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"Toxicologie épigénétique" par le Dr. Mae-Wan Ho

Traduction et compléments de Jacques Hallard

dimanche 3 juin 2012, par Ho Dr Mae-Wan

ISIS Génétique Epigénétique
Toxicologie épigénétique
Epigenetic Toxicology
Les substances toxiques présentes dans notre environnement modifient nos gènes et affectent nos enfants et nos petits-enfants ; ces toxiques ont d’énormes implications pour l’évaluation des risques des produits chimiques de synthèse et d’autres xénobiotiques. Dr. Mae-Wan Ho

Rapport de l’ISIS en date du 21/01/2009
Une version entièrement référencée de cet article intitulé Epigenetic Toxicology est postée et accessible par les membres de l’ISIS sur le site Web http://www.i-sis.org.uk/epigeneticToxicology.php Détails ici

Le ‘bisphénol A’ présent dans les biberons et d’autres plastiques cause des dommages dans le développement à travers plusieurs générations

Un produit chimique commun, le bisphénol A (BPA), qui se diffuse à partir des biberons et d’autres contenants de nourritures et de boissons, cause de graves anomalies chromosomiques dans les cellules d’ovules des fœtus de sexe femelle, lorsqu’il est administré à des souris gravides. Ces fœtus de sexe femelle, lorsqu’ils ont pû se développer à l’état adulte, produisent de grandes proportions d’embryons défectueux [1]. Il s’agissait là d’un cas d’effet remontant à la grand-mère, soit depuis trois générations.

Le bisphénol A (BPA) est une substance qui imite les effets des œstrogènes à faible dose et il est l’un des produits chimiques synthétiques les plus abondants qui sont fabriqués par l’industrie chimique : environ 2 à 3 millions de tonnes sont fabriquées chaque année. C’est un monomère de base des contenants en plastique polycarbonates utilisés pour les nourritures et les boissons, y compris pour les biberons destinés aux enfants, la résine servant aussi de revêtement à l’intérieur des boîtes de conserve alimentaires et dans les scellants dentaires. Il se trouve également dans le papier « sans carbone » qui est utilisé pour les préparations et produits alimentaires, ainsi que dans un large éventail d’autres produits ménagers très courants.

Il a été démontré une liaison entre la présence du bisphénol A (BPA) et toute une série de défauts de la reproduction chez les rongeurs de laboratoire, y compris une réduction de la production de sperme et une sensibilité accrue aux cancers de la prostate chez les mâles, ainsi que des anomalies dans la constitution de la glande mammaire, dans le développement du cerveau et dans le cycle ovarien chez les femelles. Il a aussi été mis en évidence que l’exposition fœtale au BPA chez les rats induit le développement de lésions précancéreuses et cancéreuses dans la glande mammaire [2].

Chez les êtres humains, une association entre les concentrations de BPA et des fausses couches récurrentes, a été suggérée [3], et récemment, une relation significative a été trouvée entre les concentrations urinaires de BPA et les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, l’obésité, ainsi que des anomalies des enzymes hépatiques dans un échantillon représentatif d’une population d’humains adultes des États-Unis [4].
Le groupe de recherche américain dirigé par Patricia Hunt à l’Université de l’Etat de Washington, à Pullman aux Etats-Unis, a fait les manchettes dans les médias, partout dans le monde, quand il a publié les résultats de ses recherches en 2007 [1].

Les chercheurs ont également constaté qu’en détruisant le récepteur d’oestrogène ER b chez des souris transgéniques, les défauts causés par le BPA sont précisément reproduits, ce qui suggère que le BPA interfère avec la liaison des œstrogènes à leurs récepteurs ER b. Et, en effet, aucune autre anomalie n’avait pû être induite par le BPA chez les souris ‘knock-out’ transgéniques ER b.
Ces résultats fournissent la preuve d’un effet de médiation multigénérationnelle à la suite d’une exposition au BPA, par la dérégulation des récepteurs ER b, de sorte que les filles de femmes enceintes exposées ont un risque accru de produire une descendance avec des chromosomes anormaux.

L’exposition au BPA a également une influence nocive sur la durée de vie reproductive des femelles, car ces anomalies entraînent généralement la perte d’une proportion importante d’ovocytes lors du développement des foetus de sexe féminin avant la maturation sexuelle.

