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"Comment les agriculteurs peuvent protéger la qualité de l’eau, reconstituer les aquifères et sauvegarder les sols" par le Dr. Mae-Wan Ho

Traduction et compléments de Jacques Hallard

mercredi 9 janvier 2013, par Ho Dr Mae-Wan

ISIS Agriculture Eau
Comment les agriculteurs peuvent protéger la qualité de l’eau, reconstituer les aquifères et sauvegarder les sols
How Farmers Can Protect Water Quality, Replenish Aquifers and Save the Soil
Des chercheurs scientifiques travaillent avec des agriculteurs pour trouver les moyens de réduire le ruissellement des eaux et l’érosion du sol, ce qui diminue dans le même temps les pollutions de l’eau. Dr. Mae-Wan Ho

Rapport de l’ISIS en date du 11/12/2012
Une version entièrement illustrée et référencée de ce document, intitulé How Farmers Can Protect Water Quality, Replenish Aquifers and Save the Soil, est affiché et accessible par les membres de l’ISIS sur le site http://www.i-sis.org.uk/How_Farmers_Can_Protect_Water_Quality.php ; le document est par ailleurs disponible en téléchargement ici
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Une équipe de scientifiques et d’agriculteurs locaux ont utilisé un logiciel de simulation pour aider à identifier les meilleurs moyens de réduire les ruissellements de surface et l’érosion des sols dans les exploitations agricoles [1].
L’étude a été réalisée en collaboration avec les autorités locales dans une région du sud-ouest de la France qui souffre terriblement de ces ruissellements de surface et de l’érosion du sol par les eaux pluviales.
Pour réaliser le travail, ils ont utilisé un système d’information géographique (SIG), un modèle de simulation informatique du débit d’eau et de l’érosion des sols, STREAM, afin d’évaluer les impacts d’un événement lors d’un printemps orageux, sous différents scénarios de gestion et sur deux sites choisis par les agriculteurs. Les résultats ont été analysés et évalués conjointement par les agriculteurs et par les scientifiques : les agriculteurs ont discuté de la faisabilité technique et économique de chaque scénario de gestion.
Avec le logiciel STREAM, les simulations ont montré que des pluies de printemps de 40 mm tombant sur les systèmes actuels de culture, conduisent à 3.116 m3 d’eau de ruissellement au total et à 335 tonnes de sédiments au site A, et à 3.249 m3 d’eau de ruissellement et à 241 tonnes de sédiments au site B.
La mise en place de bandes enherbées à des endroits stratégiques pourrait réduire le ruissellement d’environ 40% et les sédiments d’environ 50% au site A. Au site B, des bandes enherbées pourraient réduire le ruissellement et les sédiments de plus de 50%, mais le changement du système de culture peut éliminer presque entièrement, à la fois les impacts négatifs des eaux de ruissellement et les apports de sédiments.

