propriété inconnue, tous ces liens sont brisés. Il ne sait pas en quel point de la patrie jaillit pour lui la source des dividendes, et c’est souvent de la terre étrangère que cette source jaillit. Que de valeurs étrangères sont mêlées dans le portefeuille capitaliste aux valeurs nationales, sans qu’aucun goût du terroir permette de les discerner » (Jaurès, 1901 : Études socialistes. Cahiers de la Quinzaine). 

Toutes ces considérations amènent Jaurès à s’opposer à toute attitude de défaitisme révolutionnaire, attitude qui, avant d’avoir été théorisée par Lénine, était la réponse à une guerre des États impérialistes et capitalistes que semblait aussi préconiser la mouvance anti-militariste de la CGT et Gustave Hervé : refuser de défendre la patrie en cas de déclaration de guerre et chercher à profiter de cette situation confuse fragilisant les institutions pour mener une révolution afin de subvertir les bases de la société.

« La vérité est, écrit Jaurès, que partout où il y a des patries, c’est à dire des groupes historiques ayant conscience de leur continuité et de leur unité, toute atteinte à la liberté et à l’intégrité de ces patries est un attentat contre la civilisation, une rechute en barbarie ». 

Cependant, en 1904, la défaite des troupes russes face aux japonais avait montré que la guerre et la défaite militaire pouvaient entraîner des bouleversements sociaux considérables (révolution russe de 1905) et accélérer le mouvement de destruction des bases inégalitaires de la société. Toutefois, dans un discours à la Chambre datant de juin 1905, Jaurès écrit que même si la guerre contient des potentialités révolutionnaires dont le prolétariat ne s’interdira pas de se saisir si la bourgeoisie l’envoie au feu pour servir ses intérêts, elle est plus probablement encore une remise cause durable de la civilisation et les socialistes doivent tout faire pour empêcher qu’elle advienne dans des conditions de développement technique et d’ententes internationales qui la rendraient infiniment destructrice et non la considérer comme un mal nécessaire à exploiter :

« Nous n’avons pas, nous socialistes, la peur de la guerre. Si elle éclate, nous saurons regarder les événements en face, pour les faire tourner de notre mieux à l’indépendance des nations, à la liberté des peuples, à l’affranchissement des prolétaires. Le révolutionnaire se résigne aux souffrances des hommes quand elles sont la condition nécessaire d’un grand progrès humain, quand, par là, les opprimés et les exploités se relèvent et se libèrent. Mais maintenant, mais dans l’Europe d’aujourd’hui, ce n’est pas par les voies de la guerre internationale que l’œuvre de liberté et de justice s’accomplira et que les griefs de peuple à peuple seront redressés ».

Et Jaurès poursuit son discours en devinant avec un curieux sens de la prémonition, neuf ans avant le déclenchement de la grande Guerre, douze ans avant la révolution bolchevik russe, quatorze ans avant la répression de la révolution spartakiste et une vingtaine d’années avant la montée du fascisme en Italie et en Allemagne annonçant les carnages plus effroyables encore de la seconde guerre mondiale, ce que pourraient être les suites d’une guerre européenne prochaine :

« D’une guerre européenne peut jaillir la révolution, et les classes dirigeantes feront bien d’y songer ; mais il peut en sortir aussi, pour une longue période, des crises de contre-révolution, de réaction furieuse, de nationalisme exaspéré, de dictature étouffante, de militarisme monstrueux, une longue chaîne de violences rétrogrades et de haines basses, de représailles et de servitudes. Et nous, nous ne voulons pas jouer à ce jeu de hasard barbare, nous ne voulons pas exposer, sur ce coup de dé sanglant, la certitude d’émancipation progressive des prolétaires, la certitude de juste autonomie que réserve à tous les peuples, à tous les fragments de peuple, au-dessus des partages et des démembrements, la pleine victoire de la démocratie socialiste européenne...Car cette guerre irait contre la démocratie, elle irait contre le prolétariat, elle irait contre le droit des nations... ».

Si l’on analyse ce discours de Jaurès, on s’aperçoit qu’il met trois finalités au centre du combat des socialistes, au regard desquels le combat pour la paix apparaît comme une condition essentielle : l’émancipation sociale des prolétaires, l’universalisation de la démocratie et le droit à l’auto-détermination et à l’autonomie politique des peuples.