Les résultats de l’équipe de chercheurs de Hunt [1], qui ont vraiment attiré l’attention de la communauté scientifiques, sont les effets épigénétiques (résultant de l’interférence de la liaison à son récepteur d’oestrogène), effets qui sont transmis à travers les générations suivantes, et qui sont devenus de plus en plus importants dans le domaine de la toxicologie.

Au cours du développement fœtal, les cellules germinales, chez les deux sexes, subissent une prolifération massive par la division cellulaire ordinaire. Par la suite, les cellules germinales dans les testicules des fœtus mâles cessent de se diviser et restent dans cet état avec un arrêt du développement avant la naissance, tandis que les cellules germinales de l’ovaire des fœtus de sexe féminin commencent la méiose (division cellulaire particulière qui conduit à la formation de cellules œufs avec la moitié du nombre de chromosomes).
Au moment de la naissance, les ovocytes (comme on les appelle à partir de ce stade) entrent dans une période prolongée d’arrêt méiotique où ils demeurent ainsi, jusqu’à un stade qui précède l’ovulation, après une longue période de croissance dans l’ovaire adulte.

Depuis la publication de ces résultats, le gouvernement fédéral canadien a officiellement déclaré que le bisphénol A (BPA) est une substance dangereuse, et il a annoncé qu’il chercherait à limiter les importations, les ventes et la publicité sur les biberons en polycarbonate contenant du BPA [5].
En revanche, une bataille fait toujours rage aux Etats-Unis, où la Federal Drug Administration (FDA) est largement critiquée pour avoir ignoré les recommandations de son propre comité de conseillers scientifiques, en adoptant les positions de l’American Chemistry Council (groupe de pression de l’industrie concernée), en insistant sur le fait que le BPA n’est pas nocif aux niveaux d’exposition actuels.

De même en Europe, l’Autorité européenne de sécurité alimentaire a réaffirmé à plusieurs reprises son avis selon lequel le BPA est « sûr », inoffensif, et elle a rejeté toutes les preuves scientifiques, pour des raisons invoquées de « fiabilité » et de « cohérence ». [6].

Les effets toxiques du BPA devraient être pris en compte, en même temps que ceux d’autres perturbateurs endocriniens, tels que le diéthylstilbestrol DES, un œstrogène synthétique et une toute une série de pesticides dans le contexte de la nouvelle discipline de la toxicologie épigénétique.

Des données épidémiologiques humaines révèlent que les personnes exposées au diéthylstilbestrol DES in utero au cours des 3 premiers mois de la grossesse, ont montré une incidence accrue des troubles de la reproduction et une forme rare de cancer, l’adénocarcinome à cellules claires du vagin. Une incidence accrue de troubles rares a également été trouvée chez les petites-filles et les petits-fils des femmes exposées au DES, ce qui suggère une hérédité épigénétique [7]. Cela a été effectivement confirmé par des expériences sur des rats (voir plus loin).
La preuve que la santé des adultes et les manifestations pathologiques sont influencées par l’environnement lors du développement du fœtus ou du petit nouveau-né, ne se limite pas à la perturbation endocrinienne. Une petite taille à la naissance et une mauvaise assimilation nutritionnelle ont été associées à un risque accru de maladies cardiaques, de diabète de type 2, d’ostéoporose et de dysfonction métabolique [8].

La période de gestation représente une fenêtre de développement pour la vulnérabilité à des changements épigénétiques, par des facteurs nutritionnels et environnementaux [9] (voir see Epigenetic Inheritance, “What Genes Remember”, SiS 41) *.
* Version en français "Hérédité épigénétique “What Genes Remember” " De quoi les gènes se souviennent-ils ? " par le Dr. Mae-Wan Ho. Traduction et compléments de Jacques Hallard. Accessible par http://isias.transition89.lautre.net/spip.php?article116

Il y a tout un ensemble d’éléments de preuves à partir d’études spécifiques, aussi bien au niveau du gène qu’à l’échelle du génome, selon lesquelles les expositions environnementales, en particulier lors du développement précoce, peuvent induire des changements épigénétiques qui peuvent être transmis aux générations suivantes et / ou conduire à des maladies qui surviennent en fin de vie.

La toxicogénomique fait référence à une combinaison de la toxicologie classique, de l’étude des poisons, en particulier leurs effets sur les organismes vivants et sur l’écosystème, de la génomique, de l’étude de la fonction des séquences nucléotidiques dans les génomes des organismes vivants [10].