L’agriculture et l’eau

L’agriculture constitue un important utilisateur et une source de pollution majeure de l’eau, ce qui nécessite une attention urgente, compte tenu de l’épuisement mondial des ressources en eau douce (voir [2, 3] World Water Supply in Jeopardy, SiS 56 * ; Using Water Sustainably, SiS 57) **.
* Version en français "C’est l’approvisionnement du monde en eau qui est menacé" par le Dr Mae-Wan Ho. Traduction et compléments de Jacques Hallard ; accessible sur le site http://isias.transition89.lautre.net/spip.php?article258
** Version en français : ‘Pour une utilisation durable de l’eau’. Sur le site ISIAS.
Le problème a commencé dans les années 1960, quand l’agriculture intensive a été introduite en Europe pour accroître les rendements des cultures (voir [1]). Ce mode d’agriculture a rendu nécessaire une mécanisation poussée et l’application d’engrais chimiques et de pesticides, ce qui ne tarda pas à favoriser les grandes exploitations au détriment des plus petits agriculteurs. C’est alors que les problèmes environnementaux désormais bien connus ont commencé à émerger : eaux de ruissellements, érosion des sols et pollution des ressources en eau.
Au cours des 20 dernières années, la surveillance des eaux souterraines et des eaux de surface en Europe a révélé une contamination significative par les nitrates et par les pesticides, en particulier en France, où les échantillons d’eaux de surface dépassent souvent la limite de l’eau potable qui sont fixées à 0,1 mg / L. de pesticide. Par exemple, 96% des eaux de surface dans le département du Tarn et Garonne, dans le sud-ouest de la France, ont été contaminées par les nitrates, les phosphates et les pesticides, en partie à cause de l’éroson résultant des ruissellements dans les champs cultivés.
En 2000, la Communauté Européenne a présenté la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) pour restaurer et préserver la qualité de l’ensemble des ressources en eau. Ce document fixe des objectifs de qualité de l’eau à atteindre d’ici 2015. La politique agricole commune (PAC) de 2003 a introduit le « principe de l’éco-conditionnalité » qui reliait le paiement intégral des aides de la PAC aux agriculteurs, au respect des normes agri-environnementales appelées « bonnes conditions agricoles et environnementales ».
Ces normes demandent qu’une partie de la superficie cultivée chaque année faisse l’objet d’une couverture végétale permanente, pour prévenir l’érosion du sol, et que soient aménagées des bandes tampons (surfaces non cultivées ou ensemencées avec des plantes de couverture. le long des cours d’eau), afin de prévenir la pollution des eaux de surface.
Selon le décret officiel français, la surface totale du couvert végétal permanent dans chaque exploitation doit être d’au moins 3% de la superficie annuelle cultivée. Le couvert végétal permanent et les bandes enherbées doivent être mis en place dans les champs ; plus important encore, ces bandes enherbées le long des cours d’eau limitrophes, doivent être comprises entre 5 et 10 m de large et elles doivent couvrir au moins 500 m2.
La conception de ces mesures agro-environnementales (MAE) n’est pas une mince affaire, et ces mesures diffèrent pour les fermes situées au niveau du bassin versant, par opposition à celles situées au niveau de la rivière. Par conséquent, la modélisation pourrait aider à trouver le meilleur dispositif sur le terrain. En travaillant avec les agriculteurs dans les exploitations agricoles réelles, cela permettrait également de retenir le modèle de test approprié.

Les agriculteurs ont choisi les sites à étudier

L’étude a été réalisée dans le département français du Tarn-et-Garonne en collaboration avec le comité agricole du district de la Lomagne. L’érosion des sols est très répandue dans ces bassins versants, avec des charges de sédiments dans les ruisseaux et les rivières qui ont un impact négatif sur la qualité de l’eau.
La zone géographique jouit d’un climat tempéré humide, avec des précipitations annuelles comprises entre 700 et 760 mm et des températures moyennes quotidiennes de 10 à 35º C. La pluviométrie est faible à modérée en hiver, et les événements les plus intenses de précipitations se situent au printemps.
Les sols de la région sont très sensibles à la formation de croûtes étanches en surface. La nappe phréatique pour l’eau potable est très profonde (> 10 m). Le risque d’événements érosifs est très élevé en avril-mai, lorsque des pluies intenses se produisent (20-40 mm en 2 à 3 heures), alors que de nombreux champs viennent d’être ensemencés.
Figure 1 - Les sites sélectionnés pour l’étude dans le sud de France
En collaboration avec les agriculteurs locaux, deux sites ont été sélectionnés (voir Figure 1). La première est une ferme de 41 ha à flanc de coteau avec des pentes allant de 0 à 15%, composée de cinq grands champs cultivés par deux agriculteurs. En 2009, 36 ha ont été ensemencés avec des cultures de printemps (maïs et tournesol) et 5 ha avec du blé d’hiver. Les pluies violentes de printemps provoquent des coulées de boue dans les champs cultivés avec les cultures de printemps, et ces coulées, qui descendent presque chaque année, en recouvrent la route.
Le deuxième site est un versant de 107 ha qui alimente la rivière Serre et qui comprend 40 champs cultivés par 5 agriculteurs. Ce site se caractérise par une vallée encaissée en amont avec des pentes fortes (> 15%), suivie par une vallée relativement plate (pente comprise entre 0 et 5%). En 2009, cinq principales cultures ont été mises en place : cultures d’hiver (blé, orge et colza) sur 43% de la superficie, cultures de printemps (maïs, tournesol et sorgho) sur 41%. Les prairies représentent 12% de la superficie, principalement dans le bassin supérieur, tandis les forêts et la mise en jachère comptent pour moins de 4% de la superficie.
Le site A a été choisi parce le ruissellement érosif y est sévère et se produit presque chaque année au printemps. Le site B a été choisi parce qu’il fait l’objet de cultures différentes, diversifiées et sur de petites superficies. Un autre facteur important est que la plupart des agriculteurs (5 sur 6) se trouvant dans les deux sites sélectionnés, ont accepté de passer du temps pour travailler avec les chercheurs scientifiques.