Au-delà même de ces considérations, la Paix reste pour Jaurès une valeur primordiale, un impératif moral absolu, une condition de l’humanité préservée et développée de l’homme, qui n’a pas besoin d’être justifiée par autre chose qu’elle-même. Autant qu’un patriote républicain, Jaurès se situe sur un plan idéaliste inspiré par le christianisme et par le tolstoïsme ou du kantisme envisageant ces pis-allers que sont la paix armée nécessitant une défense nationale, un rapport de force construit, et des litiges réglés par des arbitrages internationaux, comme une simple étape transitoire qui doit conduire au règne des fins (pour reprendre une expression du grand philosophe et moraliste allemand du XVIIIème siècle, Emmanuel Kant, dont Jaurès était familier) de la paix définitive, qu’il faut croire possible pour ne pas désespérer de l’homme. Cette paix véritable sous l’égide d’un droit international accepté universellement exigerait une révolution culturelle et un perfectionnement moral qui peuvent paraître relever des doux rêves d’un utopiste mais Jaurès ne craint pas dire, échappant une nouvelle fois à une réduction des enjeux politiques à un prisme économique : « la race humaine ne sera sauvée que par une immense révolution morale » (l’Humanité, 11 mai 1913).  

Comment Jaurès combat concrètement pour la paix ?

a) Il y a d’abord dans ses rapports aux hommes politiques, ses discours à la Chambre et dans ses articles de l’Humanité un décryptage critique permanent des actes de la diplomatie française, une dénonciation publique des entreprises qui pourraient nuire à la précaire paix franco-allemande et une interpellation régulière des ministres avec cette même finalité, ainsi que tout un travail pour se rapprocher des radicaux influents qui, comme Joseph Caillaux, veulent sincèrement la paix. Ainsi, Jaurès s’oppose vivement à l’alliance de la France avec la Russie tsariste qui est perçue comme une intention belliqueuse par les Allemands et sera finalement responsable de la contagion du contentieux entre les russes et l’Autriche au sujet de l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand par un nationaliste serbe. Jaurès soutient d’ailleurs la légitimité de l’influence turque dans les Balkans, lieu de rencontre des civilisations, contre la politique pro-slave belliqueuse des russes. Il condamne comme un facteur de déstabilisation la concurrence forcenée que se livre en Afrique du Nord et dans l’Empire Ottoman pour pénétrer les marchés et conquérir les marchés de modernisation des infrastructures les capitalismes français et allemands servis par des gouvernements mandatés par les milieux financiers. Le prolétariat est la vraie force nationale qui doit contraindre tout gouvernement belliqueux à renoncer à ses desseins guerriers au nom de la défense de la stabilité des institutions de la République et de la liberté comme au nom de l’humanité. On peut donc envisager pour Jaurès un droit d’insurrection contre les gouvernements qui voudraient mobiliser suite à une politique aventureuse et impérialiste sans avoir donné toutes ses chances à la paix et Jaurès rappelle publiquement ce droit à l’insurrection des prolétaires contre la forfaiture d’une guerre évitable pour intimider les gouvernements qui se succèdent au début des années 1900. 

Cela vaut au leader socialiste de faire l’objet d’une véritable haine dans les milieux nationalistes, dont son assassinat le 31 juillet 1914 par un nationaliste de l’ultra-droite détraqué, Raoul Villain, sera la conséquence. Lisons, parmi des centaines d’autres accusations de trahison et appels au meurtre contre Jaurès, ces tristes mots de Charles Péguy, le poète et pamphlétaire de talent, l’ancien protégé de Jaurès et dirigeant des étudiants socialistes dreyfusards converti récemment au patriotisme catholique : « Dès la déclaration de guerre, la première chose que nous ferons sera de fusiller Jaurès. Nous ne laisserons pas derrière nous ces traîtres nous poignarder dans le dos ». Dès le 23 juillet 1914, en point d’orgue, l’écrivain et journaliste d’extrême-droite Léon Daudet a signé noir sur blanc un « Tuer Jaurès ! » dans L’Action française tandis que Maurras donne du « Herr Jaurès » quand il parle du tribun socialiste. Raoul Villain (qui sera acquitté le 29 mars 1919 sous la majorité de droite nationaliste de « la chambre bleu horizon ») écrit à son frère le 10 août 1914, emprisonné à la prison de la santé suite au meurtre de Jaurès : « J’ai abattu le porte-drapeau, le grand traître de l’époque de la loi de Trois ans, la grande gueule qui couvrait tous les appels de l’Alsace-Lorraine. Je l’ai puni » (Jean Jaurès, Jean-Pierre Rioux, Perrin, p. 254). 