La toxicogénomique a énormément contribué à définir les effets biologiques néfastes des facteurs de stress environnementaux, des toxines, des médicaments et des produits chimiques, mais elle se transforme rapidement en « toxicologie épigénétique » ; elle est définie ici comme conduisant à des changements héréditaires potentiels dans l’expression des gènes, avec ou sans altérations des séquences d’ADN du génome [9].

Les mécanismes épigénétiques sont nécessaires pour le développement normal et la différenciation, mais ils peuvent être mal dirigés, entraînant alors des maladies, notamment des cancers.

Le modèle du progéniteur épigénétique des cancers et ses mécanismes

Des altérations épigénétiques spontanées, induites par l’environnement ou héréditaires sont de plus en plus reconnues comme le début des événements moléculaires dans le développement du cancer, comme le résume une étude publiée dans la revue Cancer Journal en 2007 [11], qui a également décrit un nouveau modèle épigénétique du cancer, les cellules souches. Les cellules souches, présentes dans tous les organismes multicellulaires, sont capables de se renouveler par division cellulaire et sont aussi pluripotentes, c’est à dire, susceptibles de donner lieu à un large éventail de cellules différenciées spécialisées [12] Hushing Up Adult Stem Cells, SiS 13/14).

Le cancer survient en trois étapes [11]. Tout d’abord, une modification épigénétique de cellules souches progénitrices au sein d’un tissu, affectent les gènes qui régulent l’expansion des cellules souches et accroissent leur capacité d’auto-renouvellement et la pluripotence. Par exemple, la perte de la réglulation d’IGF2 favorise une expansion du compartiment des cellules souches, ce qui augmente la probabilité de formation de tumeurs. Cette altération peut être due à des événements dans les cellules souches elles-mêmes, par l’influence du compartiment stromal (le cadre qui soutient des tissus conjonctifs dans et autour des organes), ou par des dommages environnementaux ou des blessures.

Deuxièmement, une mutation initiale se produit dans un gène suppresseur de tumeur (dans les tumeurs solides), ou par un réarrangement de l’oncogène. Lors de la troisième et dernière étape, l’instabilité génétique et épigénétique s’installe, conduisant à une augmentation de l’évolution tumorale.

Les altérations épigénétiques sont potentiellement plus dommageables que les mutations nucléotidiques parce que leurs effets sur la structure de la chromatine d’un ensemble proche peuvent se propager, ce qui affecte de multiples loci génétiques (unités, le plus souvent de la transcription). En outre, ces altérations ont tendance à affecter une proportion élevée des individus qui sont exposés, à la différence des mutations génétiques classiques, qui sont relativement rares. Les changements les plus fréquemment décrits dans les cancers sont des altérations dans la structure de la méthylation de l’ADN, mais les modifications épigénétiques des protéines histones sont également impliquées.

La méthylation de l’ADN, l’addition covalente d’un groupement méthyle à la position C5 de la cytosine, est impliquée dans de nombreux processus clés du développement, de la dérégulation de ce qui se traduirait par de grandes anomalies du développement. Il s’agit notamment de l’inactivation des allèles dans les gènes touchés, des gènes qui sont exprimés ou non à des moments différents, selon qu’ils proviennent de la mère ou du père, l’inactivation de l’un des deux chromosomes X chez la femelle afin de compenser pour le mâle qui ne dispose que d’un chromosome X, et enfin en supprimant les éléments transposables, qui pouraient sinon être exprimés et sauter partout dans le génome, perturbant ainsi des gènes et les fonctions du génome en général.

La méthylation de l’ADN se produit plus fréquemment dans les îlots CpG, et les résultats sont un changement conformationnel dans le grand sillon de l’ADN qui altère les liaisons protéiques. Les ilots CpG sont des régions du génome à haute teneur en GC et où surviennent fréquemment les CpG. Les travaux de recherche sur le génome humain et sur celui de la souris ont identifié respectivement 15 500 et 29 000 îlots CpG. L’hyperméthylation des régions riches en CpG au niveau des promoteurs de gènes inhibe l’expression en bloquant l’initiation de la transcription.

Il a été trouvé que la transcription d’un certain nombre de gènes suppresseurs de tumeurs, tels que p16 INK4a, BRCA1, p53, et hMLH-1 ont été inhibés par une hyperméthylation de promoteurs dans la formation des cancers.