Le modèle hydrologique et le logiciel de simulation des informations géographiques

Le logiciel STREAM est un modèle géographique de ruissellement et d’érosion dans les champs à l’échelle d’un événement, qui a été développé par une société en Californie, aux Etats-Unis. L’hypothèse de base du modèle est que les propriétés du sol telles que la rugosité des terres, la formation de croûtes en surface et la couverture végétale contrôlent les eaux de ruissellement et l’érosion des sols, ainsi que les processus de reconfiguration dans les paysages agricoles. Ce modèle tient également compte de la direction des travaux de labour et des caractéristiques du paysage tels que les haies, les fossés, les routes et les sites aménagés.
Pour valider un modèle STREAM, il est nécessaire de mesurer le ruissellement et les apports sédimentaires. Mais ces chiffres ne sont pas disponibles sur les deux sites. Cinq réunions ont eu lieu avec les agriculteurs entre janvier et juin 2009. Les deux premières réunions ont eu lieu avec le comité agricole du district de Lomagne afin de choisir les sites. La troisième réunion, qui s’est tenue au début de mai 2009, a été consacrée par les scientifiques à la visite des sites avec la plupart des agriculteurs, dans le but d’enregistrer les pratiques culturales et l’état de la surface du sol. Les quatrième et cinquième réunions ont été consacrées à la validation du réseau d’écoulement simulé qualitativement, à l’élaboration de scénarios pour les deux sites, y compris d’autres emplacements pour les bandes enherbées et / ou pour des changements dans les modes de mise en culture, et enfin pour analyser les impacts simulés des changements.
Le modèle STREAM a été exécuté avec les cultures et l’état de la surface du sol, enregistrés sur chaque site lors de la première visite. Ces informations ont été utilisées pour valider les modèles de simulation qualitative. Les agriculteurs ont comparé les résultats de la simulation avec ce qu’ils ont observé dans le passé en termes de voies de ruissellement et des taux d’érosion et d’accumulation des sédiments. Ce sont les scénarios de référence (A0 et B0), servant pour la comparaison avec les résultats simulés des changements proposés.
Les changements ont été suggérés par l’analyse des scénarios de référence : deux pour le site A : A1 et A2, et trois pour le site B : B1, B2 et B3. Deux types d’options de gestion ont été abordés : des bandes enherbées à l’intérieur ou en bordure des champs, d’une part, et des parcelles de prairies destinées à ralentir le ruissellement et à permettre à l’eau de s’infiltrer, d’autre part ; ainsi que des changements dans le système de culture, étant donné que le ruissellement et l’érosion sur les cultures de printemps sont plus élevés que sur les cultures d’hiver.
Pour la colline au site A, la proposition a concerné l’emplacement et les dimensions des bandes enherbées : des bandes standard de 5 m de large, bordant les fossés (scénario A1) et de plus larges bandes de 10 m, situées à mi-pente dans les domaines où les pentes sont plus les plus raides (scénario A2). Aucun changement d’assolement n’a été testé sur le site A, parce que les agriculteurs n’ont pas choisi de le tester, mais cet aspect a été testée sur le site B.
Dans le scénario B1, un champ étroit et allongé en bordure de la rivière et des bandes enherbées standards en bordure des rivières et des fossés ont été combinés avec la disposition parcellaire des cultures existantes. Le scénario B2 a impliqué une redistribution des cultures d’hiver et de printemps sur le bassin versant, associée à un champ étroit et long qui borde la rivière. Dans le scénario B3, tous les champs cultivés ont été modifiés pour adopter des cultures d’hiver.

La réduction du ruissellement et de la sédimentation d’après les scénarios simulés

Les résultats des simulations sont présentés dans le tableau 1. Comme on le voit, la mise en place de 5 bandes enherbées en bordure des fossés et des routes (A1) réduit le ruissellement d’environ 45% et les apports de sédiments d’environ 25%. La mise en place de 10 bandes enherbées où la pente était la plus raide (A2) avait réduit le ruissellement de 43% et les apports de sédiments de 39%. Ainsi, A2 était meilleur que A1, mais la plupart des agriculteurs n’ont pas aimé A2 car il réduit la taille des champs et des tracteurs ne sont pas autorisés à rouler sur la bande car ils compacteraient le sol.
Tableau 1 – Ruissellement et édimentation simulés pour différents scénarios