b) Il y a l’action au sein des congrès de la seconde Internationale ouvrière, à Stuttgart en août 1907 et à Copenhague en septembre 1910, pour mobiliser les socialistes européens sur le principe du refus du vote des crédits de guerre et de l’organisation d’une grève générale transnationale et concertée en cas de déclenchement de la guerre. Depuis 1905, Jaurès est la voix de la SFIO avec Vaillant, le vieux communard, au Bureau de l’Internationale Socialiste (BSI). Le caractère simultané et concerté de l’action internationale contre la guerre est présenté par lui comme une nécessité pour contraindre les gouvernements à la négociation et les faire abandonner leurs projets belliqueux. Le Parti Socialiste se refusera donc à prendre des engagements unilatéraux, si le socialisme allemand choisit d’accepter la conscription et de voter les crédits de guerre... En septembre 1910, à Copenhague, est votée la motion Keir-Hardie-Vaillant qui prévoit la possibilité de grèves générales coordonnées dans les pays s’apprêtant à rentrer en guerre les uns contre les autres. En 1912, dans une atmosphère d’émotion collective contagieuse et de solennité dramatique qu’Aragon a magnifié dans son magnifique roman Les cloches de Bâle, six mille militants de l’Internationale vibrent avec Jaurès lorsqu’il présente aux délégués la résolution qui « déclare la guerre à la guerre » dont il est un des auteurs et qu’il les appelle à empêcher l’extension de la guerre des Balkans par le mécanisme diabolique des alliances européennes et qu’il invoque l’inscription en latin qui ornait la cloche de l’écrivain romantique allemand Schiller : « Vicos voco, j’appelle les vivants ; Mortuos plango, je pleure les morts ; Fulgura frango, je briserai les foudres de la guerre... ». 

A l’intérieur des rangs socialistes, on observe beaucoup de scepticisme sur la volonté réelle dont pourrait faire preuve, le moment venu, la social-démocratie allemande pour s’opposer à la guerre. Ainsi, l’historien Romain Ducoulombier rapporte qu’ « à la fin de 1912, alors même que les socialistes français et allemands s’apprêtent à s’accorder sur un manifeste de désarmement, le socialiste Charles Andler, brillant universitaire germanophone et fin connaisseur de Marx, publie dans L’Action nationale un article sur les progrès du socialisme impérialiste en Allemagne dont la teneur provoque bientôt une violente polémique. « Je crois les socialistes allemands très patriotes, écrit-il...La philosophie industrialiste les domine. Or, il n’y a pas de défaite salutaire pour un État industriel ». Dans une réplique d’une agressivité inaccoutumée, publiée par L’Humanité le 4 mars 1913, Jaurès l’accuse d’être un « faussaire »... Si Jaurès assène de si fortes critiques à Andler, c’est qu’en effet son attitude disqualifie par avance toute action internationale contre la guerre ». De fait, l’évènement allait confirmer les craintes d’une partie des socialistes français puisque, début août 1914, à la grande indignation de Rosa Luxemburg qui avait été emprisonnée en février 1914 pour incitation de militaires à la désobéissance, tous les députés du SPD au Reichstag votent les crédits de guerre. 