Bien que l’inhibition (‘silencing’) d’un gène suppresseur de tumeur par méthylation de l’ADN puisse se produire fréquemment dans les cancers, une hyperméthylation du génome entier est l’un des premiers événements qui se produisent lors de la genèse du cancer. La déméthylation du génome peut conduire à la réactivation des éléments transposables, ce qui modifie la transcription des gènes adjacents, l’activation des oncogènes comme H-RAS, et une expression inappropriée de gènes soumis à des évènements d’empreinte.
En outre, l’instabilité génomique associée à l’hyperméthylation de l’ADN, perturbe le gène de réparation enzymatique MLH1 et peut déréguler non seulement les gènes critiques qui sont impliqués dans les étapes initiales de la cancérogenèse, mais aussi ceux qui sont impliqués par la suite dans les étapes invasives et de manifestation des métastases.

Deux ensembles distincts de gènes susceptibles de relier les expositions environnementales pendant la grossesse pour une sensibilité à la maladie chez des adultes, sont les gènes imprimés et les gènes avec des états d’expression métastables.

Les gènes imprimés, ou soumis à empreinte, sont inactivés selon le parent d’origine, de sorte que seul l’un des deux allèles (formes d’un gène) doit être fonctionnel. Les épiallèles métastables (formes épigénétiques d’un allèle) ont une expression très variable en raison des changements stochastiques dans leur état ​​épigénétique, au moins dans certains cas, tels que le gène de la souris Agouti, en raison de l’insertion d’une particule A intracistronale de type viral.
Les gènes soumis à empreinte peuvent être dérégulés aussi bien dans les cellules germinales que dans les cellules somatiques. Du fait que les gènes soumis à empreinte sont souvent regroupés, d’une part, et que leur expression est régulée en conséquence par les régions de contrôle imprimées, d’autre part, un seul changement génétique ou épigénétique dans une région de contrôle imprimée peut entraîner un dysfonctionnement de nombreux gènes.

Par conséquent, les gènes soumis à empreinte sont associés non seulement à de graves troubles du développement tels que les syndromes d’Angelman, de Beckwith-Widemann, et de Prader-Willi, mais aussi avec les cancers. Les gènes soumis à empreinte sont beaucoup plus sujets à risque d’inactivation par mutation et d’altération épigénétique parce que l’un des allèles est déjà inactivé par l’empreinte génomique. Parce que normalement les gènes soumis à empreinte codent pour des effecteurs de croissance positifs ou négatifs, ils sont souvent impliqués dans la formation d’un large éventail de tumeurs.

L’épigénome est particulièrement sensible aux perturbations de la régulation par des facteurs environnementaux pendant la gestation, le développement néonatal, la puberté, et la vieillesse. La méthylation du promoteur d’ADN, dont l’augmentation est corrélée avec l’âge, se produit dans un certain nombre de gènes impliqués dans les cancers, y compris IGF2. Versican, et PAX6. Des modifications dans l’épigénotype ont également été observées après l’exposition des adultes aux produits chimiques xénobiotiques (substances chimiques de synthèse qui ne sont normalement pas produites ou métabolisées par les organismes vivants).

Les études sur des animaux fournissent des preuves claires de l’hérédité épigénétique des états pathologiques pour les générations suivantes, après une exposition initiale, en particulier dans deux cas qui impliquent des produits chimiques perturbateurs hormonaux.

Un fongicide est la cause d’une forte incidence de pathologies qui se manifestent jusqu’à quatre générations après l’exposition

La vinclozoline, composé anti-androgénique, est un fongicide utilisé principalement sur le colza et les pois dans le Royaume-Uni et sur les vignes, les fruits et les légumes à travers le monde [13]. Il a d’abord été introduit par BASF en Allemagne en 1976 et vendu sous un certain nombre de noms commerciaux, y compris Ronilan et Flottille. La vinclozoline est liée aux tumeurs testiculaires chez les rats, et elle est toxique pour la reproduction, et le Comité consultatif sur les pesticides du Royaume-Uni l’a gardé sous le coude pour étude depuis 1991, tandis que l’Agence américaine de protection de l’environnement estime qu’elle est un produit chimique perturbant le système endocrinien.

La vinclozoline est métabolisée et transformée en composés encore plus actifs avec une affinité de liaison élevée avec le récepteur des androgènes.
Des chercheurs de l’Université Pullman dans l’État de Washington aux Etats-Unis, dirigés par Michael Skinner ont constaté que l’exposition de rats au cours de leur développement embryonnaire, au moment de la détermination du sexe, a entraîné chez les animaux adultes de la F1, et dans les générations suivantes, jusqu’à la F4, l’élaboration d’un certain nombre de maladies ou des anomalies de la prostate, du rein, du système immunitaire, des testicules et des tumeurs dans divers tissus. En outre, plusieurs anomalies sanguines se sont manifestées, y compris avec des niveaux élevés de cholestérol.