Pour le site B, la mise en place de bandes enherbées en bordure des cours d’eau (B1), en conformité avec les réglementations officielles, a entraîné une réduction de plus de 50% du ruissellement et des apports de sédiments. La réaffectation des cultures d’hiver et de printemps dans le bassin versant, en mettant les cultures d’hiver près de la rivière (B2), a donné une réduction légèrement plus faible pour les apports de sédiments, mais les eaux de ruissellement n’ont été reduits que de 22%. Les emblavements avec seulement des cultures d’hiver (B3) ont réduit presque complètement le ruissellement des eaux et les apports de sédiments. Toutefois, les agriculteurs ne sont pas d’accord avec ce recadrage, car il conduirait à une réduction importante de leur revenu, même si les prix des produits agricoles peuvent fortement varier d’une année à l’autre. En outre, les agriculteurs ont confirmé qu’une alternance de cultures de printemps et d’hiver a permis un meilleur contrôle des ravageurs et des mauvaises herbes.
Comme les résultats de la simulation ont démontré que les cultures de printemps ont des impacts négatifs importants sur l’érosion, les agriculteurs étaient prêts à discuter de la solution drastique, consistant à ne mettre en place des cultures d’hiver que dans les bassins versants, là où l’érosion constitue un problème très grave.

Les options non testées

L’étude ne comprenait pas de changement dans la direction du travail du sol parce que le modèle n’a pas été validé pour cela, d’une part, et parce que les agriculteurs ne veulent pas changer la direction des travaux de labour dans les champs en pente, car cette pratique est impossible et même dangereuse lorsque la pente est supérieure à 10 %. Néanmoins, il est bien connu que les pratiques agricoles perpendiculaires à la pente des terrains ralentissent l’écoulement des eaux de ruissellement.
Le semis des cultures de printemps directement sur un paillis broyé peut aussi être une option pour éviter le risque d’érosion. Les agriculteurs n’ont pas choisi de tester cette option parce que ce sujet divise encore les agriculteurs de la région. Néanmoins, ils étaient prêts à discuter de cette option après la simulation. Ils ont affirmé que l’option présente deux contraintes majeures : elle a besoin de puissantes machines pour le travail du sol et elle présente des risques élevés dans les sols locaux, car les résultats sont très variables et imprévisibles, comme cela a déjà été constaté sur les sols limoneux mal drainés.
Les champs cultivés avec des cultures de printemps sont la principale cause des écoulements érosifs. Certains maires de France ont pris un arrêté afin de limiter la superficie des cultures de printemps dans leur municipalité et pour obliger les agriculteurs à élaborer un plan collectif pour les mises en cultures. Un projet collectif de cultures agricoles n’est pas facile, car l’histoire des parcelles et les niveaux différents de la fertilité des sols locaux doivent être pris en compte. C’est là qu’un débat impliquant toutes les parties pourrait être facilité par la simulation STREAM. Les pratiques des agriculteurs sont influencées par les questions économiques et la première priorité des exploitants agricoles ne peut pas être de protéger d’abord l’environnement. Ainsi les subventions de la PAC et les pénalités de non-conformité avec les mesures agro-environnementales doivent être appliquées pour orienter les agriculteurs vers des choix qui soient bénéfiques pour l’environnement.

En conclusion

Le modèle STREAM s’est avéré utile pour aider les agriculteurs, les communautés locales et les scientifiques à travailler ensemble, afin de trouver le meilleur moyen de réduire les effets néfastes des eaux de ruissellement et des apports de sédiments : ceci est crucial pour la reconstitution des eaux souterraines et pour l’amélioration de la qualité des eaux de surface, ainsi que pour la prévention de la perte d’éléments dans les parties supérieures du sol qui sont riches en éléments fertilisants.
Il est possible d’appliquer ce genre d’analyse sur des territoires plus vastes, comme sur des bassins hydrographiques entiers qui traversent éventuellement les frontières nationales, en intégrant des données de la télédétection. Ceci est urgent, non seulement en Europe, mais dans le monde entier [2, 3].

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Définitions et compléments

Comment les agriculteurs peuvent protéger la qualité de l’eau, reconstituer les aquifères et sauvegarder les sols

Traduction, définitions et compléments :

Jacques Hallard, Ing. CNAM, consultant indépendant.
Relecture et corrections : Christiane Hallard-Lauffenburger, professeur des écoles.
Adresse : 585 19 Chemin du Malpas 13940 Mollégès France
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