c) Il y a enfin la bataille contre la loi des Trois ans. Le 6 mars 1913, Briand présente à la Chambre le projet de loi faisant passer la durée du service militaire de 2 à 3 ans, alors que les radicaux étaient parvenus avec l’appui des socialistes à la faire passer de 3 à 2 ans en 1905. Jaurès présente ce projet de loi comme « un crime contre la République et contre la France » qui menace la paix en donnant des signes de volonté belliqueuse aux Allemands et au peuple français et et qui affaiblit la défense nationale. Jaurès présente un contre-projet à la Chambre les 17-18 juin où il reprend les propositions de création d’une armée populaire démocratique développées dans L’Armée nouvelle. La SFIO et la CGT, y compris sa tendance syndicaliste-révolutionnaire, décident de taire leurs différences d’appréciation sur les principes de la défense nationale et de la grève révolutionnaire en cas de guerre pour lutter ensemble contre la loi des 3 ans en organisant une campagne de sensibilisation et des meetings dans toute la France : Jouhaux, le secrétaire national de la CGT, vient au grand meeting du Pré-Saint-Gervais le 25 mai 1913 où Jaurès parle devant 150000 personnes. Les radicaux, de leur côté, se dotent d’un nouveau leader, Caillaux, hostile comme les socialistes à la loi des 3 ans. La loi est néanmoins votée grâce à une coalition du centre-gauche nationaliste conduit par Briand et Clémenceau, du centre-droit dirigé par Poincaré et de la droite et l’extrême droite.

Contact : pcfmorlaix@wanadoo.fr – Source : http://www.le-chiffon-rouge-morlaix.fr/article-internationalisme-patriotisme-et-combat-pour-la-paix-chez-jaures-124981834.html

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13.
Jean Jaurès : les forces de Paix 11/11/2013 Par Catherine Chabrun Blog : Education et société

Le 31 juillet 1914, Jean Jaurès est assassiné car il appelait à la paix, un rappel de ses paroles est incontournable en cette année qui célèbre le centenaire de la guerre 14-18.Voici son discours lors de la séance du 20 novembre 1911…

Document à la lire sur le site suivant : https://blogs.mediapart.fr/catherine-chabrun/blog/111113/jean-jaures-les-forces-de-paix

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14.
Jaurès le pacifiste européen, victime de la guerre qu’il voulait empêcher 29 juillet 2014 – Document ‘Le Parisien’ – A lire à la source : http://www.leparisien.fr/flash-actualite-culture/jaures-le-pacifiste-europeen-victime-de-la-guerre-qu-il-voulait-empecher-29-07-2014-4035469.php

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15.
Une série d’émissions de France Culure sur Jean-Jaurès 2013-2014

Emissions de La Fabrique de l’Histoirepar Emmanuel Laurentin du lundi au vendredi de 9h00 à 10h00 de 2013 à 2014.

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Le socialisme (1/4) : Jean Jaurès - 25/02/2013 Par Adèle Van Reeth

Réalisation : Lionel Quantin - Lectures : Gilles Trinque - Les Chemins de la philosophiepar Adèle Van Reeth du lundi au vendredi de 10h00 à 10h55

Le changement demande de l’inspiration, la réforme, de l’imagination, la révolution, un certain goût pour l’utopie. Depuis sa naissance, au début du 19ème siècle, le socialisme, des grands maitre-rêveurs utopiques aux sociaux-démocrates tempérés, ne cesse de se redéfinir par rapport à la nature et à l’ampleur du changement qu’il souhaite mettre en œuvre. Si toutes les écoles socialistes sont animées de cet élan pour transformer l’organisation sociale, comment faire tenir ensemble l’autonomie individuelle et l’unité sociale, surmonter la séparation entre société civile et société politique, concilier le matérialisme et le spiritualisme ? De l’idée aux faits, de l’idéologie aux mesures, du projet au concret, le socialisme se donne-t-il les moyens de répondre aux nécessités de changement qui sont le propre de la politique en général ?

Demain, Yvon Quiniou viendra s’interroger sur les différences entre marxisme et socialisme, mercredi, Juliette Grange vous présentera le projet utopique de Saint-Simon, et jeudi, Serge Audier proposera une nouvelle réflexion sur le socialisme en le confrontant à son soi-disant ennemi, le libéralisme.

Mais pour inaugurer en beauté et en règle cette semaine socialiste, j’ai le plaisir d’accueillir aujourd’hui l’historien Gilles Candar pour nous dresser le portrait nécessaire de Jean Jaurès.