Des incidences élevées d’états pathologiques transgénérationnels ont été trouvées, de façon uniforme dans toutes les générations, ce qui semblait être dû en partie à des modifications épigénétiques dans la lignée germinale mâle, et les études qui ont été menées successivement confirment ces effets [14].
Des doses élevées ont été administrées à partir de 100 mg/kg/jour aux stades embryonnaires à 8-14 jours de gestation, sans autre traitement dans les générations suivantes, et la consanguinité a été évitée. Donc, seuls les embryons F1 et les cellules germinales F2 (dans les embryons F1) ont été exposés.
Les maladies et des anomalies ont été notées « en aveugle », c’est-à-dire que l’observateur ne savait pas si les rats figuraient dans le groupe qui avait été exposé à la substance chimique.

Les anomalies des testicules comprenaient : des tubules atrophiés, des vacuoles ou l’échec de la formation de cellules germinales à un taux de 20 pour cent ou plus, des lésions rénales comprenant des dommages tubulaires à 30 pour cent ou plus, des changements tubulaires impliquant une extrême dilatation avec des fluides riches en protéines, des tubules kystiques remplis de liquide, l’épaississement de la capsule de Bowman entourant le glomérule, ainsi qu’une zone glomérulaire réduite. Les tissus de la prostate ventrale ont été considérés comme anormaux si plus de 30 pour cent des conduits de la prostate étaient atrophiés et ne contenaient pas de cellules épithéliales non cylindriques et secrétrices.

Des anomalies liées à l’immunité ont été constatées, notamment des macrophages en nombre élevé et une invasion de lymphocytes dans de multiples organes, et généralement accompagnée d’une infection bactérienne. Plusieurs types d’inflammation ont été identifiés dans l’oreille interne, dans les membres inférieurs, et des voies respiratoires inférieures. Des abcès sous-cutanés ont été trouvés : ils grandissaient en taille et causaient finalement une septicémie (infection généralisée).

Il n’y avait pas de tumeurs chez les animaux témoins servant de contrôle, alors que les tumeurs s’étaient développées chez 12-33 pour cent des animaux, chez les animaux qui avaient été exposés, de la génération F1-F4 : 4 adénomes mammaires, 2 carcinomes du sein, 1 sarcome du poumon et 2 mélanomes des cellules cutanées de Merkel, avec en plus l’adénome du sein ; seuls le sarcome du poumon, les tumeurs des cellules de Merkel et le cancer du sein étaient des pathologies malignes.

Des lésions de la prostate ont été détectées dans 45 à 55 pour cent des mâles. Des lésions rénales sont apparues dans 20 à 50 pour cent des mâles de toutes les générations (après une exposition à la vinclozoline), et elles ont été également été retrouvées chez les femelles. Des fonctions et morphologies testiculaires anormales ont été trouvées chez 15 à 38 pour cent des animaux exposés, des générations F1 à F4. La pathologie comprend aussi une augmentation de la mort cellulaire lors de la spermatogenèse, de grosses anomalies morphologiques dans la spermatogenèse, ou une absence totale de la spermatogenèse.

L’inflammation de l’oreille interne, des abcès sous-cutanés et des infections bactériennes ont été trouvés dans 12-33 pour cent des animaux exposés, alors qu’il n’y avait aucune inflammation chez les animaux témoins servant de contrôle. Une augmentation significative du cholestérol a été trouvée dans 35 pour cent des animaux exposés à 6-14 mois, mais pas à 3 mois.
Jusqu’à 50 pour cent des animaux exposés ont également exprimé un vieillissement prématuré avec une apparence et un comportement à l’âge de 6-14 mois, qui était semblable aux animaux témoins d’âge supérieur à 18 mois.
La fréquence de la maladie dans la génération F1 était souvent moins élevée que dans les générations ultérieures. Beaucoup d’animaux présentaient des anomalies multiples et 85 pour cent de tous les animaux des générations F1-F4 exposés à la vinclozoline ont développé un état de maladie transgénérationnelle. Plus de 90 pour cent de tous les mâles des générations F1-F4 du groupe exposé à la vinclozoline avaient une capacité réduite de faire des spermatozoïdes.