Source : https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/le-socialisme-14-jean-jaures

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Jaurès 2/4 25/03/2014 - De Castres à Carmaux, Jaurès à la rencontre du socialisme - Un documentaire de Séverine Liatard et Séverine Cassar - Photo ; Statue de Jean Jaurès à Castres • Crédits : Séverine Liatard - Radio France

Né à Castres, en 1859, Jean Jaurès appartient à la petite bourgeoisie républicaine. Sa famille très respectueuse de l’État connaît ainsi nombre d’officiers. C’est d’ailleurs grâce à l’un de ses oncles militaires que Jean, et Louis, son frère, deviennent boursiers au collège public de Castres qu’ils gagnent à pied chaque matin du domaine de la Fédial, situé à quelques kilomètres de la ville. C’est l’école qui va assurer l’ascension sociale et intellectuelle de Jean Jaurès. L’élève remporte de nombreux prix d’excellence et va être désigné pour discourir devant le préfet du Tarn venu faire une visite impromptue. Dans sa harangue, le jeune lycéen fait l’éloge de la loi et de la discipline. Exploit qui s’ajoute à son parfait maniement du latin. Il sera le candidat pour une nouvelle bourse destinée à préparer le concours le plus prestigieux de France, celui le l’ENS. Ses camarades de promo se nomment Charles Salomon, Henri Bergson ou Paul Desjardins. Durant ces intenses années d’études à Paris, Jaurès en profite pour aller entendre Gambetta à l’Assemblée nationale.

Nommé professeur de lycée en 1881 à Albi, il obtient aussi des charges de cours en philosophie à l’université de Toulouse. Malgré sa passion de la philosophie, il se laisse gagner par la politique tarnaise dont il comprend vite les subtilités. Alors que le candidat républicain local meurt subitement, Jaurès est finalement désigné pour lui succéder. Il mène une campagne électorale intense et est élu dès le premier tour aux législatives de 1885. Le plus jeune député de France est un républicain social : il discourt sur la nécessité de s’occuper des pauvres et rêve de justice sociale. Tout en renforçant son ancrage régional, il commence à devenir populaire dans certains milieux ouvriers, auprès de syndicalistes. Il défend aussi les enfants du peule et leur droit à l’éducation. C’est cependant, la grande grève des mineurs de Carmaux survenue en août 1892 qui achève de le convaincre de la nécessité d’une action ouvertement socialiste. Jaurès devient rapidement un incontournable acteur et penseur du socialisme.

Source : https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/jaures-24

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Jaurès 3/4 26/03/2014 Balade dans l’exposition Jaurès qui se tient aux Archives nationales du 5 mars au 2 juin, en compagnie de deux de ses commissaires Magali Lacousse et Romain Ducoulombier .- Cette semaine est en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès

Intervenants : Magali Lacousse, conservateure aux Archives nationales ; Romain Ducoulombier, Historien. Source : https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/jaures-24

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Jaurès 4/4 27/03/2014 Le socialisme de Jaurès à l’étranger

Avec Gilles Candar , Elisa Marcobelli et Emmanuel Jousse. Cette semaine est en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès

Intervenants ; Gilles Candar, professeur de chaire supérieure au Mans, président de la Société d’études jaurésiennes, directeur des « Cahiers Jaurès » ; Elisa Marcobelli, doctorante, spécialiste de l’Italie et l’Allemagne, EHESS ; Emmanuel Jousse, enseignant à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.

Source : https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/jaures-44

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Publications sur Jean Jaurès à travers des documents de France Culture 2014

Jean Jaurès homme politique, figure emblématique du socialisme français - En savoir plus

Biographie de Jean Jaurès : Jean Jaurès-la figure la plus sacrée de l’histoire et de la mémoire des socialistes français, Jean Jaurès est né en 1859 à Castres (Tarn) et mor assassiné le 31 juillet 1914.

Jaurès, pensée et postérité 07/03/2014 (mis à jour le 22/01/2016 à 16:29) Hélène Combis-Schlumberger

Il y a tout juste un siècle, le 31 juillet 1914, Jean Jaurès, l’un des hommes politiques les plus marquants de sa génération, fer de lance du socialisme, champion du pacifisme, était assassiné à Paris. La Grande guerre commence juste après sa disparition, mais sans éclipser son nom, ni sa pensée. Aujourd’hui encore, de nombreux politiciens s’en réclament, affirment s’en inspirer.

Au mois de mars, en lien avecl’exposition qui ouvrait aux Archives nationales de Paris, nous vous proposions de plonger dans la pensée politique jaurésienne et sa postérité, en sons, textes et images. Un dispositif multimédia à redécouvrir ici à l’occasion de l’anniversaire de la mort du grand homme.

►►►Cliquez ici ou sur l’image pour accéder au webdocumentaire

Webdoc JaurèsWebdoc Jaurès• Crédits : Radio France

Aujourd’hui encore, de nombreux politiciens se réclament de Jaurès, affirment s’en inspirer. Au mois de mars, en lien avec l’exposition qui ouvrait aux Archives nationales deParis, nous vous proposions de plonger dans la pensée politique jaurésienne et sa postérité, en sons, textes et images. Un dispositif multimédia à redécouvrir ici à l’occasion de l’anniversaire de la mort du grand homme.Production et réalisation : Hélène Combis-Schlumberger

Un webdocumentaire à voir ici : http://radiofrance.djehouti.com/franceculture/jaures2014/index.html

►►► A réécouter - Le Grain à moudre du 30 juillet 2014, ’Pourquoi ont-ils récupéré Jaurès ?’

Du 24 au 27 mars 2014, la Fabrique de l’Histoire consacrait une série à Jean Jaurès : épisode 1 | épisode 2 | épisode 3 | épisode 4 - Hommage à Jaurès de Clémence Fulleda , diffusé dans le journal de 8h de ce 31 juillet 2014 :

Écouter Hommage à Jaurès ►►► Quelques liens
- Jaurès : 100 ans après sa mort, unanimité autour du leader socialiste (AFP)

 Jean Jaurès, assassiné il y a 100 ans : un héritage très convoité (France Info)

Source : https://www.franceculture.fr/page-jaures-pensee-et-posterite

Pourquoi ont-ils récupéré Jaurès ? 30/07/2014 - Emission France Culture Du Grain à moudre d’étédu lundi au vendredi de 18h20 à 19h00 - Du Grain à moudre d’étépar Raphaël Bourgois et Emilie Chaudet

La mémoire collective est une chose étrange… avec le temps des événements simultanés mais de portée et d’interprétation radicalement opposées à l’époque, se retrouvent commémorés dans un même mouvement. C’est flagrant en cette semaine de double centenaire : celui de l’assassinat de Jean Jaurès le 31 juillet et du décret de mobilisation en France le 1er aout, début de la 1ere guerre mondiale. Saluer le courage des poilus au même titre que la plus grande figure du pacifisme de l’époque… c’est la quintessence de la proverbiale ironie de l’histoire.

Il faut dire que Jaurès est aujourd’hui une figure consensuelle, citée de l’extrême gauche à l’extrême droite de l’échiquier politique. Il était l’homme du socialisme, il est aujourd’hui l’homme de toute la France a souligné le président de la République François Hollande lors d’un hommage à Carmaux.

Auteur et intellectuel prolixe, il a écrit surtout beaucoup de sujets qui animent aujourd’hui les débats… République, laïcité, école, nation… il est aisé de trouver et d’extraire une citation pour étayer n’importe quel discours. Au mépris parfois de toute honnêteté intellectuelle quand le Front National inscrit sur des affiches de campagne « Jaurès aurait voté FN »…

Mais que vont-chercher les hommes et les femmes politiques dans cette référence… pourquoi ont-ils récupéré Jaurès ? C’est la question ce soir du Grain à Moudre d’été.