Le phénotype des pathologies a été principalement transmis par la lignée germinale mâle : un mâle F2 traité à la vinclozoline croisé avec une femelle de type sauvage a donné une augmentation de la prévalence de la maladie, pa rapport aux témoins, dans la génération F3 (toutefois moins que dans la F3), tandis que le croisement inverse n’a pas conduit aux mêmes observations. Mais la lignée germinale femelle a également contribué aux pathologies.
Bien que les tumeurs, les lésions rénales et les lésions de la prostate sont observées chez les rats âgés (24 mois), aucune de ces maladies n’a été observée chez les animaux témoins à 6-14 mois, lorsque les deux groupes d’animaux ont été comparés. Les résultats sont très significatifs, et les fréquences de défauts et d’anomalies ont été beaucoup plus élevées que ce qui pourrait être expliqué par les taux de mutations, qui sont typiquement de l’ordre de 1 à 5 pour cent.
Les chercheurs ont utilisé un niveau d’exposition qui est presque 10 fois le niveau plus bas que le niveau officiel le plus bas auquel des effets indésirables ont été observés, soit 11 mg / kg / jour, mais des effets biologiques ont été mis en évidence à des doses situées autour de 1 mg / kg / jour. Les concentrations dans l’environnement de la vinclozoline n’ont pas encore été déterminées avec précision.

L’analyse du sperme, à partir des générations F2 et F3, a permis d’identifier 25 séquences d’ADN candidats avec des profils de méthylation altérés chez les animaux exposés à la vinclozoline, et avec 15 séquences qui ont été confirmées comme ayant une hyperméthylation spécifique [15].
Ces séquences ont été localisées sur des gènes spécifiques et des régions d’ADN non codantes. Le profil d’expression de plusieurs gènes durant le développement embryonnaire a été modifié dans les testicules des animaux exposés à la vinclozoline, des générations F1 et F2, avec une certaine diminution de l’expression des gènes tandis que d’autres avaient une expression supérieure.
Tous les gènes candidats altérés (modifiés) dans les échantillons traités à la vinclozoline n’étaient pas présents chez les témoins. Ces gènes candidats altérés sont présents sur des gènes autosomes différents, sans régions particulières de position stratégque ou ‘hot spots’, et aucun de ces gènes n’était présent sur les chromosomes sexuels.

Un oestrogène synthétique provoque le cancer chez les descendants des femelles qui avaient été exposées

L’œstrogène synthétique diéthylstilbestrol (DES) est un perturbateur endocrinien puissant au niveau prénatal. L’exposition chez les humains et les animaux de laboratoire pendant les périodes critiques de développement des organes reproducteurs, lors de l’embryogenèse, modifie en permanence les tissus cibles d’œstrogènes et on comme résultat à long terme des anomalies telles que le cancer de l’utérus plus tard dans la vie.

Depuis presque 30 ans, le DES a été prescrit aux femmes ayant des grossesses à risque pour prévenir les fausses couches et d’autres complications. En 1971, un rapport clinique avait associé le DES avec une forme rare de cancer des voies reproductives, l’adénocarcinome du vagin, qui avait été détecté chez un petit nombre (0,1 pour cent) des filles adolescentes nées de femmes qui avaient pris du DES pendant leur grossesse [16].

Par la suite, il a été démontré que le DES était également lié à des problèmes plus fréquents de tractus génital bénin chez environ 95 pour cent des filles exposées au DES : dysfonctionnement des organes de reproduction, grossesses anormales, baisse de la fécondité et troubles du système immunitaire. De même, la progéniture des individus mâles issus des femelles exposées avaient montré des anomalies structurelles, fonctionnelles et cellulaires dans les organes reproducteurs, ainsi que des inflammations et une diminution de la fertilité [17].
Le diéthylstilbestrol DES n’est plus utilisé en milieu clinique pour prévenir les fausses couches, mais les personnes exposées sont toujours en état d’atteindre un âge auquel une incidence plus élevée de cancers est attendue, et la possibilité des effets sur la deuxième génération a été signalée, c’est à dire, chez les petits-enfants des femmes auxquelles le DES avait été prescrit, comme mentionné ci-dessus.

Des recherches conduites récemment aux États-Unis et dirigées par Retha Newbold au National Institutes of Environmental Health Sciences, auprès de l’Institut national de la santé, en Caroline du Nord, ont permis de constater que chez la souris, l’exposition au DES conduit à l’expression des gènes altérés qui comprend un composant régulé par les oestrogènes [18 ]. Le DES est un perturbateur endocrinien modèle et même à faibles doses, il accroît l’incidence du cancer de l’utérus, comme le font de faibles doses d’oestrogènes qui sont présents par ailleurs dans l’environnement.