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Intervenants : Christian Paul, député PS de la Nièvre ; Bernard Carayon, Ancien député UMP du Tarn : Alexis Corbière, porte-parole de ’La France insoumise’, ancien Secrétaire national du Parti de gauche

Source : https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-moudre-dete/pourquoi-ont-ils-recupere-jaures

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16.
Les grands discours de la République 34/34. Le 30 juillet 1903, distribution des prix du lycée d’Albi : Jean Jaurès  : «  Le courage, cest de chercher la vérité et de la dire  » Par Patrick Apel-Muller, directeur de la rédaction de L’Humanité. Vendredi, 1 Septembre, 2017 - Culture et savoirs - Les grands discours de la République séries d’été jean jaurès - Photo de Jean-Jaurès - Illustration : Rue des Archives/RDA

Les hommes qui ont confiance en l’homme savent cela. Ils sont résignés d’avance à ne voir qu’une réalisation incomplète de leur vaste idéal, qui lui-même sera dépassé ; ou plutôt ils se félicitent que toutes les possibilités humaines ne se manifestent point dans les limites étroites de leur vie. Ils sont pleins d’une sympathie déférente et douloureuse pour ceux qui, ayant été brutalisés par l’expérience immédiate, ont conçu des pensées amères, pour ceux dont la vie a coïncidé avec des époques de servitude, d’abaissement et de réaction, et qui, sous le noir nuage immobile, ont pu croire que le jour ne se lèverait plus. Mais eux-mêmes se gardent bien d’inscrire définitivement au passif de l’humanité qui dure les mécomptes des générations qui passent. Et ils affirment, avec une certitude qui ne fléchit pas, qu’il vaut la peine de penser et d’agir, que l’effort humain vers la clarté et le droit n’est jamais perdu. L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir.

Dans notre France moderne, qu’est-ce donc que la République ? C’est un grand acte de confiance. Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; qu’ils sauront se combattre sans se déchirer ; que leurs divisions n’iront pas jusqu’à une fureur chronique de guerre civile, et qu’ils ne chercheront jamais dans une dictature même passagère une trêve funeste et un lâche repos. Instituer la République, c’est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune (…).

Oui, la République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace. L’intervention en était si audacieuse, si paradoxale, que même les hommes hardis qui, il y a cent dix ans, ont révolutionné le monde (…) confondirent en elle toute la Révolution. (…) C’était la République de la démocratie et du suffrage universel. C’était une nouveauté magnifique et émouvante. (…) Et ceux-là aussi seront justifiés, qui la placent plus haut encore. Car le prolétariat dans son ensemble commence à affirmer que ce n’est pas seulement dans les relations politiques des hommes, c’est aussi dans leurs relations économiques et sociales qu’il faut faire entrer la liberté vraie, l’égalité, la justice. Ce n’est pas seulement la cité, c’est l’atelier, c’est le travail, c’est la production, c’est la propriété qu’il veut organiser selon le type républicain. À un système qui divise et qui opprime, il entend substituer une vaste coopération sociale où tous les travailleurs de tout ordre, travailleurs de la main et travailleurs du cerveau, sous la direction de chefs librement élus par eux, administreront la production enfin organisée. (…)

Comment m’était-il possible de parler devant cette jeunesse qui est l’avenir, sans laisser échapper ma pensée d’avenir ? (…) C’est donc d’un esprit libre aussi, que vous accueillerez cette autre grande nouveauté qui s’annonce par des symptômes multipliés : la paix durable entre les nations, la paix définitive. (…) L’humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement. Le courage, aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la sombre nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante, dont on peut toujours se flatter qu’elle éclatera sur d’autres. Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage pour vous tous, courage de toutes les heures, c’est de supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que prodigue la vie. Le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces ; c’est de garder dans les lassitudes inévitables l’habitude du travail et de l’action. Le courage, dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c’est de choisir un métier et de le bien faire, quel qu’il soit (…). Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques.

Vingt-deux ans plus tôt, Jaurès avait déjà prononcé le discours d’usage de remise des prix du lycée d’Albi. Là, il revient en vice-président de la Chambre des députés. Il a 47 ans. Le parlementaire républicain est devenu président du tout jeune Parti socialiste français ; il caresse le rêve, réalisé un an après, de créer son journal, l’Humanité ; et il a constitué le corps de sa pensée. Son adresse à la jeunesse rassemble sa vision de la vie et de l’engagement qu’elle réclame. Il proclame «  quil faut faire un large crédit à la nature humaine  » et affirme «  quon se condamne soi-même à ne pas comprendre lhumanité, si on na pas le sens de sa grandeur et le pressentiment de ses destinées incomparables  ». S’il sacrifie d’abord à l’exercice et à ses clichés, il les dépasse vite pour un appel à la maturité. La puissance et la générosité de son verbe aimantent toujours aujourd’hui. Certains rêvent de changer cet or en mica. Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen s’y sont essayés et Emmanuel Macron a prétendu, lors de la dernière campagne présidentielle, enrôler Jaurès dans sa marche libérale, en trafiquant ce texte magistral. Il a notamment censuré la critique sans appel du capitalisme, «  ce système qui divise et qui opprime  », et son appel très communiste à «  une vaste coopération sociale où tous les travailleurs de tout ordre, travailleurs de la main et travailleurs du cerveau, sous la direction de chefs librement élus par eux, administreront la production enfin organisée  ».

Le courage reste bien «  de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe  ».

Source : https://www.humanite.fr/jean-jaures-le-courage-cest-de-chercher-la-verite-et-de-la-dire-641332

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Actualités - La Fondation Jean-Jaurès cherche son point d’équilibre - Dépositaire de la mémoire socialiste française, le ‘think tank’ doit gérer le legs de l’histoire et le besoin de rénovation. LE MONDE | 28.10.2017 à 12h07 • Mis à jour le 29.10.2017 à 13h26 | Par Jean-Baptiste de MontvalonPhoto de J.-M. Ayrault commentée.

« Un « nouveau monde » se serait substitué à « l’ancien monde » ? « Cela ne veut rien dire, soupire Thierry Mérel. Les ruptures, en histoire, sont très factices… » A 43 ans, ce diplômé en archivistique veille sur quelque 1 500 mètres linéaires de mémoire socialiste, dont environ « 16 000 ouvrages » et « 2 000 affiches », entreposés à la Fondation Jean-Jaurès. Autrement plus sensible à la résonance du passé qu’à des slogans conjoncturels et vite flétris, il évoque les yeux brillants le dernier trésor reçu ici : le fonds Renaudel, du nom d’un compagnon de route de Jaurès, cédé par ses descendants en 2014. Lors du centenaire de la mort du fondateur de L’Humanité, ses lorgnons, son porte-plume et quantité de ses manuscrits ont rejoint les locaux de la Fondation, cité Malesherbes, dans le 9e arrondissement de Paris ».

« Agrandie de deux étages acquis dans un immeuble voisin en 2006, cette adresse-là, qui abrita jadis le siège de la SFIO, se porte bien. Autrement mieux, en tout cas, que le 10, rue de Solférino, récemment mis en vente par le PS après sa déroute électorale du printemps. Créée en 1992 à l’initiative de Pierre Mauroy, alors président de l’Internationale socialiste, la Fondation Jean-Jaurès garde pour modèle la puissante Friedrich-Ebert, associée au SPD, le parti social-démocrate allemand ».

« Reconnue d’utilité publique – et bénéficiant à ce titre de subventions publiques –, elle fut la première des fondations politiques françaises. Un think tank qui depuis en côtoie d’autres, mais qui est assurément parmi les plus actifs. Gilles Finchelstein, son directeur général, évoque « 750 activités » – publications, séminaires, réunions publiques – en 2016. « Dans un paysage politique en plein chambardement, et une certaine désespérance à gauche, c’est une fondation qui va bien et est à l’offensive », affirme-t-il. Une dizaine d’observatoires thématiques ont été créés depuis... »

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Auteur : Jacques HALLARD, Ingénieur CNAM, consultant indépendant – 31/10/2017

Site ISIAS = Introduire les Sciences et les Intégrer dans des Alternatives Sociétales

http://www.isias.lautre.net/

Adresse : 585 Chemin du Malpas 13940 Mollégès France

Courriel : jacques.hallard921@orange.fr

Fichier : ISIAS Politique Histoire (Re) penser la paix pour panser l’Europe Partie 3 Contributions de Jean-Jaurès.2

Mis en ligne par Pascal Paquin de Yonne Lautre, un site d’information, associatif et solidaire(Vie du site & Liens), un site inter-associatif, coopératif, gratuit, sans publicité, indépendant de tout parti,

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