La propension accrue à développer des tumeurs est transmise par la mère dans les générations ultérieures de descendants masculins et féminins. Les mécanismes comprennent à la fois des événements génétiques et épigénétiques.
Des souriceaux nouveau-nés (1-5 jours) traités avec le DES à 2 mg / petit / jour ont développé une forte incidence de cancers (90-95 pour cent) à 18-24 mois d’âge. Ces tumeurs se propagent rarement dans tout le corps, mais chez les animaux âgés (24 mois ou plus), les lésions se sont propagées aux ganglions lymphatiques para-aortiques ou étendues aux organes contigus. Des résultats similaires ont été obtenus chez des rats et des hamsters.

Cela peut être un facteur prédictif du potentiel cancérogène des oestrogènes environnementaux chez les femmes à mesure qu’elles vieillissent, car l’histologie des tumeurs et la progression vers le cancer sont toutes deux similaires à celles qui sont observées chez les femmes.

Dans une étude dose-réponse, le DES est apparu comme étant à l’origine de tumeurs, même à une dose de 0,0002 mg / petit / jour. L’apparition du cancer de l’utérus a présenté une réponse avec une relation linéaire, dépendante de la dose, de 0 chez les témoins à 65 pour cent à 2 mg), et également une réponse avec une augmentation en termes d’oestrognicité (poids de l’utérus / poids corporel) : 0,1 chez les témoins et 0,3 à 2 mg / petit / jour)
Les autres oestrogènes environnementaux ont également causé des lésions utérines : le 17b-estradiol, le tamoxifène, l’hexestrol, le tetrafluorodiethylstilbestrol, l’éthinyl estradiol, le 2-hydroxyestradiol, le 4-hydroxyestradiol, la génistéine, le nonylphénol, le bisphénol A et le méthoxychlore. La plupart ont été testés à 2 mg / petit / jour, sauf les œstrogènes plus faibles : génistéine, nonylphénol, bisphénol A et méthoxychlore, qui ont été administrés à la dose de 200 mg / petit / jour. Tous, sauf le méthoxychlore, ont causé des lésions utérines chez des souris âgées. Le méthoxychlore n’a pas provoqué de lésions du foie chez le nouveau-né, peut-être parce qu’il ne peut pas encore le convertir en oestrogènes.

Il a été trouvé qu’une exposition prénatale au DES pouvait retarder l’expression des gènes Hox impliqués dans le développement de l’appareil reproducteur. Les gènes Wnt ont également été touchés. Une exposition néo-natale a causé une déméthylation du gène LF de réponse aux œstrogènes dans l’utérus de la souris, qui peut être impliquée dans l’induction des tumeurs.

De même chez les hamsters exposés au DES : un carcinome utérin se développe à une fréquence élevée, et les déséquilibres dans l’expression utérine régulée par des œstrogènes des proto-oncogènes c-jun, c-fox, c-myc, bax, bcl-2 et bcl-x, ont probablement joué un rôle.

Les études à l’aide des biopuces dans les utérus de souris ont révélé des voies d’expression des gènes altérés qui étaient semblables et qui comprenaient un composant régulé par les oestrogènes.

Dans une autre série d’expériences, le traitement prénatal ou néonatal avec le DES a conduit à des tumeurs dans les voies génitales femelles et mâles et, en plus, une sensibilité aux tumeurs a été transmise à la descendance de la lignée germinale maternelle. La transmission par le mâle exposé au DES n’a pas été étudiée.

Les souris ont été traitées par le DES pendant la période prénatale à la dose de 2,5, 5 ou 10 mg / kg / jour, pendant les jours 9 à 16 de la gestation, ou à 0,002 mg pendant 1 à 5 jours après la naissance ; ce sont les doses les plus élevées qui n’ont pas gravement porté atteinte à la fertilité plus tard au cours de la vie. Lorsque les souris femelles F1 avaient atteint la maturité sexuelle, elles ont été reproduites pour contrôler les mâles non traités. Les descendances mâles et femelles étaient âgées de 17-24 mois et ont été examinées pour repérer les anomalies du tractus génital.

Une incidence accrue de lésions prolifératives de la rete testis (un réseau de conduits dans le centre du testicule associés à la production de spermatozoïdes et un tissu cible des œstrogènes chez les mâles), et des tumeurs de l’appareil reproducteur ont été observés dans la descendance mâle. Dans la progéniture femelle, une augmentation de l’incidence de l’adénocarcinome utérin a été observée. L’incidence était plus faible chez les descendants que chez leurs parents exposés au DES (31 pour cent à la F1 à 18 mois à la dose néonatale de 0,002, comparativement à 11 pour cent chez leurs descendants F2). Plusieurs gènes ont été définitivement dérégulés après le traitement au DES. Les protéines de réponse aux œstrogènes LF et c-fos ont été définitivement régulées à la hausse dans l’utérus, et les régions promotrices de ces gènes ont été hypométhylées. Les protéines de réponse aux œstrogènes LF ont également été surexprimées dans les tissus utérins des descendances femelles issues de femelles exposées au DES.

Il est important, par conséquent, de suivre les petits-enfants des femmes qui avaient été exposées au DES.

Les substances toxiques ont d’importantes implications pour la santé publique et pour l’évaluation des risques concernant les xénobiotiques

Ces résultats de toxicologie épigénétique ont des implications importantes pour la santé publique et pour l’évaluation des risques concernant les xénobiotiques. On estime que plus de 100.000 xénobiotiques sont sur le marché dans l’Union Européenne, quelque 70.000 sont potentiellement dangereux pour la santé humaine et / ou pour l’écosystème [19].

La grande majorité de ces produits chimiques n’ont pas été suffisamment testés quant à leur sécurité avant d’être diffusés commercialement dans l’environnement. Beaucoup d’entre eux sont des perturbateurs endocriniens semblables à ceux dont les effets épigénétiques ont été examinés dans le présent article. Les produits ménagers courants - les détergents, les désinfectants, les plastiques et les pesticides - contiennent des perturbateurs endocriniens. Par exemple, 56 pesticides en usage actuellement ont été identifiés comme des perturbateurs endocriniens connus ou soupçonnés par l’Union européenne et la communauté scientifique [20], mais la plupart d’entre eux ne font pas encore l’objet d’une réglementation.

Les nouveaux résultats des recherches appellent à une action urgente sur deux fronts. Tout d’abord, tous les perturbateurs endocriniens et les substances cancérigènes connues et dont on soupçonne leurs effets toxiques, devraient être interdits ou éliminés lorsqu’il y a énormément de preuves scientifiques de dommages possibles, et le principe de précaution devrait prévaloir en cas de suspicion raisonnable de préjudice.

Tout d’abord, les pesticides et les engrais chimiques sont de bons candidats pour faire l’objet d’une élimination, si ce n’est une interdiction totale, car il y a maintenant des preuves substantielles selon lesquelles l’agriculture biologique dispense de l’usage des pesticides et d’autres intrants chimiques : elle fonctionne a toutes les échelles et les composts et les engrais verts peuvent maintenir, voire augmenter les rendements par rapport à l’utilisation des engrais chimiques [21] (voirFood Futures Now *Organic *Sustainable *Fossil Fuel Free, ISIS publication).

Deuxièmement, un protocole adéquat impliquant des études transgénérationnelles avec les analyses avec la technique des microréseaux [puces à ADN] pour tester les effets génétiques et épigénétiques, doit être utilisé dans toutes les enquêtes toxicologiques.

Une classe de xénobiotiques qui doivent être inclus est constituée par les aliments [provenant de plantes ou d’animaux] génétiquement modifiés [OGM] et destinés à la nourriture des êtres humains et des animaux, pour lesquels des effets épigénétiques ont déjà été démontrés chez des animaux qui avaient été exposés à des OGM, ainsi qu’à partir des impacts négatifs en matière de santé, observés à la fois à partir des études sur la toxicologie alimentaire conduites en laboratoire et sur le bétail, ainsi que chez les travailleurs agricoles [22 - 24} (GM is Dangerous and Futile. SiS 40 ; GM Maize Reduces Fertility & Deregulates Genes in Mice *, et GM Maize Disturbs Immune System of Young and Old Mice, SiS 41).
* Version en français "Un maïs génétiquement modifié réduit la fertilité et dérègle des gènes chez les souris" par le Dr. Mae-Wan Ho. Traduction et compléments de Jacques Hallard. Accessible par http://isias.transition89.lautre.net/spip.php?article117

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Définitions et compléments

Toxicologie épigénétique

Traduction, définitions et compléments :

Jacques Hallard, Ing. CNAM, consultant indépendant.
Relecture et corrections : Christiane Hallard-Lauffenburger, professeur des écoles
honoraire.
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